CHAPITRE XV

La journée se terminait. Mike classait sans ardeur exagérée la pile de dossiers que Craig lui avait confiée. Une très jolie pagaille ! Elle n'était guère douée pour le classement administratif !

Une semaine s'était écoulée depuis l'agression manquée contre Dana. L'interrogatoire des trois malfrats survivants n'avait rien apporté et l'ordinateur judiciaire les avait condamnés dans le cadre de la procédure des flagrants délits à quelques années d'emprisonnement. Une fois de plus, le capitaine avait piqué une sainte colère et ordonné

au lieutenant de prendre des vacances. Ce qu'elle avait refusé avec énergie. Depuis, un véhicule avec deux agents stationnait la nuit devant son domicile.

Mike consulta discrètement sa montre. Il avait soudain envie d'un bain relaxant et d'un verre de vieux scotch. Encore une heure ! Craig passa la tête par l'entrebâillement de la porte.

— Nous travaillerons cette nuit. J'ai reçu un message d'un informateur. Nous avons une chance de coincer deux revendeurs de lapis oniris. Partez maintenant vous restaurer mais soyez ici à neuf heures.

— Dînez avec moi !

— Impossible, je dois encore voir le capitaine. Mike s'éclipsa en silence. Son projet de soirée de détente s'envolait !

Après avoir subi les longues recommandations de Kieffer, Craig décida d'aller manger un sandwich à la café-téria. Munie de sa triste pitance, elle s'installa à une table un peu à l'écart.

Tandis qu'elle se débattait avec un fragment de viande lyophilisée et reconstituée, elle vit arriver Terry. Ce dernier, sans attendre d'y être invité, s'assit en face d'elle.

— Bonsoir, Dana. Tu négliges ton entraînement. Cela fait plusieurs semaines que tu n'es pas venue à la salle comme le prescrit le règlement. Je vais être obligé de le signaler aux autorités. Je n'ai également pas vu ton équipier. Est-il toujours en vie ?

Dana haussa rageusement les épaules.

— Ne te fâche pas ! Viens dîner avec moi demain et j'oublierai de faire mon rapport. Après le repas, nous travaillerons le corps à corps. Je connais des prises capables de faire fondre le glaçon qui est en toi.

Furieuse, la jeune femme se leva sans répondre. Elle s'assit à côté du sergent Nilson qui absorbait stoïquement une pâte brune. Elle le connaissait depuis longtemps car il avait été un ami de son père. Il sourit en s'exclamant:

— Cela fait plaisir de te voir, petite.

Une familiarité qu'il pouvait se permettre puisqu'il l'avait presque vue naître.

— Je sais que tu as eu beaucoup de chance avec ton nouvel équipier.

Comme Dana restait muette, il précisa en baissant la voix:

— Le capitaine et le commandant avaient convenu de te donner une dernière chance avant de te muter aux archives. C'est ce qui serait arrivé si le jeune Barnett avait demandé

à changer d'affectation. Je vois encore la tête de Hubner lorsqu'il a lu le rapport de stage. Uniquement des appréciations flatteuses mais pas du genre admiratif bêtifiant. Un texte solidement argumenté avec pour conclusion une demande pressante d'être maintenu à son poste. Le commandant était coincé !

— Tu veux dire que sans les éloges du sergent, j'aurais été virée ?

— Pas exactement ! Tu serais simplement plongée au fond de nos archives.

Nilson déglutit quelques bouchées avant de reprendre:

— J'avoue qu'après cette histoire, j'ai lu tous ses rapports. Je me méfie de ces jeunes aux dents longues qui ont tendance à s'attribuer les mérites. Avec lui, ce n'est pas le cas. Loin de tirer la couverture à lui, il te la donne et t'enveloppe dedans. Un petit rire ironique.

— Il serait amoureux de toi qu'il n'agirait pas autrement !

Voyant les sourcils de Craig se froncer, il ajouta précipitamment:

— Je plaisantais, Dana. Je voulais simplement dire que tu as un excellent équipier. Si tu veux un conseil, fais tout pour le garder. Comme il est bien vu du procureur, c'est ton seul rempart contre les ennuis. Crois-moi, dans la maison, tu n'as guère d'amis. Beaucoup seraient enchantés de te voir céder la place.

Il jeta un coup d'œil dans la salle avant d'ajouter:

— Bonne chance mais moi, je ne t'ai rien dit !

Craig se leva brusquement.

— Merci, je n'oublierai pas tes conseils.

Elle retourna dans son bureau, ruminant les termes de sa conversation. Elle savait Nilson sincère. A neuf heures, elle retrouva Mike sur le parking des trans.

— Excusez-moi, lieutenant, mais ce soir, je pense que nous devrions utiliser mon véhicule.

— Pourquoi ?

— Nous patrouillons depuis plusieurs semaines dans le même trans. Tous les malfrats du secteur ont eu la possibilité de l'identifier. Si vous voulez passer inaperçue, mieux vaut utiliser le mien. De plus, les vitres fumées dissimuleront votre visage. Après un bref débat intérieur, Dana capitula.

— Allons, je crois me souvenir que vos sièges sont très confortables.

Guidé par Craig, Mike enfila une succession de rues sombres.

— Avez-vous confiance en votre indicateur ?

— C'est un vieux proxénète. Jusqu'à présent, il m'a toujours fourni des tuyaux valables. Attention ! Tournez à

droite au prochain carrefour. La maison qui nous intéresse est à l'extrémité de l'impasse.

La rue était plongée dans une profonde obscurité. Soudain, dans la lueur des puissants phares dont le trans était équipé, Mike discerna deux silhouettes. L'une tenait un long tube. Un lance-missiles antichar! Instinctivement, Barnett appuya sur le levier position très haute et le trans bondit d'une dizaine de mètres au-dessus du sol. Il n'était que temps ! Le projectile glissa sous la carrosserie et alla percuter un immeuble deux cents mètres plus loin, déclenchant une gigantesque explosion. Mike se posa aussitôt. Déjà, des jets laser fusèrent mais ils parurent rebondir sur le revêtement réfléchissant des vitres. Immédiatement après l'atterrissage, Craig jaillit du trans et ouvrit le feu à son tour. Une silhouette bascula mais la seconde concentra alors son tir sur la jeune femme qui dut s'aplatir sur le sol pour être protégée par la masse du trans. Cela donna à Mike la possibilité de sortir du véhicule. Deux jets laser trouèrent la nuit et l'homme s'effondra aussitôt. Prudemment, l'arme au poing, Craig approcha des deux corps qu'elle retourna de la pointe de sa botte.

— Celui-là, c'est Giulio Spironi. Il est fiché dans le service et la liste de ses méfaits encombre une mémoire entière d'ordinateur. Je ne connais pas l'autre. Pendant ce temps, Mike avait ramassé le tube.

— Un lance-missiles du dernier modèle sorti des arsenaux. Nos amis avaient de belles relations pour se l'être procuré.

Une sirène de pompier retentit toute proche. Plusieurs voitures s'immobilisèrent devant l'immeuble en flamme d'où sortaient de nombreuses silhouettes. Deux trans de la Sécurité Galactique ne tardèrent pas à rejoindre les pompiers. Craig s'étant fait connaître, deux miliciens se chargèrent d'appeler un fourgon pour les corps. Par acquit de conscience, Dana voulut visiter la maison qu'on lui avait indiquée. Elle était vide et il était manifeste que personne n'y avait pénétré depuis des semaines.

Ils regagnèrent leur trans et prirent le chemin du centre ville.

— Je ne comprends pas comment votre pare-brise n'est pas percé. Au moins deux jets laser l'ont atteint.

— J'ai un certain respect pour mon épiderme, ricana Mike, et j'avais demandé au fabricant une protection spéciale. Ce type de blindage est très prisé des gens fortunés qui craignent pour leur existence.

— Vous vous doutiez qu'on nous dressait un piège ?

C'est la raison pour laquelle vous avez insisté pour prendre votre trans mieux protégé.

— Disons que je le redoutais après l'attaque manquée contre vous. Enfin, bien que petit, obscur et presque sans grade, je ne suis pas persuadé qu'on ne désire pas non plus m'éliminer. J'ai donc préféré prendre des précautions. Ils avancèrent en silence quelques minutes.

— Ne pensez-vous pas que nous devrions rendre visite à

votre informateur ? murmura Mike.

— Justement, j'y songeais. Il n'habite pas loin d'ici. Au prochain carrefour, prenez à gauche et aussitôt à droite. Le trans s'immobilisa devant un petit immeuble de trois étages. La façade décrépie suintait d'humidité. La porte cochère avait depuis longtemps disparu. Eclairés par une lampe torche, ils escaladèrent un escalier aux marches branlantes. Il régnait une puissante odeur de pourriture entretenue par les immondices qui s'accumulaient contre le mur. D'énormes rats n'interrompirent pas leur festin, se contentant d'émettre des cris indignés quand une botte les frôlait.

— Cette porte, murmura Dana.

Un énergique coup de pied décoché par Mike ouvrit le battant. A leur irruption, un vieux type à la peau basanée et aux cheveux gris se redressa en sursaut de son lit dévoilant une très jeune fille qu'il tentait d'honorer. D'un geste instinctif, il jucha sur son nez d'antiques lunettes. Les verres correcteurs de sa myopie, très épais, faisaient paraître ses yeux ridiculement petits et lui donnaient l'aspect d'une chouette.

— Toi, la fille, disparais ! ordonna Craig.

Sans doute pas mécontente de cette interruption qui lui épargnait une pénible corvée, elle s'empressa de ramasser quelques loques et de filer.

La peur s'inscrivit soudain sur le visage du vieux quand il reconnut ses visiteurs.

— Non, nous ne sommes pas des fantômes, ricana Dana. Maintenant, si tu ne veux pas que je grille ce qui te reste de cervelle, réponds-moi !

Elle appuya le canon de son arme sur la tempe de l'homme.

— Qui t'a demandé de m'envoyer dans ce piège ?

Le vieux hésita une minute puis il secoua la tête.

— Vous êtes flic et je sais que vous ne tirerez pas. Je n'ai rien à vous dire !

Craig, malgré sa colère, laissa retomber son arme. Son bluff avait échoué. Mike se manifesta alors, faisant sauter dans sa main une pièce de monnaie.

— Effectivement, le lieutenant ne te tuera pas. C'est moi qui le ferai avec ceci.

Devant l'étonnement du vieux, il précisa:

— En sortant d'ici, je gagne la première cabine vidéophonique en état de marche. J'appelle un ami journaliste pour lui raconter l'agression de ce soir. Je préciserai que l'informateur avait prévenu la police de la probabilité d'un piège. Ainsi, le service a pu prendre des mesures en conséquence, permettant d'abattre deux dangereux malfaiteurs. Il précisera même que la police s'est refusée à donner le nom de l'informateur mais qu'il a appris par une indiscrétion qu'il portait d'épaisses lunettes le faisant ressembler à une chouette.

Le teint du vieux vira au gris cendre.

— Vous ne pouvez faire cela. Tout le monde ici me reconnaîtra. C'est me condamner à mort !

— Si tu penses avoir besoin de protection, ironisa Mike, appelle la police.

Dana ajouta alors avec un grand sourire aux lèvres:

— Sais-tu le plus drôle ? Un des types abattus est Giulio Spironi. Il a dans la ville un frère, Aldo, encore plus dingue et féroce que lui. Quand il entendra la nouvelle, je suis certaine qu'il te rendra visite. On dit que c'est un artiste du couteau. Je pense qu'il te découpera la peau en longues lanières avant de t'étriper. Tu mettras un sacré bout de temps avant de crever.

De grosses gouttes de sueur perlaient maintenant sur le front du vieux.

— Adieu, conclut Mike. Salue de notre part Lucifer. Je suis persuadé qu'il te donnera une place bien au chaud au fond de son chaudron.

Tandis que les deux policiers amorçaient un demi-tour, la chouette gémit:

— Attendez ! Nous pouvons nous arranger. Hier, j'ai reçu un appel. Je ne connaissais pas le type et il avait éteint la visio. Il savait que j'étais un indic. Il a dit que si je ne vous donnais pas ce tuyau crevé, il le ferait savoir à tous pour que je sois tué. Je jure que je ne peux pas dire son nom.

— Tu ne nous es guère utile, dit Dana, je préfère te laisser l'expliquer avec le frère Spironi.

— Non ! hurla le vieux. Si je vous donne un vrai renseignement, me laisserez-vous tranquille ?

— S'il est valable, tu as ma parole.

— En ce moment, il se traite une grosse livraison d'armes.

— Où?

— Dans un entrepôt isolé de la 26e rue, tout au bout, à

la limite de la ville. De quoi équiper des dizaines de malfrats qui seront mieux armés que vous.

— Entendu, j'espère pour toi que tu ne nous as pas balancé une vanne. Sinon, mon équipier contactera son ami journaliste.

De retour au trans, Craig appela Tyson.

— Quelle est votre position ?

-— 29e rue. Tout est calme.

— Gagnez la 26e rue. Inspection d'un entrepôt à son extrémité. Attention ! Le coin peut être très malsain. Nous vous rejoignons. Attendez-nous pour investir les lieux. Mike avait démarré en trombe. Bien calée sur les coussins, Dana ironisa:

— Vous savez être très persuasif. Sans votre imagination, cette vieille fripouille n'aurait jamais parlé.

— A l'école, j'ai bien étudié les cours d'action psychologique. Mené grand train par Mike, le trans les conduisit en moins de cinq minutes au lieu de rendez-vous. L'entrepôt était un hangar préfabriqué édifié à une vingtaine de mètres en retrait de la rue avec une porte métallique à double bat-tant, une fenêtre de chaque côté et deux autres au premier étage.

Mike freina brusquement. Devant lui, le trans de ses coéquipiers était immobilisé en face du baraquement. Les nombreux jets laser qui en sortaient avaient réduit le véhicule à l'état d'épave. Craig se coula hors du trans, imitée par Mike qui avait saisi un gros sac. Tyson arriva en courant à leur niveau. Son visage était inondé de sueur.

— Nous sommes tombés sur un gros morceau. A peine étions-nous arrivés, qu'ils ont ouvert le feu.

—-Combien sont-ils ?

— Au moins six ou sept et ils disposent d'une mitrailleuse thermique.

— Je demande des renforts, décida Craig. Barnett, pourriez-vous avancer votre trans ?

— Il est protégé contre les tirs d'un pistolaser mais pas contre ceux d'une mitrailleuse thermique.

Son appel lancé, Dana décida:

— Retournons près de Mac Nab. Barnett, je vois que vous avez votre fusil à lunette, vous nous couvrirez. Le lieutenant arrivait à l'abri de l'épave du trans quand l'enfer se déchaîna. La mitrailleuse thermique déchiqueta le toit du véhicule, pulvérisa le pare-brise et les vitres latérales. Obligés de s'incruster dans le sol, les policiers ne pouvaient riposter.

Dans son viseur, Mike repéra les minuscules éclairs bleus qui apparaissaient à une fenêtre du premier étage. Il pressa la détente à plusieurs reprises. Le tir de la mitrailleuse cessa soudain. Une silhouette apparut, titubante et bascula par-dessus le rebord de la fenêtre. Une chute de quelques mètres et un corps s'écrasa sur le sol. Ce répit permit aux policiers de reprendre leur tir. Malheureusement pour eux, nombre de jets laser leur répondirent. Toutefois, Mike put localiser un tireur et l'abattre. Cette fois, les jets convergèrent vers son trans. Amorçant un sprint, Mike rejoignit ses amis. Craig était blême ainsi que Mac Nab. Tyson paraissait moins choqué

mais sa peau foncée avait viré au gris.

Barnett lui tendit une grenade.

— D'où tires-tu ce truc ? s'étonna-t-il.

— C'est ma réserve personnelle mais c'est un modèle homologué. Nous n'enfreignons donc pas le règlement. Le regard désabusé de Paul trahit ce qu'en ce moment il pensait du règlement.

— Quand j'aurai ouvert le feu, tu la lanceras contre le portail. N'oublie pas d'enlever la goupille !

Mike se souleva légèrement et visa une des fenêtres, pressant sur la détente aussi rapidement que le pouvait son index. Vigoureusement propulsée par Tyson, la grenade atterrit au bas du portail. Un éclair. Une explosion assourdissante fit vibrer douloureusement les tympans. Un des battants s'abattit sur le sol.

Les tirs laser avaient cessé.

— Profitons de la surprise, ricana Mike en tendant une seconde grenade. Cette fois, tente de la faire pénétrer dans la baraque.

Tyson qui avait repris des couleurs, maugréa:

— Au base-bail, j'étais un excellent lanceur.

De fait, l'engin rebondit sur le seuil de la porte et fusa dans le hangar. Une explosion étouffée. Une fenêtre vola en éclats, laissant échapper un torrent de fumée. Dix secondes s'écoulèrent avant que deux silhouettes n'apparaissent les mains levées.

— Arrêtez ! Ne tirez plus ! C'est bourré de munitions làdedans. Vous allez tout faire sauter.

— Avancez lentement, ordonna Mike.

Les hommes firent quelques pas. Soudain, la mitrail-leuse thermique cracha de nouveau, fauchant les deux malfrats, achevant de découper le trans. D'une poigne énergique, Mike plaqua au sol Craig qui s'était redressée. Les débris du trans ne fournissaient plus qu'un abri illusoire. Mike roula sur le sol pour prendre un peu de champ. Aussitôt, il distingua dans le viseur de son fusil une silhouette bien campée sur ses jambes, la lourde mitrailleuse calée sur ses bras. L'homme progressait pas à pas, sans cesser de tirer, tel un démon exterminateur.

Les pulsions thermiques soulevaient des gerbes de poussière, creusaient le sol comme une charrue invisible. Elles approchaient de l'endroit découvert où Mike était allongé. Plus une seconde à perdre ! Trois éclairs sortirent du canon du fusil. La silhouette s'immobilisa un instant avant de s'effondrer d'un bloc.

D'un revers de main, Mike s'essuya le front. La sueur coulait d'abondance, piquant les yeux. Un homme sortit du hangar, tentant de se fondre dans l'obscurité. Déjà, il n'était plus visible. C'était sans compter avec le viseur infrarouge. Mike visa soigneusement. Blessé aux deux jambes, le type s'effondra.

Le calme revint, brutal, insolite.

— Paul, couvre-moi ! Je vais explorer la baraque. Progressant par bonds successifs, Mike atteignit la porte ou du moins ce qu'il en restait. Une ampoule électrique épargnée par miracle éclairait encore la pièce. Près d'une fenêtre, un corps était étalé, la poitrine décorée de deux trous noirs.

Une dizaine de caisses étaient empilées sur le sol. L'une, ouverte, laissait voir des mitrailleuses thermiques soigneusement emballées. Sur une autre était peint le signe des missiles antichars. De quoi équiper une petite armée ! Une rapide inspection prouva qu'il n'y avait plus d'occupant. Il prévint ses amis qu'il ressortait puis il approcha du blessé. Ce dernier, un long type maigre à la peau basanée, tentait de ramper sur le sol. Mike le redressa et passa un bras autour de sa taille pour le soutenir.

— Par ici, nous allons appeler une ambulance.

Tyson vint à son aide et allongea le blessé près du trans détruit.

— C'est Ricky Zorn, ricana-t-il. Une grosse légume d'ordinaire spécialisée dans les attaques à main armée et les rackets.

Des sirènes retentissaient au loin.

— Les renforts arrivent comme les carabiniers, ironisat-il, toujours en retard. Tandis qu'il passait les menottes au prisonnier, aidé de Mac Nab, Mike se pencha vers Dana restée assise près du trans. Son visage était livide.

— Etes-vous blessée ?

— Je ne le pense pas mais c'était tangent. L'effet de ces mitrailleuses thermiques est terrifiant. L'air empeste encore l'ozone.

L'aidant à se relever, Mike constata que le corps de la jeune femme était animé d'un tremblement incoercible. Feignant de ne pas s'en apercevoir, il proposa:

— Venez vous installer dans mon trans.

Elle se laissa guider sans résistance. Dès qu'elle fut assise, deux gros trans arrivèrent. Des miliciens en uniforme en jaillirent, casqués et fusil sous le bras.

Un brin goguenard, Tyson leur expliqua:

— La guerre est finie. Il vous reste à récupérer un blessé, les morts et surtout le matériel. Un vrai petit arsenal qui, dans des mains mal intentionnées, aurait pu causer de jolis dégâts dans nos rangs.

A cet instant, un autre trans s'immobilisa et le capitaine en jaillit. Sans lui laisser le temps d'exhaler sa colère, Mike lui fit un résumé de la situation. En conclusion, il ajouta en étendant une main agitée d'un fort tremblement:

— Je vous demande la permission de me retirer. Par deux fois cette nuit, je me suis fait tirer dessus et je crains de craquer.

Désignant un véhicule aux couleurs d'une station de télévision qui arrivait, il marmonna:

— Il serait du plus mauvais effet que les journalistes filment un policier en pleine crise de nerfs !

— Allez-y ! Vous avez fait du bon travail.

— Merci, mon capitaine. Le lieutenant va me reconduire.

— Où est Craig ?

— Dans le trans. Elle a été frôlée à plusieurs reprises par les jets thermiques. Ses vêtements empestent l'ozone et elle a besoin d'une bonne douche pour se débarrasser de l'irradiation résiduelle. Tyson, présent depuis le début de l'action, fera un premier rapport.

— Filez mais j'exige le vôtre pour demain matin. Sans attendre, Mike courut à son trans et démarra à

l'instant où deux journalistes approchaient. Dana restait immobile, le regard fixé devant elle. Elle parut émerger de sa léthargie quand le trans s'immobilisa.

— Où sommes-nous ?

— Chez moi ! Je ne suis qu'une malheureuse créature de chair et non un bloc de plasto-titane. Après les émotions de cette nuit, j'éprouve le besoin de boire un verre !

Servis par James, il furent rapidement pourvus d'un whisky bien tassé.

— A notre santé, dit Mike en levant son verre d'une main tremblante.

Dana l'imita machinalement et les glaçons se mirent à

tinter. Un peu plus tard, Mike murmura:

— Allez dans le bloc sanitaire. L'odeur de l'ozone n'est pas mon parfum préféré.

Resté seul, il termina son verre avant de s'asseoir devant l'ordinateur pour dicter son rapport. Une demi-heure plus tard, Dana reparut. Ses joues avaient retrouvé un peu de couleur. Elle avait enfilé un peignoir de bain et ses cheveux étaient encore humides. Elle s'installa sur le sofa, ramenant ses pieds sous elle. Mike lui porta un verre de scotch.

— Tiens, vous ne tremblez plus, sourit-elle.

— Je commence à récupérer.

Elle avala une gorgée avant de murmurer:

— Vous savez, je ne suis pas entièrement dupe de votre pseudo-crise de nerfs. Vous avez voulu me mettre à l'abri. Mike riva son regard sur le sien.

— Si Tyson, Mac Nab ou moi éprouvons une défaillance à l'issue d'une dure épreuve, tout le monde considérera cela comme normal, le capitaine le premier. Si vous, vous présentez le moindre fléchissement, chacun en fera des gorges chaudes. J'ai simplement voulu éviter que vous donniez à certains imbéciles un spectacle qu'ils attendent en vain depuis des années !

Elle posa doucement la main sur celle de Mike.

— Merci !

Après un instant de silence, elle reprit en fixant son verre:

— Saviez-vous que si vous aviez demandé un changement d'affectation, j'aurais été virée du service ?

— Disons que je me doutais d'une combine de ce genre en voyant l'insistance de Summer à vouloir me prendre dans son équipe.

— Pourquoi avoir refusé ?

— J'effectue un stage pour apprendre mon métier de policier et non pour m'initier aux arcanes des magouillages, ironisa-t-il, et je persiste à penser que vous êtes le meilleur des professeurs.

— Est-ce la seule raison ?

La pression de la main se fit plus insistante. Lentement, elle l'attira vers elle.

— J'ai aussi voulu protéger les archives car vous n'êtes pas douée pour le rangement, eut-il le temps de murmurer avant de se laisser aspirer par un doux tourbillon.