CHAPITRE VII

Un coup de sonnette arracha Craig à la contemplation d'un spectacle tri-di sur son téléviseur. Neuf heures du soir. Qui pouvait la déranger ? Elle se leva du sofa et d'un geste instinctif chercha son pistolaser. Du regard, elle vérifia sa tenue dans une glace suspendue au mur.

Elle était vêtue d'un simple polo assez ajusté qui mettait sa poitrine en valeur et d'un pantalon de toile. Elle glissa son arme dans sa ceinture, bien à portée de la main. La porte ouverte, elle ne distingua d'abord qu'un énorme bouquet de fleurs. Puis, à travers les tiges, elle reconnut Barnett.

— Sergent, que venez-vous faire ici ?

Le ton était sec comme un coup de trique et glacé

comme la banquise.

— Si vous le permettez, lieutenant, j'aimerais me débarrasser de cet encombrant paquet. Après un instant d'hésitation, Dana s'effaça:

— Entrez et posez-le sur cette table.

Lorsque Mike eut les mains libres, elle reprit:

— Maintenant, dites-moi le but de cette visite aussi tardive qu'intempestive. Avec un soupir, il répondit:

— J'ai un problème, un très gros problème dont je souhaite vous entretenir.

— Vous pouviez le faire cet après-midi au bureau. Une voix toujours polaire.

— Non ! Je voulais vous parler sans témoin et en secret. Craig dévisagea son interlocuteur. Il semblait réellement anxieux. Rien du bellâtre amoureux.

— Asseyez-vous ! Je pense qu'un verre de Stern vous sera utile.

C'était un alcool de Ganymède, corsé et parfumé. Elle sortit rapidement deux verres et une bouteille pansue.

— A votre santé, sergent ! Qu'avez-vous de si important à me dire ?

Cette fois, le ton de la voix était moins cassant. Mike contempla un instant son verre avant d'y tremper les lèvres. Enfin, il débuta, très mal à l'aise:

— Vous souvenez-vous du cristal trouvé chez la fille ?

— Celui qui a été effacé ? Donald n'a toujours rien trouvé. Je m'en suis encore assurée ce soir.

— Je l'avais mis dans mon ordinateur et nous avons même vu apparaître les premiers signes. Puis nous avons été interrompus et j'ai remis le cristal au capitaine. Lorsque votre technicien a dit qu'il était vierge, cela m'a étonné et j'ai consulté mon ordinateur. Il avait été correctement chargé et avait toujours en mémoire les données. Tirant des papiers de sa poche, Mike les tendit à la jeune femme.

— C'est rédigé en dénébien et de surcroît codé. Craig jeta un rapide coup d'œil et grimaça devant l'ensemble de signes incompréhensibles.

— Nous devons les remettre au capitaine. Peut-être arrivera-t-il à trouver un technicien qui les traduira en langage clair.

Mike secoua lentement la tête.

— Le procureur vous expliquera que ces feuillets n'ont aucune valeur légale. N'importe quel avocat aura beau jeu de prétendre que je les ai fabriqués et l'ordinateur judiciaire se rangera à son avis.

— C'est dément ! grogna Dana mais je crains que vous n'ayez raison. Que suggérez-vous ?

Les joues de Mike se colorèrent de rouge et il plongea le nez dans son verre.

— Sur Terre, j'ai un ami... Un dingue de l'informatique... Il possède une multitude de programmes... J'ai cru bien faire en lui envoyant une copie de ce texte. Craig ne put retenir un haut-le-corps.

— Mais c'est secret...

— Il est fort discret. Ce soir, il m'a transmis un message... Il a réussi à décoder le texte et à le traduire en clair. Le jeune homme présenta deux feuillets au lieutenant.

— So-Wun était très méticuleux. Il notait toutes ses transactions. Vous avez la liste de ceux qu'il fournissait, avec les quantités livrées, le prix payé et les dates des ventes. Dana déchiffra la première page comportant une dizaine de noms.

— Certains me sont connus. Nous allons pouvoir réaliser un beau coup de filet.

— Attendez le plus intéressant ! Il a aussi consigné le nom de son fournisseur. C'est Erwin Warren ! La prochaine livraison de lapis oniris doit avoir lieu dans sa propriété le trente et un décembre.

— Astucieux, grinça Dana. Chaque année, à cette époque, Warren donne une réception monstre où se pressent des centaines d'invités. C'est au milieu d'une foule qu'on se dissimule le mieux car il y a un ballet incessant d'hélijets et de trans qui pénètrent et sortent de son parc.

— Il faudra organiser une sérieuse surveillance.

— Le problème est que l'endroit est situé dans le secteur Sud qui n'est pas sous ma responsabilité mais sous celle du lieutenant Summer. Or, il est très jaloux de ses prérogatives. Il n'appréciera pas que j'empiète sur son domaine.

Un rire discret la secoua.

— Nous verrons ce détail en temps voulu. Il faut d'abord vérifier l'exactitude des dires de So-Wun et... la qualité de la traduction.

Elle pointa l'index sur un des noms de la liste.

— Voyez ce Kostac. Il est un des derniers à avoir été

livré et il a acheté une importante quantité de lapis oniris. Il n'a pas eu le temps de les vendre tous. Or, je crois savoir où le trouver. Demain, nous lui rendrons visite. Je dirai au capitaine que j'ai eu le renseignement par un informateur. Le règlement nous autorise à taire leur nom.

Mike se leva et posa son verre sur la table

— Je suis soulagé d'avoir eu cet entretien avec vous. Toutefois, ne laissez pas traîner ces papiers.

— Ne vous inquiétez pas, je vais les mettre en sécurité. Désignant les fleurs, elle ajouta:

— Ce n'était pas nécessaire pour venir me parler. Pour mes collaborateurs, ma porte est toujours ouverte. Mike répondit très sérieusement:

— Je craignais que vous ne fussiez sous surveillance. J'ai pensé que c'était une façon élégante de dissimuler une réunion de travail.

Un hoquet de surprise secoua la jeune femme.

— Pourquoi serais-je surveillée ?

— Vous avez beaucoup d'ennemis et vous gênez nombre de personnes. La première règle est de se renseigner sur son adversaire pour découvrir s'il n'a pas de point faible. Un soupir fusa de la gorge de Dana.

— Vous pourriez avoir raison ! Désormais, je surveillerai plus attentivement mes arrières ! Bonsoir et à demain au bureau.

Sur le seuil, Mike se retourna.

— Il m'était aussi agréable de vous offrir ce bouquet. Il referma très vite la porte, laissant Craig médusée et perplexe.