Forêt de Trahant, Perche,
juillet 1306
Aude de Neyrat porta à son nez un fin carré de
linomple1 imbibé d'essence de rose. La puanteur qui
régnait dans cette masure lui tournait le cœur. Une fumée noirâtre
s'élevait de l'âtre central, creusé à même le sol de terre battue,
vers un orifice du toit fait de branchages et de chaume. La poule
noire, égorgée, pendue par les pattes au-dessus des flammes, avait
cessé de se débattre. Des gouttes de sang s'écrasaient encore en
grésillant sur les brandons. La malfaise2 s'activait autour du feu, jetant
parfois une pincée de poudre qui s'enflammait dans un éclat
verdâtre, marmonnant sans presque reprendre son souffle.
L'impatience gagnait Aude, qui luttait contre
l'impérieuse envie de sortir du taudis afin de respirer au-dehors
un peu d'air frais. Le visage tendu de concentration, la diseuse
récupéra dans un chaudron une pleine poignée de répugnants viscères
qu'elle jeta sur les tisons. Aude de Neyrat salua d'un haut-le-cœur
le regain de pestilence qui se répandit entre les murs de planches
noirâtres.
Madame de Neyrat, l'amie d'âme du camerlingue
Benedetti, sa débitrice reconnaissante, sa complice donc,
s'étonnait de l'insistance avec laquelle Honorius lui avait
conseillé cette malfaise. Ajoutait-il véritablement foi aux
pouvoirs de l'obscur, lui qui n'avait jusque-là eu recours qu'à des
enherbeurs, dont Aude de Neyrat ?
Un léger soupir s'échappa d'un des coins obscurs
du galetas3 . Aude tourna la tête, plissant des yeux
pour distinguer la silhouette de la petite fille assise en tailleur
à même le sol. La ravissante enfante l'avait accueillie d'une
charmante révérence à son entrée. Puis elle avait filé bien vite
vers le recoin d'ombre, s'efforçant de disparaître aux regards. Le
saisissant contraste entre la malfaise, sa silhouette décharnée,
ses ongles longs et noirs, épais et recourbés tels des
herpes4 , ses cheveux raides et si emmêlés qu'on eût
cru une vilaine crinière grasse de suint et de crasse, et ce petit
ange blond aux yeux d'eau limpide avait intrigué madame de Neyrat.
À la vérité, cette fillette aurait pu passer pour sa fille de
ventre, et certainement pas pour une rejetone de la diseuse.
S'agissait-il d'un de ces enfants abandonnés à mourir par des
parents impécunieux, voire d'un de ces mignons angelots volés au
berceau afin d'être dressés à apitoyer le chaland les jours de
marché ou la commère aux abords du caquetoire5 ? Aude de Neyrat avait ensuite
reporté toute son attention sur la femme brune, qui aurait tout
aussi bien pu avoir trente ans que cent, et oublié la gamine.
Un nouveau soupir presque inaudible. Aude adressa
un petit geste de main à l'obscurité. Aussitôt, un frémissement.
L'enfante s'approcha d'elle, intimidée. Elle lança un regard
inquiet vers le dos de la femme qui psalmodiait à l'intention du
feu mourant, puis risqua une petite grimace de dégoût. Aude jugea
délicieux le froncement de nez et sourit, encourageant d'un signe
de tête la petite fille à la rejoindre. Elle lui tendit son fin
mouchoir parfumé. La fillette y enfouit son adorable minois et
ferma les yeux de plaisir. L'admiration qu'Aude lut dans son regard
lorsqu'elle lui rendit le fin carré d'étoffe dédommagea un peu
madame de Neyrat qui en oublia presque, durant quelques secondes,
l'infection ambiante. Elle tapota le sol juste à côté de
l'escame6 branlante sur laquelle elle s'était assise.
La fillette s'empressa de s'installer.
– Avançons-nous ? demanda soudain madame de
Neyrat, une trace d'agacement dans la voix.
– Oui-da. C'est presque achevé, répondit la
malfaise d'un ton guilleret.
– Êtes-vous bien certaine de la puissance de
votre… art, que je paye fort cher ?
L'autre se tourna d'un bloc et se figea
lorsqu'elle découvrit la gamine lovée aux pieds de la magnifique
créature qui avait pénétré une heure plus tôt dans son antre
malodorant. Une chevelure blonde et mousseuse entourait un visage
angélique à l'ovale parfait. Deux immenses lacs d'émeraude étirés
en amande vers les tempes la fixaient, sans l'ombre d'une crainte.
Au contraire, une sorte de mépris hautain s'y lisait. L'humeur de
la malfaise vacilla. Que croyait-elle, cette belle
donzelle7 ? Que le monde entier s'inclinait devant
elle ? Si tel était le cas, cela prouvait qu'elle ignorait
l'étendue des pouvoirs de celle qu'on lui avait recommandée. Celle
que tous redoutaient. La femme siffla :
– Rejoins ton coin, Angélique. À moins que tu ne
préfères que je te chauffe les reins.
Avant de détaler, l'enfante lança un regard de
terreur à madame de Neyrat, que l'exécration pour cette sorcière
gagnait. Cette dernière s'adoucit aussitôt et s'efforça à
l'affabilité pour sa riche visiteuse. La bourse que la femme lui
avait remise pour son office était renflée à souhait. Bien plus que
ne payaient les manants des alentours pour se débarrasser d'une
vilaine verrue ou la provoquer sur la face d'un rival, pour
concevoir un mâle, ou encore se débarrasser sans risque d'un
gêneur. La malfaise expliqua :
– Je ne suis pas de ces piètres jeteurs de sort
qui vendent leurs philtres de comédie aux crédules, ni même un de
ces caillebotiers8 qui prétendent s'en prendre au ventre des
femmes et des bêtes.
– Voilà qui me rassure, minauda madame de Neyrat.
Ah, j'oubliais… avez-vous obtenu ce que je… convoitais ?
– Si fait.
La femme plongea une main griffue dans son informe
cotte9 malpropre et trop large et en tira un petit
paquet de grosse toile. Aude condescendit à se lever pour le
récupérer puis se réinstalla avec grâce avant de déballer l'objet,
un mince jonc brisé d'un blanc gris irisé. Elle le retourna entre
ses doigts, une moue dubitative plissant sa jolie bouche. L'autre
se justifia :
– Vos ordres ont été respectés à la lettre ! Ça
n'a pas été chose aisée que de se le procurer.
Fixant madame de Neyrat de ses yeux de jais, elle
ajouta dans un murmure :
– En dépit de vos magnifiques atours, de votre
maintien, et de ce visage d'ange derrière lequel je perçois un
gouffre, je sais que je peux vous conter la vérité. Les autres ne
peuvent pas la comprendre, ni même la supporter… Or nous la
partageons, n'est-ce pas ? Il faut toujours payer pour ce que l'on
désire plus que tout. Certains prix paraissent inacceptables aux
yeux des couards. Pas aux nôtres. Ai-je raison ?
Madame de Neyrat se contenta de hocher la tête en
signe d'acquiescement. L'autre poursuivit du même ton paisible,
presque détaché :
– Je voulais les dépasser tous. Il me fallait,
afin d'y parvenir, conclure une… union, avec de puissants alliés.
Puissants mais féroces et sans nulle pitié…
Elle pointa les serres qui terminaient ses doigts
vers le sol de terre battue.
– … L'argent ne les intéresse pas, la gloire et la
reconnaissance non plus. Seules les âmes les séduisent
terriblement. J'ai offert la mienne en marché. En toute
connaissance de cause. Je ne le regrette pas. J'ai vu, j'ai appris,
j'ai senti tant de choses étranges et fabuleuses. J'ai percé bien
des mystères qui nous environnent. Je lis l'âme des autres à livre
ouvert. (La diseuse ferma les yeux et une tristesse sans hargne se
peignit sur son visage, le rendant moins rébarbatif pour un fugace
instant.) Eh bien, madame, sachez-le. L'âme de ceux qui pénètrent
ici ou que je croise au hasard des chemins pue fort. Nul étonnement
donc, à ce que mes… puissants alliés aient préféré la mienne. Elle
était pure. Je gage que la vôtre aussi. Avant. C'était avant.
Des souvenirs, tant de souvenirs. Ils affluèrent
en marée vindicative dans l'esprit d'Aude de Neyrat. Elle avait été
ballottée par une existence d'abord sans compassion. Seul un
prodige expliquait qu'elle n'en conservât aucun stigmate.
L'existence est à l'image des hommes. Elle renifle les créatures
les plus faibles à la manière d'un prédateur et s'acharne à les
défaire un peu plus. Orpheline très jeune, Aude avait été confiée à
la garde d'un vieil oncle répugnant qui avait, avec obstination,
confondu charité familiale et cuissage. Le scélérat n'avait pas
profité très longtemps des charmes enivrants de sa très jeune
nièce. D'effroyables douleurs de ventre l'avaient bien vite cloué
au lit pour une pénible agonie que sa protégée avait veillée avec
dévotion. À douze ans, elle découvrait que ses talents pour les
poisons et la fourberie n'avaient d'égal que sa beauté et son
intelligence. Une tante, des cousins héritiers qui l'avaient toisée
avec la morgue de ceux qui n'ont jamais lutté pour leur survie,
puis un mari acariâtre et grabataire devaient succéder à l'oncle
libidineux et rejoindre un monde qu'Aude leur souhaitait
meilleur.
La tête de madame de Neyrat tourna. Elle avait
trahi, trompé, ourdi, tué. Dieu. Dieu dans Son infinie sagesse
reconnaîtrait-Il que seules les circonstances imposées l'avaient
poussée à ces méfaits ? Sans doute pas. Elle se contraignit au
calme, fixant le regard sur les peaux de loups mal tannées qui
pendaient du toit bas. Il lui vint l'idée incongrue qu'il
s'agissait sans doute du butin d'un récent braconnage qui aurait pu
valoir la mort à la femme. Était-elle donc si crainte que même son
seigneur direct se refusait à sévir ? La défiance d'Aude de Neyrat
vis-à-vis des pouvoirs de la femme s'atténua.
Cette dernière la considérait depuis un moment, le
visage grave, espérant peut-être une réponse qui prouverait
qu'elles étaient – malgré leurs dissemblances – de la même sorte.
Aude de Neyrat demeura coite et roide sur son siège. La malfaise
s'enquit :
– Faut-il que l'enfant meure avec la mère ?
Madame de Neyrat ironisa :
– Fichtre non, pauvre chérubin. Nous ne sommes pas
des monstres. D'autant qu'un hoir10 ne nous encombre pas. Comment… comment se
déroulera la suite ?
– Au mieux et j'oublierai tout de votre existence,
à l'habitude.
– Quelques précisions me distrairaient, insista
madame de Neyrat.
– Une maladie de langueur dont les premiers
symptômes surviendront peu après que le sachet que je vais préparer
sera placé à proximité de l'ensorcelée, dans sa chambre, sous son
lit par exemple. C'est en général l'effet produit. Elle en perdra
le manger et s'étiolera jusqu'au trépas. (La sorcière hésita
quelques instants et insinua :) D'autant qu'une telle
détérioration de santé ne devrait pas surprendre l'entourage, qui y
verra une malédiction des dames d'Authon. D'abord la première
comtesse, puis madame Agnès de Souarcy, la nouvelle épouse. Une
bien tragique succession.
La curiosité de madame de Neyrat en fut piquée.
Elle s'enquit :
– Fûtes-vous pour quelque chose dans le décès de
la première comtesse d'Authon et de son fils ?
L'autre lui jeta un regard de biais et
rusa :
– Il s'agit là de secrets que je ne partage
jamais.
– Femme avisée. Souffrira-t-elle, madame Agnès,
veux-je dire ?
– Si ce n'est de voir la vie sourdre d'elle, non
pas. Le regrettez-vous ?
Aude de Neyrat pouffa :
– Que croyez-vous ? Je souhaite me débarrasser
d'une… fâcheuse, rien de plus. Je n'ai nul appétit pour la
souffrance, pas même celle des autres. À la vérité, elle
m'indiffère. Il faudrait m'avoir gravement blessée pour que je me
régale d'un supplice.
Elle ne l'avait fait subir qu'une fois, avec
jubilation, retardant le dernier souffle de cet oncle qui
l'écrasait sous lui selon son bon plaisir, qui lui tirait les
cheveux pour la contraindre à ouvrir la bouche, qui la giflait d'un
revers de main lorsqu'elle protestait ou pleurait. Elle aurait pu
hâter son agonie. Elle avait, au contraire, choisi de la prolonger.
Tout le temps qu'elle avait baigné les mains du vieillard d'eau
fraîche, tamponné son front d'un mouchoir, ses lèvres d'un linge
humide imprégné de poison, elle avait assisté à la parade de la
mort avec délectation.
– Ce sachet, que contient-il ?
– Des ingrédients efficaces, dont la liste est mon
secret. Plus il restera à proximité de la dame, plus le sort agira
vite.
– Avez-vous réfléchi au moyen de l'approcher
d'elle ?
– Ne vous inquiétez. Le moyen est tout trouvé,
c'est aussi pour cela que vous me payez.
– Quand rejoindra-t-elle son Créateur ? demanda
alors madame de Neyrat d'un ton léger de dame en visite.
– Trois à cinq mois, selon sa constitution. C'est
le prix à payer pour qu'un enherbement11 ne soit pas soupçonné.
– Une deuxième grossesse nous gênerait fort. À ce
que raconte la ventrière du château d'Authon à qui l'abreuve dans
les tavernes avoisinantes, madame de Souarcy est taillée pour
l'enfantement. Si elle était déjà avec enfant…
La diseuse lâcha d'un ton
d'hésitation :
– Ah… Je pouvais me contenter de lui encombrer le
ventre ? Voilà qui est aisé. C'est de cela qu'il s'agit, n'est-ce
pas ? Elle ne doit plus donner le jour ? La mort est une affaire
trop sérieuse pour qu'on la distribue à la légère.
– Perspicace en plus d'être tempérée, plaisanta
Aude de Neyrat. Le temps nous presse. Celui des demi-mesures est
donc dépassé. Elle doit mourir. Vite.
– Il en sera fait à votre envie. Vous payez.
– Avons-nous bientôt terminé ?
– Pour aujourd'hui et pour ici, en effet, répondit
la femme en récupérant sous son chainse crasseux un sachet de toile
noire.
Elle l'entrouvrit, un sourire flottant sur ses
lèvres, et arracha six plumes de la poule égorgée avant de les
fourrer à l'intérieur.
– Le sort est jeté, commenta-t-elle. Une fois
cette petite enveloppe en place, le reste suivra sans même que nous
y participions.
– Quelle réjouissante perspective ! s'exclama Aude
de Neyrat, guillerette… J'exècre ce coin de terre. Ces incessantes
brumes qui se lèvent au matin et ne disparaissent qu'à la
mi-journée. On a le sentiment que le soleil ne s'impose qu'au prix
d'une lutte. J'ai hâte de retrouver mon fief du sud du royaume. La
peste soit de la pluie qui vous glace les os et vous fait sentir
prématurément vieille.
Aude de Neyrat se leva avec grâce, ordonna le
tombé de sa robe de velours carmin à manches agrafées12 et s'enquit d'un ton de
bavardage :
– Combien pour Angélique ?
– Elle n'est pas à vendre, rétorqua l'autre,
soudain venimeuse.
– Pourquoi cela ? Tout est à vendre, il suffit d'y
mettre bon prix. Vous le savez aussi bien que moi. Cent
livres13 pour la fillette. C'est une belle offre
pour une orpheline comme il en existe vingt, cent ou mille dans le
coin. D'autant qu'elle vous quittera dès qu'elle le pourra. Ce
serait sottise de procéder autrement.
– Elle n'est pas à vendre, martela la femme.
– Vous l'avez pourtant volée, n'est-ce pas ?
– Et alors ? Si je l'ai volée, elle est à
moi.
– Cent cinquante livres. Songez… vous pourriez
acheter une moitié du bourg voisin de Ceton. La réjouissante
revanche.
– Sortez. Je vous ai donné ce que vous
recherchiez. Sortez maintenant.
– Deux cents livres, la femme. C'est mon dernier
prix.
– Et ma dernière réponse est non.
– Vous avez grand tort, minauda Aude. J'obtiens
toujours ce que je veux, d'une façon ou d'une autre.
– Prenez garde, je connais d'effrayants
secrets.
Aude ferma les yeux. Un chavirant sourire illumina
son visage. Elle chuchota :
– Pas contre moi. Tant m'ont voulue morte ou
affligée d'effroyables tourments14 . Je jurerais que d'aucuns ont grassement
payé des gens de votre sorte afin d'y parvenir. Et me voyez :
bien vive et en fringante santé. J'en viens à croire que je ne dois
jamais mourir ou connaître les affres de la vieillerie. Vous ne me
faites pas peur…
Les paupières pâles d'Aude se levèrent à regret.
Un regard d'un vert de lac profond fixa la femme brune. Une voix
grave, inflexible poursuivit :
– En revanche, j'aurai Angélique. C'est un caprice
et une promesse. Je cède volontiers à mes caprices et tiens
toujours mes promesses.
Elle se rembrunit. Elle avait failli à sa promesse
pour la première fois de sa vie, deux ans plus tôt. Elle avait
promis au camerlingue Honorius Benedetti la vie de madame Agnès de
Souarcy, aujourd'hui comtesse d'Authon, ainsi que trois manuscrits
cachés en l'abbaye des Clairets*. Pour échouer lamentablement. À sa
décharge le pathétique nervi, une moniale de l'abbaye qu'avait
recrutée le prélat. Seule satisfaction dans ce ratage ? Elle avait
proprement occis cette Jeanne d'Amblin, sœur tourière15 . Ceux que la malfaise avait
désignés plus tôt du bout des griffes devaient avoir fait un festin
de cette vile âme qui comptait tant à son débit et si peu à son
crédit.
Et elle, de quoi pouvait-elle se prévaloir ? De
quel crédit jouissait-elle ? Son honneur. Il demeurait la seule
chose qui fut intacte chez elle. Un étrange honneur, un honneur qui
s'accommodait de menteries et de meurtres. Un honneur dont elle
seule avait composé les règles. Un bien faible poids sur le plateau
de la bilance16 , insuffisant à rééquilibrer l'autre, celui
des débits. Angélique. Angélique n'était pas une fantaisie de femme
choyée. Depuis une heure, Aude s'était convaincue que la charmante
enfante au prénom prédestiné était le poids qui lui manquait afin
d'alléger sa dette. Elle aurait Angélique. Elle l'élèverait comme
sa fille, lui offrirait ce que le monde ne lui avait concédé que de
haute lutte. Après tout : si elle restituait à Dieu l'un de
ses anges, sans doute serait-Il plus enclin à la miséricorde.
Comment arracher la fillette à la sorcière dont
elle pouvait encore avoir besoin pour en terminer avec cette
bâtarde noble ? Attendre, prévoir. La patience est une des armes
les plus infaillibles des femmes. Elles excellent à son maniement.
D'autant que, en femme prudente, madame de Neyrat avait une
confiance limitée dans les pouvoirs des sorciers, aussi redoutés
soient-ils. Les machinations et les poisons lui paraissaient plus
fiables, plus réels en quelque sorte. Bah, qui pouvait le plus
pouvait le moins !
Elle s'installa dans le fardier couvert qui
patientait à une dizaine de toises* de la masure. Son plan prenait
belle tournure. Elle avait reçu hier du camerlingue Honorius
Benedetti le renseignement qu'elle attendait depuis des semaines.
Le nom d'une autre abbaye de femmes, une abbaye de Champagne. Pour
une fois, les nervis d'Honorius avaient bien travaillé. Certes, la
route serait longue et ennuyeuse, mais Aude de Neyrat se délectait
déjà de sa très prochaine réussite.
1 Actuellement « linon »,
fin tissu de lin (ou de coton).
2 Mauvaise.
3 C'est à peu près à cette époque
que ce terme, qui désignait un appartement dans une maison
templière, fut utilisé pour évoquer les combles d'une maison
bourgeoise puis un taudis. Peut-être faut-il y voir une autre
preuve du mépris grandissant du peuple pour les représentants du
Temple.
4 Griffes de chien.
5 Porche principal d'une église où
les fidèles s'arrêtaient pour discuter voire cancaner.
6 Sorte de tabouret bas, étroit,
souvent de forme triangulaire.
7 À l'époque, fille ou femme de
distinction.
8 Envoûteurs prétendument capables
de faire avorter ou de stériliser.
9 Équivalent de la robe.
10 Héritier mâle.
11 Empoisonnement.
12 Des agrafes orfévrées retenaient
les manches aux épaules et permettaient ainsi aux dames de varier
leur toilette sans avoir à changer de robe.
13 Une véritable fortune à
l'époque.
14 À l'époque le terme a son sens
étymologique et signifie « violente douleur
physique ».
15 Sœur qui récolte les dons des
miséricordieux ou des aumôneurs contraints à la générosité par un
tribunal.
16 De bilancia, de « bi » : « deux », et de
« lanx » :
« plateau ». Le mot deviendra « balance » mais
nous en garderons « bilan ».