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LES ARMES DE LA GUERRE

Depuis leur rencontre au Centre de santé mentale d’Athens, Mary éprouvait une véritable fascination pour Milligan. La jeune femme avait suivi l’évolution de ses conditions d’internement tout au long des neuf mois passés à Lima.

Quand elle ne pouvait communiquer directement avec Billy, elle téléphonait sans cesse à sa sœur, à sa mère et à son nouveau mari, ou à son avocat pour savoir comment il s’en sortait. Chaque fois qu’elle apprenait qu’un proche de Milligan se rendait à Lima, elle demandait à se joindre au voyage.

Finalement, durant les vacances d’été, elle loua une chambre meublée dans le centre-ville de Lima, de manière à pouvoir rendre visite à Billy presque tous les jours. Elle sortait en douce les notes qu’il lui remettait, tapait ses lettres à la machine et devint son intermédiaire attitré avec le monde extérieur.

Surveillants et membres du personnel, redoutant une fois de plus que Milligan ne transmette des informations sur leurs activités et ne projette d’exposer au grand jour tout ce qui se passait dans le pavillon, s’alarmèrent de le voir s’entretenir quotidiennement avec la jeune femme. Leurs protestations auprès de Lindner et du directeur général Hubbard demeurèrent cependant sans effet.

Mary jugea important que cette partie de la vie de Billy fût rapportée par une tierce personne. Elle mettrait à profit sa formation scientifique pour observer Billy de près, et consignerait par écrit ses commentaires et son comportement. Elle décida de rédiger un journal de ses visites – une sorte d’étude de cas sociologique.


JOURNAL DE MARY

Mercredi 23 juillet 1980 : ce matin, Billy a réussi à manœuvrer pour obtenir sa réintégration en TPT. Le temps qu’il arrive dans la salle de visite pour me voir, à 13 heures, il avait déjà récupéré les photos de plusieurs meubles, découpées dans des magazines. Il s’est lancé dans l’exposé de ses futures grandes réalisations. Il m’a demandé de lui commander vingt mécanismes de pendules, ainsi que les accessoires pour les cadrans. L’excitation d’être de retour en TPT et de pouvoir entreprendre de grands projets l’a mis d’excellente humeur aujourd’hui. Je ne l’avais jamais vu aussi joyeux.

J’ai tenté de le mettre en garde contre le danger de bâtir des châteaux en Espagne, parce que je ne veux pas le voir s’effondrer si ses projets sont un jour réduits en cendres.

« Si je ne peux pas me relever et trouver la force de reconstruire mes châteaux détruits, je perdrai toute estime de moi. La vie ne vaudra plus la peine d’être vécue. »

Il m’a demandé de lui rendre visite à 15 heures plutôt qu’à 13 heures, afin qu’il puisse se rendre en thérapie par le travail.



Jeudi 24 juillet : ce matin, pendant que Billy se trouvait en TPT, des surveillants de son pavillon ont débarqué avec l’ordre de le placer en isolement au pavillon 22. Ils ne pouvaient fournir aucune explication, et Bob Edwards, qui dirige la TPT, a refusé de les laisser l’emmener sans motif valable. D’autres personnes ont pris sa défense, et cela a dégénéré en une altercation d’une heure et demie entre patients, surveillants et administrateurs, y compris Lindner et Hubbard.

Le reste des patients de TPT a été envoyé dans une autre pièce, tandis que Billy se roulait en boule sur le sol dans un coin. Au bout du compte, il n’a pas été placé en isolement.

Plus tard, Billy a été incapable de me dire qui voulait l’enfermer, ni de me raconter grand-chose d’autre sur cet incident. Je suspecte le surveillant qui a fait chanter Billy – ou un autre membre du personnel qui n’apprécie pas le fait qu’il soit de retour en TPT – d’être à l’initiative de cette tentative.



Mercredi 30 juillet : ce matin, tandis que Billy était en TPT, un comparse de Hubbard a essayé de mettre des bâtons dans les roues de l’affaire que Billy et ses partenaires Lenny et Zack tentent de monter. Ils mettaient en place la ligne d’assemblage destinée à la production de leurs articles quand cet individu a déclaré que l’hôpital risquait d’avoir des problèmes avec l’administration fiscale parce que leur entreprise ne payait pas d’impôts.

Billy a réussi à obtenir que dix dollars du fonds social de ses travailleurs aillent aux impôts. Il est parvenu à surmonter toutes les autres objections qu’on lui opposait, mais ces querelles l’ont nerveusement épuisé. Il aimerait que l’administration arrête de le harceler ainsi, car cela le maintient sans cesse sur la défensive...

La semaine dernière, les Trois Partenaires ont été engagés par l’hôpital pour réaliser des gradins dans la cour de l’institution, laquelle leur procurait le bois. Quand le bois est arrivé, Billy et ses deux amis ont envoyé leur équipe de travailleurs au boulot, puis, deux heures plus tard, les ont mis en grève pour protester contre le fait qu’on les employait sans rémunération.

Ils ont demandé à l’administration de leur fournir en échange de ce travail une quantité équivalente de bois (d’une valeur de mille deux cents dollars), une exigence similaire à la pratique de l’hôpital qui exige, lorsqu’un patient fabrique une pendule pour lui-même, qu’il en réalise une autre pour l’institution, afin de rembourser les matériaux utilisés. L’administration a tout d’abord refusé avec véhémence, mais a fini par accepter.

Les mille deux cents dollars de bois destinés aux trois partenaires sont arrivés ce matin. Billy les a entreposés dans l’atelier de TPT, puis a envoyé l’équipe construire les gradins. En TPT, aujourd’hui, Billy a peint. Il n’a pas réussi à se souvenir si c’était la première fois depuis son retour au pavillon A.

Il m’a dicté trois lettres que j’ai rapportées dans ma chambre pour les lui taper.


Pavillon A
Hôpital d’État de Lima
Lima, Ohio 45802

À l’attention de :
M. Ronald Hubbard, directeur général
Docteur Lewis Lindner, directeur médical
Hôpital d’État de Lima
Lima, Ohio 45802

3 mai 1980

Chers M. Hubbard et Dr Lindner,
Il a été porté à mon attention qu’une réunion d’équipe exceptionnelle aurait lieu dans un futur proche pour statuer sur mon cas. Conformément aux recommandations de mes avocats, je me dois de vous informer que je ne collaborerai avec le département d’État de Santé mentale au cours de cette réunion exceptionnelle, et ne répondrai aux questions ou tests psychiatriques auxquels on souhaiterait me soumettre, qu’en présence de mes avocats et d’un expert psychiatrique privé engagé par mes soins.
Je demande aussi à exercer mon droit à enregistrer la totalité de cette réunion, afin de pouvoir l’utiliser devant la cour, à la discrétion de mes avocats, ainsi que celui d’avoir présents certains représentants de la presse. Pour conclure, j’attends de l’État qu’il fasse en sorte de me permettre d’exercer mes droits civiques s’il désire obtenir ma coopération.

William Milligan.


Copie à: Alan Goldsberry et Steve Thompson, avocats. Docteur Vermeulin.
Docteur Timothy Moritz.

[Lettre de Mary à Goldsberry]

4 août 1980

Cher Alan,
Billy a décidé de la stratégie qu’il entend suivre pour organiser son futur. À ses yeux, la chose la plus importante est de savoir quand cet internement indéfini se terminera. Dans le même ordre d’idée, il souhaite aller en prison, puisque au moins en prison il aura une date de libération précise. Cependant, il lui semble indispensable d’être placé en isolement durant la totalité de son séjour en prison...
Sincèrement,

Mary.

[Lettre de Milligan à Goldsberry]

9 août 1980

Cher Alan,
J’ai eu l’intention de vous écrire cette lettre depuis longtemps, mais je n’arrivais pas à trouver les mots justes. D’une certaine façon, je devais rattraper mon retard – m’attraper moi-même au bon moment. Si l’on m’approche au mauvais moment, je devrai compter sur votre jugement pour prendre la meilleure décision à ma place. J’ai l’impression que l’on revient à la case départ, une fois de plus. Parfois, je me dis que nous aurions dû tuer Billy Milligan il y a longtemps.
Les choses ne seraient pas aussi merdiques qu’elles le sont aujourd’hui. Je ne crois pas que nous recevrons jamais de l’aide, mais j’imagine que nous ne pouvions vivre autrement. Kathy, Mme Moore et moi avons été les prisonniers de Chalmer durant de nombreuses années. J’imagine que c’est la raison pour laquelle je ne pense pas que nos geôliers puissent être également nos thérapeutes. Sans doute toutes ces années et ces mois de combat m’ont-ils usé. Qu’arrive ce qui doit arriver. Je sais que nous nous sommes mis dans ce pétrin nous-mêmes – avec un peu d’aide des représentants de l’État, il est vrai. Cela me fait mal de savoir que, au bout du compte, ce sont eux qui riront les derniers.

Billy.

Le lundi suivant, les leaders des détenus, ainsi que Fats Becker et Amie Logan de zoothérapie, se réunirent à l’atelier Bois pour décider d’une riposte à la soudaine vague de répression qui s’abattait sur leurs activités.

« Nous sommes en réunion, déclara Zack au vieux Papy Massinger. Ne laisse personne passer ! »

Deux des assistants découpeurs de Papy ramassèrent des bouts de chevrons et se postèrent en sentinelles devant l’entrée de l’atelier.

À l’intérieur de la salle de séchage, les leaders se servirent du café, puis commencèrent sans plus attendre à discuter des problèmes causés par les surveillants dans leurs zones respectives.

« La situation s’aggrave en zoothérapie, déclara Arnie Logan. Beaucoup de nos gars se font passer à tabac sans la moindre raison.

— Nous avons tout essayé, ajouta Becker. J’ai essayé la diplomatie. J’ai essayé les tribunaux. J’ai essayé un juge fédéral. Mais les administrateurs refusent de discuter avec nous. Aucun résultat.

— Nous allons devoir redevenir ce que nous étions, fit Zack. Il va falloir leur botter le cul pour qu’ils comprennent que nous sommes des êtres humains.

— Si nous n’agissons pas rapidement, dit Fats, ils réussiront à nous monter les uns contre les autres, comme avant. S’ils réussissent à nous diviser, ils pourront nous contrôler. Je dis que nous devons agir tant que nous sommes assez forts pour nous défendre. »

Lenny suggéra une évasion de groupe, mais Allen fit remarquer que cela n’améliorerait en rien les problèmes de l’institution. Les patients qui resteraient à Lima auraient à souffrir des mêmes mauvais traitements qu’auparavant. Zack plaida pour une émeute à grande échelle qui permettrait de prendre le contrôle de l’hôpital.

« Que va-t-on devoir faire pour qu’ils comprennent qu’on ne plaisante pas ? demanda Lenny.

— J’ai des contacts à l’extérieur, déclara Logan. Je pourrais mettre un contrat sur la tête de ces types. »

Lenny hocha la tête.

« L’attaque est la meilleure défense. »

Allen pouvait lire sur leurs visages à quel point les leaders étaient désespérés, prêts à tout pour en finir avec les violences qu’on leur infligeait.

« Si nous voulons agir, il faut que nous le fassions bien, intervint-il. Il faut que ça en vaille la peine. Quel intérêt de laisser une meute désorganisée de patients se ruer dans l’institution pour briser une vingtaine de fenêtres ? Le personnel de sécurité nous coincera aussitôt, et nous confinera dans nos pavillons. Je suis contre l’usage de la violence, mais si nous n’avons pas d’autre choix, nous devrons l’employer intelligemment.

— Exactement ! approuva Zack.

— Qu’est-ce que tu proposes ? demanda Fats.

— Si nous provoquons une émeute, autant qu’elle soit planifiée, et que nous nous y soyons préparés, répondit Allen. Autant que ce soit une attaque à grande échelle.

— Nous pourrions constituer des équipes de casseurs pour provoquer de gros dégâts matériels, suggéra Lenny.

— Si nous faisons ça, la sécurité nous tombera dessus avec une telle brutalité que nous ne serons plus capables d’accomplir quoi que ce soit. Cela ne nous apportera rien : une fois qu’ils nous auront maîtrisés, enfermés, et qu’ils auront pris toutes les mesures imaginables pour nous contrôler, nous nous retrouverons au point de départ.

— Nous avons trop de fric et trop de pouvoir pour tout foutre en l’air par une action stupide.

— Mais nous devons faire quelque chose ! insista Lenny.

— Je suis d’accord, dit Allen. Mais il faut que ce soit un acte spectaculaire.

— Votons », proposa Fats.

Le vote fut unanime – en faveur de la guerre.

« Bien, dit Zack, les gars de nos ateliers fourniront les troupes de choc. Ceux de zoothérapie peuvent planifier un assaut latéral pour nous soutenir.

— Décidez de votre tactique, intervint Logan, et préparez vos armes, mais tenez-nous au courant pour que nous puissions coordonner notre stratégie avec la vôtre. »

Fats eut un mouvement du menton dans la direction de l’atelier Bois.

« Vous allez devoir nous aider à fabriquer des armes. Mais nous avons d’autres trucs que nous pouvons utiliser. Nous pouvons mettre la main sur du matériel auquel vous n’avez pas accès. Si vous nous filez de longues matraques en bois, comme des nunchakus, nous les équiperons de fil de fer barbelé pour en faire des fouets. »

Zack acquiesça.

« Nous allons leur tomber dessus si vite qu’ils n’auront pas le temps de répliquer. Puis nous nous replierons et laisserons une chance à ceux qui restent d’appeler la police des autoroutes, ou la garde nationale, ou n’importe quelle autre flicaille – et si ça se termine comme à Kent State ou même pire, bah... au moins on s’y sera préparés.

— Nous pourrions prendre des otages, proposa Lenny.

— Pas d’otages ! décréta Allen. Si on se comporte comme l’ayatollah Khomeyni, nous n’obtiendrons pas le soutien de l’opinion publique dont nous avons besoin. Souvenez-vous d’Attica. Les médias ont accusé les prisonniers d’être responsables de la mort des matons pris en otages, jusqu’à ce que l’enquête révèle qu’ils avaient été descendus par les flics.

— Mais nous pourrions au moins utiliser quelques surveillants ou administrateurs en guise de boucliers humains, insista Zack.

— Et comment pourrons-nous assurer la sécurité de nos otages ? répliqua Allen. N’oubliez pas que nous avons quelques véritables psychopathes parmi nous, qui pourraient les tuer ou les violer. Nous n’avons pas besoin de ça. Supposons que l’État donne satisfaction à nos demandes et nous transfère hors de Lima, que se passerait-il s’ils découvraient que l’un d’entre eux a été violé ou poignardé ? Ils ne tiendraient pas leurs engagements. Je suis contre les boucliers humains.

— Qu’est-ce que tu proposes ? demanda Lenny.

— Déterminons à l’avance qui ne doit en aucun cas être blessé. Patients aussi bien que membres du personnel. »

Tous finirent par se ranger à son avis.

Ils décidèrent de commencer à fabriquer leurs armes sans tarder. La plupart d’entre elles seraient assemblées dans l’atelier, mais ils pourraient les dissimuler dans la salle de zoothérapie.

« Nous sommes passés de trente et une à vingt-six personnes, ici. Ils sont vingt-deux en zoothérapie. Quatorze dans la serre, résuma Allen. Plus les joueurs de l’équipe de base-ball. On se répartit le boulot et on essaie de convaincre les autres. »

Allen suggéra de réunir toutes les preuves disponibles – papiers, documents, bandes audio – et de les placer dans un coffre-fort improvisé, qui serait enchaîné à l’entrée principale de leur aile. S’ils se faisaient tous tuer au cours de l’émeute, le public découvrirait les raisons de leur mutinerie.

Les leaders de la révolte se baptisèrent « Les Fils de la Liberté » et décidèrent de lancer l’attaque le lundi 8 septembre 1980. Le nom de code de l’insurrection, transmis de patient à patient, serait « Lundi noir ».

Puisque les administrateurs et un grand nombre de surveillants se montraient très fiers de l’équipe de base-ball de l’hôpital, et que les parties suscitaient de nombreux paris, il fut aisé de les convaincre que les joueurs avaient besoin de poids pour les poignets et les chevilles afin de gagner en puissance dans le maniement de leurs battes. Un sac de boxe, insistèrent-ils, était tout aussi essentiel pour leur entraînement. Le personnel ne pouvait se douter, en voyant les joueurs courir autour du bâtiment, ou s’entraîner avec leurs battes, qu’ils amélioraient en fait leur condition physique en vue de la bataille.

Lenny demanda aux membres de l’équipe de base-ball de s’arranger pour pouvoir accéder rapidement aux battes. Étant donné qu’elles étaient rangées dans un casier en métal fermé à clef, Lenny leur suggéra de desserrer les fixations du meuble au mur, de façon à ce que le casier puisse être ouvert par le fond.

Les joueurs volèrent également des battes supplémentaires aux équipes adverses.

Les balles de base-ball seraient utilisées comme projectiles. Les crampons cloutés des chaussures se révéleraient redoutables lors des combats au corps à corps. Zack fabriqua un bélier à partir d’une plaque de but qu’il fixa au bout d’une batte, les trois pitons d’ancrage pointés vers l’avant.

Certains des joueurs devinrent si forts qu’ils brisèrent leurs battes sur le sac de frappe. L’administration autorisa l’achat de battes en aluminium pour les remplacer.

Effet secondaire de ces préparatifs, l’équipe de base-ball de Lima surprit plusieurs équipes adverses en les battant à plate couture – à la plus grande joie des surveillants et du personnel.

L’un des points clefs des préparatifs était de trouver un moyen de contrôler le couloir de sécurité principal, celui qui abritait la fresque de trente mètres de long. Tommy réalisa bientôt que Lenny Campbell en savait plus que lui sur l’électricité. Lenny lui montra comment retourner l’alimentation des grilles à ouverture électrique contre elles-mêmes.

Le câblage du boîtier électrique, alimenté en 2 300 volts, courait le long du plafond de la salle de jour jusqu’aux interrupteurs grâce auxquels les gardes contrôlaient l’ouverture des grilles. Sous prétexte de réparer les appuis des fenêtres, Lenny et Tommy ouvrirent le boîtier, connectèrent une paire de câbles de batterie au disjoncteur, puis – après avoir vérifié l’alimentation – lovèrent le câble en excès et refermèrent le boîtier.

Lenny baptisa leur opération : « projet Anguilles électriques ».

À la première contre-attaque, au moment précis où le personnel de sécurité chargerait dans le couloir, deux patients se précipiteraient vers le couloir opposé. Une fois la grille extérieure fermée, quand le personnel de sécurité aurait envahi le corridor, Lenny lancerait l’opération Anguilles électriques. Il accéderait au boîtier, se saisirait des câbles et les brancherait sur les barreaux des grilles et sur le grillage.

« Toute personne touchant les grilles d’un côté ou de l’autre se fera électrocuter, expliqua Lenny.

— Et s’ils coupent l’alimentation générale ?

— Ça ne changera rien. Les générateurs de secours prendront le relais en quelques secondes. Cette opération est d’une importance cruciale, parce que bloquer les forces ennemies nous donnera le temps de mettre en position le reste de nos armes. »

Zack proposa de répandre un mélange d’essence, d’huile et de térébenthine dans le couloir pour empêcher les gardes d’employer de la dynamite. Le même mélange, étalé sur les marches des escaliers, ralentirait la progression des forces de sécurité, les contraignant à se déplacer avec précaution pour éviter toute étincelle.

Pour l’opération « Pluie acide », Tommy suivit les canalisations du dispositif anti-incendie de l’atelier jusqu’à l’endroit où elles disparaissaient dans le mur. Profitant du bruit des machines, les conspirateurs percèrent le béton, fermèrent l’alimentation en eau, et remplirent les pulvérisateurs avec de l’acide sulfurique récupéré dans l’atelier d’imprimerie.

Ragen recommanda l’usage de couteaux pour les combats au corps à corps. Zack supervisa leur réalisation à partir de bidons d’huile. À l’aide d’un chalumeau (réquisitionné sous prétexte de doter de renforts métalliques les gradins du terrain de base-ball), ils découpèrent des bandes de métal dans les bidons. Grâce à des fragments de mèches au diamant industrielles (passées en contrebande à l’un des Partenaires par ses visiteurs), ils travaillèrent le métal pour en faire des poignards.

Ragen dirigea des séances d’entraînement de combat au couteau. Il fit ajouter aux poignées des armes une dragonne de cuir (fournie par les gars de l’atelier de maroquinerie), pour éviter que les détenus ne perdent leurs couteaux, ou ne tentent stupidement de les lancer à la façon de Jim Bowie.

Il réalisa un mannequin de paille et de sable qu’il suspendit au plafond dans l’une des salles de TPT où les surveillants ne pénétraient jamais. Le Protecteur n’ignorait pas que certains des patients les plus placides ne deviendraient jamais des tueurs de sang-froid, mais il décida de dispenser à tous les conjurés une formation au combat au corps à corps. Il leur apprit la bonne manière de tenir un couteau, comment trancher, balafrer ou frapper d’estoc, ainsi que la méthode la plus efficace pour poignarder un homme dans le dos.

Les patients possédaient désormais une force de combat bien entraînée, dotée d’une stratégie de bataille élaborée. Allen espérait cependant en secret qu’ils n’auraient pas à recourir à la violence. Aussi longtemps que Fats Becker et Amie Logan pourraient persévérer dans la voie de la diplomatie, déposant des plaintes contre les traitements cruels et inhumains auxquels on les soumettait ; aussi longtemps que l’espoir d’une amélioration des conditions de détention existait, les Fils de la Liberté garderaient leurs troupes en réserve. Allen parvint à convaincre les autres que l’opération Lundi noir ne serait lancée qu’en toute dernière extrémité.

Quand l’administration annonça que l’atelier Bois n’était plus autorisé à recevoir du bois de la scierie, les Trois Partenaires écumèrent à nouveau les locaux de l’institution à la recherche de matières premières.

Ils se rendirent en salle de musicothérapie, où Zack se souvenait avoir vu des panneaux de bois, mais trouvèrent la porte fermée.

« Tirons-nous d’ici, dit Lenny. Quelqu’un sait ce que nous faisons.

— Ce qu’ils savent et ce qu’ils peuvent prouver sont deux choses différentes, répondit Zack. Les preuves sont éparpillées sous la forme de pendules ou de tables basses à travers tout l’Ohio et la Virginie de l’Ouest. »

Parvenu à la moitié de l’escalier, Allen s’adossa contre une imposante double porte qui s’ouvrit sous son poids.

« Hé, les gars...

— C’est la chapelle, mec ! lui dit Zack. On ne peut pas voler les portes d’une église !

— Pourquoi pas ? » demanda Lenny.

Zack haussa les épaules, puis se mit à attaquer les charnières de la porte.

« Laisse tomber, fit Allen. Elles sont trop grandes. » Zack releva les yeux.

« Billy a raison. Nous pourrons les sortir de leurs gonds, mais elles sont trop volumineuses pour passer par les autres portes. Il faudrait les découper à la scie.

— Ça prendra trop longtemps, rétorqua Lenny. C’est pas le moment de se faire gauler ! »

Ils pénétrèrent dans la chapelle et observèrent son mobilier. Les bancs de l’église paraissaient prometteurs, mais un rapide examen leur montra qu’ils étaient vissés au sol et nécessiteraient l’emploi d’outils spéciaux pour être détachés. Couper les écrous à la scie à métaux serait trop long.

Allen s’approcha du piano de la chapelle, mais décida que sortir l’instrument de la pièce se révélerait beaucoup plus difficile et risqué que pour celui de la salle de musique. Ses yeux glissèrent sur l’autel, pour s’arrêter sur la croix en chêne massif de six mètres de haut.

Zack et Lenny suivirent son regard, mais virent que leur ami hésitait.

« Vas-y, Billy s’exclama Zack. Tu ne vas pas nous faire une crise mystique maintenant.

— Ouais, renchérit Lenny. On en a besoin. »

Allen étudia le bois soigneusement poli. La croix n’avait pas été assemblée à partir de morceaux plus petits. Le menuisier avait découpé une section massive dans un arbre, puis y avait ajouté deux solides poutres de deux mètres de chaque côté.

Zack se mit debout sur l’autel pour jeter un coup d’œil derrière la croix.

« Merde, elle est boulonnée au mur !

— On peut couper les écrous, suggéra Lenny.

— Cette croix doit peser au moins cent cinquante kilos, remarqua Allen. Si elle tombe sur la plaque en marbre de l’autel, elle la brisera en morceaux et le bruit attirera l’attention des surveillants. »

Ils parvinrent finalement à dévisser deux bancs qu’ils appuyèrent contre la croix. Utilisant les cordons des rideaux, ils en fixèrent un à chaque bras de la croix, puis abaissèrent celle-ci avec délicatesse jusqu’à ce qu’elle repose sur l’autel et le podium. Il fallut près d’une heure aux trois complices pour sortir la croix et la chaire hors de la chapelle, les transporter dans les couloirs et les stocker dans l’atelier Bois.

Sans perdre de temps, ils débitèrent leur butin en pièces plus petites. Lenny calcula qu’ils avaient à présent assez de bois pour fabriquer une armoire chinoise, quatre tables basses et sept pendules.

« Vous devez me promettre une chose, fit Allen. Quand nous recevrons des scieries suffisamment de bois pour nos projets, nous fabriquerons une nouvelle croix pour la chapelle.

— Je pensais que tu n’étais pas croyant, remarqua Zack.

— Je ne le suis pas, mais de nombreux patients fréquentent cette chapelle. Je dormirai mieux si je sais qu’on s’est contentés de l’emprunter.

— T’en fais pas, mec ! le rassura Lenny. On en fera une bien plus belle que celle-ci dès qu’on en aura la possibilité. Je te donne ma parole. »

Le département de la Santé mentale avait commis une grave erreur en créant l’hôpital de Lima. L’administration avait regroupé tous les sociopathes des prisons et hôpitaux psychiatriques de l’Ohio au même endroit. En théorie, il s’agissait certes de malades mentaux. Ces criminels, cependant, avaient plus de talent et d’intelligence que n’importe laquelle des personnes en charge de la gestion de leur asile.

Les mille et une guerres de Billy Milligan
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