15.

Les locaux du FBI de Boston se trouvaient sur One Center Plaza, dans l’affreux complexe de Government Center. Certains architectes lui trouvent de l’allure, mais la plupart des Bostoniens n’y voient qu’une verrue sur le visage d’une ville magnifique.

En sortant de l’ascenseur, au sixième étage, je suis tombé sur un gigantesque sceau doré du FBI et une affiche des dix criminels les plus recherchés. La petite salle d’attente était équipée d’un portique de détection des métaux et d’un appareil à rayons X pour l’inspection des bagages, mais aucun des deux ne fonctionnait. Deux réceptionnistes étaient postées derrière leur guichet blindé.

J’ai glissé mon permis de conduire dans la fente et on m’a demandé de déposer mon BlackBerry. J’ai reçu en échange un badge indiquant VISITEUR ACCOMPAGNÉ, puis on m’a annoncé qu’on viendrait me chercher dans quelques minutes.

J’ai patienté, sans autre distraction qu’un portrait du Président accroché de guingois au mur et un ensemble de brochures sur les carrières offertes par le FBI. Ni revues ni quotidiens. Et sans mon BlackBerry, je ne pouvais ni téléphoner ni consulter mes messages.

Au bout d’une demi-heure d’attente, j’ai fini par aller demander à la réceptionniste si on m’avait oublié. Elle a assuré que non en s’excusant, mais je n’ai pas eu d’autre explication. Quand on vous laisse poireauter un quart d’heure, on peut attribuer ça à une réunion qui s’éternise, mais une fois franchie la limite des trois quarts d’heure, il est bien clair qu’on vous envoie un message.

Il s’est passé près d’une heure avant que le type du FBI daigne rappliquer.

Il ne cadrait pas du tout avec ce que j’attendais, soit dit en passant : un malabar qui devait passer la moitié de sa vie en salle de musculation, avec ce genre de crâne rasé et luisant qui demande énormément d’entretien. Il portait une fausse Rolex, un costume gris aux manches trop courtes, une chemise blanche dont le col l’étranglait et une cravate à rayures.

– Monsieur Heller ? a-t-il fait d’une voix de basse.

Tendant une main aussi large et tannée qu’un vieux gant de base-ball, il a broyé la mienne comme un étau.

– Gordon Snyder, sous-directeur de département.

En clair, il faisait partie des dirigeants du service et avait pour supérieur direct le directeur du département. Je pouvais dire merci à mon coureur de jupon de Sarasota.

Snyder m’a précédé dans un long couloir aux murs blancs jusqu’au secrétariat, où une assistante à l’air désabusé a continué à taper sur son clavier sans nous accorder un seul regard. Il occupait un vaste bureau avec vue sur Cambridge Street. Une longue table de travail, deux moniteurs d’ordinateur, une télévision à écran plat dont le son était coupé, branchée sur la chaîne CNN. Il y avait aussi une table de conférence en verre ronde et un canapé en Skaï rouge. Deux drapeaux encadraient le bureau, la bannière étoilée et le drapeau bleu ciel du FBI. Pour un employé du gouvernement américain, c’était carrément le grand luxe.

Il s’est assis derrière son impeccable bureau à plateau de verre, les épaules arrondies.

– Si je comprends bien, monsieur Heller, vous travaillez actuellement dans le secteur privé.

– Tout à fait.

Je suppose que c’était sa façon directe de me faire savoir qu’il avait lu mon dossier.

– Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?

– J’aide un de mes amis à retrouver sa fille.

Il s’est fendu d’une moue compatissante.

– Comment s’appelle cette jeune personne ?

– Alexa Marcus.

Il a hoché la tête, comme si le nom ne lui évoquait rien.

– Son père est Marshall Marcus. Le financier de Boston.

– Quel âge a-t-elle ?

– Dix-sept ans.

– Et en quoi cela concerne-t-il le FBI ?

– Étant donné la fortune et la position de son père…

– Il s’agit d’un enlèvement ?

– Ce n’est pas exclu.

– Il a reçu une demande de rançon ?

– Pas pour le moment. Mais au vu du contexte et de son passé…

– En bref, le père craint que sa fille n’ait été kidnappée.

Snyder avait une curieuse expression sur le visage, un air de perplexité si outré qu’elle en devenait presque comique. Peut-être qu’il se payait ma tête.

– Quelque chose m’échappe là-dedans, monsieur Heller : pourquoi la police de Boston ne nous a pas contactés.

– J’en suis le premier surpris.

– En effet. Normalement, c’est leur première démarche dans ce genre de circonstances. Les affaires d’enlèvement relèvent des compétences du FBI, et je suis étonné qu’ils ne nous aient pas avertis.

– Quelle que soit l’explication, vous pourriez tâcher de localiser son mobile.

Mais Snyder a poursuivi en pesant bien ses mots :

– Il se peut que la police ne nous ait pas prévenus pour la simple raison que personne ne leur a signalé cette disparition. Ça vous paraît plausible ?

Les mains jointes, il a baissé les yeux vers son bureau avant de les ramener sur moi :

– Vous comprenez, Marshall Marcus ne les a pas alertés. Intéressant, non ? Logiquement, il aurait dû harceler leurs services et les nôtres pour faire rechercher sa fille. À sa place, je n’aurais pas hésité une seconde. Et vous ?

Il me fixait d’un regard perçant, un rictus de dégoût sur les lèvres.

– Je vous assure qu’il a contacté la police, ai-je insisté. Ça remonte à deux heures à peu près. L’information n’a peut-être pas été transmise.

– Il ne l’a pas fait, un point c’est tout, a-t-il conclu d’un ton sans appel.

– On vous aura mal renseigné.

– Au contraire, nous sommes spécialement bien renseignés sur Marcus. Nous pouvons certifier qu’il n’a jamais appelé la police, pas plus que son épouse. Ni d’une de ses quatre lignes fixes, ni d’un de ses deux mobiles. Ni même d’un poste de la société Marcus Capital.

Je n’ai pas répliqué, et Snyder m’a dévisagé d’un air grave.

– Vous m’avez bien compris. La justice nous a donné ordre de surveiller Marshall Marcus il y a déjà un certain temps. Et je parie qu’il le sait pertinemment. Est-ce que c’est lui qui vous envoie ici, monsieur Heller ?

Gordon Snyder avait de petits yeux ronds d’insecte, enchâssés dans des orbites profondes.

– Ne vous fatiguez pas à nier que vous avez eu un entretien avec lui ce matin même, à son domicile de Manchester. C’est ce qui vous amène ici ? Vous représentez Marcus ? Pour tâter le terrain ? Découvrir ce qu’on a sur son compte ?

– Si je suis venu vous voir, c’est parce que la vie d’une jeune fille est peut-être en danger.

– La même jeune fille qu’on a inscrite dans une école spécialisée, suite à des problèmes de discipline dans son établissement privé ?

J’ai pris sur moi pour ne pas hausser le ton, mais j’étais à deux doigts de craquer.

– C’est exact. Après qu’elle a été victime d’un enlèvement. De quoi faire disjoncter n’importe qui, vous ne croyez pas ? Vous n’y comprenez rien, c’est ça ? Là-dessus on est d’accord.

– Mais vous travaillez bien pour Marcus ?

– Oui, mais…

– Ce qui fait qu’on ne peut pas être d’accord. C’est bien clair ?

Secrets Enfouis
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