5
- L'amour prend des chemins tortueux parfois, philosopha Sarah.
- Pourquoi tu dis ça ? demanda Brian.
Ils étaient assis à l'une des meilleures tables de la ville. Le lieu de rendez-vous de tous les fortunés du coin.
Sarah avait eu un mal fou à trouver une tenue suffisamment chic pour ne pas passer pour une souillon.
- Il y a deux jours, tu me frappais et me menaçais de je ne sais quelles représailles, et maintenant tu me demandes en mariage ! C'est pour le moins surprenant, non ?
La nuit était descendue sur la ville.
La douce lumière des petites lampes posées sur chaque table créait une ambiance intime dans la salle du grand restaurant.
Personne ne prêtait attention à eux, isolés dans un angle. Les gens parlaient à voix basse. En léger fond sonore, du Chopin.
Brian lui sourit. Il prit dans sa main celle de Sarah posée sur la table.
- Tu n'as toujours pas répondu à ma question. Mais bon, je peux comprendre que tu veuilles prendre ton temps.
Sarah le buvait du regard. Elle ne l'avait jamais vu aussi bien habillé. Un vrai gentleman. Et sa façon de la regarder. Ce n'était plus du désir sexuel, mais bien autre chose.
Le véritable amour peut-être ?
- On sort ensemble depuis à peine trois mois et, encore, en toute discrétion. Qui sait si nous nous supporterons au quotidien ?
- Moi je le sais, affirma Brian.
Depuis qu'il avait pris la décision de révéler au grand jour sa liaison avec Sarah, et par conséquent de mettre véritablement un terme à sa pseudo-histoire avec Elisabeth Parker, il se sentait soulagé d'un énorme poids. Il voyait les choses bien plus clairement qu'auparavant.
Ce mariage quasi arrangé entre lui-même, le fils de l'architecte Hoggarth, et la fille du directeur du plus prestigieux hôtel de la ville, n'était qu'une simple mascarade.
Il n'avait jamais aimé Elisabeth. Elle n'était pas laide, mais faire l'amour avec elle était d'un ennui mortel et leurs conversations étaient complètement insipides.
Sarah avait tout ce qu'il désirait. Un corps de rêve, un foutu caractère et une véritable passion pour le football.
- Et tes parents, qu'est-ce qu'ils vont dire ? Une petite provinciale de Silver Town venue mettre le grappin sur un des plus beaux partis de la ville.
- Personne ne met le grappin sur moi. Tu as l'air d'oublier que c'est moi qui t'ai draguée, et pas l'inverse.
Non, Sarah n'avait pas oublié.
Elle avait toujours été fascinée par les joueurs de football. Elle était sortie avec deux d'entre eux, mais elle n'aurait jamais été jusqu'à draguer le quarterback vedette de l'équipe universitaire de River Falls. D'autant plus qu'il était déjà fiancé.
Même si elle aimait asticoter les mecs, elle n'était pas comme Lucy et Amy. Jamais elle n'avait couché avec un type juste pour le plaisir. Elle n'était pas comme elles !
- Ça ne va pas ? s'inquiéta Brian en voyant le visage de sa douce s'assombrir.
- Hein ! quoi ? ! fit-elle en redressant la tête. Rien de spécial, je pensais à l'époque où j'étais à Silver Town.
- Lucy et Amy ?
- Oui, répondit-elle dans un souffle.
Brian recula dans son siège et la regarda d'un air attendri. Il ne savait rien de son passé, mais avait vite compris qu'elle n'aimait pas en parler.
- Vous étiez vraiment de grandes amies ? Je n'arrive pas à t'imaginer avec elles. Sans vouloir leur manquer de respect, elles étaient...
Il laissa sa phrase en suspens.
- Des garces, tu peux le dire. Mais si tu les avais connues enfants... On a fait les quatre cents coups ensemble. On s'est même retrouvées deux ou trois fois au poste de police pour des broutilles.
- Du genre ?
- Je me rappelle un jour où Lucy s'était mis en tête de voler des bonbons à l'épicerie du vieux Gillis. Amy et moi devions faire semblant d'avoir une crise de larmes au fond du magasin pour y attirer Gillis, pendant que mademoiselle se remplirait abondamment les poches de toutes les friandises exposées sur le comptoir. Le vieux en avait vu d'autres. Il nous a attrapées, avec Amy, tandis que Lucy s'enfuyait en rigolant. Mon père m'a foutu une sacrée trempe ce soir-là. Mais, au fond de moi, j'étais contente, j'étais devenue une rebelle !
Brian essayait de l'imaginer plus jeune. Une petite peste qui traînait avec de mauvais garçons !
- Tu sais, même si je me suis détachée d'elles en arrivant à l'université, je ne regrette aucun des moments que nous avons passés ensemble durant notre adolescence. Nous étions insouciantes et prêtes à tout pour connaître des sensations fortes. Je n'ai jamais autant ri qu'avec Lucy et Amy. Tout nous semblait possible. Nous détestions Silver Town et n'avions qu'une envie : quitter cette ville et rejoindre la côte. Amy voulait devenir une star de la chanson, et Lucy et moi rêvions d'être les nouvelles Marylin. (Sarah soupira.) Mais la réalité nous a rattrapées avec les années. Nous n'étions vraiment pas habitées par la fibre artistique. À un moment donné, nous avons fait le choix de nous rabattre sur les études. Amy et Lucy ont continué à entretenir leur allure un peu extravagante en arrivant ici, mais leurs résultats aux examens montraient qu'elles tenaient malgré tout à s'en sortir.
- Oui, je sais, et je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi vous vous êtes perdues de vue.
- Je te l'ai déjà dit. Mes parents se sont saignés aux quatre veines pour me payer l'entrée à l'université. Je ne pouvais plus suivre le rythme de Lucy et d'Amy. Elles n'arrêtaient pas de sortir et ne révisaient jamais. Si elles n'avaient aucune aptitude à devenir des stars, elles avaient au moins la chance d'être plutôt douées pour les études. On avait tous l'impression qu'elles n'en foutaient pas une. Mais, regarde, elles ont eu leurs deux premières années sans problème, alors que moi, tu n'imagines même pas les heures que j'ai passées à la bibliothèque pour essayer de comprendre et d'assimiler tous nos cours. Si j'avais suivi Lucy et Amy, il y a bien longtemps qu'on m'aurait mise dehors.
Brian pensait qu'elle ne lui disait pas tout, mais elle avait l'air tellement sincère.
- Ouais, fit-il d'un ton peu convaincu. En tout cas, je suis heureux que tu les aies quittées. Tu réalises, si tu les avais encore fréquentées... Et cette lettre qu'elles t'ont fait passer samedi soir. Si tu étais allée à leur rendez-vous...
- On peut parler d'autre chose ? le coupa abruptement Sarah.
Elle ne voulait pas penser à ça. Toute cette histoire était derrière elle. Il fallait aller de l'avant.
- Pardon, je suis désolé, s'excusa Brian. Alors, la réponse à ma question ?
Sarah lui sourit. Elle ne se sentait absolument pas prête pour le mariage.
- Je vais y réfléchir, mais je ne te dis pas non. J'ai juste besoin de te connaître un peu mieux.
Brian prit un air surpris alors qu'un serveur leur apportait les entrées.
- Qu'est-ce que tu veux savoir sur moi ? Je n'ai rien à cacher.
- Parle-moi de Jennifer Shawn.
Brian, cette fois, ne fit pas semblant d'être surpris. Il l'était véritablement.
- Tu es au courant ? dit-il, sur la défensive.
- Hé oui ! Mais tu n'as rien à cacher, n'est-ce pas ? répliqua-t-elle avec un sourire plein de malice.
Brian baissa son regard sur son assiette, avant de redresser la tête.
- Ben oui, je suis sorti avec elle cet été. Et, si tu veux tout savoir, elle est loin d'être aussi space qu'on pourrait le croire. Bien au contraire, elle est plutôt sympa. Je n'ai aucune honte d'être sorti avec elle.
- Ne prends pas cet air, je ne t'accuse de rien. C'est vrai qu'elle est plutôt cool.
- C'est elle qui t'a vendu la mèche ?
- Oui, mais ne t'en fais pas. Elle n'est pas jalouse. Du moins, elle n'est plus jalouse. Elle t'en veut seulement de l'avoir quittée.
Brian était vraiment gêné. Il n'aurait jamais imaginé devoir parler de ça avec Sarah.
- Ne crois pas que de retour à l'université j'aie eu honte d'être avec elle. Ce n'est pas ça. Elle a beaucoup de qualités, mais ce n'était pas la femme de ma vie. Elle a une vision trop sombre des choses et en plus c'est une démocrate.
- Moi aussi je suis démocrate.
Brian rejeta sa réponse d'un geste de la main.
- Mais toi, ce n'est pas pareil. Tu n'es pas figée dans tes convictions. En plus, tu m'as dit toi-même que tu étais pour la peine de mort. De toute façon, on s'en fout. J'ai passé de très bons moments avec Jennifer, mais je n'étais pas amoureux d'elle. Un point c'est tout.
Sarah s'estima satisfaite de sa réponse. Elle était contente qu'il n'ait pas dit du mal de Jennifer. Elle détestait les types qui se moquaient de leurs anciennes copines.
- OK, ça me suffit, dit-elle.
Brian s'avança sur son siège et reprit un air plus décontracté.
- Tu sais que tu es la plus belle femme du monde ?
Le compliment, pourtant éculé, lui fit très plaisir.
- Je t'aime, Brian.