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Les deux voitures se garèrent juste devant la ferme. Ils sortirent tous précipitamment pour se dégourdir les jambes. Le chemin qui les avait menés jusque-là était extrêmement cahoteux. Ils avaient dû rouler à une allure de tortue pour ne pas endommager les amortisseurs.

- C'est vachement cool ! fit Courtney en découvrant leur lieu de villégiature.

La ferme avait conservé son aspect rustique, mais avait été récemment rénovée. Ils allaient passer un week-end mémorable, se dit-elle en s'étirant.

- On est vraiment seuls au monde. C'est génial, fit Lisa, dont le regard se perdait sur la forêt qui les entourait.

Elle adorait la nature et regrettait de ne pas pouvoir en profiter plus souvent.

- Ed, il faudra que tu dises à tes parents de refaire le chemin, c'est un casse-cul horrible ! fit Brian.

Dix miles d'une route à peu près convenable, où ils avaient aperçu de temps à autre de vieilles bâtisses isolées, puis ils avaient emprunté un petit chemin tout cabossé pour arriver enfin ici.

- C'est ça qui fait son charme. Il faut souffrir pour atteindre le paradis ! répliqua Edward, fier comme un coq.

- C'est dingue. Qu'est-ce qui a pris à des familles de venir s'établir si loin de tout ? s'étonna Shanice.

- Au XIXe siècle, il y avait un vrai village en amont. Il n'en reste plus rien. Les habitants ont migré vers les grandes villes. Seuls quelques réfractaires au rêve urbain sont restés dans le coin, à vivre de leur culture et de leur bétail, répondit Edward.

- Du bétail par ici ? s'étonna Sam.

- De petits troupeaux, si tu préfères. Mais c'était il y a près de cent ans.

Sam essaya de s'imprégner de cette notion du temps. Il y avait des gens qui avaient vécu ici bien avant l'invention de l'électricité. Il avait comme l'impression de faire un bond dans le passé. Une émotion particulière le saisit.

- Bon, c'est bien beau tout ça, mais je crève de faim, moi, lança plus prosaïquement Courtney.

Il était près de midi, l'heure idéale pour un petit repas.

- Tu as raison, à la bouffe ! fit Edward.

Ils ouvrirent les coffres des voitures qu'ils déchargèrent de toutes leurs affaires, ainsi que des glacières, avant de s'élancer d'un pas conquérant vers la maison.

Edward sortit son trousseau de clés et inséra la plus grosse dans le pêne de la serrure. Après deux tours de clé, il ouvrit la porte.

- Tada ! fit-il en invitant ses amis à passer.

Une obscurité totale régnait. Brian et Sarah s'avancèrent les premiers. Une odeur de renfermé plutôt agréable leur titilla les narines. Ils allèrent ouvrir les fenêtres en grand.

Un flot de lumière révéla un intérieur plutôt moderne. Les propriétaires avaient su restaurer avec bonheur le parquet, les boiseries, les poutres, tout en les associant à un mobilier de belle facture.

Lisa et Sam montèrent à l'étage. Trois chambres plutôt spacieuses les attendaient. Ils ouvrirent tous les volets, puis retournèrent dans la première.

- On prend celle-ci ! décida Sam en désignant les Rocheuses que l'on apercevait par la fenêtre grande ouverte.

Lisa posa son sac à dos et testa la robustesse du matelas.

- Ouais, je sens qu'on va être bien ! fit-elle avec un sourire coquin.

Ils entendirent qu'on montait dans l'escalier.

Shanice et Edward firent leur apparition.

- Ouah ! C'est vraiment trop cool ! s'exclama Shanice.

- Ben dis donc ! Tu t'es pas moqué de nous. Moi qui croyais que c'était une bicoque délabrée ! fit Brian qui arrivait derrière eux.

Il installa ses affaires dans la deuxième chambre, tandis que Shanice et Edward prenaient la troisième.

Courtney arriva la dernière et prit un air boudeur.

- Et moi, je dors où ? se plaignit-elle en posant les mains sur les hanches.

- Avec nous, évidemment, fit Edward avec un regard lubrique.

Shanice lui donna un coup dans les côtes.

- C'est bon, j'ai compris, je vais dormir en bas toute seule. Sympa ! fit Courtney en redescendant avec son sac à dos.

- Personne ne t'a interdit de te trouver un mec ! répliqua Edward.

- Cherche pas d'excuse, je te déteste, fit-elle sans se retourner.

Mais le ton était agréable. Tout le monde sourit.

Après avoir rangé leurs affaires, ils s'installèrent dans une vaste cuisine qui faisait suite au salon et posèrent leurs sandwiches sur une grande table pour déjeuner.

- On ne pourrait pas manger dehors ? Il fait un soleil magnifique. On ne va pas rester enfermés, non ? proposa Lisa.

- Très bonne idée, fit Brian.

Ils sortirent des chaises et une table qu'ils installèrent à proximité de grands sapins, et profitèrent de la beauté du spectacle environnant.

- Qu'est-ce que ça fait du bien ! fit Edward, la bouche pleine.

Sarah attrapa une bouteille d'eau et s'en versa un verre.

- On court après la modernité, mais parfois je me demande si la vraie vie n'est pas celle-ci. Être au contact de la nature, fit Lisa.

- Ouais, et ce connard de Bush qui veut même pas signer le protocole de Kyoto ! ajouta Sam.

- Hé ! On avait dit pas de politique, intervint Brian. On ne va pas commencer à s'engueuler, alors qu'au fond on s'en fout.

Lisa et Sam ne s'en moquaient pas du tout, mais décidèrent qu'il était préférable de faire profil bas. Ils étaient là avant tout pour se reposer, pas pour partir dans de grands débats sur le destin de la planète.

- Et le premier qui parle de sexe, je l'étripe, fit Courtney en détournant la conversation.

Les rires explosèrent et Sarah dut cracher l'eau qu'elle était en train de boire pour ne pas s'étouffer.

- Ma pauvre fille, va falloir qu'on s'occupe de toi, fit Edward. Tu es vraiment une jolie fille, je n'arrive pas à comprendre pourquoi tu es toujours seule !

- Les mecs sont tous des cons, qu'est-ce que tu veux que je te dise ! répliqua-t-elle.

Les garçons la chambrèrent, et les filles l'applaudirent.

- À part notre cul, qu'est-ce qui vous intéresse ? continua-elle.

- Vos seins ! répliqua Edward du tac au tac.

Les rôles s'inversèrent. Les filles huèrent ce propos misogyne applaudi par les garçons.

L'après-midi démarrait sous les meilleurs auspices.

Sarah retrouva lentement le sourire et parvint presque à oublier le choc des révélations de la presse.

Elle avait tout fait pour ne plus jamais entendre parler des photos et, au pire moment, voilà que ce souvenir lui était revenu en pleine figure.

- On est vraiment bien ici, s'extasia Edward en se vautrant dans sa chaise, une fois le calme revenu.

Caché dans les fourrés, Donald regardait la scène à l'aide de ses jumelles. Sept proies.

C'était du gros gibier, mais il avait l'avantage de la surprise.

Et surtout des armes, se dit-il en en sortant un long couteau de son étui.

- Tu aurais pu m'en parler plus tôt ! fit Edward.

- Tu n'aurais pas pu t'empêcher de le répéter à tout le monde ! répliqua Brian.

Oubliant les conseils élémentaires de digestion, ils s'étaient décidés pour un petit footing dans la forêt, dès leur déjeuner absorbé.

- En tout cas, tu n'as pas choisi la plus moche. Sarah est vraiment une belle nana.

Suivant un sentier naturel, ils remontaient le dos d'une colline sous le couvert des sapins. Quelques trouées dans la voûte des arbres leur laissaient apercevoir un soleil éclatant.

- Et je te jure qu'elle n'a pas que ça. Je vais te paraître con, mais je crois que je l'aime.

Sans cesser de fouler le sol rocailleux, Edward émit un rire désolé.

- Arrête ton char. On est encore trop jeunes pour ça. Ne me dis pas que tu comptes rester avec elle ? se moqua-t-il.

Brian aimait bien Edward, mais quelquefois il lui arrivait d'avoir envie de l'étrangler.

- Et toi, ça fait plus d'un an que tu es avec Shanice. Tu dois bien avoir quelque sentiment pour elle ? dit-il.

- Elle me fait marrer, et en plus c'est un super coup au pieu. Mais, garde ça pour toi, tu ne crois tout de même pas que je suis resté fidèle ? !

Brian s'en était toujours douté, mais il s'étonna qu'Edward s'en vante avec autant de désinvolture.

- Tu es incroyable. Tu n'as pas envie de fonder une famille, d'avoir des enfants ?

- Arrête, on dirait mon père ! ironisa Edward.

Ils sautèrent par-dessus un tronc d'arbre et reprirent leur course.

- Écoute, chacun son truc. Sarah a toutes les qualités que je cherche chez une fille. Je crois que je suis tombé sur le bon numéro.

- En tout cas, je ne sais pas ce qu'elle a, mais on dirait qu'elle tire la gueule.

Brian aussi avait remarqué sa réserve.

Il se l'expliquait par le contrecoup de sa demande en mariage. Cela prouvait qu'elle l'avait prise au sérieux, et qu'elle voulait prendre son temps avant de s'engager pour la vie.

Ce n'était pas une midinette, et il l'aimait aussi pour ça.

- Je crois que c'est la mort de ses anciennes copines qui la tarabuste, éluda-t-il.

- Je ne vois pas pourquoi ! Si je te retrouvais mort, je te jure que je ferais la fête sur ton cercueil ! plaisanta Edward avant de partir d'un grand éclat de rire.

- Pauvre con ! fit Brian qui faillit trébucher sur une racine apparente.

Durant cet instant il quitta Edward du coin de l'œil. En reprenant son équilibre, il entendit un cri.

Edward venait de s'effondrer sur le sol.

Brian explosa de rire et donna un coup de pied à son ami à terre. C'est alors qu'il vit la flèche qui lui transperçait le torse, et le sang qui coulait.

Il tourna instinctivement la tête vers la forêt mais, avant qu'il ait pu comprendre ce qui venait de se passer, une flèche pénétra dans son œil gauche et s'enfonça dans son cerveau.

- Two points ! fit Donald en abaissant son arc.

Il le remit en bandoulière, reprit sa sacoche et d'un pas lent et assuré marcha vers ses deux victimes.

Il n'éprouvait aucune fierté particulière, si ce n'est celle du travail bien fait.

Malgré ses trois années passées derrière les barreaux, il n'avait rien perdu de son talent de chasseur. Une flèche pour chacun avait suffi. Les humains étaient bien moins résistants que les animaux.

Il se posta au-dessus des deux corps.

Le sang s'écoulait de l'orbite crevée de Brian. Un coup magnifique.

Il regarda sa deuxième victime, et fit une moue de contrariété. Edward n'était pas encore mort. Son torse se soulevait et s'abaissait de façon grotesque.

- Pourquoi ? gémit-il, le regard voilé.

Donald resta au-dessus de lui sans répondre. Il regarda la vie s'éteindre dans ses yeux, mais n'y trouva guère de plaisir.

Cela avait été bien différent avec la prostituée. Il avait pu lire une véritable terreur dans ses yeux. Un moment qu'il n'oublierait jamais.

Edward cessa de respirer et Donald retira l'une après l'autre ses flèches, qu'il essuya sur les vêtements des jeunes étudiants avant de les ranger dans son carquois.

Les choses allaient devenir un peu plus intéressantes. Il avait vu l'une des filles s'éclipser en direction du petit ruisseau à moins de cent mètres de la ferme.

Courtney s'était allongée près du ruisseau et profitait du soleil. Elle se sentait mélancolique.

L'endroit était féerique. Elle était avec ses meilleurs amis et la nature environnante était d'un calme communicatif. Pourtant, elle n'était pas heureuse.

Jamais elle ne s'était sentie aussi seule.

Toutes les filles de son âge avaient des petits copains. Même des filles bien plus moches qu'elle !

Pourquoi n'arrivait-elle pas à trouver un mec qu'elle puisse aimer ?

Les types qu'elle rencontrait ne pensaient qu'à ses fesses.

Elle savait qu'elle n'avait qu'à changer de type d'hommes et se concentrer sur un intello dans le genre de Sam. Mais bon, il n'était vraiment pas très beau. Il n'y avait que Lisa pour se sortir un mec pareil, aussi sympa soit-il !

Elle repensa à son dernier petit copain. Un étudiant argentin qui lui avait fait la totale.

Elle avait réellement cru qu'il était amoureux d'elle et se voyait déjà partir pour Buenos Aires durant ses vacances. Mais ce connard l'avait larguée une semaine après leur première nuit d'amour !

Courtney sentit son cœur palpiter d'émotion au souvenir de cette trahison. Pourquoi les hommes étaient-ils si insénsibles ?

Une ombre passa au-dessus d'elle. Elle tourna la tête et vit la silhouette d'un chasseur. Elle ne l'avait pas entendu arriver.

Elle poussa un petit cri de surprise et se redressa d'un bond.

- Excusez-moi de vous avoir fait peur, ce n'était pas mon intention, dit Donald d'un ton amical.

- Non, ce n'est rien, mais j'étais tellement persuadée d'être seule !

Donald lui fit son plus beau sourire.

- C'est la saison de la chasse, vous devriez faire attention. Mais vous n'avez peut-être pas l'habitude de la forêt. Je me trompe ?

Son ton n'était pas méprisant, bien au contraire.

Courtney ne put manquer d'observer sa corpulence d'athlète et s'avoua que son visage était des plus avenants.

- Non, je suis étudiante. Avec des amis, nous allons passer tout le week-end dans la ferme un peu plus loin là-bas, fit-elle en désignant une direction. Enfin, ce n'est plus vraiment une ferme, mais ça l'a été à une époque.

Donald hocha la tête d'un air compréhensif.

- Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Faites attention à vous.

Merde, merde, merde ! Le laisse pas partir ! s'implora Courtney.

Elle avait pris cette apparition comme une divine surprise.

Il avait l'air gentil et n'avait eu à aucun moment ce regard lubrique qu'ont les garçons plus jeunes. Il avait l'air d'avoir vingt-cinq/vingt-six ans à tout casser. Ce n'était plus un adolescent.

- Peut-être à bientôt ? lâcha-t-elle d'une voix pâlotte.

Quelle idiote ! Dis-lui de rester, invite-le à la ferme ! se lamentait-elle intérieurement. Mais les mots ne sortaient pas.

Leurs regards se croisèrent. Il se rapprocha.

- Je peux vous demander un service ? fit-il.

- Oui, bien sûr, répondit-elle sans trop savoir à quoi s'attendre.

Et, sans qu'elle ait eu le temps de voir venir le coup, il se rua sur elle et l'attrapa à la gorge.

Il la fit tomber à terre et se posta sur elle sans relâcher la pression.

- Tu vas fermer ta gueule !

Il reconnaissait ce regard. C'était exactement le même que celui dont l'avait gratifié la prostituée. Une terreur absolue et sans fond.

Courtney essaya de se débattre. Une panique hystérique l'avait saisie. Elle se démenait en tous sens, mais l'homme était bien plus fort qu'elle. Elle n'arrivait plus à respirer.

Ce n'est pas possible, je ne veux pas mourir ! pensa-t-elle, terrorisée.

Donald sentit son excitation monter à son paroxysme. C'était du gâchis d'en finir aussi vite.

Pourtant il ne devait pas perdre de temps. Ceux qui restaient dans la ferme allaient se rendre compte que quelque chose clochait. Le temps jouait contre lui.

Le regard de la fille devenait vitreux.

Donald oublia sa règle de conduite. Il enleva une main de la gorge de la fille, avant de serrer son poing et de l'en frapper violemment à la tempe.

Courtney perdit connaissance.

Donald la pinça très fort au bras, mais Courtney ne réagit pas, elle ne simulait pas. Satisfait, il se dégagea et sortit de sa besace une bobine de fil de fer.

Il menotta Courtney dans le dos, puis lui colla un puissant adhésif sur la bouche. Enfin il sortit son couteau et lui coupa le tendon d'Achille gauche.

Dans un puissant élancement de douleur, Courtney reprit connaissance, mais Donald parvint à la maîtriser avant de lui sectionner l'autre tendon.

- Ne bouge surtout pas, je vais revenir, fit-il.

Incapable de se mouvoir et de hurler, Courtney était au bord de la folie. Une peur irrépressible la tétanisait.

Il va me tuer, il va me tuer ! se disait-elle en boucle.

Donald la trouva trop proche du ruisseau.

Pour éviter qu'elle ne roule jusqu'à l'eau et ne tente de se noyer, il la tira vers un arbre. Il ressortit sa bobine de fil de fer, et l'y attacha.

- À bientôt, fit-il en salivant d'avance à l'idée de ce qu'il allait lui faire.

Courtney ferma les yeux et laissa couler des milliers de larmes.

Logan s'arrêta sur le bord de la route, sortit de la voiture et déplia la carte.

Il se rappela les panneaux qu'il venait de dépasser et son doute se mua en certitude. Il avait raté un embranchement.

- Quel con ! fit-il en repliant la carte.

Il devait revenir sur plus de vingt miles avant de retrouver le chemin qui menait vers la ferme.

Il téléphona à Hurley et fut heureux de constater que le réseau passait encore.

- Salut, Jessica, écoute, je ne sais vraiment pas à quelle heure je vais revenir. C'est la deuxième fois que je me paume ! fit-il.

- Le sens de l'orientation n'a jamais été ton fort ! se moqua-t-elle.

Logan sortit une cigarette et l'alluma.

- En tout cas, le spectacle vaut le détour. Je suis sur le bord de la route et j'ai les Rocheuses rien que pour moi. Faudra vraiment qu'un jour tu voies ça de près.

Assise sur le siège du passager au côté de Callwin, Hurley était heureuse de l'intonation de sa voix. Rien n'était perdu entre eux.

- J'espère bien, répondit-elle. Écoute, on est presque de retour à River Falls, je t'appelle dès que j'arrive.

Logan tira sur sa cigarette. Il avait eu envie d'entendre sa voix. Il savait qu'il ne pouvait plus se mentir.

- À ce soir, Jessica, et passe le bonjour à miss Callwin, fit-il sur un ton ironique.

- Je n'y manquerai pas. Je t'embrasse.

Il referma son portable et, après avoir jeté un dernier regard panoramique sur l'horizon, il remonta dans sa Cherokee et entreprit de faire un demi-tour périlleux sur cette route montagneuse.

- N'arrête pas, laisse finir ce morceau, fit Shanice.

Lisa s'apprêtait à éteindre la radio et à rejoindre Courtney qui bronzait au soleil.

Elles avaient terminé les divers rangements. Les vacances pouvaient commencer !

- Ce n'est pas le meilleur titre de l'album, répondit Lisa qui laissa néanmoins le morceau.

- En tout cas, c'est le meilleur album des Doors ! répondit Shanice en se levant.

Elles venaient de s'accorder quelques petites minutes de repos dans les confortables fauteuils du salon.

Sarah se leva et prit la pochette du CD.

On frappa à la porte.

- Qui va ouvrir ? C'est Brian et Edward, à tous les coups, fit Lisa.

- Mais personne n'a fermé la porte à clé ! intervint Sarah.

- Ces garçons ont décidément de belles manières, apprécia Shanice en souriant.

Elle sortit du salon et longea l'étroit corridor qui menait à la porte. Elle l'ouvrit et à sa surprise elle découvrit un inconnu.

Une détonation retentit.

Avant d'avoir pu dire un mot, Shanice s'écroula sur le sol. Une balle en plein cœur.

Donald bondit en avant et entra dans le salon. Il aperçut Sarah, mais se focalisa sur l'autre jeune fille. Il ébaucha un sourire dément et tira sur Lisa.

Sam avait descendu l'escalier dès qu'il avait entendu la première détonation. Il arriva dans le salon juste pour voir Lisa s'écrouler sur le sol.

Sans chercher à comprendre, il se jeta sur Donald.

Les deux hommes tombèrent au sol.

La colère vivifiait chacun des muscles de Sam. Cet enfoiré avait tiré sur Lisa ! Avec ses poings, il se mit à frapper le chasseur, mais très vite ce dernier prit le dessus.

Horrifiée et déboussolée, Sarah sortit de la ferme en courant.

Ce n'est pas possible ! C'est un cauchemar ! se dit-elle, le souffle court.

Arrivée devant les voitures elle constata que les pneus étaient crevés.

- Oh, non ! s'écria-t-elle, le visage inondé de larmes, complètement affolée.

À l'intérieur de la maison, Donald avait maîtrisé Sam. Avec une rage féroce, il lui tapa le crâne contre le sol jusqu'à ce que le sang coule sur le parquet. Aussitôt après, il se releva et ressortit de la ferme.

Dehors, il vit Sarah qui essayait de s'enfuir dans la forêt. Son visage se figea dans une expression sadique.

Il se lança à ses trousses.

Moins de trente secondes plus tard, il était sur elle et la plaquait au sol.

- Ce n'est pas bien de vouloir échapper à son destin, dit-il d'une voix cruelle. Écoute-moi bien, petite garce, tu vas être très sage à partir de maintenant.

Sarah était hébétée. Elle avait reconnu le jeune homme.

- Vous êtes le photographe de Seattle. Pourquoi vous me faites ça ? Je vous en supplie, lâchez-moi. Je ne veux pas mourir, je ne dirai rien, bredouilla-t-elle.

C'était pathétique. Donald lui envoya une gifle et la força à le suivre.

- Je ne vais pas te tuer. Sauf si tu ne m'obéis pas.

Sarah ne le crut pas un seul instant.

La seule raison qui l'empêchait de sombrer dans la folie était l'unique espoir que Brian et Edward ne tarderaient pas à revenir.

- Nous avons beaucoup à discuter, toi et moi.

Sarah savait qu'elle devait retrouver son calme. Si elle perdait son sang-froid, il la tuerait. Elle devait essayer de l'amadouer. C'était comme ça que les femmes s'en sortaient dans les films. Sauf que ce n'était pas un film !

La panique envahit à nouveau son cerveau terrifié.

- Calme-toi, tout va bien se passer ! tenta de la rassurer Donald.

Il la prit par le bras et lui posa le bout de son pistolet entre les omoplates.

- On va gentiment rentrer à la maison et parler, ajouta-t-il.

Sarah se laissa conduire dans la ferme et eut un haut-le-cœur quand elle vit les corps de ses camarades gisant sur le sol.

Donald la conduisit à l'étage.

Sans opposer de résistance, Sarah se laissa menotter aux barreaux du lit.

Il va me violer ! pensa-t-elle, terrifiée.

Elle aurait dû réagir, quitte à mourir dans l'instant.

Mais elle en était incapable, tétanisée par l'horreur de la situation.

Elle n'était pas si forte qu'elle l'avait cru jusqu'à présent.

Brian, reviens, je t'en supplie ! pria-t-elle en se remettant à pleurer.

- Tu te souviens de Paul Ringfield ?

Elle eut comme un flash.

Elle sut enfin pourquoi ce visage ne lui avait pas paru inconnu. Toute la lumière se fit dans les ténèbres de sa mémoire.

— Non, c'est dégueulasse, on l'a assez humilié, ce pauvre type, fit Sarah.

Elles venaient d'entrer en première année à River Falls. Lucy, Amy et Sarah, les trois amies inséparables.

— Rien à foutre, il nous prend pour quoi ? ! Si on cède, on n'est pas crédibles ! On va lui montrer qui est le plus fort! s'imposa Amy.

Sarah n'était pas du tout d'accord. Elle ne pouvait oublier ce moment d'égarement où elle avait suivi ses deux amies dans cette opération machiavélique contre Paul Ringfield.

Mais, l'alcool aidant, elle s'était laissée tenter et avait joué le jeu.

Comme elle le regrettait à présent!

Non pas d'avoir couché avec un vieux. Elle avait déjà fait l'amour avec pas mal de types plus âgés qu'elle, mais celui-là n'était qu'un pauvre bougre.

Elle n'oublierait jamais sa tête quand, le lendemain de leur petite affaire, elle l'avait retrouvé dans un bar et lui avait expliqué le chantage. L'homme avait été complètement défait.

Pas de violence ni de colère, seulement un abattement total.

Il avait eu beau expliquer qu'il n'avait pas l'argent, Amy et Lucy avaient été intraitables. Il devait payer !

Trois semaines plus tard, Amy se préparait à envoyer une photo de leurs ébats à sa femme. Evidemment, elle avait pris soin de découper leurs propres visages.

Sarah tenta de les en dissuader. Elle détestait l'idée d'enfoncer encore un peu plus cet homme.

- Je ne suis pas d'accord, affirma-t-elle une nouvelle fois.

Sarah céda finalement, une fois de plus.

À partir de ce jour, leurs rapports se firent plus distants.

Amy et Lucy n'arrêtaient pas de la provoquer au sujet de son sentimentalisme ringard.

Mais, trois jours plus tard, quand elle apprit le meurtre de Paul Ringfield par sa femme, elle sentit un profond sentiment de culpabilité lui vriller les entrailles.

D'autant plus qu'elle avait été horrifiée d'apprendre que son fils se trouvait sur les lieux. Un jeune homme qui avait tué sa mère pour venger son père. Elle ne se le pardonnerait jamais.

La seule bonne nouvelle était qu'apparemment les flics n'avaient pas trouvé la photo.

Sarah s'était dès lors définitivement libérée de l'emprise d'Amy et Lucy et avait évité toute occasion de rencontre.

- Je suis désolée, je ne voulais pas, je vous le jure ! pleura Sarah.

Les larmes étaient bien réelles. Tout comme celles d'Amy et de Lucy. Donald avait tant attendu ce moment, durant les neuf cents jours enfermé entre quatre murs. Il prenait son pied...

À sa sortie de prison, cela n'avait pas été difficile de retrouver leur trace, et encore moins d'appâter le mec de Lucy avec un achat de dope. Il l'avait obligé à téléphoner à Lucy et à Amy pour un rendez-vous important.

Les filles n'avaient pas posé de questions. Elles étaient venues au rendez-vous dans une maison qu'il avait louée.

Il avait séquestré Brooks dans une des chambres.

Quand les filles avaient sonné à la porte, il les avait accueillies avec un sourire et leur avait dit que Brooks les attendait dans le salon. Elles n'avaient pas paru étonnées et l'avaient suivi après qu'il avait refermé la porte derrière lui.

Il les avait assommées, puis les avait descendues à la cave et enchaînées à un mur.

Il avait passé des heures à les torturer.

Au début, elles avaient essayé de lui mentir, mais elles avaient vite compris que la seule façon d'éviter le pire était de dire la vérité. Il apprit ainsi qu'elles avaient remis ça avec Brooks. Mais aussi que Sarah s'était éloignée d'elles.

Il avait obligé Lucy à écrire une lettre à Sarah, lui demandant de les rejoindre dimanche soir au Kingdom's Tavern. Puis il avait repris ses séances de tortures.

Lucy et Amy étaient mortes quelques minutes plus tard.

En fin d'après-midi, il avait remis la lettre à une des femmes de ménage de l'université en se faisant passer pour un amoureux timide.

La femme avait été touchée et amusée. Elle lui avait promis qu'elle glisserait la lettre sous la porte de la jeune fille.

Le lendemain, il avait attendu de longues heures au Kingdom's Tavern. Mais Sarah n'était pas venue. Il avait dû modifier tout son plan.

Il savait que la disparition des filles inquiéterait la police.

Il passa des heures à ruminer sur la façon de détourner les recherches de leur passé de sales garces.

Les filles lui avaient juré que Brooks ne connaissait pas le passé de Sarah. Il eut l'idée d'en faire le coupable idéal. Il le libérerait. Tant qu'il serait en fuite, les recherches se focaliseraient sur lui. Si la police le retrouvait, il parlerait du juge, du révérend et du président Augeri. Rien ne le reliait à lui et à Sarah.

... la musique des Doors continuait à se déverser dans le salon.

Donald se délectait de la terreur qu'il lisait dans les yeux de Sarah. Son seul regret était d'avoir dû la bâillonner. Même s'il savait qu'ils étaient loin de tout, des hurlements risquaient d'être entendus par des randonneurs, même à des dizaines de mètres à la ronde.

Il s'approcha de Sarah et commença à lacérer ses vêtements avec son couteau.

Lentement, avec des gestes précis, il allait prendre son temps pour la faire souffrir.

Logan maudissait le chemin cahoteux sur lequel il roulait.

Il se traînait comme une tortue avec sa Cherokee. La vitre ouverte, il sifflotait en essayant de calmer ses nerfs.

Il était sur le point de s'allumer une autre cigarette quand il vit au loin l'arrière d'une voiture garée au milieu du chemin.

La satisfaction détendit ses traits crispés. Il était enfin arrivé. Du moins, s'il était sur le bon chemin. Mais il ne voulait même pas imaginer avoir pu se tromper.

Il arriva derrière le véhicule.

Vu l'étroitesse du passage, il réalisa qu'il ne pouvait pas le doubler. Cependant il ne voyait toujours pas la ferme. Il se souvint alors que les étudiants étaient partis avec deux voitures.

Il arrêta le moteur de sa Cherokee, descendit, et se retrouva dans le silence bruissant de la nature.

Il inspecta la voiture, essaya d'ouvrir la portière, mais elle était verrouillée.

Il se frotta le menton, dépassa le véhicule et fit quelques pas. Il lui sembla percevoir comme de la musique. Un son très léger, mais qui détonnait avec ceux, paisibles, des alentours.

C'étaient bien des jeunes. Où qu'ils aillent, il fallait qu'ils fassent du bruit !

Il revint vers sa Cherokee, la ferma à clé et n'eut d'autre choix que de finir le chemin à pied. La ferme ne devait pas être loin.

Il n'avait pas fait quinze mètres quand son regard accrocha quelque chose sur la route. On aurait dit un... corps?

Logan sentit les pulsations de son cœur s'accélérer. Il mit la main à son pistolet et enleva la sécurité.

Oublie les idioties de Jessica ! se dit-il en imaginant le pire.

Cette imbécile lui avait mis de sales idées en tête. Ce n'était pas un corps, voulut-il se convaincre, accélérant le pas malgré lui.

Dix mètres plus loin, son cœur bondit dans sa poitrine quand le doute se fit certitude. Le corps d'une jeune fille gisait devant lui. Hurley avait raison.

Donald Ringfield devait être le tueur et allait conclure sa vengeance ! comprit Logan, sous le choc.

Il se figea, immédiatement aux aguets.

Il jeta un regard circulaire sur la forêt environnante. Le paysage était d'une sérénité indifférente. Pas un bruit, si ce n'était cette musique qu'il percevait au loin.

Tous les sens en alerte, il reprit sa marche, son pistolet bien en main, prêt à tirer.

Il arriva au-dessus du corps de Lisa. Elle était allongée sur le ventre. Une longue traînée de sang lui indiquait le chemin.

Il se baissa sans faire de bruit et posa sa main sur la gorge de la jeune fille. Il ne sentit aucune pulsation.

Logan serra les dents. Elle avait dû se traîner jusqu'à ce que ses jambes ne l'aient plus soutenue.

Il ferma les yeux, s'interdit de hurler sa rage et reprit le contrôle de ses émotions.

Il devait à tout prix appeler du renfort.

Il sortit son portable et dut convenir que les parents Spatling avaient raison. Rien ne passait !

Un choix s'imposa à lui. Retourner à son véhicule et repartir jusqu'à ce qu'il capte le réseau ou tenter de sauver tout seul ceux qu'il restait à sauver.

Il n'hésita pas une seconde.

Il se dirigea vers la forêt, puis continua sur un chemin parallèle à la route.

Il vit enfin la ferme et reconnut la musique. The End. Un standard des Doors.

Il se maudit de n'être pas arrivé plus tôt !

Il n'avait aucune idée de ce qu'il allait trouver à l'intérieur de la bâtisse, mais, après le corps sans vie de la jeune fille, il redoutait le pire. Il y avait sept étudiants, et il n'entendait pas un son de voix.

Combien étaient déjà morts ? Deux, quatre, six... tous ?

Il s'obligea à rejeter ces pensées morbides. Une chose était certaine. La présence de la voiture prouvait que le tueur était encore dans le coin. Dans la ferme ?

Il arriva près des voitures des étudiants. Les pneus avaient été crevés. Toujours avec d'extrêmes précautions, il continua son avancée vers la maison et tomba en arrêt sur un autre corps étendu dans l'entrée.

Il serra instinctivement son pistolet et avança en jetant de rapides coups d'oeil de tous côtés.

Il reprit le contrôle de son souffle et monta les deux marches du perron. Le bois craqua sous ses pas.

Il s'arrêta, à l'écoute du moindre frémissement suspect.

Malgré la musique, il perçut alors le son d'une voix provenant de l'étage.

Un timbre masculin.

La musique l'empêchait de comprendre ce que disait Ringfield mais cela lui donna espoir qu'il restait un survivant. À moins que, dans sa folie, il ne parle tout seul ?

Logan s'avança silencieusement dans le corridor qui lui faisait face.

Grâce au Ciel, le parquet n'émit aucun bruit.

L'escalier se trouvait droit devant lui. Il mourait d'envie de monter les marches quatre à quatre et d'abattre Ringfield.

Quoi que puisse en penser Hurley, il ne lui ferait pas l'honneur de l'arrêter.

Il avait laissé la vie sauve à Snider, il n'épargnerait plus jamais un autre serial killer.

Néanmoins, il devait garder son sang-froid.

Il continua à progresser lentement. L'effet de surprise était son seul atout.

Sur sa droite se trouvait un grand salon.

Deux autres corps sans vie gisaient sur le sol. Une nouvelle vague de haine jaillit en lui. Ses phalanges blanchirent sur son arme tant il la serrait avec force.

Il se rapprochait inéluctablement de l'escalier.

Il posa délicatement la pointe de sa chaussure sur la première marche. Il y eut un léger craquement.

Et merde ! jura Logan en lui-même.

Il s'arrêta, prêt à faire feu, mais Ringfield continuait son long monologue.

- ... comme c'est mignon. Un string rose. Tu as beaucoup de goût, Sarah.

Logan sentit son estomac se tordre. Certes, Sarah était encore en vie, mais Ringfield était en train de la torturer !

Logan souffrait mille morts. Il mourait d'envie de grimper l'escalier en courant. Mais Ringfield risquait de paniquer et d'achever Sarah.

Logan oublia cette option et posa le pied sur la troisième marche. Il se détendit légèrement quand le bois ne craqua pas.

Les trois minutes qui suivirent furent parmi les plus longues et les plus terribles de sa vie.

Il imaginait Ringfield reproduisant sur Sarah les horreurs qu'il avait pratiquées sur Lucy et Amy. Les mêmes entailles, les mêmes sévices sur ce jeune corps.

Logan se rendit compte que Ringfield s'était tu. Un très mauvais signe.

Il arriva enfin sur la dernière marche. La sueur coulait le long de son corps. Ses yeux le brûlaient, son front dégoulinait de sueur, son cœur battait à tout rompre.

Logan était en transe.

Il entendit du bruit sur sa gauche.

Il ferma les yeux, fit une prière à un dieu auquel il ne croyait pas, puis s'engagea lentement sur le palier qui s'étirait en un long couloir.

Il vit les deux chambres de gauche. Les portes étaient ouvertes.

Dans l'une, il distingua l'extrémité d'un lit. Deux jambes y étaient solidement attachées et se débattaient inutilement.

Logan continua doucement dans le corridor.

Plus il avançait, meilleure était sa vision de l'intérieur de la chambre. Le corps de Sarah se révéla lentement à lui. Elle était entièrement nue, attachée, bâillonnée, mais, autant qu'il pût en juger, ne semblait porter aucune trace de sévices.

Ringfield devait se trouver de l'autre côté du lit, près de la cloison.

La musique s'arrêta sur les dernières notes du morceau.

Logan se figea sur place. Il avait l'impression que les battements de son cœur résonnaient aussi fort que des tambours dans la nuit.

Il cligna des yeux. Le temps sembla ralentir.

D'abord une ombre, puis une silhouette qui apparut dans l'encadrement de la porte. Un visage démoniaque.

Ringfield se rua sur lui. Logan tira deux fois à l'aveuglette. Ringneld le percuta et s'effondra à ses côtés.

Au même instant, une douleur terrible vrilla le ventre de Logan.

Allongé sur le dos, Logan tourna la tête. Le visage sans vie de Ringfield le regardait de ses yeux morts.

Ainsi doivent finir les crapules ! se dit-il.

Il prit alors conscience de sa blessure. Un couteau était planté dans son abdomen.

Il entendait toujours les gémissements de Sarah, et le bruit qu'elle faisait en s'agitant désespérément sur le lit.

Logan savait qu'un homme blessé ne doit pas bouger, et encore moins ôter l'arme qui lui transperce les tripes. Mais il n'avait pas le choix.

S'il ne se relevait pas, le temps que Hurley comprenne qu'il y avait un problème, il serait trop tard. Il se serait déjà vidé de tout son sang.

Aussi, malgré la douleur lancinante, dans un effort de survie il réussit à se mettre sur le côté.

Il reprenait son souffle quand il entendit des pas précipités monter l'escalier.

Logan se maudit de sa stupidité. Il y avait deux tueurs ! Deux tueurs !

Son pistolet était à un mètre de lui. Il n'aurait pas le temps de l'atteindre.

Le second tueur se pencha au-dessus de lui. Il avait tout merdé !

- Shérif? fit Sam.

Logan éclata d'un rire nerveux quand il comprit sa méprise.

Sam le regarda puis vit le pistolet qui était sur le sol. Il l'attrapa et, sous le regard impuissant de Logan, il braqua Ringfield.

Cette crapule avait tué Lisa et emmené son corps il ne savait où.

Les larmes jaillirent, puis il laissa éclater sa haine.

- Espèce de crevure, je vais te tuer ! explosa Sam en vidant le reste du chargeur sur la dépouille du tueur.

- Calme-toi, fit Logan resté au sol.

Mais Sam continuait à braquer Ringfield.

- Approche-toi, petit, et écoute-moi ! continua Logan bien que la douleur lui tenaillât le ventre. Sarah est dans cette chambre. Délivre-la. Il n'y a pas de temps à perdre.

Sam le regarda de ses grands yeux perdus et, sans un mot, d'une démarche mécanique, il pénétra dans la chambre.

Logan reposa la tête sur le sol. Il entendit le bruit d'un adhésif qu'on retire, puis les pleurs de Sarah.

- Détache-moi, Sam, je t'en supplie, fit-elle.

Logan sentit son cœur se serrer, et crut qu'il allait se mettre à pleurer lui aussi.

Puis Sam revint vers lui. Il semblait toujours dans un état second.

Logan parvint à sortir de ses poches les clés de sa voiture et son portable.

- Vous allez prendre ma Cherokee. Elle est garée plus loin sur le chemin. Dès que vous aurez du réseau, il faut que vous appeliez Jessica Hurley.

- D'accord, fit Sam d'une voix atone.

- Il faut que tu sois fort, mon garçon. Il y aura un temps pour pleurer, mais vous devez à tout prix rester lucides. Tu m'entends ?

Sam hocha la tête.

À ce moment, Sarah sortit de la chambre. Elle avait enfilé des vêtements à la va-vite.

Dès qu'elle découvrit le corps de Ringfield allongé sur le ventre, elle alla lui donner un violent coup de pied dans les côtes avant de lui cracher dessus. Puis elle se tourna vers Logan.

- On va vous aider, shérif, fit-elle en se penchant vers lui pour le relever.

Sam allait faire de même.

- Non, si je bouge, je vais me vider de mon sang encore plus vite. Allez-vous-en et appelez du secours. Ne restez pas ici.

Il n'était pas impossible, après tout, qu'il y ait bien un autre tueur. On n'était plus à un rebondissement près.

Dans toute cette horreur, il était soulagé de constater un certain sang-froid chez ces gamins. Il referma les yeux.

- On va faire vite, je vous le promets, fit Sarah qui se mit à pleurer.

Sam lui passa un bras autour des épaules et ils se relevèrent.

- Sarah ? fit Logan.

- Oui?

- Dites à l'agent Hurley que je l'aime, que je l'ai toujours aimée.

Les larmes coulèrent de plus belle sur le visage de Sarah.

- Vous n'allez pas mourir, shérif, tenez bon. Je vous en supplie, tenez bon.

Sam la tira par le bras. C'était dur de laisser le shérif dans cet état, mais c'était la seule solution. Il ne fallait plus perdre de temps.

Ils dévalèrent l'escalier, puis ils durent prendre sur eux pour passer sans s'arrêter près du corps de Shanice.

Dehors, rien n'avait changé. Le soleil était toujours aussi radieux au-dessus de la cime des arbres.

Ils remontèrent le chemin qu'ils avaient emprunté quelques heures auparavant.

Sam ne put retenir ses larmes quand il comprit où menait le long sillage sanglant qu'ils suivaient.

Il se mit à courir et s'accroupit devant le corps de Lisa.

Il crut devenir fou. Il hurla sa rage et sa douleur à un dieu sourd et impassible.

La main de Sarah se posa sur son épaule.

- Sam, il faut sauver le shérif. Ne me laisse pas toute seule.

Il lui renvoya un regard d'enfant perdu.

- Viens avec moi. J'ai besoin de toi, ajouta Sarah.

Sam se détacha du corps et se redressa. Les yeux rougis, il tendit à Sarah les clés de la Cherokee.

Ils s'installèrent rapidement à l'intérieur du véhicule.

Dès qu'elle eut tourné la clé, le moteur démarra sans problème. Elle fit demi-tour puis, sans se soucier des trous et des bosses, elle dévala le chemin.

- Sam, tu m'entends ?

Il était assis à ses côtés. Totalement prostré.

Ringfield n'avait fait que l'assommer. Tout le sang dont il était couvert provenait d'une large entaille dans le cuir chevelu. Il avait eu beaucoup de chance.

- Oui, répondit-il d'un ton froid, impersonnel.

Puis il sortit le portable de sa poche, attendant qu'il y ait du réseau.

Sarah se concentrait sur sa conduite. Elle ne devait penser qu'à la route et surtout pas à Brian. Nul doute qu'il était mort. Elle devait être forte.

Le shérif était en train de mourir. Elle seule pouvait le sauver. Elle ne devait pas paniquer.

Sarah savait qu'elle aurait toute la vie devant elle pour hurler son chagrin.

Hurley était en compagnie de Callwin quand son portable sonna.

Après leur retour de Silver Town, elles avaient décidé de s'arrêter dans un bar de la ville pour continuer leur discussion.

Callwin ne ressemblait pas du tout à l'image caricaturale qu'elle pouvait donner d'elle-même. Hurley espérait vraiment qu'elle tiendrait bon, tout en sachant que ce ne serait pas facile pour elle à Seattle. Mais elle pourrait l'aider, à l'occasion.

- C'est Logan, fit Hurley en voyant le nom s'afficher sur l'écran.

Callwin sourit et but une gorgée de bière. À sa stupeur, le visage de Hurley perdit toutes ses couleurs.

- Il a dit qu'il vous aime, qu'il vous a toujours aimée, ajoutait Sam à l'autre bout du téléphone.

Hurley s'effondra en pleurs.

Callwin fut d'une efficacité redoutable. Le temps que Hurley reprenne le dessus, elle avait appelé les services de police et l'hôpital, puis avait pris contact avec les Spatling pour qu'ils lui donnent l'adresse exacte de leur ferme.

- Merci, fit Hurley quand Callwin eut terminé d'écrire l'adresse sur un bout de papier.

- C'est normal, entre femmes il faut s'aider, non ?

Hurley réussit à esquisser un sourire.

- Votre mec, je suis sûr que c'est un coriace, il va s'en tirer. Faites-lui confiance ! fit Callwin en se levant de table.

Elle se rapprocha de Hurley, ignorant les regards interrogateurs des autres clients.

- Allez, vous ne devez pas flancher. Il faut y aller, vous avez du boulot.

Le ton était tranquille, alors qu'elle parlait d'inspecter les lieux où plusieurs étudiants venaient d'être assassinés. Mais elle avait raison, elle devait mettre de côté ses émotions, sinon elle risquait de devenir folle.

- Ça vous dit d'être ma copilote ?

Callwin espérait qu'elle le lui proposerait, mais elle n'aurait jamais eu l'audace de s'imposer. La nouvelle Leslie n'était plus prête à tout pour un bon papier.

Les deux femmes sortirent du bar et montèrent dans la voiture.

Un quart d'heure plus tard, elles quittaient River Falls, direction les Rocheuses.

L'hélicoptère parvint à se poser près du ruisseau. Blanchett jaillit de l'habitacle et fonça vers la ferme au loin, une infirmière et un chirurgien courant à sa suite. Du fait de la taille réduite de l'engin, ils n'avaient pu monter plus nombreux à bord.

Le soleil commençait sa lente descente. Sous le couvert des arbres, l'obscurité envahissait l'espace.

Aucune lumière ne provenait de la ferme. Blanchett savait qu'il n'y avait pas l'électricité, mais cela ne présageait rien de bon.

Elle parvint près de la porte et découvrit aussitôt le corps sans vie de Shanice qui bloquait l'entrée.

Essoufflé, le chirurgien arriva à son tour, se baissa et lui prit le pouls. Mais, par expérience, il savait déjà qu'elle était morte.

Blanchett ne l'avait pas attendu et, se souvenant des indications de la jeune Sarah, elle grimpa à l'étage et découvrit deux corps inanimés.

Elle se rua auprès de Logan et posa ses doigts sur sa gorge.

Son pouls était très faible. Il était inconscient.

- Docteur, dépêchez-vous ! hurla-t-elle.

Le chirurgien et l'infirmière arrivèrent et posèrent tout leur attirail.

L'infirmière commença à découper la chemise maculée de sang, tandis que le chirurgien préparait une perfusion.

Blanchett était fébrile. Elle serra les poings et trouva la force de ne pas défaillir.

- Il nous faut plus de lumière, ordonna le chirurgien.

Sarah avait dit par téléphone qu'ils avaient emporté des lampes à pétrole qu'ils avaient disposées dans les chambres. Blanchett alla les récupérer et en plaça deux près de Logan.

Puis, ayant compris que sa présence ne pouvait que ralentir le chirurgien, elle décida d'aller à la recherche des trois étudiants dont ni Sarah ni Sam ne connaissaient le sort.

Prenant une direction au hasard, elle se mit en route pour retrouver les traces de Brian, Edward et Courtney.

Durant plus d'un quart d'heure, elle cria leur nom dans l'espoir d'une réponse. Mais rien. Abattue, elle comprit que les chances de les retrouver vivants étaient nulles.

Elle revenait près de la ferme quand elle entendit un cri.

Elle se mit à courir et reconnut alors la voix du pilote de l'hélicoptère qui continuait de hurler à tue-tête. Blanchett allongea ses foulées. Que se passait-il ?

Dans l'obscurité naissante, elle distingua d'abord une étrange silhouette, avant de comprendre qu'il s'agissait du pilote tenant Courtney dans ses bras.

- Il faut rappeler le docteur ! lui cria l'homme.

Courtney était en vie et sanglotait nerveusement. Du sang s'était coagulé au niveau de ses tendons d'Achille.

- Je l'ai trouvée attachée à un arbre, expliqua le pilote.

La gorge serrée, Blanchett le remercia d'un mouvement de la tête.

Pauvre gamine ! se dit-elle en maudissant la carcasse de Ringfield.

Quelques minutes plus tard, l'hélicoptère s'élevait dans le ciel, Logan à son bord. Le chirurgien avait réussi à stopper l'hémorragie mais n'était sûr de rien. Le temps jouait contre eux.

Devant le refus quasi hystérique de Courtney de monter à bord, Blanchett avait décidé de rester sur les lieux avec elle. Personne n'avait insisté, chaque seconde comptait.

Le soleil avait disparu derrière les montagnes quand la colonne de voitures de police et d'ambulances rejoignit enfin Blanchett.

Sans perdre de temps, une battue fut organisée pour retrouver Brian et Edward avant que la nuit soit totale.

Les deux maîtres-chiens partirent les premiers.

Hurley sortit de la voiture de Callwin et entra directement dans la ferme.

Quand elle découvrit le corps sans vie de Ringfield, elle n'éprouva pas la moindre compassion.

_ On va l'emporter, fit un des ambulanciers en arrivant derrière elle.

Hurley s'écarta. Elle avait pour règle de ne jamais diaboliser les tueurs. Mais dans cette affaire c'était différent. Contre tous ses principes, elle n'arrivait pas à regretter sa mort.

Elle redescendit ; une mauvaise nouvelle l'attendait quand elle ressortit à l'air libre.

- On a retrouvé les corps de Brian et d'Edward, fit Blanchett d'un ton désolé.

Hurley hocha lentement la tête.

À ce moment, allongée sur une civière, Courtney fut transportée dans une des ambulances afin d'y recevoir de nouveaux soins.

Bien qu'elle se tînt à distance, Hurley put observer de nombreuses traces de violence.

Hématomes importants sur la gorge et à la tempe. Plaies ouvertes au niveau des poignets et des chevilles. Les deux tendons d'Achille sectionnés.

Un médecin avait injecté un puissant sédatif à Courtney, qui paraissait hébétée. Un regard terrible que Hurley ne put soutenir.

Elle savait combien dans les années à venir il serait difficile pour cette pauvre enfant de se reconstruire.

— Je ne comprendrai jamais comment on peut prendre plaisir à faire souffrir les gens comme ça ! s'exclama Callwin.

Phrase stupide s'il en était, mais qui était sortie toute seule.

— Les tueurs en série sont autant victimes que bourreaux. Graves traumatismes psychologiques subis dès la prime enfance, auxquels personne n'a pris garde. Déviance congénitale ou maltraitance impliquant des dérèglements comportementaux, etc., etc., fit Hurley en récitant ses classiques d'un ton désinvolte.

Elle n'avait pas envie de comprendre ce Ringfield. Elle avait besoin de le détester. Elle avait besoin de cette montée de haine pour tenir à distance sa douleur.

Logan était entre la vie et la mort, et cet homme en était le responsable.

Hurley essaya de ne plus y penser, et retourna auprès des autres policiers mener les premières investigations.

Sept Jours à River Falls
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