Youkphan tournait en rond dans sa chambre, se
demandant quoi faire. Les choses prenaient très mauvaise tournure.
Lui aussi avait assisté — de loin — à l'intervention des policiers,
rue Baudricourt. Ils avaient donc fini par découvrir le cadavre,
vingt-quatre heures après que lui-même l'avait trouvé allongé sur
le sol dans la pièce du fond, un trou dans la tête... Il savait
qu'il n'avait pas laissé d'empreintes, n'ayant touché à rien dans
l'appartement et surtout pas au corps. Rien qui eût pu trahir son
passage à un moment ou à un autre, avant, pendant ou après le
crime. Il avait même évité de claquer la porte qu'il avait trouvée
entrebâillée en arrivant et qu'il avait poussée d'un simple coup
d'épaule.
Mais il y avait cet homme, celui qui montait
l'escalier au moment où il sortait de
l'appartement. Celui-là l'avait sûrement repéré... Sinon, pourquoi
serait-il venu s'installer, quelques minutes plus tard, au bar de
la discothèque, à quelques mètres de l'endroit où lui-même essayait
de remettre de l'ordre dans ses pensées, eh buvant un alcool, après
la découverte du meurtre ? L'homme avait-il eu la curiosité de
pénétrer derrière lui dans l'appartement, aperçu le corps, et
décidé de le prendre en chasse, lui Youkphan ? Dans quelle
intention? Le dénoncer, le faire chanter ?
Qui pouvait-il être?
Et pourquoi avait-il soudain disparu, comme par
magie ? Après l'avoir vu arriver, lui, Youkphan avait délibérément,
pendant un moment, affecté de ne pas regarder dans sa direction.
Quand, poussé par une curiosité incontrôlable, il avait à nouveau
tourné les yeux vers l'endroit où l'homme était accoudé quelques
minutes auparavant, celui-ci n'était plus là. Une disparition
incompréhensible... Il ne pouvait être sorti par la porte d'entrée
de la discothèque, que Youkphan avait eue constamment sous son
regard. Il fallait donc qu'il fût passé par l'un des deux escaliers
du fond, l'un descendant au sous-sol, vers les toilettes et le
téléphone, l'autre montant aux étages, vers
des appartements privés. Pensant d'abord que l'homme était descendu
aux lavabos, Youkphan avait surveillé l'escalier pendant très
longtemps.
Mais l'homme n'avait jamais reparu.
Après une longue hésitation, Youkphan s'était
décidé à prendre à son tour le chemin des toilettes. Peine perdue.
Le seul occupant était un jeune Chinois élégant en train de se
laver les mains. Mais de l'inconnu, nulle trace.
Ne restait plus alors qu'une hypothèse : celle
d'une disparition dans les étages.
Seulement il n'était pas question que lui,
Youkphan, aille traîner là-haut... Oh non...
Il avait attendu longtemps avant de se décider à
regagner le réduit discret où il vivait, dans un autre
quartier...
Et depuis, depuis la veille, il se perdait en
conjectures. Non seulement sur l'identité de l'homme du bar, et sur
son intervention incompréhensible dans l'affaire. Mais sur le
reste. Sur l'homme assassiné de la rue Baudricourt... Si celui-ci
avait été liquidé, sa peau à lui, Youkphan, ne valait probablement
plus grand-chose. Pendant toute la journée du
mardi, il avait tourné tout cela dans sa tête, sans savoir quel
parti prendre.
Maintenant que la police avait trouvé le cadavre
rue Baudricourt, il fallait agir.
D'abord, prévenir Sarun. À condition de le
joindre... Sarun lui avait demandé de ne pas lui téléphoner,
surtout à l'agence, pour des raisons de discrétion.
Il gagna une petite table qui lui servait de
bureau, écrivit quelques mots sur une feuille qu'il inséra dans une
enveloppe, et alla glisser le tout dans une boîte aux lettres
proche de son immeuble.
Il remonta chez lui, toujours aussi
préoccupé.