CHAPITRE XI

Le commandant désigna un fauteuil à Kieffer qui demanda aussitôt:

— Où en est l'enquête sur l'attentat contre Craig ?

Hubner hocha lentement la tête avant de répondre:

— J'ai décidé de classer le dossier.

Devançant les protestations du capitaine dont le visage s'empourprait, il ajouta:

— J'ai beaucoup réfléchi au problème et, à mon avis, il s'agit d'une mauvaise plaisanterie et non d'une tentative de meurtre.

— Comment ? s'étrangla Kieffer.

— C'est l'évidence même ! Seul un membre du service pouvait avoir accès au garage ou au parking. Un civil aurait été immédiatement repéré et je ne vois pas un malfrat prendre le risque de se promener par ici avec une bombe dans la poche. Maintenant, si Craig n'a pas que des amis dans le service, imaginez-vous un policier tenter de la tuer de cette manière sournoise ? Il n'aurait aucune raison, aucun mobile. En réalité, tout ceci est un peu de ma faute. Beaucoup d'agents connaissaient ce trans minable et craignaient de se le voir attribuer. L'un d'eux aura profité de l'occasion pour le mettre définitivement hors d'usage. Qui sait même si ce n'est pas Craig qui a agi pour se venger ? Je ne tiens pas à

approfondir la question. Mieux vaut ranger ce phénomène sous la rubrique accident.

Une minute s'écoula avant que Kieffer ne murmurât:

— Peut-être avez-vous raison, commandant.

Mal à l'aise, hésitant, il reprit:

— Avez-vous reçu les demandes d'affectation des nouveaux arrivés? Nous étions convenus... enfin... pour le maintien de Craig à son poste...

Hubner feuilleta une pile de dossiers avec une lenteur exaspérante.

— Ce jeune sergent, marmonna-t-il, est beaucoup moins intelligent que je ne le pensais. Il a fait un très bon rapport de stage mais il demande à poursuivre sa collaboration avec le lieutenant Craig. Je ne puis qu'accepter mais qu'il ne vienne pas se plaindre par la suite s'il se retrouve à

l'hôpital ou à la morgue ! Je persiste à penser que la place de cette fille est aux archives.

Kieffer ne put dissimuler un soupir de soulagement tandis que le commandant poursuivait:

— Ce qui m'étonne le plus, c'est que le procureur semble approuver ce choix. Lorsque je lui ai soumis la liste des nouvelles équipes comme je dois le faire pour respecter le règlement, elle a paru enchantée. Elle a même ajouté:

— C'est parfait, je continuerai à recevoir des rapports corrects !

— Barnett, sourit le capitaine, est assez doué pour la littérature et sa prose plaît au procureur, même si je ne la comprends pas toujours.

— L'essentiel est qu'elle soit satisfaite ! Je tiens à ce que notre service entretienne les meilleures relations avec la justice.

* *

Le sergent Nilson prit place sur l'estrade, face à la vingtaine de policiers. Il disposa devant lui plusieurs feuillets qu'il tourna de ses doigts boudinés.

Crispé, Mike écoutait les affectations. Il songea qu'un mois seulement s'était écoulé depuis son arrivée. Il avait l'impression que cela faisait une éternité. Il respira librement en entendant:

— Lieutenant Craig, équipier sergent Barnett.

Dès la séance terminée, Mike gagna la sortie. Il croisa alors le lieutenant Summer qui laissa tomber d'une voix polaire:

— Je constate que vous n'avez pas suivi mes conseils. Espérons que vous n'aurez pas bientôt à le regretter !

Dans le bureau, Tyson était en grande conversation avec la brune Ulna tandis que Mac Nab, par discrétion, feignait île ranger des papiers dans un classeur. A l'arrivée de Barnett, il se retourna tandis que la jeune femme s'éclipsait non sans lancer un dernier regard à Paul.

— Tu viens reprendre tes affaires ? grommela Mac Nab. Où es-tu affecté ?

— J'ai un fond de caractère masochiste, sourit Mike. Aussi, je reste avec vous.

Une vigoureuse claque sur l'épaule traduisit l'approbation de Tyson.

— Excellent ! J'avais dit à Al que tu ne nous laisserais pas tomber.

Après une hésitation, il ajouta:

— Je pense que le lieutenant sera content. Si j'en crois les rapports, vous vous êtes déjà mutuellement sauvé la vie à plusieurs reprises. Vous formez une bonne équipe. J'ai beaucoup d'estime pour Craig et je suis plus rassuré de la savoir en mission avec toi qu'avec un nouvel équipier débutant.

— Où est-elle ?

— Sur le parking, dans le nouveau trans que l'administration lui a alloué. Dana pianotait nerveusement sur le volant, les yeux perdus dans le vague. Mike ouvrit la portière et s'installa sur le siège en disant:

— Lieutenant Craig, je présume. Je suis votre nouvel équipier.

Elle hocha la tête, le visage figé.

— Tiens, vous êtes encore là ! Pourquoi n'avez-vous pas demandé une affectation plus agréable et moins dangereuse ?

— Je pense avoir encore quelques petites choses à

apprendre pour compléter mon éducation et vous êtes un excellent professeur.

La main tendue, elle murmura, toujours impassible mais le regard brillant:

— Bienvenue à bord, sergent !

*

* *

Pour une fois, Craig pilotait son trans à petite vitesse, longeant l'avenue qui séparait le quartier Nord du centre ville.

— Signal d'agression déclenché au supermarché, 18e avenue.

— Nous sommes à proximité, dit aussitôt Dana.

Prévoyez des renforts.

Elle écrasa l'accélérateur. Un ordre sec immobilisa Mike qui s'apprêtait à actionner la sirène.

— Inutile d'annoncer notre arrivée. Il y a certainement des clients dans le magasin qui deviendraient autant d'otages.

Le supermarché était une bâtisse sans étages édifiée au milieu d'un vaste parking sur lequel stationnait une cinquantaine de trans. Craig immobilisa son véhicule.

— Comment procédons-nous ? demanda Mike. Ils semblent encore à l'intérieur.

— Nous les coincerons à la sortie mais, auparavant, il faut neutraliser leur complice.

— Lequel ? Je ne vois personne.

— Dans ce genre d'attaque, un des bandits reste toujours à l'extérieur pour surveiller les environs et venir récupérer ses amis dès qu'ils sortent, expliqua Dana du ton du professeur excédé.

Elle fit avancer le trans à petite allure comme si elle cherchait une place pour se garer.

— Là-bas, le trans noir en stationnement, à une trentaine de mètres de la sortie du magasin. Il y a un homme au volant.

— C'est peut-être un mari qui attend que sa femme ait achevé les achats. Nombre d'hommes n'aiment pas se traîner dans ce genre de boutiques.

— Dans ce cas, il aurait éteint sa turbine ! Voyez, le système anti-gravité le maintient à quelques centimètres du sol pour qu'il puisse démarrer à tout moment.

Craig arrêta son trans derrière celui de l'homme qui ne l'avait pas vu arriver, toute son attention concentrée sur la sortie du magasin. Cinq secondes plus tard, arme au poing, elle sortait le conducteur trop surpris pour résister. Une fouille rapide vérifia l'absence d'arme.

— Sergent, attachez-le dans notre trans et allez vous garer plus loin.

Embarqué dans le véhicule, l'homme retrouva de la voix et protesta vigoureusement.

— Que voulez-vous ? Vous n'avez rien à me reprocher. Il n'est pas répréhensible de stationner sur un parking public ! Vous n'avez pas le droit de m'arrêter sans motif valable.

— Vous n'êtes pas en état d'arrestation, répondit Mike d'un ton apaisant. Nous vous retenons seulement comme témoin.

— Témoin de quoi ?

— Des événements qui vont se dérouler !

Barnett descendit du trans après avoir vérifié les menottes magnétiques qui attachaient le prisonnier au siège arrière. Il rejoignit Craig dissimulée derrière le trans noir.

— Ils ne devraient plus tarder à sortir. Logiquement, ils vont se diriger vers le trans de leur complice. C'est à ce moment que j'interviendrai. Allez vous cacher près de la sortie pour les prendre à revers s'ils tentaient de faire demitour. Il ne faut à aucun prix qu'ils puissent rentrer dans le magasin où ils prendraient des otages. Restez dissimulé par les trans pour ne pas être vu de l'intérieur.

A peine Mike eut-il gagné son emplacement que deux hommes sortirent du magasin. Chacun portait un fusil thermique. Ils coururent vers le trans noir comme prévu par Dana. Cette dernière se releva soudain.

— Sécurité Galactique ! Rendez-vous !

Sans hésiter, celui qui marchait en tête ouvrit le feu. Le jet thermique atteignit le trans qui s'embrasa. Les réflexes de Craig avaient joué aussitôt. Une forte détente des jarrets l'avait propulsée à l'abri d'un autre trans. La riposte vint aussitôt. Trois jets laser atteignirent l'homme en pleine poitrine. Il s'immobilisa subitement. Ses doigts s'ouvrirent laissant tomber le fusil puis il glissa lentement vers le sol. Son complice tenta de reculer mais il interrompit son geste en entendant une voix derrière lui.

— Les bras en l'air !

Il hésita une seconde, fixant le corps immobile de son camarade. Il lâcha son arme et croisa les mains derrière la nuque.

— Ne tirez pas... Ne tirez pas, je me rends.

Craig avança vivement, pistolaser au poing. D'un coup de la pointe du pied, elle écarta le fusil tombé à terre.

— Mets les mains derrière le dos !

Tandis qu'elle poussait le prisonnier vers le trans, un vigile, reconnaissable à son uniforme gris, sortit en courant du magasin. Il était gros, rond, pourvu d'une belle calvitie.

— Vous les avez arrêtés ? Ils m'ont neutralisé par sur-prise. Je n'ai pas voulu me défendre pour ne pas risquer de mettre en danger les clients.

— Vous avez agi sagement, le rassura Mike. Avez-vous entendu la fusillade ?

— Naturellement !

— Vous souvenez-vous des différents bruits ?

— D'abord le fusil thermique puis le sifflement du laser.

— N'oubliez pas de le mentionner dans la déposition que vous ferez à mes collègues.

— Quel intérêt ?

— Celui d'éviter qu'un avocat astucieux prétende que nous avons agressé sans motif ses malheureux clients. Le vigile cligna de l'œil, d'un air complice.

— Compris, patron ! J'ajouterai que j'ai passé dix ans à

la Sécurité Galactique et que je sais reconnaître les différents bruits des armes. Tyson et Mac Nab, appelés en renfort, arrivèrent, escortant une ambulance. Le médecin, après un rapide examen du corps étendu sur le sol, soupira:

— Direct pour la morgue ! Ce n'était pas la peine de nous déranger.

Craig ordonna alors:

— Prenez les dépositions des témoins puis bouclez ces clients. Je les interrogerai plus tard.

— Inutile de vous presser, le capitaine s'est absenté

pour la journée, ricana Mac Nab.

— Mieux vaut faire immédiatement notre rapport, décida Dana. Nous achèverons nos heures de patrouille ensuite.

Grâce à l'aide de Mike et de son ordinateur, une demiheure fut suffisante pour expédier cette corvée administrative et ils purent reprendre leur ronde, cette fois monotone et sans appels.

En fin de journée, Craig décida d'aller à la morgue avant de retourner au bureau. C'était un bâtiment isolé, collé à

l'hôpital général. Le médecin légiste, grand, maigre, au teint aussi blême que celui de ses clients habituels, accueillit le lieutenant en s'inclinant comiquement.

— Bienvenue dans ce temple à mon meilleur fournisseur. Tant que vous serez à ce poste, je suis assuré de ne jamais manquer de travail.

Il jeta un coup d'œil sur Mike qui fronçait le nez en humant l'odeur qui planait dans la salle, affreux mélange d'antiseptique et de corps en décomposition.

— Beau sujet, ricana-t-il. Si vous me l'envoyez bientôt, je vous promets de faire une magnifique autopsie.

— Vos plaisanteries, docteur, ne sont ni drôles ni nouvelles, s'énerva Dana. Avez-vous identifié votre client ?

Il secoua lentement la tête.

— Il n'avait pas de plaque d'identité et ses poches étaient vides. Un vrai professionnel !

Sortant d'un casier un sac plastique transparent, il le déposa devant Dana.

— Ce sont ses affaires personnelles. Vérifiez si vous ne me croyez pas.

Mike extirpa du sac un pantalon, un blouson, une chemise sale et une paire de courtes bottes plastiques. L'ensemble ne présentait strictement aucun intérêt.

— Relevez les empreintes et photographiez le visage, dit Craig. Expédiez le tout à l'ordinateur central du service. Ce type est sûrement déjà fiché.

— Merci des conseils, grogna le médecin vexé. Je connais encore mon travail !

En regagnant le trans, Mike respira profondément pour chasser de ses alvéoles pulmonaires l'air vicié inhalé. A peine installés dans leur véhicule, le vidéophone sonna. Du bout de l'index, Craig établit la communication. Le visage congestionné du capitaine Kieffer s'imprima sur l'écran.

— Craig, hurla-t-il aussitôt, vous avez commis une gaffe monumentale en arrêtant un innocent. Le trans lui appartenait et il a une plaque d'identité. Il s'appelle Samuel Kirch et demeure dans la 37e rue Sud. Il veut porter plainte contre vous. Par ordre du commandant, vous et Barnett êtes suspendus. Inutile donc de revenir au bureau ! Le lieutenant Summer reprend cette affaire en attendant que la commission de discipline ait statué sur votre cas. Elle se réunira demain à dix heures. Attendez-vous à un réquisitoire virulent de Hubner. Il est dans une colère noire et ne vous ménagera pas.

Il hésita un instant avant de soupirer:

— Je suis désolé pour vous mais, cette fois, je n'ai pu vous couvrir.

Il interrompit brusquement la communication tandis que Dana égrenait une série de jurons qui détonnaient dans la bouche d'une jolie femme.

— Très riche vocabulaire, dit Mike d'un ton admiratif, ce qui eut pour effet d'interrompre Craig. Que suggérezvous maintenant ?

— Rien et rien, ragea-t-elle. Vous avez entendu le capitaine. Une suspension interdit tout mouvement. Nous ne pouvons que rentrer chez nous sans passer par le bureau et nous y calfeutrer.

— J'aimerais toutefois récupérer mon trans sur le parking extérieur.

— Je vais vous y déposer mais promettez-moi de regagner directement votre domicile et de ne plus en bouger. C'est le règlement.

Elle conduisit plusieurs minutes en silence. Un sourire triste déforma ses lèvres quand elle dit:

— Vous n'avez pas de chance, Barnett. Vous auriez dû

demander votre changement d'affectation.

— Je persiste à penser que mon choix était le meilleur, grogna Mike.

— C'est gentil mais peu réaliste surtout si vous espérez faire carrière dans cette maison. Toutefois, ne soyez pas inquiet. La commission ne pourra vous sanctionner durement. D'abord, c'est votre première comparution. Compte tenu de votre récente arrivée, vous obtiendrez certainement des circonstances atténuantes. Ensuite, je prendrai sur moi l'entière responsabilité des actes. Surtout, ne jouez pas au héros. Vous avez obéi à mes ordres. C'est tout !

Un coup de frein un peu sec immobilisa le trans devant celui de Mike.

— A demain, dix heures, au deuxième étage du palais de justice. Surtout, soyez à l'heure. Un retard ferait le plus mauvais effet.

En s'installant derrière le volant, le jeune homme fronça les sourcils. Un détail le tracassait. Que faisait un respectable citoyen habitant le quartier chic du sud sur le parking d'un minable supermarché ?

*

* *

Le palais de justice était un bâtiment vieillot dont le style contrastait avec celui résolument moderne de l'immeuble de la Sécurité Galactique qui le jouxtait. Un escalier roulant poussif monta Mike au second étage. Un long couloir poussiéreux menait à une porte à double battant devant laquelle le lieutenant piétinait d'impatience. Les traits tirés de Dana prouvaient qu'elle n'avait guère dormi. Ils contrastaient avec la mine détendue de Barnett.

— Dix heures moins dix minutes ! Je crois être encore en avance.

Craig émit un grognement approbateur. Elle n'eut pas le temps de parler car la porte s'ouvrit sur un garde raide dans son uniforme bien repassé.

— Veuillez entrer et prendre place.

Les deux policiers s'assirent devant une étroite table. En face d'eux se trouvait une estrade supportant quatre fau-teuils et une longue table couverte d'un tapis vert. Sur leur gauche se tenait un greffier assis devant un ordinateur. Une sonnerie ne tarda pas à retentir. Une autre porte fut ouverte, livrant passage au général Vaughan. Il était grand, sec avec un visage fin, surmonté d'une chevelure blanche. Il commandait la Sécurité Galactique sur Terrania VI. Il était suivi du procureur Lynch, du commandant Hubner et de Kieffer. Ils s'installèrent dans les fauteuils. Sans perdre de temps, le général déclara:

— La séance est ouverte !

Il tourna une feuille du dossier placé devant lui avant de reprendre:

— Sergent Barnett, nous jugerons votre cas ultérieurement. Veuillez vous retirer !

Mike se leva pour annoncer avec calme:

— Je vous prie de m'excuser, mon général, mais le règlement de la commission de discipline précise qu'un accusé peut se faire assister par un avocat ou par un collègue. S'il l'accepte, je souhaite assister le lieutenant Craig qui m'assistera ensuite à son tour.

— Ce n'est pas l'habitude de cette commission, objecta Hubner. Craig est assez grande pour se défendre seule !

— La demande du sergent est recevable, intervint le procureur. En cas de refus de notre part, n'importe quel tribunal cassera notre décision. Le général haussa les sourcils et interrogea Dana.

— Consentez-vous à être assistée par ce jeune homme ?

— Oui... Mais...

— Très bien, trancha Vaughan. Cela nous fera gagner du temps quand nous statuerons sur le cas du sergent. Commandant, vous avez la parole.

Hubner débuta d'une voix posée, calme.

— Chacun de vous a pris connaissance du dossier que j'ai préparé. Le lieutenant Craig, alerté par radio, devait se rendre à un supermarché où une alerte avait été déclenchée. Là, au lieu d'appréhender les malfaiteurs, il a aussitôt ouvert le feu et tué l'un d'eux.

— Qu'avez-vous à répondre ? dit le général.

Avant que Dana puisse ouvrir la bouche, Mike intervint:

— Dans son rapport, le lieutenant a mentionné qu'il était en légitime défense. Sa déposition a été corroborée par celle du vigile du supermarché.

— Il était couché sur le sol et il n'a rien pu voir, objecta Hubner.

— Il a précisé qu'après dix ans passés à la Sécurité

Galactique, il savait distinguer le bruit d'un fusil thermique de celui d'un pistolaser. Si vous conservez un doute, faitesle comparaître devant vous. Tandis que le général feuilletait le dossier devant lui, Hubner reprit:

— Cela ne sera pas nécessaire car ce n'est qu'un aspect accessoire du problème. Avant de tenter d'intercepter les malfaiteurs, le lieutenant et vous-même avez agressé sur le parking un honnête citoyen. En dépit de ses protestations, il a été conduit, menottes aux mains, au commissariat. Là, pendant des heures, il a protesté de son innocence. Informé

de ces événements par le lieutenant Summer, et en l'absence du capitaine Kieffer, j'ai ordonné qu'il soit relâché. Le lieutenant l'a raccompagné en ville avec nos excuses. Toutefois, il doit revenir ce matin au commissariat et porter plainte pour brutalités policières. Nous aurons alors un procès déplorable pour le service. Notre image de marque dans le public sera ternie car les journalistes ne manqueront pas de se déchaîner contre nous. La responsabilité de cette regrettable bavure incombe entièrement au lieutenant Craig.

Perplexe, le général interrogea du regard Dana. Une fois encore, Mike la devança en lançant:

— Il ne viendra pas porter plainte !

— Sans doute, êtes-vous devin, ironisa le commandant. Sans répondre directement, Barnett s'adressa au général.

— A l'école de la Sécurité Galactique, on m'a appris qu'il fallait vérifier l'identité de tout suspect appréhendé.

— Samuel Kirch avait une plaque d'identité, cria Hubner qui commençait à s'énerver.

Impavide, Mike poursuivit:

— Il m'a aussi été enseigné qu'un renseignement devait être vérifié. Si le lieutenant Summer, avant de vous alerter, avait vidéophoné au domicile de Kirch, il serait entré en communication avec son épouse. Une femme charmante. Elle aurait alors déclaré que son mari avait été victime la veille d'une agression au cours de laquelle on lui avait volé

son trans et son portefeuille contenant sa plaque d'identité. Sévèrement blessé, il a été conduit inconscient à l'hôpital. Sa femme a passé la nuit et la matinée auprès de lui. Très inquiète sur l'état de son mari, elle n'avait pas songé à alerter la police. Kirch n'a pas encore quitté le service de réanimation. En conséquence, il lui était impossible de se trouver sur le parking du supermarché au moment de l'agression.

Un long silence s'installa. Un sourire amusé parut sur le visage du procureur tandis que le visage du général s'assombrissait.

— Poursuivez, commandant, laissa-t-il tomber d'une voix glaciale.

Les joues rouges, Hubner maugréa:

— Les affirmations du sergent Barnett demandent à être vérifiées. Je propose de remettre la séance à demain. Le procureur se manifesta d'un ton sec.

— Je ne pense pas que ce jeune sergent a inventé cette histoire. Il a simplement complété une enquête, disons beaucoup trop succincte. Remettre l'audience serait une simple perte de temps.

— Puisqu'il est aussi astucieux que vous semblez le croire, il sait sans doute qui est l'homme agressé par le lieutenant Craig, grogna Hubner.

Mike sortit un papier de sa poche. Il le déplia lentement avant d'aller le déposer devant le commandant.

— Je pense que vous reconnaîtrez votre client. Hubner exhala sa mauvaise humeur en répliquant d'un ton rogue:

— Je n'ai fait que l'entr'apercevoir mais cette photographie lui ressemble.

— Qui est-ce ? s'impatienta le général.

— Les indications sont au verso, précisa Mike impassible. Le commandant lut machinalement, d'une traite:

— Sécurité Galactique. New-Armstrong. Terrania XIII. Thomas Phillip, trente-cinq ans. Recherché pour agression à main armée et meurtre d'un policier. Arrestation demandée. Prévenir le Q. G. de Terrania XIII.

— La demande d'extradition a dû arriver ce matin sur le bureau du procureur, ajouta Mike.

Un pesant silence plana pendant plusieurs secondes. Il fut enfin rompu par le général. Sa voix était étranglée d'une fureur contenue à grand-peine.

— Si je comprends bien, sur votre ordre, commandant, un officier a aimablement raccompagné en ville dans une voiture de service un criminel qui fait l'objet d'un mandat d'amener interplanétaire.

— C'est une regrettable erreur, balbutia Hubner. Le lieutenant Summer ne pouvait deviner...

Sa phrase fut interrompue par le bruit du poing du général s'abattant sur la table.

— Si cela venait à se savoir, nous serions la risée de toute la Sécurité Galactique, commandant.

Ecarlate, Hubner concentra sa colère sur Barnett.

— Sergent, qui vous a autorisé à mener une enquête alors que vous étiez suspendu ? C'est une faute grave pour laquelle je demanderai une sanction exemplaire !

Mike ne se départit pas de son calme.

— Je n'ai mené aucune enquête. Tout ceci n'est que le fruit du hasard.

— Expliquez-vous, lança le général intéressé.

— J'avoue que la perspective de passer devant la commission de discipline m'inquiétait fort. Aussi ai-je souhaité

obtenir des détails sur le déroulement de la procédure. Je me suis souvenu que j'avais un camarade de Faculté, adjoint au procureur de New-Armstrong.

— Parce que vous avez fréquenté la Faculté, ironisa Hubner.

— Une erreur de jeunesse, sourit Mike, pour ne pas contrarier mon père qui était déjà malade. J'ai donc appelé

cet ami et je lui ai exposé mon problème. Une attaque similaire s'était produite dans sa ville un mois auparavant. Les malfaiteurs avaient réussi à fuir, non sans tuer un policier, heurté de plein fouet par le trans. Toutefois, plus de trois semaines furent nécessaires pour identifier les auteurs du crime et découvrir que, le lendemain de leur forfait, ils s'étaient embarqués sur un cargo-nef en partance pour Terrania VI. Très intéressé par mon récit, mon condisciple m'a mis en rapport avec le commandant Jordan. Ce dernier m'a envoyé les portraits des criminels.

— Tout ceci sans passer par les appareils du service, ricana Hubner. C'est peu crédible !

— J'aime beaucoup l'informatique et mon ordinateur personnel est relié aux grands réseaux interplanétaires de transmission de données.

— Qui sont les autres ? intervint Kieffer qui ne pouvait dissimuler une certaine satisfaction.

Barnett déplia deux autres feuilles.

— Cari Brook et Boris Ratchev. C'est ce dernier qui a trouvé la mort sur le parking.

— Nous en aurons au moins un à renvoyer sur Terrania XIII, reprit le capitaine.

Le procureur se manifesta alors, une lueur ironique dans le regard.

— Vous avez eu beaucoup de chance de tomber sur un condisciple habitant justement New-Armstrong.

— J'ai d'abord cru à un heureux hasard, répondit Mike toujours imperturbable, mais il se pourrait que j'aie été

influencé par mon subconscient.

— Comment ?

— En examinant les vêtements du mort, j'avais noté

qu'ils portaient la marque d'un magasin de NewArmstrong. Cette fois, un franc sourire se dessina sur le visage du procureur.

— Encore une question sur ce que vous appelez votre erreur de jeunesse. Combien de temps êtes-vous resté à la Faculté ?

— Heu... Trois ans.

— Au bout de ce laps de temps, il vous a été remis un morceau de parchemin.

— J'ai effectivement une maîtrise de droit criminel.

— Pourquoi ne pas l'avoir mentionné dans votre dossier ?

— On ne me l'a pas demandé ! Le questionnaire de l'entrée à l'école de la Sécurité Galactique fait seulement mention des diplômes d'études primaires.

Apparemment satisfaite, madame Lynch hocha la tête.

— En tant que défenseur du lieutenant Craig, quelles conclusions souhaitez-vous déposer ?

— Il est difficile de reprocher à un policier l'arrestation d'un individu faisant l'objet d'un mandat d'amener interplanétaire. Je dirai simplement: la commission, après avoir pris connaissance des différents éléments de l'affaire et entendu le lieutenant Craig en ses explications, conclut qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de cet officier.

Après un instant d'hésitation, il ajouta:

— ... et le félicite pour son initiative qui a permis la mise hors d'état de nuire de trois dangereux malfaiteurs.

— Et pour vous, reprit Lynch, car je pense que nous n'avons pas d'autres questions à vous poser.

Le général secoua la tête, imposant d'un regard furieux le silence à Hubner qui s'apprêtait à protester.

— J'opterais pour le même texte mais sans les félicitations qui doivent revenir à mon chef.

— J'adopte également ces conclusions, dit le procureur.

— Fort bien, trancha le général. Greffier, vous pouvez les inscrire au procès-verbal. Toutefois, je demande que des félicitations soient également adressées au sergent Barnett. Il a fait preuve de beaucoup de clairvoyance pour un jeune à peine sorti de l'école.

— Le lieutenant est un excellent instructeur, dit Mike. A son contact, j'apprends très vite.

Le général se leva mais avant de sortir, il apostropha Kieffer:

— Capitaine, j'exige l'arrestation de ce Phillip dans les plus brefs délais. Je ne voudrais pas qu'on pense que la Sécurité Galactique de Terrania VI est un ramassis de guignols dirigés par un rigolo !

Mike et Dana se retrouvèrent dans le couloir.

-— Pourquoi ne pas m'avoir informée de votre enquête ?

récrimina-t-elle. J'aurais pu vous aider.

Une grimace comique déforma le visage de Barnett.

— Voyons, lieutenant, il n'y a pas eu d'enquête ! Un simple et bienheureux hasard.

Redevenant sérieux, il ajouta à voix basse:

— En cas d'échec, je ne voulais pas qu'on puisse vous reprocher un manquement aux ordres.

Le capitaine Kieffer se manifesta par une tape amicale sur l'épaule.

— Félicitations, sergent. Votre numéro était parfait. Je n'ai jamais assisté à une séance aussi amusante. Vous avez réalisé une série d'exploits. Le plus impressionnant est celui d'avoir empêché Craig d'ouvrir la bouche pour agonir les autorités. Maintenant, je veux vous voir dans mon bureau dans une demi-heure. Vous avez entendu le général. Nous devons réparer la bévue de Hubner.

Le procureur remplaça vite Kieffer.

— Beau travail, sergent. Vous avez l'art de contourner les règlements avec aisance. Si un jour vous avez envie de changer d'affectation, il y aura toujours une place pour vous dans mon service.

Devançant la réponse de Mike, elle ajouta:

— Réfléchissez à ma proposition. Hubner était furieux pour avoir été ridiculisé devant le général. Or, il a la rancune tenace.

*

* *

Lorsque Mike et Dana arrivèrent au bureau, le capitaine houspillait Summer.

— Nous attendons le rapport du médecin légiste...

— Il ne nous apprendra rien ! Nous savons très bien comment est mort ce type. Où en êtes-vous avec celui arrêté ?

— Je l'ai interrogé pendant plusieurs heures mais il refuse de parler. Il ne m'a même pas donné son nom. Il a exigé la présence d'un avocat qui, maintenant, demande à

rencontrer le procureur.

— Pourrais-je les voir ? demanda Mike.

Kieffer acquiesça aussitôt.

— Si vous pensez être plus malin que moi, jeta le lieutenant avec un regard noir, ils sont dans la pièce du fond, mais ce genre d'interrogatoire n'est pas à la portée d'un novice.

— Barnett peut être très persuasif, sourit Kieffer. Il reprend l'affaire avec Craig.

— Mais le commandant m'a chargé...

— Il suffit ! Vous avez assez gaffé !

L'avocat était petit, rond, avec de bonnes grosses joues rouges. Il se leva d'un bond à l'entrée de Mike.

— Nous ne répondrons à aucune question ! Nous exigeons la venue du procureur. Barnett leva la main en un geste apaisant.

— Il ne va pas tarder. En attendant qu'il arrive, je voulais simplement informer votre client et non l'interroger. Il s'assit sur un tabouret sous le regard méfiant de l'avocat.

— Voyons, dit-il, comme s'il cherchait à ordonner ses pensées. Le laboratoire a confirmé que votre client n'a pas fait usage de son arme. De plus, il s'est rendu sans résistance à la police. Il ne sera donc accusé que de complicité

d'attaque à main armée.

L'œil brillant, le défenseur lança:

— Deux à quatre ans de prison ?

— Même pas ! Il se pourrait que le procureur renonce à

l'inculper.

— Pourquoi ?

— Il préférera sans doute donner son accord à la demande d'extradition faite par Terrania XIII. Là-bas, votre client, Cari Brook de son vrai nom, aura à répondre du meurtre d'un policier.

Le malfrat blêmit subitement tandis que Mike poursuivait du même ton paisible:

— Je me suis longuement entretenu avec le commandant Jordan de New-Armstrong. Un homme très aimable mais peut-être un tantinet excessif. Il voulait sauter dans le premier cargo-nef en partance pour notre planète. D'après ce que j'ai compris, le policier assassiné était son meilleur ami. Vous comprenez qu'il ne négligera rien afin d'obtenir une lourde condamnation. Comme votre client sera le seul à être jugé pour ce crime, il devra avoir un excellent avocat s'il veut éviter la chambre de désintégration. Brook se pencha vers son défenseur.

— Je ne veux pas être extradé, cria-t-il. Je préfère être jugé ici !

L'avocat réfléchit un moment avant de murmurer à

l'adresse du policier:

— Si mon client acceptait de témoigner à charge contre ses complices, il serait maintenu ici en détention.

— Certes mais à l'issue de sa peine, il sera tout de même extradé.

— J'en conviens. Toutefois, après plusieurs années, l'émotion sera retombée. Comme ils seront alors trois à

être jugés en même temps, mon client pourrait n'être inculpé que de complicité.

Une conversation à voix basse s'engagea entre les deux hommes tandis que Mike feignait d'examiner le plafond.

— C'est d'accord, dit Brook de sa voix rauque à l'accent traînant.

— Parfait ! déclara Barnett. Cependant, vous concevrez, Maître, que le changement brutal d'attitude de votre client peut me laisser perplexe. J'aimerais quelques preuves de sa bonne volonté.

— Que voulez-vous savoir ?

— Attention ! Une seule erreur et je conseille au procureur une extradition immédiate. Le nom de votre complice mort?

— Ratchev... Boris Ratchev.

— Et celui qui conduisait le trans ?

— Thomas Phillip.

— Comment vous êtes-vous procuré le véhicule ?

— La veille au soir, Thomas a attaqué un homme qui sortait d'un bureau. Il a pris aussi sa plaque d'identité qu'il a maquillée. Il est très doué pour cela.

Mike poursuivit avec le plus grand calme:

— Votre coup fait, où deviez-vous vous réfugier ?

— Thomas avait loué un appartement sous le nom de Johnson.

— L'adresse ?

— 2225, 3 Ie rue.

— Nord ?

— Non, Centre. Il pensait que nous serions moins recherchés dans le quartier des affaires.

Dissimulant un soupir de soulagement, Mike se leva.

— Cela concorde avec nos renseignements. Il ne vous reste plus qu'à attendre le procureur qui ne tardera pas. Dès la porte refermée, il courut vers le bureau de Craig.

— Où étiez-vous passé ? Nous devrions déjà être en patrouille.

— J'ai soutiré à Brook une adresse. Mieux vaut se presser avant que Phillip ne déménage. Au triple galop, ils gagnèrent le parking. Démarrant en trombe, Dana ordonna:

— Dites à Tyson et Mac Nab de nous rejoindre là-bas. Une heure plus tard, tout était terminé. Surpris, Phillip s'était laissé arrêter sans résistance. De retour au bureau, Dana lança:

— Je me charge de faire écrouer notre bonhomme. Je veux être certaine qu'un agent trop zélé ne le remettra pas en liberté. Pendant ce temps, rédigez votre rapport et... Une seconde d'hésitation avant d'ajouter:

— Si vous avez le temps, commencez aussi le mien !

Installé devant son ordinateur, Mike dictait rapidement lorsque le capitaine fit irruption.

— Que fichez-vous ici ? Vous devriez être en train d'enquêter pour retrouver Phillip.

— Le lieutenant Craig vient de procéder à son arrestation et effectue les formalités d'incarcération. Un instant interloqué, Kieffer éclata d'un rire puissant qui traduisait son soulagement.

— Voilà ce que j'appelle un travail vite et bien fait. Vous formez une équipe performante. Je vais pouvoir rassurer le général sur l'efficacité de ses services. A cet instant, le procureur Lynch apparut, la démarche conquérante et le regard sombre.

— Barnett, que s'est-il passé avec Brook ? Après des heures d'un interrogatoire inefficace par Summer, je sais que vous vous êtes entretenu avec lui une dizaine de minutes.

— Vous crée-t-il des difficultés ? s'étonna Mike.

— Justement non ! maugréa Lynch. Je n'ai jamais vu un accusé aussi docile, coopératif et aimable. On dirait qu'il ne songe qu'à se faire condamner. Que lui avez-vous promis ?

— Absolument rien ! J'ai simplement évoqué une hypothèse. Celle où vous renonceriez à l'inculper pour pouvoir l'extrader immédiatement. Apparemment, il n'a aucune envie de rencontrer le commandant Jordan sur

Terrania XIII.

— D'ordinaire, grinça-t-elle, je me réserve l'exclusivité

de ce genre de transaction !

— Croyez bien que je n'ai pas voulu empiéter sur vos prérogatives mais j'avais besoin qu'il me donne un renseignement sur la planque de son complice libéré par Summer. Sans cette menace, il n'aurait jamais parlé.

— Je saisis mieux le problème, sourit-elle, mais, la prochaine fois, prévenez-moi !

Dès qu'elle eut tourné les talons, le capitaine remarqua:

— Je ne comprends pas votre méthode, Barnett, mais le procureur semble toujours vous approuver et ne me harcèle plus. Souhaitons que cela dure !