« Un bonhomme d'un modèle pas très courant, ton Nguyen Duc, dit Morturier. Ce que tu m'en rapportes commence à m'intéresser sérieusement.

— J'ai été frappé par l'insistance qu'il a mise à me montrer cette carte du Cambodge. Comme s'il avait voulu me faire comprendre quelque chose.

— C'est possible...

— Vous savez à quoi je pense, patron ? Je me demande si nous ne devrions pas mettre à contribution sa connaissance des moeurs et coutumes du monde asiatique. Je suis persuadé qu'il ne demanderait qu'à nous aider. Visiblement, cette affaire titille son intellect, bien qu'il n'ait jamais essayé de tirer de moi la moindre information. Je suis persuadé qu'il est arrivé, sans avoir beaucoup d'éléments, à se faire une idée de l'affaire. Il ne m'a d'ailleurs pas caché qu'il aimait bien jouer les Sherlock Holmes ou autres Hercule Poirot amateurs. Rien ne nous oblige à lui dévoiler le fond de l'affaire, mais il peut avoir une idée qui nous mette sur la voie.

— On va y penser. Pour le moment, ce qui m'intéresse, c'est ce qu'il nous a appris : que Youkphan attendait Sarun hier à l'église Saint-Hippolyte. Pourquoi ? Pourquoi ce nouveau rendez-vous, alors qu'il s'étaient vus l'avant-veille et qu'ils ne se rencontraient d'habitude qu'une fois par semaine ? La seule explication, c'est qu'il s'est passé pendant ces quarante-huit heures quelque chose de grave dont l'un des deux voulait faire part à l'autre. Et qu'il a dû lui envoyer un message pour lui demander de venir à l'église. Mais le message n'a pas atteint son destinataire. Pourquoi ? Pour la simple raison que celui-ci avait disparu entre-temps. Et que l'autre ne le savait pas... Puisque c'est nous qui avons appris la disparition à Youkphan, la conclusion vient d'elle-même : c'est Youkphan qui a cherché à joindre Sarun, et pas le contraire. Je suis prêt à parier qu'il y a en ce moment, rue Cadet, un message qui traîne, dans lequel Youkphan demandait à Sarun de le rejoindre à Saint-Hippolyte. Il a dû forcément lui écrire puisque l'autre ne répondait pas au téléphone. Et pour cause ! J'aimerais que tu fasses un saut là-bas pour vérifier si je ne me fous pas le doigt dans l'oeil.

— J'y vais, patron.

— Avant de partir, attrape ton téléphone et demande à Nguyen Duc s'il veut bien passer ici cet après-midi pour une conférence au sommet, lui, toi et moi. Et surtout explique-lui que nous n'avons pas l'intention de le faire croupir sur la paille humide des cachots, mais qu'au contraire nous avons besoin de ses lumières... »

Il prit une cigarette.

« Autre chose : les gars que tu as postés devant chez Belle-Allure ont réussi à la photographier pendant qu'elle sortait de chez elle. Pendant que l'un la filait, l'autre rapportait la photo ici dare-dare. Elle doit être tirée maintenant. Passe la prendre et vois si elle éveille les souvenirs du concierge. »