Maison de l'Inquisition
d'Alençon, Perche, septembre 1306
Agnan se leva précipitamment à l'entrée du
seigneur inquisiteur Jacques du Pilais. Il baissa les yeux vers son
carnet d'enquête tant le regard bleu blanc le mettait mal à l'aise.
On avait le sentiment qu'il vous forait le crâne et déchiffrait vos
pensées les plus secrètes.
– Avez-vous terminé la rédaction des notes,
Agnan ?
– Si fait, seigneur. Euh… Concernant le complément
d'enquête demandé au sujet de l'anneau de mariage de monseigneur
d'Authon. Sept témoignages ont été apportés par messager. Tous
concordent et certifient que, en effet, le comte ne le porta plus
dès après le décès de sa première épouse. L'un émane de l'évêque
d'Authon. Faut-il convoquer à nouveau maître Richer ainsi que nos
frères Robert Ancelin et Foulque de Chandars pour une deuxième
confrontation ?
Jacques du Pilais le considéra un instant, un
étrange sourire flottant sur ses lèvres. Il répondit d'un ton
suave :
– Elle serait prématurée.
– Attendons-nous de nouveaux témoignages ? insista
Agnan tout en songeant qu'il faisait preuve d'une dangereuse
témérité.
– Pas véritablement. Disons que je sonde mon âme
afin de rendre un jugement aussi irréprochable que possible.
– Ah…
Jacques du Pilais se dirigea vers la porte et
marqua un arrêt avant de sortir. Sans même se tourner vers le
clerc, il lança du même ton calme et doux :
– Vous êtes une belle démonstration de la charité
et de l'ouverture d'âme de notre Inquisition. Quelle peine vous
prenez pour le sort du seigneur d'Authon !
Une sueur glacée trempa le dos d'Agnan. Il avait
manqué de prudence. Si le moindre soupçon de collusion entre lui et
Artus d'Authon germait dans l'esprit du seigneur inquisiteur… il
préférait ne pas imaginer ce qui l'attendait.
Pourtant, là n'était pas le tracas de Jacques du
Pilais lorsqu'il referma la porte du petit bureau du secrétaire.
Combien de temps devait encore durer cette mascarade afin de
satisfaire Rome ?
Pour l'instant, il allait devoir descendre dans
les souterrains de la maison de l'Inquisition, ainsi qu'il l'avait
déjà fait à plusieurs reprises. Le jeu, méprisable, consistait à
convaincre monseigneur d'Authon que ses juges attendaient toujours
les compléments d'enquête.
Une sorte de honte gagna Jacques du Pilais. En
dépit de son acharnement à traquer les hérétiques, les impies et
les sorciers, malgré la sévérité sans faille dont il avait toujours
fait preuve, le seigneur inquisiteur ne s'était résolu au châtiment
ultime qu'en de rares occasions1 . Son impérieuse mission consistait à
ramener les âmes dans le sein du Seigneur, à convaincre les
inculpés de leurs erreurs, à les déciller au sujet de leurs
égarements. S'il avait dispensé d'innombrables pénitences, imposé
des pèlerinages pieds nus, voire des flagellations publiques, la
mort lui semblait d'essence trop divine pour devenir un recours
humain.
1 À l'instar de Bernard Gui (vers
1261-1331), un des plus célèbres inquisiteurs, qui passera pourtant
dans l'Histoire accompagné de la réputation d'être sadique et
sanguinaire.