– Il y a un souci, officier ?
Dragomir avait appris que les policiers américains, avides d’un respect qu’on ne leur témoignait que rarement, adoraient qu’on mentionne leur grade.
– Rien de bien grave, monsieur. Nous préférons simplement nous présenter pour que vous sachiez où vous adresser en cas de problème.
Les joues et les oreilles du jeune homme avaient pris une couleur écarlate et son sourire lui dénudait les gencives.
– C’est bien de savoir, fit Dragomir, écorchant délibérément son anglais pour se donner l’air inoffensif.
L’astuce marchait avec tout le monde, il l’avait bien remarqué. Il avait pris l’habitude d’étudier les gens comme un entomologiste examine les spécimens de papillons.
Le policier se dandinait d’un pied sur l’autre en faisant craquer le plancher du porche, tapotant ses cuisses du bout des doigts.
– Vous travaillez pour les Alderson, si je comprends bien.
Dragomir prit un air modeste.
– Oh, je suis juste le gardien, ici. Je travaille pour la famille. Des petits travaux.
– Ah, oui. Apparemment, un voisin a remarqué du matériel de construction devant la maison.
– Je voulais seulement m’assurer qu’il n’y avait pas d’infraction… par rapport au permis de construire et tout ça, quand on décide d’agrandir…
Ce gamin ne possédait pas la moindre autorité, il avait même l’air de s’excuser d’être là. Pas comme la police russe qui traitait toujours les gens comme des criminels.
– Non, je fais juste l’extérieur. Le propriétaire veut un jardin en terrasse.
– Vous permettez que je jette un coup d’œil à l’arrière ?
Il dépassait les bornes, cette fois. Si Dragomir exigeait un mandat de perquisition, ce gars rappliquerait une heure plus tard avec deux collègues et un document signé par le juge. Ils fouilleraient même la maison, pour le plaisir d’étaler leurs droits.
– Allez-y, je vous en prie, fit poliment Dragomir.
L’officier Kent parut soulagé.
– C’est juste manière de dire au chef que j’ai fait mon boulot, vous savez.
Dragomir contourna la maison à la suite du policier et ils se retrouvèrent sur le terrain nu. L’officier avait l’air d’observer les traces de pneus et le tuyau gris planté au milieu.
– C’est une fosse septique, ça, Andros ? demanda-t-il en s’approchant.
Dragomir se figea sur place. Il n’avait pas dit son nom au policier. Le voisin avait dû le renseigner.
Ce détail le remplit d’inquiétude.
– Ça sert à aérer la terre… À cause du compost…
Il avait improvisé de son mieux.
– Vous parlez du méthane qui s’accumule ?
Dragomir se borna à hausser les épaules. Il ne parlait pas bien anglais, lui, il se contentait d’exécuter les ordres. Il n’était qu’un simple employé.
– Pour une fosse septique, il faut demander un permis, vous êtes au courant ?
La figure du flic était rouge comme un bortch froid.
– Pas de fosse septique, lui assura Dragomir en souriant.
Des petits cris étouffés s’échappèrent du conduit et le policier pencha la tête de côté. Ses ridicules oreilles semblaient s’agiter.
– Vous avez entendu ?
– Non, fit Dragomir en secouant lentement la tête.
Les cris de la fille étaient devenus plus forts et plus distincts.
AU SECOURS AIDEZ-MOI JE VOUS EN PRIE MON DIEU
– On dirait que ça vient de là-dessous, fit le policier. Bizarre, quand même.