28 avril 2001

 

 

 

 

La nuit est en train de s'éclaircir. Le soleil est déjà certainement debout dans plein d'endroits, ici il paresse. Naïs non. Naïs est assise dans le lit, les bras croisés sur les seins. Elle pleure. Stephen le sait parce qu'il a ouvert les yeux sans qu'elle s'en aperçoive. Il les a refermés aussitôt. Si elle pleure, c'est qu'elle doit pleurer. Il faut la laisser faire.

Ce n'est cependant pas une raison pour se réfugier dans la lâcheté.

— Besoin de parler ?

Mi-soupir, mi-sourire, elle ne le regarde pas.

— De t'injurier, peut-être.

Elle tourne la tête vers lui. Il se redresse sur un coude.

— Pas l'habitude ?

— Pas vraiment, non.

— Gênée ?

— Malheureuse.

Elle renifle et détourne le regard vers la fenêtre.

— Et ça, pas l'habitude non plus.

— Aïe.

Nouveau petit rire soupiré.

— Tu compassionnes ?

— On ne dit pas « compatis » ?

— Trop condescendant.

— Moi, tu sais, les mots en con-...

Rire plus net.

— On ne dit pas « à la con » ?

— En parlant de mes remarques, uniquement. Ça a un rapport avec ma délicatesse naturelle, je crois.

Un rire, un vrai.

— Tu devrais te rendormir avant que je ne te saute dessus, Steph.

Au premier degré, même sous forme de plaisanterie, il n'est pas sûr d'apprécier le rappel de vaccin. Au second, il n'entend pas se laisser mettre hors jeu par une fin de non-recevoir habilement distillée.

— Si je fais juste semblant en fermant les yeux, on peut continuer à parler sans que tu t'exposes à une cuisante et douloureuse déception ?

Un vrai soupir, cette fois.

— Je m'excuse. Je voulais juste t'envoyer paître avec quelque chose de drôle.

Elle est en train de se refermer.

— Je m'excuse aussi. J'avais compris l'intention, mais c'est un sujet que je ne trouve pas très drôle.

— On ne peut pas rire de tout. Rendors-toi, Steph. Elle quitte le lit, en fait le tour, enfile ses vêtements et sort de la chambre. Les mains croisées sous le crâne, les yeux bien ouverts et perdus dans le lambris du plafond, Stephen se dit qu'il vient de rater une occasion, ce qui est déplorable avec quelqu'un qui se livre au compte-gouttes. Puis il prend conscience que ce souci démontre qu'il vient de faire un grand bond en arrière. Plutôt que se demander pourquoi, il se demande quand et découvre que c'est en parlant avec son père. En un sens, Naïs avait tort : c'est à ce moment seulement qu'il l'a réintégrée dans l'humanité.

La porte se rouvre. Naïs la referme derrière elle, s'appuie dessus mais garde les mains sur la poignée, dans son dos.

— Je ne veux pas en discuter, pas maintenant. D'accord ?

Il se redresse et hoche la tête.

— J'ai dépassé ma peur du viol, j'ai dépassé ma peur de l'homme, j'ai dépassé ma peur du sexe, je suis même venue à bout de la frigidité. (Sa voix tremble.) J'ai fait tout ça par étapes, seule, alors que le moindre attouchement, la moindre allusion étaient des agressions insupportables. J'ai tué chaque fois que l'agresseur faisait prévaloir ses instincts sur ma liberté. J'aurais pu démolir, physiquement ou psychologiquement, mais j'ai tué. C'était plus simple, c'était plus définitif. C'était surtout avant que je ne sois sûre de moi, avant que je ne discrimine mieux les intentions, avant que l'orgasme ne me soit aussi naturel qu'à n'importe quelle femme. Et ça aussi je l'ai dépassé. Alors crois-moi : personne ne respectera mieux que moi ta liberté de disposer de ton corps et de la libido, et personne ne fera plus attention que moi à ton refus d'être sollicité.

» Je peux très bien me débrouiller avec ce qu'il y a là... (La plupart des gens auraient désigné leur cœur ou leur estomac, elle, elle se touche le front) ... mais ne démarre pas au quart de tour quand je fais un trait d'humour ou quand je te charrie. C'est déjà bien assez frustrant de se surveiller en permanence pour ne pas te frôler et de ne rien pouvoir oser de tendre ou de suggestif.

Elle se retourne et elle sort. Stephen n'a pas le temps de mettre en pensées le nœud qui s'est formé dans son estomac, elle réapparaît aussitôt et s'appuie de nouveau contre la porte.

— Je ne suis pas normale, je ne le serai jamais.

Elle s'apprête à le laisser encore. Il l'arrête.

— C'est ce qui te chagrine ?

— C'est que ça me ferme toutes tes portes.

Cette fois, il la laisse sortir et elle ne revient pas.

 

 

La journée se passe avec Daddy et Maman pour l'un, avec Margaret et Gabriel pour l'autre. Elle ressemble à ce que tous quatre en attendaient, malgré une forte amplitude d'espérances. Personne ne commet d'impair, mais Stephen finit par comprendre qu'il est le seul à en avoir le pouvoir. Alors, pendant le dîner, il en use.

— Naïs et moi vous quittons lundi matin.

— Vous rentrez sur Montréal ? demande Gabriel pour empêcher Margaret d'exprimer sa déception.

— Je voudrais écrire un bouquin sur la criminologie. J'ai des recherches à faire et des gens à rencontrer. Et j'en profiterai pour revoir quelques vieux copains. Je n'ai repris contact avec personne depuis que je suis revenu.

 

 

Il y a longtemps que Naïs ne tient plus en place lorsque Margaret et Gabriel montent se coucher. Stephen prend deux torches et deux coupe-vent dans un placard sous l'escalier. Il tend un coupe-vent et une torche à Naïs, puis il ouvre la porte du séjour.

— Une petite balade digestive ?

Ils font une cinquantaine de mètres avant de prononcer un mot. Stephen éclaire le chemin qui s'enfonce dans la forêt avec sa torche. Naïs avance à sa hauteur, sur sa gauche, torche éteinte. C'est elle qui rompt le silence :

— Les vieux copains dont tu parlais sont dans la police, c'est ça ?

— On ne peut rien te cacher.

— Tu as vraiment l'intention de coller le fbi devant les tribunaux ?

— Oui.

Elle hausse les épaules.

— Tu sais ce que j'en pense. Et cette histoire de bouquin, c'est sérieux ?

— Très.

— Une thèse ou une vulgarisation ?

— Au départ, j'envisageais une thèse ou, au moins, un outil pour les étudiants, voire pour les criminologues en poste. Maintenant, je pense devoir toucher aussi le grand public. Je rédigerai donc une thèse à vocation universitaire et j'en tirerai un bouquin pour une diffusion moins confidentielle. En fait, je m'étais dit que je pouvais enseigner.

Elle rit. Il sourit :

— C'est aussi la conclusion à laquelle je suis arrivé. Je crois que la situation d'écrivain conférencier sera moins difficile à assumer.

— Elle te permettra de voyager.

— De ne pas être coincé dans une fac, en effet.

— En Grèce, tu m'as dit que tu n'avais pas l'ombre d'un talent littéraire. Tu as changé d'avis ?

— C'est surtout que je ne pensais pas avoir la matière. Aujourd'hui je l'ai.

— J'imagine que je fais partie de cette matière.

Stephen secoue lentement la tête.

— L'expérience acquise en bossant sur le dossier Ann X en fait partie, indiscutablement. Pour ce qui te concerne plus directement, j'ai encore beaucoup à apprendre.

Naïs regarde droit devant elle, pour ne pas montrer sa fébrilité.

— Et tu as envie d'apprendre ?

— Je le dois.

— Je parlais d'envie, pas de devoir.

— Je n'en sais rien, Naïs. Ce matin, tu as réussi à me culpabiliser. Je me suis senti minable et égoïste, alors j'ai décidé de ne plus te regarder uniquement comme une composante de mon univers professionnel. Il m'est apparu que c'est le moins que je dois à n'importe quel être humain. J'ai donc pris une décision intellectuelle. L'envie, si elle existe, n'est motivée que par des considérations égocentriques.

— Je te l'avais dit. Je suis un bon sujet d'étude.

La remarque l'agace, mais l'irritation provient de sa propre froideur.

— Et un excellent cobaye. Tu es aussi un monstre bien réel et un danger public permanent. Tu veux que je te lance d'autres fleurs ?

— Tu te fais du mal tout seul, là.

Il soupire.

— Je crois que je me comprends encore moins bien que je ne te comprends. Mon apathie et mon détachement m'effraient en tout cas beaucoup plus que ta socio et ta psychopathie. Et le pire n'est pas que Nadja me voit exactement comme je te vois, mais que j'en arrive, moi, à me demander si mon passif n'est pas beaucoup plus lourd que le tien. Je n'ai jamais rien donné à personne et je n'attends rien de qui que ce soit. J'ai une vision du monde dont je peux toucher les limites en tendant le bras, une perception du temps qui ne fait pas la différence entre une seconde et un siècle et un intérêt pour autrui digne d'un autiste au dernier stade de la maladie d'Alzheimer. Je peux me faire du mal, j'aurai oublié demain matin.

La main gauche de Naïs se lève, mais elle arrête son geste avant de toucher celle de Stephen. Ils continuent à marcher en silence et c'est encore elle qui le brise :

— Qu'attends-tu de moi, Steph ?

Il s'arrête net.

— Sois gentille, n'inverse pas les rôles.

Elle se plante en face de lui.

— Je t'ai déjà dit ce que j'attendais de toi. Que puis-je ajouter ? Ce que je veux pour moi ? C'est assez simple. À part ce dont je n'ai pas le droit de parler, je veux en finir avec Ann X. J'ai juste ?

Il aimerait voir ses yeux, mais la lune montante est encore loin d'être pleine et il n'ose pas relever le faisceau de sa torche.

— Que signifie « en finir avec Ann X » ?

— Mettre un terme à sa macabre carrière.

Il relève juste un peu le faisceau de la torche, insuffisamment pour éclairer son visage. Alors elle allume la sienne, la positionne sur une souche à trois mètres d'eux et revient se placer dans la lumière, de trois quarts face, pour qu'il la voie bien.

— Éteins la tienne. Pas la peine de mettre les deux batteries à plat.

Il s'exécute.

— Que dois-je comprendre ?

Elle fait un pas en avant, laissant moins d'un mètre entre eux. Maintenant, il voit bien ses yeux.

— Que j'ai vingt-huit ans, que je suis amoureuse de quelqu'un qui ne supporte pas ce que je suis, qu'aucun de nous ne pourra oublier la préhistoire, l'antiquité et l'histoire, mais que moi j'ai envie d'attaquer une page toute blanche et de tenir un journal que je pourrai un jour lire sans regrets. Donc, je répète : qu'attends-tu de moi ?

Il baisse la tête.

— Ça aussi, je n'en sais rien.

— Tu veux que je disparaisse ?

Il s'oblige à la fixer de nouveau.

— Je ne sais pas. Je... je ne sais pas, vraiment.

Elle tremble. Il ne sait même pas depuis quand. Il est seulement sûr que ça ne vient pas de commencer.

— Quand on sera à Montréal, tu veux que je te laisse et... (elle déglutit) ... que je revienne plus tard. Quand tu auras fini ton bouquin, par exemple, ou...

Il ferme les yeux. Il secoue la tête. Il se mord la lèvre inférieure.

— Ce serait peut-être mieux, en effet.

Elle pleure, sans bruit, sans spasme, en le regardant droit dans les yeux.

— Mais ce n'est pas ce que je veux, corrige-t-il.

Un sanglot lui secoue la poitrine et lui fait baisser la tête. Elle la relève aussitôt. Les larmes continuent à couler sur ses joues.

— Je ne sais pas, Naïs. Je ne sais rien de ce que je veux, de ce que j'attends de toi, de ce qui pourrait me sortir de cet état. Je suis vide.

Elle cligne des yeux. Elle comprend.

— J'ai peur. Naïs. J'ai une frousse bleue. Pas de toi, et même pas de ce dont tu es capable. J'ai peur de faire un pas dans quelque direction que ce soit. Je suis comme un gosse qui voudrait revenir en arrière, quatre ans en arrière, pour refuser le boulot à Interpol et oublier tout ce qui en a découlé. Et j'ai honte de rêver d'effacer ces quatre petites années d'une existence de fonctionnaire bien épaulé alors que tu as toute une vie d'horreurs à assumer seule.

— C'est à cause de ce que j'ai dit ce matin ?

— C'était plutôt bien vu.

Elle ne pleure plus.

— Je n'échangerais pas ma vie contre celle de quelqu'un d'autre, tu sais ? J'en ai trop bavé pour en arriver là.

— Et tu serais quelqu'un d'autre, et nous n'aurions pas cette discussion. Je sais, mais cela ne me facilite rien.

— Tu vas encore m'accuser d'inverser les rôles, mais que puis-je faire pour...

— Tu pourrais commencer par m'expliquer comment tu comptes mettre un terme à la carrière d'Ann X.

Elle hausse les sourcils.

— Ça ne va pas te plaire.

— Je m'en doute.

— Mais je suis ouverte à toute suggestion.

— Pardon ? (Avant qu'elle ne réagisse, il ajoute :) Je ne me laisserai pas impliquer dans... dans tes trucs, Naïs. En aucune façon.

Elle va ramasser la torche sur la souche.

— On rentre doucement ? Je commence à avoir froid.

Il fait demi-tour. C'est elle qui éclaire le chemin maintenant.

— Je ne vois pas comment ne pas t'impliquer, Steph. Cela me paraît d'autant plus difficile que tu le ferais, que tu le feras de ta propre initiative, puisqu'il faut aussi boucler le dossier à Interpol.

— Je n'ai plus rien à voir ni à faire avec Interpol.

— C'est à toi de juger.

— En fonction de quoi ?

— Des blancs que je vais combler.

— Quels blancs ?

— Le nom de la personne qui a effacé mon nom de tous les documents dès 85. Cette même personne qui a financé mes études à l'institut de Fribourg. Quelqu'un qui m'a protégée, aidée, couverte, avant de se servir de moi comme d'un épouvantail, d'un prête-nom, d'un cobaye et aujourd'hui d'une cible. Celui dont ton dernier rapport dit qu'il est la face cachée du dossier et qu'on ne peut pas refermer ce dernier sans l'avoir lui aussi mis sous les verrous.

Inutile de se le cacher : Stephen est intéressé.

— Continue.

— Comme toi, il ne m'était pas venu à l'idée qu'une seule personne puisse tirer toutes les ficelles. Pendant longtemps, en fait, c'était le cadet de mes soucis. Puis, quand j'en ai eu marre d'avoir ses pisteurs au train, quand j'ai commencé à faire des petits trous, je me suis mise à l'évoquer comme un groupe occulte au sein des hautes sphères gouvernementales. Le groupe existe, il a des ramifications au Pentagone, à la Maison-Blanche et dans tous les services secrets, mais c'est plus un lobby militaro-industriel qu'autre chose et une seule personne parmi son très officieux directoire se préoccupe de mon existence. A ma connaissance, en tout cas.

— Je sentais bien quelque chose comme ça. Qui est-ce ?

— Magnat de l'armement, pas mal d'intérêts aussi dans la pétrochimie et le tabac, il était sénateur républicain en 85, il passait beaucoup de temps dans le bureau ovale et il était pressenti pour l'occuper un jour. Disons que ses amis lui ont préféré Bush père, plutôt que courir le risque de voir resurgir Berlin à un moment inopportun. Il a d'ailleurs mis un terme à sa carrière politique avant la réélection de Reagan, alors que celle-ci avait commencé comme démocrate sous l'aile de Johnson.

— Berlin ? Tu veux dire que c'était la cinquième personne à table ?

— Son patron.

Stephen s'arrête. Elle glisse un bras sous le sien et le pousse à avancer.

— J'ai vraiment froid.

Et c'est vrai qu'elle frissonne. Du coup, il n'ose pas la repousser.

— Depuis quand sais-tu tout ça ?

— Depuis six ou sept semaines. Grâce aux codes de Delaunay, j'ai découvert pas mal de choses. Que mes parents avaient changé d'identité lorsque j'avais deux ans, par exemple. Le nom sous lequel je croyais être née n'était pas le bon, tu te rends compte ? Même moi j'ignorais qui j'étais.

— Pourquoi quelqu'un a-t-il pris la peine de gommer le faux des archives, alors ?

— Parce que la cia conserve les dossiers complets de tous ses agents et que certains des amis de l'effaceur y sont aussi influents que lui. Aujourd'hui, c'est lui qui se trouve au sommet de la pyramide, en partie parce qu'il a éliminé les amis les plus gênants, en partie parce qu'il fait la pluie et le beau temps au Texas et en Floride, donc depuis peu à la Maison-Blanche, mais cela n'a pas toujours été le cas.

— Tu veux dire qu'il a des liens avec Jr ?

— Des liens ? Il fait partie de ceux qui l'ont littéralement fabriqué, alors que même Senior et les leaders du parti n'y croyaient pas. En 85, notre bonhomme a dû mettre un terme à ses ambitions politiques. Il ne lui restait plus qu'à se préserver en étouffant l'affaire. Il a subi d'énormes pressions, mais c'est un homme habile, puissant et patient. Il a pris la tête du lobby qui l'a privé de Maison-Blanche et il l'a conquise à sa façon, en se servant de moi, sporadiquement, pour écarter des adversaires politiques ou économiques. Enfin, pas de moi, d'Ann X. Avec le temps, je suis devenue un fardeau dangereusement incontrôlable, alors qu'il dispose d'un passe à la nsa, à la cia, au fbi, et qu'il a des alliés aussi puissants que des États, quand ce ne sont pas les États eux-mêmes. Tout ça sans que son nom n'apparaisse nulle part.

Ils approchent de la maison.

— Je peux t'aider à prouver qu'il a financé ma prise en charge, qu'il a maquillé le dossier Ann X depuis 85, que Delaunay était un de ses hommes de main, que le laboratoire dans lequel j'ai été internée en 95 lui appartient par sociétés écrans interposées et qu'il s'agit d'un centre de recherche d'un genre très particulier.

— Sur les chaînons manquants.

— Si tu veux.

Ils sont devant la porte.

— Pourquoi as-tu besoin de moi ?

— Parce que je suis la personne la plus mal placée du monde pour présenter ce genre de preuves auprès de je ne sais d'ailleurs qui. On rentre ? Je suis gelée.

Stephen attend qu'ils se soient enfermés dans la chambre pour reprendre la discussion.

— Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé avant ?

— J'attendais que tu t'y intéresses.

— Tu es gonflée !

— En un mois, tu aurais pu me poser des milliers de questions sur le dossier dont tu t'es débarrassé ou tout simplement sur moi. Tu n'en as pas posé dix, parce que tu ne voulais rien savoir. Tu l'as dit toi-même : tu voudrais que je n'aie jamais existé ou, au moins, que nos routes ne se soient jamais croisées. Tu refais une tentative par terre ou tu te couches directement dans le lit ?

Il ne répond pas. Il se déshabille et il s'allonge sur un côté du matelas. Elle en fait le tour, se dénude aussi et s'installe à l'autre bout.

— Si ce... marionnettiste est aussi puissant que tu le dis. Je doute que qui que ce soit puisse ou veuille s'en prendre à lui.

Elle a un petit rire.

— Personne n'est intouchable, Steph, surtout pour moi.

C'est à peu près ce qu'il s'attendait à entendre.

— Si tu pouvais l'approcher sans mon aide, tu le ferais.

— Ce serait un massacre.

Ça, par contre, il ne s'y attendait pas.

— Et tu ne veux pas...

— Je me suis dit que tu trouverais une autre solution.

Il en reste sans voix pendant un moment et, quand il la retrouve, elle déraille un peu vers les aigus.

— Que je trouverais une autre solution ?

— Ne t'inquiète pas. À moi aussi ça fait bizarre. Bonne nuit, Steph.