Avant le verbe

 

 

 

 

 

 

Zagul appliqua une nouvelle couche de pigments sur la paroi bosselée. Déjà, une belle satisfaction entaillait son visage. Il recula d’un pas pour admirer son œuvre mais son sourire se fana. Quelque chose le tracassait. Le dessin qu’il était sur le point d’achever ne ressemblait pas exactement à sa vision des nuits passées. Il éleva un brandon enflammé pour mieux se rendre compte. Peut-être les couleurs… Peut-être le dessin dans son ensemble… Après tout, c’était la première fois qu’il peignait un motif abstrait. Un cercle de couleur chaude ceint par sept formes pointues plus petites. Non, tout y était. Sa main monta au sommet de son crâne et commença à fouiller dans l’épaisse toison à la recherche d’une réponse.

Une jeune femelle s’approcha du dessin. Elle renifla la forme abstraite quelques instants puis se gratta la tête à son tour. Lorsqu’elle se retourna vers Zagul, sa bouche esquissait déjà un sourire. En apercevant la ride d’incertitude sur le front du peintre, elle éclata franchement de rire. Piqué dans son amour-propre, Zagul libéra sa rage sur la jeune imprudente à coups de poing, de pied et de hurlements rauques. Lorsque, enfin apaisé, il reporta son attention sur le dessin, un frémissement sourd commença à parcourir la caverne.

Zagul ignorait ce qui se tramait mais un sentiment s’imposa à son esprit. Il lâcha ses outils et s’élança vers la sortie.

Le frémissement s’accentua, puis de fortes vibrations secouèrent son univers. Par plaques entières, du salpêtre chutait en pluie sur le sol, pulvérisant une poussière aveuglante. Une secousse plus violente fit chanceler Zagul au point qu’il tomba à la renverse. Son dos heurta une pierre pointue et il perdit connaissance, les reins brisés.

Lorsqu’il recouvra ses esprits, une nuit angoissante avait envahi la caverne. Zagul essaya de se relever mais ses jambes refusaient de lui obéir. Quelque part à côté de lui, il sentait une présence humaine dont il percevait les sanglots. À la lueur du feu finissant, il comprit pourquoi la lumière du soleil ne brillait plus. Le plafond de la grotte s’était effondré sur une bonne longueur, obstruant tout passage vers l’air libre. Zagul tenta de grogner un son vers la forme gémissante mais seul un sifflement parvint à s’échapper de sa gorge, asséchée par les fumées épaisses. Ses poumons se gonflaient à l’extrême sans qu’il en ressente le moindre plaisir. Au contraire, cela le brûlait horriblement. Les braises du foyer, qui n’éclairait maintenant plus rien, achevaient de consumer l’oxygène. Une nuit éternelle enveloppa de néant la partie intacte de la caverne où il gisait. Les pensées de Zagul vacillèrent à nouveau.

Sans souffrance, il sombra dans le gouffre apaisant d’une mort prématurée.