« Toujours rien ? » demanda Morturier.
Il avait son air des mauvais jours. Mattei secoua négativement la tête.
« J'ai envoyé la pellicule au labo pour développement immédiat. On ne devrait pas tarder à avoir les photos.
— Et Sarun ?
— Pas de nouvelles. À partir du moment où Godard a cessé de le filer, nous ne savons pas ce qu'il est devenu. L'hypothèse la plus probable est qu'il est tout simplement rentré chez lui. J'ai envoyé Flohic se poster devant son immeuble de bonne heure ce matin. Il doit m'appeler dès qu'il se manifestera, en principe pour aller à son travail. Flohic lui collera au train et ne le quittera plus. »
Ils restèrent un moment silencieux. Morturier alluma une cigarette.
« Une enquête dans le treizième, c'est la galère. Au milieu de tous ces Asiatiques, ça tourne vite à la recherche de l'aiguille dans la botte de foin. Mais je ne lâcherai jamais. Si des types ont touché à Godard, il faudra qu'ils paient. Et cher. J'y mettrai le temps et les moyens qu'il faudra. »
Il respira un bon coup.
« Pour le moment, nous avons deux pôles de recherche : l'immeuble de Sarun, rue Cadet, et les environs de la rue Baudricourt. Et trois personnages : Sarun d'abord, son macchabée ensuite, et enfin le type de l'église Saint-Hippolyte. Il va nous falloir travailler à partir de ça.
— Du côté de l'immeuble de la rue Cadet, maigre butin pour le moment. J'ai cuisiné le concierge. Il ne m'a pas appris grand-chose sur Sarun, sinon qu'il avait été jusqu'ici un locataire sans histoire, du genre discret et silencieux.
— Il vit seul ? »
Mattei hésita.
« C'est-à-dire qu'il vit généralement seul. Mais le concierge affirme qu'à une certaine période une femme est venue de temps en temps passer la nuit dans l'appartement. Mais il semblerait que cette relation soit terminée depuis plusieurs mois.
— Bien entendu, le concierge ignore l'identité de la femme?
— Complètement. Elle venait le soir, à la nuit tombée. Il se souvient d'une blonde aux yeux clairs, assez grande, beaucoup d'allure, mais il n'a rien pu me dire de plus.
— Et les autres locataires ?
— À mon avis, rien à glaner. J'ai étudié la liste de près. Bon immeuble bourgeois, gens sans histoire, la plupart dans la maison depuis longtemps.
— Pas d'Asiatiques parmi eux?
— Pas un... »
Mattei se frotta le menton.
« Enfin... À première vue... Je veux dire que je n'ai pas relevé dans la liste de nom à consonance asiatique. Et le concierge affirme qu'aucun des locataires ne possède un physique de chinetoque. Mais on ne sait jamais... Après tout, Sarun lui non plus n'a pas un physique de chinetoque...
— Ses relations avec les autres occupants de l'immeuble ?
— Inexistantes, selon le concierge. D'après lui, il n'occupe son logement que pendant la nuit. Il part pour son travail le matin aux environs de neuf heures et demie, et ne revient qu'assez tard dans la soirée.
— Des visites, en dehors de celles de la fille ? Des copains, des relations ? »
L'inspecteur fit une moue négative.
« Jamais. Le concierge le décrit comme un gars solitaire. Il lui arrive de rentrer assez tard, avec quelquefois un petit coup dans le nez, mais toujours seul. »
Le téléphone sonna sur le bureau de Morturier, qui décrocha très vite.
« Ah ! C'est toi... »
Le ton était celui de la déception. Mattei comprit : ce n'était pas Godard... Morturier écouta puis dit :
« Bon. Reste où tu es. J'enverrai quelqu'un te relever en début d'après-midi. » Il raccrocha.
« Flohic ? » interrogea Mattei
Morturier opina.
« Sarun est sorti de chez lui à l'heure habituelle, comme si de rien n'était, puis est allé à son boulot à l'agence.
Il alluma une cigarette.
« Il ne faut pas le perdre de vue. À aucun moment... Je persiste à penser qu'il court un grand danger. Et qu'il en est conscient. Il doit être terrorisé, mais ne demandera jamais une protection officielle : s'il sait des tas de choses, comme c'est probable, il ne doit pas vouloir qu'on y mette le nez. Reste à savoir de quoi il s'agit. »
Le planton entra, une grosse enveloppe à la main.
« Un pli urgent du labo. »
Il contenait une dizaine de clichés, tous de bonne qualité, en noir et blanc. Le même homme très brun, de type asiatique, pris de face, de profil, de trois quarts. L'agrandissement faisait ressortir tous les détails du visage.
« Sacré Godard, dit Mattei. Virtuose de l'objectif. »
Morturier étudia longuement les photos comme s'il voulait imprimer le visage dans son esprit. Il grommela entre ses dents :
«Toi, l'ami, il faudra que tu nous racontes ta vie...
— Quand on lui aura mis la main dessus..., dit Mattei avec une moue pessimiste.
— On le coincera. Tu t'y attelles immédiatement. Mets tout en branle, fichiers, ordinateurs, Interpol, le grand cirque, quoi... Mais tu me le retrouves.
— Ça va pas être du nougat. Ce type est peut-être un clandestin dont il n'y a trace nulle part...
— Clandestin ou pas, il nous le faut. Et vite... »
Mattei soupira.
« D'accord, patron. Je mets tout ça en marche. »
Il ramassa les photos, en sélectionna deux, l'une de face, l'autre de trois quarts, qu'il glissa dans sa poche, où elles rejoignirent celle du cadavre de la rue Cadet. Arrivé à la porte, il se retourna.
« Et puis, je vais quand même aller faire une reconnaissance du coté de la rue Baudricourt. J'ai envie de voir la boutique d'antiquités de monsieur Duc. Et ce qu'il y a autour... »