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RUINES
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Qu’est-ce que tu fabriques, Arlen ? se demanda-t-il tandis que sa torche éclairait de manière attrayante l’escalier de pierre qui descendait dans le noir. Le soleil était bas et il lui faudrait plusieurs minutes pour revenir au campement, mais les marches l’attiraient d’une manière inexplicable.
Cob et Ragen l’avaient pourtant prévenu. L’espoir de trouver un trésor dans des ruines poussait les Messagers à prendre des risques. Des risques stupides. Arlen savait que c’était le cas en ce moment même, mais il ne pouvait résister à l’envie d’explorer les « points perdus sur la carte», comme disait le Confesseur Ronnell. L’argent gagné comme Messager payait ces expéditions qui l’entraînaient parfois à plusieurs jours de la route la plus proche. Mais tous ses efforts n’avaient, jusqu’à présent, pas été récompensés : il n’avait rien trouvé de valable.
Il repensa au tas de livres de l’ancien monde qui était tombé en poussière lorsqu’il avait tenté de les ramasser. À l’épée rouillée qui lui avait entaillé la main et l’avait tellement infectée qu’il avait cru que son bras était en feu. À la cave à vins qui s’était effondrée et l’avait bloqué pendant trois jours avant qu’il parvienne à s’en sortir en creusant, sans même avoir récupéré une bouteille. Fouiller les ruines ne payait jamais et il savait qu’un jour cela causerait sa perte.
Fais demi-tour, s’exhorta-t-il. Mange un morceau. Vérifie tes runes. Repose-toi.
— Que la nuit t’emporte ! pesta Arlen en descendant les escaliers.
Le jeune homme avait beau se faire des remontrances, son cœur battait d’excitation. Il se sentait bien plus libre et vivant qu’il l’avait jamais été dans les Villes Libres. C’était pour cela qu’il était devenu Messager.
Il arriva au pied de l’escalier, s’essuya le front d’un revers de manche et but un peu d’eau à sa gourde. Il faisait si chaud qu’il était difficile d’imaginer que, après le coucher du soleil, la température dans le désert, à la surface, deviendrait glaciale.
Il emprunta un couloir dont le sol était couvert de gravier. La lumière de sa torche dansait, créant des ombres démoniaques sur les murs de pierres taillées. Est-ce qu’il existe des démons de l’ombre ? se demanda-t-il. Il ne manquerait plus que ça. Il soupira. Il ignorait tellement de choses.
Il avait beaucoup appris durant les trois dernières années, en absorbant comme une éponge les connaissances d’autres cultures et leurs façons de lutter contre les chtoniens. Il avait passé des semaines à étudier les démons de bois dans les forêts angieriennes. À Lakton, il s’était familiarisé avec d’autres bateaux que les petites barques à deux places utilisées à Val Tibbet et avait récolté, pour prix de sa curiosité envers les démons de l’eau, une cicatrice plissée sur le bras. Il avait eu de la chance : en plantant fermement ses pieds, il avait pu tirer sur le tentacule pour faire sortir le chtonien de l’eau. Incapable de supporter l’air, la créature cauchemardesque l’avait lâché et était repartie sous l’onde. Il avait passé des mois, là-bas, à apprendre les runes d’eau.
Fort Rizon ressemblait beaucoup à son foyer. Il s’agissait moins d’une ville que d’un assemblage de communautés paysannes, s’épaulant les unes les autres pour soulager les pertes inévitables dues aux chtoniens qui traversaient les poteaux de protection.
Mais Fort Krasia, la Lance du Désert, était la ville préférée d’Arlen. Krasia au vent cinglant, où les journées étaient brûlantes et où les nuits froides voyaient surgir des dunes les démons de sable.
Krasia où l’on se battait encore.
Les hommes de Fort Krasia ne s’étaient pas laissé aller au désespoir. Chaque nuit, ils enfermaient leurs femmes et leurs enfants, prenaient leurs lances et leurs filets et faisaient la guerre aux chtoniens. Leurs armes, tout comme celles que portait Arlen, ne pouvaient guère transpercer l’épaisse peau des chtoniens, mais elles piquaient les démons et suffisaient à les repousser vers des pièges de runes, où ils restaient enfermés jusqu’à ce que le soleil rouge du désert se lève et les réduise en cendres. Leur détermination l’inspirait.
Malgré tout ce qu’il avait appris, Arlen avait encore soif de connaissance. Chaque ville lui enseignait quelque chose que les autres ignoraient. Les réponses qu’il cherchait devaient bien se trouver quelque part.
Et il s’était donc retrouvé dans cette ruine. À moitié enterrée dans le sable, presque disparue, sauf sur une carte krasienne prête à tomber en poussière découverte par Arlen, la ville de Soleil d’Anoch était restée inviolée pendant des centaines d’années. La majeure partie de sa surface s’était effondrée ou avait été érodée par le vent et le sable, mais les niveaux inférieurs, creusés dans le sol, étaient intacts.
Arlen s’engagea dans un couloir et eut le souffle coupé. Devant lui, dans la faible lumière tremblante de la torche, il vit des symboles gravés dans des piliers de pierre, de chaque côté du couloir. Des runes.
Il en approcha la torche et les inspecta. Elles étaient vieilles. Très anciennes. L’air qui les entourait était vicié par le poids des siècles. Il prit du papier et un crayon dans son cartable pour les décalquer, puis, la gorge serrée, il reprit son avancée, faisant voleter la poussière des ans sous ses pas.
Au bout du couloir, il arriva devant une porte de pierre ornée de runes décolorées et ébréchées. Arlen n’en reconnut que quelques-unes. Il sortit son carnet et copia celles qui étaient en assez bon état pour être encore utiles, puis alla examiner la porte.
Il s’aperçut qu’il s’agissait plus d’une dalle que d’une porte, car rien ne la retenait en place sinon son propre poids. Il prit sa lance et s’en servit de levier, calant la pointe métallique dans la jointure entre la dalle et le mur. Il tira et la pointe de la lance se brisa.
— Par la nuit ! pesta-t-il.
Si loin de Miln, le métal était rare et cher. Refusant d’abandonner, il prit un marteau et un burin dans son sac et frappa le mur. Le grès céda facilement et il eut bientôt creusé un trou assez grand pour y passer la hampe de sa lance. L’arme était épaisse et solide et, cette fois, lorsque Arlen fit levier de tout son poids, il sentit la grande dalle bouger légèrement. Mais le bois risquait de se casser avant qu’il réussisse à la déplacer.
Il se servit du burin pour arracher les pavés à la base de la porte et creusa un profond sillon dans lequel elle pourrait tomber. S’il parvenait à la déplacer jusque-là, son élan la ferait chuter.
Il reprit la lance et tira de nouveau. La pierre résista, mais Arlen persévéra, les dents serrées par l’effort. Finalement, la dalle chuta dans un bruit tonitruant, laissant une étroite ouverture dans le mur poussiéreux.
Arlen entra dans ce qui semblait être une chambre funéraire empestant l’air vicié. Ce dernier fut aussitôt renouvelé par un souffle plus frais venu du couloir. Il leva sa torche et découvrit de petites silhouettes stylisées peintes en couleurs vives sur les murs, représentant d’innombrables combats entre humains et démons.
Des combats que les humains semblaient remporter.
Au centre de la pièce se trouvait un cercueil d’obsidienne, grossièrement taillé pour représenter un homme tenant une lance. Arlen s’en approcha et remarqua les runes sur toute sa longueur. Il tendit un bras pour les toucher et s’aperçut que ses mains tremblaient.
Il savait qu’il ne restait que très peu de temps avant le coucher du soleil, mais il n’aurait pu repartir tout de suite, même si tous les démons s’étaient dressés face à lui. Il inspira profondément, s’approcha de la tête du sarcophage et poussa fort, de façon à incliner le couvercle pour qu’il touche le sol sans se briser. Arlen savait qu’il aurait d’abord dû copier les runes avant de l’ouvrir, mais prendre le temps de les décalquer l’aurait obligé à revenir au matin et il était tout simplement incapable d’attendre.
La lourde pierre remua lentement et l’effort fit rougir le visage d’Arlen. Tous ses muscles étaient bandés. Il posa un pied sur le mur le plus proche pour y prendre appui. Avec un cri qui résonna dans le couloir, il pesa de toutes ses forces et le couvercle glissa, allant s’écraser au sol.
Arlen se désintéressa aussitôt de la stèle et regarda le contenu du grand cercueil. Le cadavre enveloppé à l’intérieur était remarquablement bien conservé, mais ce ne fut pas lui qui retint son attention. Arlen n’avait d’yeux que pour l’objet serré dans la main bandée : une lance en métal.
Avec déférence, il ôta l’arme de la prise tenace du cadavre et s’émerveilla de sa légèreté. Elle mesurait deux mètres du bout à la pointe, et la hampe était épaisse de plus de deux centimètres et demi. La pointe était assez aiguisée pour faire couler le sang, même après toutes ces années. Arlen n’avait jamais vu un tel métal, mais un autre détail attira vite son attention.
La lance était protégée. Toute sa surface argentée était gravée avec un degré de finesse jamais atteint à l’époque moderne. Arlen n’avait jamais vu de telles runes.
Il se rendit compte de l’énormité de sa trouvaille et, simultanément, qu’il était en danger. Le soleil se couchait. Rien de ce qu’il avait découvert là n’aurait d’importance s’il mourait avant de pouvoir le rapporter à la civilisation.
Il saisit sa torche, sortit précipitamment de la chambre funéraire, traversa le couloir en courant et monta les escaliers quatre à quatre. Il fonça dans le dédale de couloirs, se dirigeant à l’instinct, espérant tourner aux bons endroits.
Il trouva enfin la sortie vers les rues poussiéreuses et à demi ensevelies, mais ne vit aucun rayon de lumière filtrer sous la porte. En s’approchant, il s’aperçut que le ciel était encore coloré. Le soleil venait à peine de se coucher. Son campement était à portée de vue et les chtoniens commençaient juste à sortir de terre.
Sans s’arrêter pour réfléchir à ce qu’il faisait, Arlen lâcha sa torche et se précipita hors du bâtiment, soulevant du sable et zigzaguant entre les démons de sable.
Ces derniers étaient plus petits et plus agiles que leurs cousins, les démons de pierre, mais faisaient néanmoins partie des chtoniens les plus forts et les mieux cuirassés. Ils étaient pourvus de petites écailles pointues couleur de sable au lieu des grosses plaques d’un gris charbonneux des démons de pierre, et ils couraient à quatre pattes quand les autres se tenaient, voûtés, sur deux jambes.
Mais leurs visages étaient semblables : des rangées de dents dépassant de leurs mâchoires jusqu’au groin, et des naseaux remontés jusque sous leurs grands yeux dépourvus de paupières. Des os épais partant de leur front, longeaient le crâne vers le haut, puis vers l’arrière, traversant les écailles pour former des cornes pointues. Alors qu’ils se matérialisaient dans le sable cinglant, leurs fronts étaient constamment parcourus de tressaillements.
Et comme ils chassaient en meute, les démons de sable étaient encore plus effrayants que leurs cousins. Ils s’allieraient pour le tuer.
Le cœur d’Arlen se mit à battre la chamade et il oublia ses découvertes. Il traversa les ruines à une vitesse incroyable, sautant par-dessus des piliers écroulés et des pierres éboulées tout en évitant les chtoniens qui prenaient de la consistance.
Les démons avaient besoin de quelques instants pour prendre leurs repères à la surface et Arlen en profita autant que possible, courant jusqu’à son cercle. Il donna un coup de pied dans les pattes d’un démon, le déséquilibrant assez longtemps pour passer. Il fonça vers un autre et ne l’évita qu’au dernier moment, les griffes du monstre ne rencontrant que le vide.
Il reprit de la vitesse à l’approche du cercle, mais un démon se dressait sur son chemin et il n’avait aucun moyen de le contourner. La créature mesurait presque un mètre vingt et sa désorientation initiale était passée. Elle se ramassa, prête à bondir sur lui, en sifflant toute sa haine.
Arlen était si près du but : son précieux cercle n’était qu’à quelques dizaines de centimètres. Sa dernière chance était de forcer le passage et d’atteindre le havre d’une roulade avant que la petite créature puisse le tuer.
Il chargea droit devant, frappant instinctivement avec sa nouvelle lance lorsqu’il atteignit la bête. L’impact provoqua un éclair et Arlen heurta durement le sol. Il se releva au milieu d’un nuage de sable et poursuivit sa course sans oser regarder derrière lui. Il bondit dans son cercle et se retrouva en sécurité.
Essoufflé par l’effort, il leva les yeux vers les démons de sable qui l’entouraient, et dont les silhouettes se découpaient devant le crépuscule du désert. Ils sifflaient et attaquaient ses protections, leurs coups de griffes faisant jaillir de brillants éclairs magiques.
Cette lueur vacillante permit à Arlen de repérer le démon avec lequel il était entré en collision. Il s’éloignait lentement du cercle et de ses congénères, laissant une traînée noir foncé sur le sable.
Le jeune homme écarquilla les yeux, puis les baissa sur la lance qu’il avait toujours à la main.
La pointe était couverte d’ichor de démon.
Réprimant une envie d’éclater de rire, Arlen reporta son attention sur le chtonien blessé. Un à un, ses congénères cessèrent leurs assauts sur les runes du jeune homme et humèrent l’air. Ils se retournèrent, regardèrent la traînée d’ichor puis le démon blessé.
La meute se jeta sur la créature en hurlant et la déchiqueta.

Le froid de la nuit du désert obligea finalement Arlen à quitter des yeux la lance en métal. Plus tôt, en établissant le campement, il avait fait un feu ; il en raviva les braises pour le rallumer et put ainsi se réchauffer et manger. Fend l’Aube, entravé dans son cercle, avait une couverture sur le dos. Il l’avait brossé et nourri avant de partir explorer les ruines.
Comme toutes les nuits depuis trois ans, le Manchot arriva peu après le lever de la lune, en bondissant sur les dunes et en écartant les chtoniens plus petits pour venir se placer devant le cercle d’Arlen. Le jeune homme l’accueillait toujours en frappant dans ses mains. Le Manchot répondait en grognant toute sa haine.
Lorsqu’il était parti de Miln, Arlen s’était demandé s’il trouverait un moyen de dormir avec le fracas du Manchot frappant ses runes, mais il y parvenait désormais sans problème. Son cercle de protection avait prouvé son efficacité à de nombreuses reprises et Arlen l’entretenait méticuleusement, laquant souvent les plaques et raccommodant régulièrement la corde.
Il détestait pourtant le démon. Les années n’avaient pas engendré chez lui l’espèce d’affinité qu’avaient ressentie les gardes sur la muraille de Fort Miln. Le Manchot se rappelait qui l’avait estropié tout comme Arlen se souvenait à qui il devait les cicatrices plissées dans son dos qui avaient manqué de lui coûter la vie. Il se rappelait aussi les neufs Protecteurs, les trente-sept gardes, les deux Messagers, les trois Cueilleuses d’Herbes et les dix-huit citoyens de Miln morts à cause de lui. Il observa le démon en caressant sa nouvelle lance d’un air absent. Que se passerait-il s’il le frappait ? L’arme avait blessé un démon de sable. Les runes agiraient-elles aussi sur un démon de pierre ?
Il lui fallut faire appel à toute sa volonté afin de repousser l’envie de bondir hors de son cercle pour aller vérifier.

Arlen n’avait presque pas dormi lorsque le soleil ramena les démons dans le Cœur, mais il se leva de bonne humeur. Après le petit déjeuner, il prit son carnet et examina la lance pour copier méticuleusement toutes les runes et étudier les motifs qu’elles formaient sur la hampe et la pointe.
Lorsqu’il eut terminé, le soleil était haut dans le ciel. Il prit une autre torche, retourna dans les catacombes et reproduisit les runes gravées dans la pierre en les recouvrant d’une feuille et en y frottant un crayon. Il y avait d’autres tombes et il fut tenté d’aller à l’encontre du bon sens et de toutes les explorer. Mais s’il restait une journée de plus, il n’aurait pas assez de nourriture pour tenir jusqu’à l’Oasis de l’Aube. Il avait pris un risque en présumant qu’il trouverait un puits dans les ruines de Soleil d’Anoch, risque qui s’était révélé payant, mais la végétation était rare et non comestible.
Arlen poussa un soupir. Les ruines étaient là depuis des siècles. Elles y seraient encore lorsqu’il reviendrait, avec un peu de chance en compagnie d’une équipe de Protecteurs krasiens à ses côtés.
Lorsqu’il sortit, le jour tombait. Arlen prit le temps de faire courir et de nourrir Fend l’Aube, puis il se prépara à manger, préoccupé.
Les Krasiens demanderaient des preuves, évidemment. Des preuves que la lance pouvait tuer. Il s’agissait de guerriers, pas de fouilleurs de ruines et, sans une raison valable, ils n’enverraient pas dans une expédition un seul homme apte au combat.
Une preuve, pensa-t-il. Et il était tout naturel que ce soit lui qui l’apporte.
Comme il restait à peine une heure avant le coucher du soleil, Arlen commença à préparer son campement. Il entrava son cheval et vérifia les runes du cercle portatif qui l’abritait. Il prépara son propre cercle de trois mètres de diamètre comme d’habitude, puis prit des plaques gravées de runes dans son sac et les disposa au-dehors, créant ainsi un deuxième anneau de douze mètres de diamètre. Il plaça les plaques légèrement plus loin les unes des autres qu’habituellement et les aligna soigneusement. Il y avait un troisième cercle portatif dans les sacoches de la selle – Arlen en gardait toujours un de rechange – et il installa également celui-ci dans le campement, au bord du cercle le plus grand.
Lorsqu’il eut terminé, le jeune homme s’agenouilla dans le cercle central, la lance à ses côtés, et inspira profondément, pour se vider l’esprit de tout ce qui pourrait le distraire. Il ne regarda pas le soleil se coucher, ni le sable luire à l’horizon avant de s’assombrir.
Les agiles démons de sable s’élevèrent les premiers et Arlen entendit les runes de son cercle extérieur crépiter et étinceler en les repoussant. Quelques instants plus tard, il entendit les grognements du Manchot qui écartait les démons plus petits de son chemin pour s’approcher du cercle extérieur du jeune homme. Arlen fit comme si de rien n’était et continua à respirer profondément, les yeux fermés, l’esprit en paix. Son manque de réaction ne fit qu’attiser la colère du démon qui frappa puissamment contre les protections.
La magie s’embrasa, visible même à travers ses paupières fermées, mais le démon interrompit finalement son assaut. Arlen ouvrit les yeux et vit le Manchot pencher curieusement la tête sur le côté. Arlen se permit d’afficher un sourire ironique.
Le Manchot se remit à frapper le maillage, encore et encore, avant de s’arrêter de nouveau. Cette fois, le démon poussa un cri perçant et cala ses pieds avant d’assener de nouveau son unique bras, toutes griffes dehors, sur les protections. Comme s’il appuyait sur une paroi de verre, le démon se pencha en avant et hurla de douleur tout en augmentant la pression contre les runes. Là où ses griffes touchaient la barrière, une intense magie se répandait et, sous le poids du démon, elle ployait de façon visible dans l’air.
Avec un bruit qui glaça même le sang d’Arlen, le démon de pierre fléchit ses jambes cuirassées et traversa le filet de protection pour tomber dans le cercle. Fend l’Aube gémit et tira sur ses entraves.
Arlen se leva en même temps que le Manchot et leurs regards se croisèrent. Les démons de sable, plus faibles, tentaient désespérément de réitérer l’exploit du Manchot, mais les plaques de protection avaient été espacées d’une façon précise et aucune autre créature ne pouvait rassembler la force nécessaire pour traverser. Les petits chtoniens hurlèrent de frustration face à la barrière en assistant à la confrontation qui avait lieu à l’intérieur du cercle.
Même s’il avait grandi depuis leur première rencontre, Arlen se sentait aussi minuscule face au Manchot que lors de cette terrifiante première nuit. De ses pieds griffus jusqu’au bout de ses cornes, le démon de pierre mesurait près de cinq mètres, trois fois la taille d’un homme. Arlen était obligé de lever la tête pour croiser le regard du chtonien, rivé sur lui.
La gueule du Manchot s’ouvrit, révélant des rangées de dents aiguisées comme des lames, couvertes de bave, et la créature fit jouer ses griffes semblables à des poignards pour provoquer son adversaire. Il bomba son torse cuirassé d’une carapace noire qu’aucune arme connue ne pouvait percer. Sa queue couverte de piques, qui battait de gauche à droite, aurait pu faire voler un cheval d’un simple coup. Son corps fumait, car il s’était brûlé en traversant le filet, mais l’évidente souffrance ne semblait que le rendre plus dangereux : un titan devenu fou de douleur.
Arlen sortit du cercle en serrant dans ses mains la lance de métal.