CHAPITRE IV

Tous feux éteints, le trans s'immobilisa à peu de distance d'une baraque sans étage, coincée entre deux petits immeubles délabrés.

— Qu'attend la municipalité pour raser cet endroit ?

soupira Mike.

— Des crédits, de l'argent du gouvernement et une réelle volonté qui est annihilée par la crainte de voir tous les déshérités qui survivent là, déferler vers le centre ville. Ils mirent pied à terre et avancèrent vers la cabane. Aucune lumière ne filtrait aux fenêtres.

— Je pense que notre ami nous a raconté des balivernes, soupira Mike.

L'arme à la main, ils avancèrent vers la porte qui s'ouvrit après une simple pression sur la poignée. Devant l'absence de réaction, ils attendirent plusieurs secondes. A l'instant où ils pénétrèrent dans la pièce, la lumière jaillit brutalement. Un colosse se tenait devant eux, les bras croisés sur sa vaste poitrine. La peau ardoisée et le thorax très développé signaient son origine dénébienne.

Avant que les policiers réagissent, un objet dur s'appuya sur leur nuque. Le colosse éclata d'un rire puissant, grinçant.

— Lâchez vos armes sinon mes amis vous feront sauter la tête.

Craig hésita un instant avant de murmurer:

— Obéissez, Barnett, nous n'avons pas le choix. Donnant l'exemple, elle laissa tomber son arme sur le plancher poussiéreux. A regret, Mike l'imita.

— Vous êtes raisonnables, dit le Dénébien. Ainsi, vous me cherchiez. Il est heureux qu'un excellent ami m'ait prévenu de votre visite. Il approcha de Dana et posa son énorme main sur le bras. Il serra et la jeune femme eut la sensation que son biceps était écrasé par un puissant étau.

— Moi aussi, ricana-t-il, je suis heureux de te rencontrer. J'ai toujours souhaité me farcir une femme flic. Viens par ici !

D'une traction irrésistible, il l'entraîna vers une porte qui s'ouvrait au fond de la pièce. Sur le seuil, il lança à ses acolytes:

— Commencez par vous amuser avec celui-ci. Vous aurez la fille ensuite... si elle est encore en état de fonctionnement !

Il referma la porte d'un coup de talon. La pièce était petite, suintante d'humidité, éclairée par une mauvaise rampe lumineuse constellée de poussière et de débris d'insectes.

A l'instant où il relâcha son étreinte, Craig se libéra d'un mouvement sec et frappa au ventre. Son poing s'écrasa sur une carapace de muscles sans autre effet que d'accroître l'hilarité du Dénébien.

— Le chaton veut s'amuser.

Dana frappa au visage mais le colosse esquiva d'un mouvement de tête et crocheta le poignet qu'il ramena en arrière. Son autre bras ceintura Dana qu'il pressa contre lui. L'étreinte monstrueuse suffoqua la jeune femme. Elle tenta de se débattre mais rapidement un voile rouge couvrit sa vue. Enfin la pression se relâcha et elle put faire pénétrer un peu d'air dans ses alvéoles pulmonaires douloureuses. Les oreilles bourdonnantes, elle se sentit poussée, face contre le mur. Une main énergique appuyée sur son dos la maintint plaquée contre la cloison. Elle tenta de reculer mais la disproportion des forces était trop grande. Une traction brutale fit descendre son pantalon sur ses chevilles.

— Jolies fesses, siffla le Dénébien, mais elles sont un peu pâles.

Une violente claque arracha un cri à Dana.

— Maintenant, assez flirté, dit-il en se plaquant contre elle.

Le souffle chaud de l'homme lui balaya la nuque. Il la pressait comme s'il voulait lui faire traverser le mur. Un pied repoussa les siens, l'obligeant à écarter les jambes.

— Non ! Non ! hurla-t-elle quand elle sentit le sexe de l'homme s'insinuer entre ses fesses.

*

* *

Mike regarda les deux hommes qui lui faisaient face. Ils étaient solidement charpentés. L'un, très brun, le front bas, avait un visage simiesque. L'autre, roux, avait une tête ronde et de gros yeux globuleux le faisant ressembler à un crapaud. Ils avaient rangé leurs armes et dévisageaient Mike en ricanant.

— As-tu déjà entendu un flic te supplier ? dit le crapaud.

— Je pense que cela ne va pas tarder.

Barnett lança alors d'une voix forte, officielle:

— Vous êtes en état d'arrestation. Toute tentative de résistance ne fera qu'aggraver votre cas.

Un instant interloqué, le singe s'esclaffa:

— Il ne manque pas d'estomac ! je vais commencer par l'attendrir ensuite on le foutra à poil et on lui tatouera ses galons sur les fesses.

Il lança son poing droit, visant le visage. Il jura car le flic avait esquivé. Avant que son adversaire ne retrouve son équilibre, Mike riposta d'un coup de pied à la rotule, net, précis qui fit jaillir le petit os de sa cavité naturelle. Le macaque trébucha et aussitôt une lourde manchette sur la nuque précipita sa chute. Son visage heurta le plancher, soulevant un nuage de poussière. Du sang s'écoula de son nez écrasé.

En voyant la chute de son acolyte, le crapaud étouffa un juron. Il plongea la main dans sa poche pour sortir son pistolaser. Mike avança aussitôt, saisit le poignet armé. Une torsion, un engagement de l'épaule sous le bras tendu, un instant de tension. Un craquement écœurant traduisit la fracture du coude.

Le cri qui allait jaillir fut stoppé par un poing s'enfonçant dans l'estomac, vite complété par un choc sur le sommet du crâne. Mike récupéra rapidement son pistolaser et celui de Craig. D'un coup de pied, il balança au loin ceux de ses adversaires. Tirant de sa poche des menottes magnétiques, il attacha la cheville du blessé au coude au poignet de l'estropié de la rotule.

Satisfait de son travail, Mike glissa son arme dans la poche gauche de son blouson puis prit celle de Craig à la main. Il poussa violemment la porte. En une fraction de seconde, la scène qui se déroulait dans la pièce s'imprima sur ses rétines.

— Les mains en l'air ! Vous êtes en état d'arrestation. Le Dénébien réagit avec une incroyable promptitude. Il pivota brusquement, se servant de Dana comme d'un bouclier tandis qu'un pistolaser apparaissait dans sa main droite. Il appuya le canon sur la tempe de la jeune femme.

— Si tu fais un geste, je lui grille la cervelle. Mike resta immobile, son arme toujours pointée sur le Dénébien qui reprenait:

— Laisse tomber ton flingue ou je jure que je la brûle !

Hésitant un instant, Mike répondit:

— Attendez ! Nous pouvons discuter.

— Rien du tout ! Dans cinq secondes, je tire.

— C'est bon, soupira Mike en abaissant le canon du pistolaser. Craig se manifesta alors en hurlant:

— Non ! Si vous lâchez votre arme, il vous tuera... Le Dénébien resserra son étreinte, lui bloquant le souffle.

— Plus que deux secondes !

Mike desserra ses doigts crispés sur la crosse.

— Vous avez gagné, j'abandonne...

L'arme tomba sur le sol avec un bruit sourd, sinistre. Un rictus étira les lèvres du colosse qui pointa son pistolaser sur Mike.

— Imbécile ! Je vais te couper les couilles puis je te regarderai crever... tout en m'occupant de cette garce. Je n'aime pas être dérangé pendant que je viole ! Dites-vous adieu, mes agneaux. Je suis très adroit. Je vais commencer par le testicule gauche.

Un éclair rouge jaillit du blouson de Mike et un point noir apparut sur le front du Dénébien, semblable à un troisième œil sombre et maléfique. Le colosse se figea tandis qu'un nouveau point noir s'ajoutait au premier. Un air d'étonnement fou peint sur le visage, la grande carcasse s'effondra d'un bloc, entraînant Dana.

— Lieutenant ! Lieutenant, vous n'avez rien ?

Craig repoussa le bras du Dénébien qui s'était figé

autour de sa taille puis elle saisit la main que Mike lui tendait pour l'aider à se relever. Elle réalisa alors que son pantalon flottait toujours autour de ses chevilles, dévoilant des cuisses fuselées et un postérieur rebondi marqué de rouge. Elle le remonta en lançant sèchement pour masquer son trouble:

— Ramassez votre arme ! Un policier ne doit jamais se séparer de son arme de service. Ce cinglé aurait pu vous tuer.

Prenant le pistolaser, Mike le lui tendit avec un sourire.

— J'ai cru comprendre que c'était son intention. Une mort très désagréable avait-il annoncé. Toutefois, je me permets de vous faire remarquer que ce pistolet est le vôtre. Donc, je n'ai pas enfreint le règlement en le laissant choir. Mon arme était dans ma poche gauche.

— Je constate que vous avez réponse à tout !

La sécheresse du ton était atténuée par l'ironie du regard. Tandis qu'elle essayait de fixer son pantalon, Mike demanda:

— Ne vous a-t-il pas fait de mal ?

— Non mais vous êtes intervenu juste à temps. Je n'aurais jamais imaginé que ce gorille avait autant de force. Où

sont les deux autres ?

— Attachés à côté. Je leur ai signifié leur arrestation et fait part de leurs droits... mais je ne sais s'ils étaient réellement en état de les entendre. Les deux malfrats reprenaient juste connaissance et émettaient quelques gémissements.

— Vous les avez bien arrangés, nota Craig d'un ton indifférent.

— Absolument pas ! Ce sont eux qui se sont créé leurs lésions en refusant d'admettre leur arrestation. Haussant les épaules, Craig reprit:

— Venez, nous allons appeler du renfort pour qu'ils soient coffrés et le Dénébien amené à la morgue. Maintenant qu'il est mort, il ne nous donnera plus de renseignements.

— Croyez que je le déplore mais il ne nous a guère laissé le choix.

Une demi-heure plus tard, deux voitures de la Sécurité

Galactique emportaient les prisonniers et le cadavre de leur chef. Craig s'installa au volant de son trans en poussant un énorme soupir. Assis à son côté, Mike avait maintenant un visage crispé.

Après dix minutes de course, Dana immobilisa son véhicule devant un immeuble résidentiel.

— Venez, sergent ! Je pense que vous avez besoin d'un remontant. Pour une première journée de travail, vous n'avez pas été gâté. L'ascenseur les propulsa au troisième étage. Craig occupait un petit appartement de deux pièces. Elle désigna un canapé à Mike puis ouvrit un bar et emplit deux verres.

— Buvez ! C'est un alcool local qui ressemble à un armagnac. Maintenant, je vous demande dix minutes pour me doucher et me changer. J'avoue que j'ai rarement autant transpiré.

Elle revint bientôt, les cheveux humides, vêtue d'un polo qui mettait en valeur sa poitrine et d'un pantalon bleu ciel. Mike était toujours assis, immobile, son verre plein à

la main, les traits tendus. Elle s'assit à côté de lui et murmura:

— Que vous arrive-t-il ?

Barnett esquissa un pauvre sourire.

— Si je vous le dis, vous allez vous moquer de moi et demander un autre équipier.

Elle lui posa doucement la main sur l'épaule.

— Parlez sans crainte. Après les événements de ce soir, je ne pense pas pouvoir trouver un meilleur collaborateur. Mike soupira en fixant son verre.

— Je sais que ce Dénébien méritait cent fois la mort, que j'étais en état de légitime défense car il n'aurait pas hésité à tirer mais je ne peux me défaire d'un sentiment de malaise. C'est la première fois que je tue un homme et j'éprouve une affreuse sensation de vide. Cela vous semble ridicule ?

La pression sur son épaule s'accentua.

— Absolument pas ! Je vais même vous faire une confidence que je n'ai jamais faite à personne. Il y a quatre ans, lorsque je suis entrée dans le service, j'ai été prise dans une fusillade et j'ai abattu un malfaiteur. Moi aussi, c'était la première fois. Ensuite, je suis restée douze heures sur ce divan à pleurer, l'estomac tordu par de douloureuses nausées et j'ai failli démissionner. Encore maintenant, je revois le visage de ce petit truand. Votre réaction est normale et prouve que vous êtes un être sensible, humain. Nous avons une mission à accomplir, même si elle est souvent ingrate. Nous protégeons d'honnêtes gens qui trouvent cela normal et ils ne nous en sont nullement reconnaissants. En cas de bavure, ils seront les premiers à nous accabler. Ce soir, vous avez fait votre devoir et même plus. Si je suis encore vivante, c'est à vous que je le dois. N'oubliez pas de mettre cela dans la colonne des actifs.

Mike grimaça un sourire.

— Merci, lieutenant. Je sens que je vais récupérer. Il leva son verre en disant:

— A notre santé !

— A notre équipe, répondit-elle.

Leur verre terminé, Mike se leva.

— Il est temps d'aller dormir. Le capitaine nous attend demain et je pense qu'il voudra des explications.

— Voulez-vous que je vous raccompagne ?

— Inutile, un ami va venir me chercher.

Sur le seuil de l'appartement, Dana murmura:

— Merci, Mike. Je ne sais ce que j'aurais fait si cette brute m'avait violée.

— N'y pensez plus et dormez.

A l'instant de refermer la porte, elle ajouta:

— Je crois que vous pouvez m'appeler Dana.

— Avec plaisir mais en dehors du service seulement.