Château
d'Authon-du-Perche, Perche, octobre 1306
Dans sa chambre située au-dessus des écuries,
Leone hésitait. Depuis des heures, il soupesait le pour et le
contre. Pour une exceptionnelle fois dans son existence, sa
solitude l'insupportait et Agnès, en dépit de sa sagesse et de la
vivacité de son esprit, ne pouvait le conseiller dans un domaine
qui lui tenait trop à cœur. En d'autres circonstances, se dénoncer
à l'Inquisition pour le meurtre de Nicolas Florin afin que
monseigneur d'Authon soit lavé de tous soupçons lui aurait semblé
la seule attitude adéquate. Cependant, il devait veiller sur Agnès
et retrouver Clément avant les hommes du camerlingue. On ne se bat
dignement que contre des ennemis dignes. L'inverse serait stupide
folie.
Installé dans le petit bureau en rotonde du comte,
Monge de Brineux expédiait, la mine sombre, les affaires courantes.
Les confidences qu'il avait recueillies ici ou là convergeaient.
Une sorte d'alarmante inertie semblait avoir figé la maison de
l'Inquisition d'Alençon. Jacques du Pilais prétendait attendre
encore des compléments d'enquête. Monseigneur d'Authon n'avait pas
reparu devant ses juges et se morfondait dans la cellule réservée
aux témoins, c'est-à-dire à ceux que l'on n'était pas encore
parvenu à inculper. L'incertitude faisait enrager le grand bailli.
Tout était prêt afin qu'il honore sa promesse au comte, le départ
de madame et de son fils pour la Sardaigne afin de garantir leur
sécurité, sauf peut-être elle qu'il tenait dans l'ignorance de la
décision de son époux. La lui révéler équivaudrait à l'informer
d'une sentence de mort. Pourtant, Monge de Brineux espérait
encore.
Il se leva afin d'accueillir le chevalier de
Leone, qui déclina d'un signe de tête son invitation à
s'asseoir.
– Monsieur, vous êtes homme d'honneur et avez la
confiance du comte.
– Je la chéris.
– Connaissant bien mal la région, j'ai besoin de
votre aide. Le temps nous presse, aussi n'irai-je pas par quatre
chemins, au risque de vous paraître brutal.
Monge de Brineux demeura silencieux, attendant la
suite.
– Organiser un faux témoignage. Y verriez-vous une
infamie ?
– Afin de libérer monseigneur d'Authon ? Certes
pas. L'infamie consistait à mettre sa parole en doute et à tenter
de l'accuser d'un crime qu'il n'a pas commis. À votre service,
monsieur. De tout mon cœur. Indiquez-moi comment je puis vous être
d'aide.