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— Non, nous disposons de quatre-vingts mesures, dit Harry. Et chacune est déjà utilisée pour coder les statues. Ce n’est donc pas dans cette direction qu’il faut chercher.
— Il serait possible qu’il existe un deuxième code, proposa Stacey.
— Autant que tu en veux ! Seulement Eyelight ne l’a pas découvert.
— Recommençons, dans ce cas…
— C’est inutile ! Parfaitement inutile. Si nous ne donnons pas d’élément nouveau au logiciel, il déduira la même réponse… C’est d’une logique implacable.
— Pourtant, nous avons sans doute laissé échapper un détail…
— Peut-être dans la propriété de Stark. J’ai étudié les éléments que vous en avez rapportés mais je ne vois rien qui…
— Non, je ne pense pas comme toi, le coupa Stacey. Stark nous a dit que la réponse se trouvait sous nos yeux ! Ça signifie que nous ne voyons pas une évidence. S’il possède réellement la réponse à nos questions, alors tous les éléments doivent logiquement apparaître dans les documents que nous possédons.
— O.K. ! Partons de ce principe dans ce cas. Nous n’avons utilisé que la partition. Cherchons ailleurs.
— Le texte…, proposa Stacey.
Harry ne répondit pas, mais la triste mine qu’il offrait à Stacey en disait long sur les espoirs qu’il fondait sur cette proposition.
— Quoi ? Vous avez autre chose à vous mettre sous la dent peut-être ? râla Stacey, à court d’idées. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire les difficiles… On dispose de sept statues, d’une partition musicale, d’un texte de cent pages et d’un type qui vient de passer les dix dernières années chez les fous. Les statues, c’est fait ! La partition, idem. Du côté de Stark, black out ! Il reste le texte…
— Stacey…, le coupa Harry.
— Quoi ?
— Le texte est dans ma bécane depuis le début. Ça n’a débouché sur rien.
— Ça ne signifie pas qu’il n’y ait rien à trouver. Je suis archéologue, moi ! Un homme de terrain. Tout ce travail exclusivement mené sur informatique commence à me lasser.
— Tu as sauté de joie comme tout le monde lorsque mon « informatique » a mis le doigt sur les statues. C’est un peu tard pour dénigrer ma bécane ! Et un peu énorme aussi !
— Mais oui !… s’exclama Franklin. C’est probablement ça.
Stacey et Harry se retournèrent vers l’ethnologue qui, jusqu’à cet instant, était resté en dehors de la conversation. Il scrutait un vaste planisphère mural sur lequel sept épingles figuraient les statues. Du doigt, il traça un trait imaginaire entre plusieurs épingles.
— Ça quoi ? interrogea Stacey.
Franklin se retourna pour leur faire face.
— Tu as oublié un détail dans la liste des éléments dont nous disposons…, dit-il à Stacey. Le titre !
— Le titre ? répéta l’archéologue sans comprendre.
— La Croisée des chemins ! précisa Franklin.
— Je ne te suis toujours pas.
— Harry, tu te rappelles ce que tu disais à propos du code de la partition ?
— Excuse-moi, mais j’ai dit beaucoup de choses…
— Non, souviens-toi. Tu disais que n’importe quel enfant s’amusait à créer des codes. Et tu avais raison !
— Et après ? demanda Harry avec une moue d’incompréhension.
— Eh bien, cela nous indique que la simplicité doit nous servir de guide. Je suppose que vous allez trouver mon idée puérile, mais que penseriez-vous de tracer des lignes entre les différentes statues ? Il y aura forcément des points de rencontre. Et peut-être la solution avec !
Stacey se gratta le menton, tandis qu’Harry fronçait les sourcils.
— Bof ! commenta-t-il. Ça me semble un peu tiré par les cheveux.
— Nous n’avons rien à perdre à essayer, argumenta Stacey en faveur de Franklin. En plus, ça permettra de coller avec le titre de cette musique qui, soit dit en passant, n’a pour l’instant rien à voir avec la composition.
— Vous n’y avez pas encore réfléchi mais un sérieux problème va vite se poser ! critiqua Harry. C’est bien joli de jouer à la chasse au trésor mais, à partir de sept statues, ça va être coton.
— Comment ça ? demanda Franklin.
— Le « ça » se prénomme factoriel 7, mon cher. Il signifie qu’il existe 7 multiplié par 6 multiplié par 5 multiplié par 4 multiplié par 3 multiplié par 2 possibilités de relier les statues entre elles. Cinq mille quarante au total !
— Tous les chemins mènent à Rome ! Le titre est écrit au singulier. Attaquons la question de façon logique, le reste viendra avec.
— S’il n’existe qu’une possibilité correcte, c’est qu’elle répond au sens du temps, je suppose.
— À savoir ?
— Je suis d’accord avec toi. Le plus simple demeure la suite chronologique, n’est-ce pas ?
— Ou l’inverse. Essayons ! conclut Harry en s’installant devant un ordinateur. L’ordre chronologique des sculptures est : France, Amazonie, Ko Jima, Tibet, États-Unis, Irlande, Russie. Si bien sûr vous ne vous êtes pas trompés.
Un planisphère apparut sur l’écran. Les points de repère des statues, préenregistrés, clignotaient en sept endroits. Harry les relia selon l’ordre qu’il venait d’énoncer.
— Nous avons un point de rencontre. Les traits se croisent au-dessus des îles Canaries, dans l’Atlantique Nord.
— C’est la plus petite île de l’archipel. Alegranza, un caillou de vingt kilomètres carrés, précisa Stacey. J’y suis passé lorsque j’avais vingt ans.
— Tu as eu vingt ans, toi ! s’exclama Harry.
— Tu veux bien nous afficher toutes les possibilités, Harry, au lieu de torturer notre bon archéologue ? intervint Franklin.
— Étudier des fossiles ne force pas le mimétisme, poursuivit néanmoins Stacey. Rentrez-vous dans le crâne que ce passionnant métier se vit en bonne partie au grand air, en compagnie de personnes fort intéressantes. Cela vaut la compagnie de tous les ordinateurs du monde.
Harry concentra son attention sur son clavier. Il ne répondit pas à la provocation de Stacey mais ne put se retenir de sourire béatement.
— Mais regarde-le ! Il sourit à sa machine, acheva Stacey. Grand couillon. S’il est vrai que l’on ressemble à ce que l’on fait, eh bien je ne voudrais pas voir ta tête dans une dizaine d’années.
— Je peux comprendre que notre recherche ne vous intéresse pas plus que ça, messieurs, s’immisça Franklin. Il nous reste une formalité à accomplir, un petit rien du tout à retrouver. Je ne vous demande qu’une heure d’effort, ensuite je vous accorderai une récréation bien méritée.
Harry ravala son sourire avec peine et acheva son travail. Quelques instants plus tard, les écrans se couvrirent de petits planisphères striés de lignes.
— Puisque la partition s’appelle La Croisée, sélectionne maintenant toutes les possibilités avec un seul croisement. Peut-être que la bonne nous sautera aux yeux !
Harry s’exécuta aussitôt.
— Il y en a malgré tout une grosse quantité, soupira Stacey.
Ils observèrent attentivement les points de croisements. Il y en avait partout, dans les deux hémisphères, sur les cinq continents. Ceux, nombreux, qui apparaissaient à la surface des océans, furent éliminés.
— Il en reste vingt-deux, laissa tomber Harry. Même avec les moyens de la Fondation, ça va prendre du temps.
— Je ne pense pas qu’il sera nécessaire d’explorer chacun de ces endroits. La logique nous conduit vers cette option-là, pour commencer, dit Franklin en pointant la première carte, celle reliant les emplacements des statues par ordre chronologique.
— C’est la voix de la raison, affirma Stacey. De toute façon, on n’a pas de meilleure suggestion pour le moment. Eh bien voilà, on va l’avoir notre récréation. Et plus tôt que prévu encore !
— Un peu de patience ! Il faut encore convaincre Spencer du bien-fondé de notre théorie sinon, pas de repos avant d’avoir trouvé autre chose !
— Qu’allons-nous découvrir, à ton avis ? demanda Harry à Franklin tandis qu’ils se dirigeaient vers l’ascenseur.
— Je ne sais pas. Pas une autre statue en tout cas. Il n’y a plus de place. Peut-être quelque chose qui viendrait se poser au milieu des sept pour les solidariser.
— Puisque vous êtes devenus des potes, toi et Stark, tu veux pas passer lui demander si on a la bonne solution ? glissa Stacey.
— Il ne s’agit pas d’un jeu pour lui, Stacey, répondit Franklin. J’ignore de quoi il retourne au juste, mais je suis persuadé qu’il ne joue pas !
— Ça, j’ai cru le comprendre. Tant pis, j’aurais essayé quand même !