Les quatre voitures de la PJ traversèrent le centre de Vitry et continuèrent leur route pendant un kilomètre. À bord de la première avaient pris place Morturier, Youkphan, et les inspecteurs Flohic et Rachid, chacune des trois autres n'étant occupées que par deux inspecteurs.
Le minibus banalisé de la BRI était garé au bord de la nationale, juste avant l'embranchement que Youkhpan avait indiqué à Morturier sur la carte. La voiture du commissaire passa devant, et le minibus se mit en marche, suivant à une certaine distance. Les trois autres voitures de la PJ se placèrent derrière le minibus. Le petit convoi tourna à droite à l'embranchement et roula encore pendant cinq cents mètres.
« C'est tout près, dit Youkphan, sur la gauche, à cinquante mètres. »
Morturier passa le bras par la portière, l'agita puis fit stopper la voiture. Les autres véhicules s'immobilisèrent, conservant la même distance.
Morturier prit son micro.
« On ne voit pas encore la maison. Ma voiture va s'approcher jusqu'à ce qu'elle soit visible. Nous stopperons à nouveau pour vous permettre de vous rapprocher. Monsieur Youkphan va quitter mon véhicule et rejoindre la voiture n° 4. À partir de là, le plan peut entrer en action. »
Ce plan avait été mis au point pendant l'heure précédente entre le commissaire et le lieutenant Courtade, qui commandait les huit hommes de la BRI.
Les hommes sortirent de leur véhicule et six d'entre eux se postèrent autour de la maison, mais à une certaine distance, de façon à tenir sous leur feu, sans être vus eux-mêmes, la porte d'entrée et les fenêtres de la façade. Les deux autres allèrent prendre position à l'opposé, pour couvrir l'arrière de la construction.
C'était une villa d'assez grande dimension, pourvue probablement de plusieurs pièces, à en juger par le nombre des fenêtres, six au rez-de-chaussée et autant à l'étage. La présence des arbres et des hautes herbes dans le jardin offrait aux policiers d'excellentes possibilités de camouflage.
Dès qu'ils furent en place, Morturier fit avancer sa voiture et la fit garer quelques mètres après la maison. Il en jaillit, suivi des deux inspecteurs qui allèrent se coller contre le mur, de part et d'autre de la porte, tous deux armés d'un pistolet-mitrailleur 9 mm. Morturier sortit son automatique du holster de poitrine et se servit de la crosse comme d'un heurtoir.
Il n'y eut pas de réaction. De l'intérieur ne parvenait aucun bruit. Morturier attendit un instant et frappa à nouveau. Sans résultat.
Il appela Courtade sur son talkie- walkie.
« Nous allons forcer la porte.
— Je ne vous quitte pas de l'oeil.
— Mais n'intervenez qu'à ma demande. Il y a peut-être deux otages là-dedans et il ne faut pas mettre leur vie en péril. »
Il fit signe à Flohic, qui, d'une rafale de HK, fit sauter la serrure, ouvrit la porte d'un coup de pied et se rabattit vivement sur le côté.
Rien ne se passa.
« Nous allons entrer, dit Morturier dans le talkie. À vous de jouer si ça canarde. »
Les deux inspecteurs se précipitèrent à l'intérieur, se positionnant, Rachid vers la droite, Flohic vers la gauche. Morturier entra sur leurs talons, et d'un coup d'oeil prit la mesure des lieux. Il se trouvait dans un hall, avec au fond un escalier montant vers l'étage, à gauche un grand living, à droite une sorte de salle à manger-cuisine. Il sautait aux yeux qu'il n'y avait personne au rez-de-chaussée... Morturier eut un moment d'inquiétude. La maison était-elle vide ? Les trois hommes auraient-ils décidé de filer?
Il entendit soudain des coups sourds provenant de l'étage, des coups répétés, comme si quelqu'un frappait du poing sur une porte.
Il emboucha son mégaphone.
« Nous sommes la police française. Nous sommes nombreux et puissamment armés. Vous n'avez aucune chance de nous échapper. Descendez mains en l'air ! »
Il ne se passa rien pendant deux ou trois minutes. Puis il y eut le bruit d'un pas en haut de l'escalier, précédant l'apparition d'un Asiatique, un pistolet à la main. Flohic se précipita, mais la balle le cueillit avant qu'il eût atteint le bas de l'escalier. Il tomba sur les genoux. Le fusil d'assaut de Rachid et l'automatique de Morturier crachèrent en même temps. L'Asiatique s'écroula et roula dans l'escalier. La maison fut envahie par les hommes de la BRI, qui, enjambant son corps, gagnèrent l'étage. Rachid et l'un des gendarmes transportèrent Flohic à l'extérieur et l'installèrent dans le minibus, qui, comme les trois autres voitures, était venu se placer devant la maison au moment du déclenchement de la fusillade.
Morturier avait rejoint les gendarmes en haut de l'escalier. Il emboucha de nouveau son mégaphone.
« Votre camarade a été abattu. Vous ne vous en tirerez pas. Sortez dans le couloir, mains en l'air. »
Les fusils d'assaut des hommes de la BRI prenaient en enfilade le couloir sur lequel donnait, de part et d'autre de la cage d'escalier, plusieurs portes, toutes fermées.
« S'ils ne se décident pas à sortir, il va falloir nettoyer ces pièces une à une », dit Courtade.
Morturier secoua la tête et répondit à voix basse :
« Trop risqué. Toujours à cause de la présence éventuelle des otages dans l'une de ces pièces. »
Il reprit son mégaphone.
« Nous avons dû abattre votre camarade parce qu'il était armé et avait tiré le premier sur un de nos policiers. Nous n'en ferons autant pour vous que si vous vous montrez menaçants. Sortez mains en l'air et il ne vous arrivera rien. Sinon, dans trois minutes nous donnerons l'assaut.
— J'espère qu'ils comprennent le français, dit Courtade toujours à mi-voix.
— C'est parce qu'ils parlent français qu'ils sont venus chercher refuge en France. »
Il emboucha son mégaphone.
« Deux minutes ! »
Un silence épais s'installa. Tous se figèrent dans une immobilité absolue, le regard concentré sur les portes.
« Une minute ! »
Un léger grincement, venu de la partie droite du couloir, indiqua qu'une porte était en train de s'ouvrir. Très lentement. Les gendarmes ajustèrent leurs armes.
« Nous sommes prêts à sortir. Ne tirez pas. »
La voix avait un fort accent asiatique.
« L'un après l'autre et mains en l'air », dit Morturier.
Deux hommes avancèrent lentement dans le couloir sous la menace des fusils d'assaut puis descendirent l'escalier encadrés par les gendarmes, sans un regard pour le corps de leur camarade. Morturier leur passa les menottes et les fouilla.
« Où sont les clés des chambres ? »
L'un des deux désigna d'un geste du menton le cadavre dans l'escalier.
Morturier les poussa dehors, en fit monter un dans la voiture n° 2, l'autre dans la voiture n° 3. Il demanda à Rachid :
« Et Flohic ?
— Une balle dans la jambe. Pas trop grave, je pense. On lui a mis un garrot et fait une morphine. L'ambulance va être là dans une minute. »
Le commissaire alla jusqu'au minibus où Flohic était allongé sur une banquette.
« C'est ma faute, patron. J'aurais dû me méfier, pas me jeter en avant. Je ne pensais pas qu'il aurait été si rapide.
— T'inquiète pas. Tu t'en sors bien. Et le salopard n'aura plus jamais l'occasion de tirer sur un flic... »
Il se tourna vers Rachid.
« Amène-toi. On va aller voir les chambres. »
Dans l'escalier, il retourna le cadavre du mort, explora les poches et trouva sans peine un trousseau de clés. Il monta à l'étage suivi de Rachid, son H-K sous le coude.
« Vous entendez, patron ? »
Les coups sourds qui s'étaient manifestés avant l'assaut reprenaient avec insistance, paraissant provenir de la dernière pièce, à l'extrémité de la partie gauche du couloir. Dès qu'ils l'atteignirent, la voix leur parvint à travers la porte.
« Patron, j'aimerais bien que vous me sortiez vite de cette putain de chambre. Je suis en train de développer un syndrome de claustrophobie aiguë. »
Morturier poussa un soupir de soulagement et commença à essayer les clés. En quelques secondes il avait ouvert la porte, libérant un Godard jovial.
« J'ai tout de suite reconnu votre voix au mégaphone, patron. J'avais jamais remarqué qu'elle était si harmonieuse...
— Ah oui ! Ben laisse-moi te dire une bonne chose.Tu m'as fait crever d'inquiétude pendant quatre jours. Si tu ne me sers pas une histoire qui se tienne, je t'enferme pendant deux ans à faire du travail de bureau ; tu pourras développer tout à loisir ton syndrome de claustrophobie...
— Aïe ! J'angoisse ! Surtout que si je me suis trouvé dans ce pétrin, c'est par une connerie que j'ai faite, ça c'est vrai. Mais j'aurai quand même des choses à vous raconter, et ça devrait rétablir l'équilibre.
— On verra... Pour le moment, nous allons vérifier toutes les chambres.
— Indispensable, patron. Parce qu'il y a encore un résident, là-bas, de l'autre côté, dans la pièce du fond. »
Ils trouvèrent Sarun, allongé sur le lit, plongé dans une sorte de torpeur.
« Ils lui ont fait absorber des drogues, pour l'abrutir et tenter de le faire parler, dit Godard.
— Parler de quoi ?
— De pierres précieuses. Ils le soupçonnaient de les avoir volées.
— Et il a parlé ?
— J'en sais rien. Mais j'crois pas. Je pense que s'il avait révélé où elles étaient, ils s'en seraient débarrassés en l'envoyant aussi sec faire un tour du côté du paradis de Bouddha. C'est pas des affectueux, les mecs... Mais si vous voulez mon avis, Sarun ne savait rien de cette histoire de pierres.
— Comment sais-tu qu'ils l'ont drogué ?
— Ils m'ont confronté une fois avec lui. J'ai bien vu qu'il était à moitié dans les vapes.
— Et toi, ils t'ont drogué ?
— Non... Ils n'avaient pas besoin de ça. En fait, ils ne m'ont jamais soupçonné d'avoir trempé dans l'histoire des pierres. Ils voulaient seulement savoir si Sarun et moi nous nous connaissions. Moi j'étais surtout pour eux une source d'emmerdements et je suis persuadé qu'ils auraient fini par se débarrasser de moi. Il a mieux valu que vous ne tardiez pas trop à me retrouver, patron !
— Tu sais qui sont ces gars ?
— J'en ai une vague idée. Et vous ?
— On en reparlera tout à l'heure, dans mon bureau. Pour le moment, il faut emmener Sarun dans l'ambulance, et qu'on nous le réveille. J'ai besoin d'entendre ce qu'il a à nous raconter. »