Mardi
Le policier passa la tête dans l'entrebâillement
de la porte.
« Y a un chinetoque qui apporte un paquet pour
vous, chef. »
Mattei leva la tête.
« Un Chinois ?
— Enfin un gars de par là-bas. Un jaune, quoi
!
— Il a dit ce que c'était ?
— Il n'a rien dit, mais il insiste pour vous
parler.
— Un gros paquet ?
— Non, d'après ce que j'ai vu. Ça a l'air de tenir
dans une enveloppe.
— Faites-le entrer. »
Mattei avait passé une très mauvaise nuit. Rongé
d'inquiétude, il était resté à son bureau jusqu'à une heure
tardive, la veille, attendant ce coup de fil qui n'était pas arrivé. Il avait lui-même essayé plusieurs fois
d'appeler, mais sans succès. Revenu très tôt le matin, ses
nouvelles tentatives n'avaient donné aucun résultat.
Le « chinetoque » était un homme âgé, de taille
moyenne, mince, vêtu avec une certaine recherche, lunettes sans
monture, rosette rouge à la boutonnière.
Après s'être assis, à l'invitation de Mattei, il
dit :
« Je suis Nguyen Duc. Comme convenu, je vous
apporte le paquet que l'on m'a remis hier pour vous. »
Il déposa sur le bureau une enveloppe semblant
contenir un objet de forme cylindrique. Avant même de l'ouvrir,
Mattei savait ce qu'il contenait : un rouleau de pellicule
photographique. L'angoisse lui tordit l'estomac.
« Vous dites que quelqu'un vous a remis ce paquet
pour moi hier soir ? »
Le visiteur eut un sursaut d'étonnement.
« N'étiez-vous pas au courant ? »
Mattei ne répondit pas directement.
« L'homme qui vous a remis ce paquet vous a-t-il
dit son nom ?
— Pourquoi si vite ?
— Je n'en sais rien. L'homme est entré brusquement
dans ma boutique d'antiquités, au moment où j'étais sur le point de
fermer, m'a littéralement jeté ce paquet en me disant de le faire
parvenir ce matin à l'inspecteur Mattei à la Police judiciaire, et
ajoutant avec insistance qu'il allait vous prévenir. J'ai eu à
peine le temps de noter votre nom qu'il repartait déjà en
courant... »
Mattei resta un moment silencieux, puis secoua la
tête.
« Il ne m'a pas prévenu... »
Le visiteur demanda, une pointe d'inquiétude dans
la voix :
« Mais vous savez de qui il s'agit ?
— Oui, je sais de qui il s'agit. Je vous suis très
reconnaissant de m'avoir apporté ce paquet dès ce matin, comme il
vous l'avait demandé. Et de vous être déplacé vous-même. »
Le visiteur inclina légèrement la tête
« C'était la moindre des corrections », dit-il de
sa voix courtoise.
« Pouvez-vous m'accorder encore quelques instants
?
— Certainement, je n'ouvre pas ma boutique avant
onze heures. »
L'inspecteur réfléchit un moment.
« Comme vous devez aisément l'imaginer, nous
menons une enquête sur une affaire d'une particulière gravité, et
la scène dont vous avez été hier l'acteur involontaire en est une
péripétie. Aussi suis-je dans la nécessité de vous demander de ne
pas l'ébruiter. Il y a tout lieu de penser que l'homme qui vous a
remis ce rouleau de pellicule — et qui appartient à notre service —
est en sérieuse difficulté puisqu'il n'a pas eu le loisir de me
prévenir, comme il vous avait dit en avoir l'intention. Tout dans
son attitude donne à supposer qu'un événement inquiétant est
intervenu dans un secteur proche de votre magasin. Vous comprendrez
dans ces conditions qu'il me soit nécessaire de savoir où ce
magasin se trouve. »
Le visiteur sortit de son portefeuille un bristol
et le tendit à l'inspecteur.
« Rue Baudricourt, commenta Mattei. Treizième arrondissement. Si je ne me trompe, c'est
bien une rue qui donne dans l'avenue de Choisy ?
— C'est exact. Ma boutique se situe dans la partie
centrale de la rue.
— Pas loin de l'église Saint-Hippolyte ?
— À cinq cents mètres. »
« Excusez ma curiosité — travers professionnel —,
dit Mattei en reconduisant le visiteur. Je constate que vous portez
l'insigne d'officier de la Légion d'honneur. Le fait n'est pas très
courant chez les Vietnamiens. »
Duc hocha la tête.
« Il est vrai que je suis d'origine vietnamienne.
Mais j'avais déjà obtenu la nationalité française longtemps avant
que le Vietnam ne devînt indépendant. Lorsque j'étais jeune chef de
province, dans ce qu'on appelait alors la Cochinchine... »
Il eut un léger sourire:
« Une rude école, qui m'a inculqué les vertus de
la discrétion et du civisme. Et c'est tout naturellement que je
continue d'en appliquer les principes, aujourd'hui encore où le
destin m'a réduit au rôle de modeste
antiquaire de quartier. Aussi pourrez-vous compter sur moi. Je
resterai bouche cousue. »