CHAPITRE XII
Le soleil était levé depuis une bonne heure quand Marc et Ray quittèrent leur chambre pour pénétrer dans la salle de l'auberge. Manifestement, ils étaient les seuls clients. Le patron s'empressa de leur porter une terrine et un pichet de vin.
— Vous n'avez guère de consommateurs, dit Marc. L'aubergiste après avoir lancé plusieurs regards inquiets vers la porte, murmura:
— Depuis l'aube, les hommes du roi sillonnent les rues et procèdent à des arrestations. Un convoi de prisonniers doit partir à midi pour la mine et il manque plusieurs hommes. Je vous déconseille donc de sortir maintenant. Tout en découpant une tranche de pâté, Marc émit à
l'attention de Ray.
— Voilà un excellent moyen pour visiter les lieux.
— Il est risqué ! Si je me souviens bien, la condition de bagnard n'a rien d'agréable et nous risquons de nous retrouver au milieu d'une bande de pirates qui n'apprécie- ront pas notre visite.
— Ils n'auront aucune raison de soupçonner des pri- sonniers venus de Sippar.
Un gamin maigre et sale avait le nez collé contre la petite vitre et regardait avec une envie non dissimulée la terrine. Marc lui fit signe de les rejoindre. Sur le seuil, il hésita devant la mine courroucée de l'aubergiste.
— C'est mon invité, laissez-le entrer.
Totalement surpris, le gosse s'assit en face de Marc qui lui désigna la terrine.
— Si tu as faim, sers-toi.
Le gamin plongea aussitôt une main bien crasseuse dans le pot. Tandis qu'il avalait avec voracité sa pitance, Marc reprit:
— Connais-tu les comédiens qui jouent près d'ici ?
— J'ai vu le spectacle en me faufilant dans la salle quand la vieille de l'entrée avait le dos tourné, dit-il la bouche pleine. Marc détacha son épée du ceinturon en faisant signe à
Ray de l'imiter.
— Inutile de nous les faire confisquer par les gardes. En glissant une pièce dans la main du gosse, il ordonna:
— Quand les hommes du roi auront regagné le château, tu porteras ces armes à Hédos, le gros barbu, et tu lui diras que nous reviendrons le voir dans quelques jours. Marc prit une ample respiration avant d'ajouter:
— Si, par simple hasard, tu oubliais ma commission, je ne sais qui, de Hédos ou de moi, sera le premier à te couper les deux oreilles, à moins que mon ami Ray préfère te les arracher. C'est moins rapide mais plus douloureux. Le gamin regarda ces deux hommes qui ne paraissaient pas plaisanter et esquissa un sourire.
— Vos ordres seront fidèlement exécutés, messire. Puisje finir la terrine ?
— Tu peux manger pendant encore deux heures, tout sera payé mais n'attrape pas une indigestion car notre ami serait fâché de ne pas recevoir sa commission et tes oreilles pourraient en subir les conséquences.
Marc se leva, imité par Ray. Il lança à l'aubergiste un écu en disant:
— Vous pouvez disposer de notre chambre. Nous
serons absents plusieurs jours.
A l'extérieur, la rue était déserte et tous les commerçants avaient fermé boutique. Les Terriens avancèrent d'un pas de promenade, se dirigeant vers la cathédrale. A un coin de rue, ils furent soudain entourés par six gardes qui les menacèrent de leurs piques. Un officier au visage rubicond lança:
— Vous êtes en état d'arrestation. Suivez-nous !
— C'est insensé, protesta Marc. Nous sommes des étrangers qui venons visiter votre pays. Vous n'avez pas le droit de nous appréhender.
— Silence, vermine ! Nous allons vous donner l'occasion de voir d'autres paysages, ajouta-t-il avec un rire gras. La pointe des lances appuya sur leurs dos, contraignant les Terriens à avancer. Sur la place de la cathédrale, deux charrettes stationnaient. Sur chacune d'elles, environ dix prisonniers étaient entassés et elles étaient entourées par des cavaliers en armes. L'officier rubicond se dirigea vers le chef du détachement.
— Voici les deux derniers que nous avons trouvés. Maintenant, les rues sont vides et nous ne capturerons plus personne sauf si vous nous autorisez à forcer les portes de bourgeois.
— Cela sera suffisant pour aujourd'hui. Nous pouvons nous mettre en marche.
La colonne se forma et les charrettes tirées par deux chevaux s'ébranlèrent.
— Au moins, nous n'aurons pas à faire le voyage à
pied, bougonna Ray.
A la fin du deuxième jour de voyage, la misérable cohorte arriva en vue d'un village, si l'on pouvait appeler ainsi la dizaine de baraquements qui se dressaient au pied d'une colline.
— L'endroit n'a pas changé depuis notre dernier passage, murmura Ray, et il n'est certainement pas devenu plus accueillant.
Les charrettes s'immobilisèrent devant un baraquement d'où sortirent deux hommes. L'un, solidement charpenté, était vêtu de cuir noir. Un fouet à plusieurs lanières était passé dans sa ceinture. Le second se tenait en retrait, portant une combinaison de cosmonaute passablement défraîchie. Son teint légèrement ardoisé trahissait une origine solanienne.
— Notre enquête progresse à pas de géant, émit psychiquement Marc. Les pirates ont bien établi une base de ravitaillement ici.
— Entrer dans un piège est facile mais en sortir est moins aisé, grogna Ray.
Descendu de cheval, le chef du détachement alla s'incliner devant le cosmatelot.
— Voici les esclaves que vous envoie mon maître le roi Norkas, seigneur.
— C'est bien, fais-les entrer pour la cérémonie du collier. Les prisonniers furent brutalement extraits des charrettes et poussés dans le hangar. Pour affirmer d'emblée son autorité, le colosse faisait largement usage de son fouet. Au milieu de cris et de protestations, les malheureux furent alignés sur une colonne. Un second cosmatelot plaçait autour de leur cou un collier qui semblait en cuir, large de cinq centimètres avec un renflement qui s'appuyait sur la nuque. En sentant l'engin entourer sa peau, Marc ne put dissimuler une grimace. Il savait pour l'avoir expérimenté à ses dépens, que l'engin télécommandé pouvait infliger d'atroces souffrances. Ray qui restait collé derrière lui, frôla de la main le collier en émettant:
— Ne t'inquiète pas, je viens de griller l'inducteur de douleur.
Le premier cosmatelot annonça alors d'une voix forte:
— Dès demain, vous travaillerez à la mine. Si vous voulez boire et manger, il faudra extraire une quantité notable de minerai. Ici, les paresseux meurent de faim. Quant à
ceux qui refusent d'obéir, voici ce qu'il leur arrivera. D'un grand geste du bras, il désigna son complice qui tenait à la main une boîte noire pourvue d'une antenne. Aussitôt, des cris retentirent. La douleur infligée était telle que les malheureux se roulaient sur le sol. Marc et Ray les imitèrent pour ne pas attirer l'attention. La torture cessa enfin, laissant les hommes brisés, couverts de sueurs et parfois d'excréments.
— Debout, hurla le colosse en faisant claquer son fouet. Ce soir, vous coucherez ici. Demain, après le travail, vous rejoindrez les autres prisonniers.