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Logan entra dans le O'Toole's Beef, un snack branché dans Downtown Corner. Il était treize heures.
Il avait pris la voiture de fonction à l'université tandis que ses trois collègues empruntaient sa Cherokee, emmenant dans leur sillage la meute de journalistes. Mlle Dickinson avait eu l'obligeance de l'amener jusque-là. Il avait passé une partie du trajet allongé sur la banquette arrière, tel un voleur !
Hurley et l'équipe de Seattle avaient déjà entamé leur repas dans la salle haute qu'ils avaient réservée.
- Salut, le déserteur ! fit Freeman en levant la main vers Logan.
Le shérif s'approcha d'eux et posa son manteau sur la seule chaise vide. Il s'assit face à Moore et toucha, sans le faire exprès, la jambe de Hurley assise à sa gauche.
Les larges fenêtres laissaient entrer un flot de lumière. En bas, dans la rue bordée d'un alignement de bouleaux que des véhicules tout-terrain descendaient sans hâte, la vie continuait, nonchalamment.
- Salut les gars, vous avez trouvé des choses intéressantes ?
Par les deux SMS que lui avait envoyés Hurley, il savait qu'il n'y avait rien de probant, mais leur enquête ne faisait que commencer.
- On attend les résultats d'analyse digitale. À part ça, rien de bien intéressant. Si les filles cachaient des secrets, elles ont pris grand soin de ne pas les garder dans leur chambre. Rien d'incongru. Juste des paquets de cigarettes planqués sous le matelas, fit Blake.
Il passa la main sur son crâne rasé et laissa la parole à Moore.
- J'ai pu ouvrir leur ordinateur et accéder à leur boîte e-mail. Rien de spécial. Seulement des messages envoyés à leur famille, et à d'autres étudiants du campus. Des broutilles. Pas de quoi fouetter un chat.
Avec son costume serré et ses lunettes carrées, il avait l'air d'un véritable agent du fisc, se dit Logan.
- Pourtant, on sait qu'elles n'étaient pas aussi sages que ça. A priori, elles ont flirté avec pas mal d'étudiants pour leur soutirer de l'argent, leur annonça-t-il.
Hurley posa sa fourchette, prit son verre et avala une gorgée.
- Et quoi d'autre ? demanda-t-elle en le reposant.
- Elles sortaient quasiment tous les soirs. De temps en temps, elles emmenaient des copines de l'université. Mais une chose est certaine : Lucy et Amy ne se quittaient jamais.
- Peut-être étaient-elles lesbiennes ? intervint Freeman.
- Et donc... ? dit Blake en lui jetant un regard plein de reproches.
Il n'avait jamais remis en cause les talents de son jeune partenaire, mais parfois il lui arrivait de ne plus supporter ses attitudes d'adolescent.
- Et donc rien. J'essaye seulement d'établir leur profil psychologique.
Hurley partit d'un grand éclat de rire, suivi bientôt par ceux de toute la tablée.
- OK, j'ai rien dit, concéda Freeman, un peu vexé. Tu disais, Mike ?
Logan interpella le serveur et commanda directement un steak-frites bien saignant. Puis il reprit son résumé de la matinée :
- Elles traînaient dans tous les bars de la ville. Des petits clubs de seconde zone. Une fois, cependant, si j'en crois l'une des étudiantes, elles l'auraient fait entrer dans un club très huppé. Le genre d'endroit où se rencontrent tous les notables.
- Tu crois qu'il est possible qu'elles aient servi d'escort-girls, de temps en temps ? l'interrogea Moore.
Logan prit le verre de Hurley et but une gorgée.
- C'est possible. J'ai demandé à avoir la liste de leurs comptes. Peut-être y trouvera-t-on des dépôts d'argent intéressants, fit-il avec un clin d'œil à Hurley.
Hurley reprit son verre, comme si de rien n'était.
- J'ai aussi le nom du petit ami de Lucy : Larry Brooks. Quant à celui d'Amy, personne n'est capable de se mettre d'accord sur un seul nom. En tout cas, il ne serait pas à l'université et serait comme Brooks un habitué des lieux peu fréquentables.
- Au fait, tu as interrogé Sarah Kent ? demanda Hurley.
- J'allais y venir, répondit Logan. Elle se sent persécutée par une autre étudiante, Jennifer Shawn, une gothique qui l'a menacée de mort hier matin. Une mauvaise blague, a priori. Elle n'avait pas cours ce matin, mais j'ai demandé à Augeri de me l'amener au commissariat dès qu'elle pointera le bout de son nez.
Hurley se mordilla la lèvre. Il y avait quelque chose qui ne cadrait pas. Elle était persuadée que Sarah n'aurait pas hésité à lui raconter cette histoire le matin même. Non, il s'agissait d'autre chose. Sarah n'était pas venue au commissariat pour se plaindre, mais pour révéler un détail sur Lucy et Amy. Elle s'était servie de cette affaire uniquement pour qu'on l'oublie.
Mais Hurley ne comptait pas la laisser tranquille. Il fallait qu'elle découvre son secret.
- Il me faudrait quelqu'un pour une filature. Je ne crois pas à cette histoire. Sarah nous ment.
Logan vit arriver son assiette et saliva d'avance. Il n'avait presque rien mangé depuis la veille et son estomac réclamait son dû.
- Écoute, je vais interroger cette Jennifer. Si j'ai des doutes, je te promets de la faire suivre, OK ?
- OK, fit-elle.
De toute façon, je la filerai moi-même s'il le faut, se promit-elle sans rien dire.
- Alors, comment ça se passe à River Falls ? On ne te manque pas trop ? demanda Freeman.
Logan était en train de savourer son steak, trop heureux d'oublier pour un moment la pénible réalité de son enquête.
- Oh non ! Je n'ai jamais aimé les Blacks dans ton genre. Trop beau gosse !
Les rires reprirent autour de la table.
La fine équipe réunie presque au complet, comme au bon vieux temps, pensa Hurley en soupirant intérieurement.
Callwin sonna une deuxième fois à l'interphone. Toujours pas de réponse. Elle redescendit l'escalier extérieur situé sur la façade de l'immeuble et recula jusqu'au bord du trottoir. Elle leva la tête et essaya de voir s'il y avait quelqu'un au deuxième étage.
Elle se trouvait sur Hampton Street. Dans les bas quartiers. Les services municipaux étaient bien moins efficaces que dans les autres parties de la ville. Les poubelles débordaient. Un tas d'immondices dégageait une sale odeur. Les façades des bâtiments n'avaient pas été rénovées depuis leur construction. Tout partait à l'abandon.
- Merde, merde ! jura-t-elle.
Elle décida de rebrousser chemin quand la porte de l'immeuble s'ouvrit.
Une vieille femme en sortit, tenant un petit chien en laisse. Des vêtements démodés, une coiffure d'une autre époque.
Callwin haussa les épaules. Ce serait mieux que rien.
- Excusez-moi, madame. Vous habitez dans cet immeuble ?
- Qui êtes-vous ? Fichez-moi la paix ! la rabroua la vieille femme tout en commençant à descendre lentement quelques marches.
Callwin lui tendit le bras pour l'aider.
- Laissez-moi, je n'ai besoin de personne !
Callwin garda son sourire. Une voiture passa à toute vitesse. Une musique hip-hop en sortait à plein volume.
- Je suis journaliste. Je mène une enquête. Vous savez, Lucy et Amy.
La vieille femme s'arrêta enfin et exhala un râle compassionnel.
- Les pauvres gamines. Si c'est pas malheureux ! Vous vous rendez compte, elles avaient à peine vingt ans. Moi, je vous jure que si on met la main sur le type qui a fait ça, il faudrait le tuer sans attendre de procès.
- Justement, madame. J'essaye pour ma part de résoudre cette affaire.
La vieille dame retrouva un ton cassant.
- Ce n'est pas le rôle de la police ? J'ai cru comprendre qu'il y a même une experte du FBI.
Callwin ne se démonta pas.
- La police ! dit-elle en poussant un soupir qui en disait long. Vous avez vraiment confiance en la police ? Vous pouvez être certaine que, s'il s'agit du fils d'un notable, toute l'histoire sera bel et bien enterrée.
Ces propos démagogiques produisirent leur effet.
- Ils ne viennent jamais quand on les appelle, et Dieu sait s'il s'en passe des choses dans le quartier ! concéda la vieille dame. Que voulez-vous savoir, au juste ?
- J'aimerais parler à Larry Brooks. Je crois qu'il habite dans votre immeuble.
À l'expression de son visage, Callwin comprit aussitôt qu'elle voyait très bien de qui il s'agissait.
Encore un peu de patience, Leslie, se dit-elle en elle-même.
- Un petit voyou. Il y a sans cesse des gens bizarres qui passent chez lui. Et la musique ! Elle n'arrête jamais. Nous avons même lancé une pétition pour le faire partir de l'immeuble mais rien n'y fait. Il est toujours là et embête tout le monde.
- Vous aviez déjà vu Lucy ou Amy venir chez lui ?
La vieille dame prit aussitôt un air outré.
- Vous plaisantez. Ces pauvres petites étudiantes ne se seraient jamais acoquinées avec un filou pareil ! Par contre, il y a tout le temps toutes sortes de filles de très mauvais genre qui viennent chez lui. Je vous l'ai dit, c'est un sale type...
Elle s'interrompit brusquement et jeta un regard soupçonneux vers Callwin.
- Vous pensez qu'il pourrait être le tueur ?
Callwin eut un petit haussement d'épaules.
- C'est ce que j'essaye de savoir.
La dame poussa un petit cri étouffé et mit la main devant sa bouche. Elle venait de prendre pleinement conscience de l'information.
- Mon Dieu ! Surtout ne dites pas dans votre journal que j'ai dit ça de lui. Vous croyez qu'il est vraiment dangereux ?
Elle avait vraiment peur. Callwin décida de la taquiner un peu. Ça lui apprendrait à être un peu plus aimable de prime abord !
- Je crois qu'il a déjà fait de la prison pour meurtre. Fermez bien votre porte en rentrant chez vous.
Elle lui posa une main affectueuse sur l'épaule et ajouta :
- Cela vous ennuierait-il de m'ouvrir ? Je voudrais m'assurer qu'il n'est pas chez lui. Il ne répond pas à l'interphone.
- Oui, bien sûr, mais surtout vous ne lui dites pas que je vous ai parlé. Vous me le promettez ?
- Je vous le promets.
La vieille dame remonta les quelques marches et ouvrit la porte.
Callwin la remercia et lui recommanda une nouvelle fois la prudence.
Elle entra dans l'immeuble et alluma la lumière. Tout était délabré. Les peintures s'écaillaient, rongées par la moisissure, et une odeur de vétusté vous prenait à la gorge.
Elle monta l'escalier et s'arrêta au deuxième étage. Après avoir trouvé la porte de l'appartement de Larry, elle frappa avec assurance. Personne ne répondit.
Elle ne savait plus quoi faire. Elle possédait bien un passe dans son sac mais, si elle se faisait prendre, ses rêves de gloire seraient pour le moins compromis.
Elle frappa un coup encore plus fort contre la porte. Peut-être était-il mort lui aussi. Quel scoop de trouver son cadavre ! Même si Minstry n'était pas là pour les photos, elle avait son portable, il ferait l'affaire.
Plus loin dans le couloir, une porte s'ouvrit en grand.
- C'est pas bientôt fini, ce bordel ? !
Un homme sortit de l'appartement. Le visage congestionné, le crâne rasé, une barbe mal entretenue. Un maillot de corps taché qui laissait deviner son ventre de buveur de bière.
Callwin réprima un frisson de dégoût.
- Excusez-moi, je cherche Larry Brooks ?
- Il est pas chez lui. Je l'ai pas vu du week-end ! Pourquoi vous voulez le voir ? Vous êtes de la police ? Vous allez enfin l'arrêter ?
Callwin oublia son dégoût et jubila intérieurement. Elle allait enfin pouvoir remplir son article.
- Je suis journaliste. J'enquête sur les meurtres de Lucy et d'Amy.
L'homme leva la tête et prit un air concerné. Il se rapprocha d'elle, ses deux pouces dans la ceinture de son pantalon.
- Une sale histoire que celle-là, fit-il. Vous pensez que le gamin y est mêlé ?
Et, comme chaque fois, Callwin fit en sorte que le regard de l'homme se portât sur sa poitrine. Au moins son agressivité avait-elle disparu !
- Je ne sais pas. Il paraîtrait qu'il sortait avec une des deux victimes.
L'homme se rapprocha encore et prit appui sur son bras posé en équerre contre la cloison.
- Au début, j'étais pas certain. Mais plus son visage passait aux infos, plus j'étais sûr de l'avoir déjà vue, quand enfin je me suis rappelé qu'elle traînait souvent avec cette loque, fit-il en indiquant de la tête la porte de Larry.
- Qu'est-ce que vous pouvez me dire sur lui ? demanda-t-elle.
Elle sortit son dictaphone.
- Ça ne vous embête pas si je vous enregistre ?
D'un large sourire, il dévoila une dentition incomplète et quelque peu jaunie.
- J'assume tout ce que je dis, mademoiselle.
Et voilà qu'il se voulait charmant ! Callwin mit le dictaphone en marche et pria pour qu'il ne lui fasse pas des avances.
- Vous pouvez y aller.
Le type se racla la gorge et commença :
- C'est une petite racaille de la pire espèce. Il doit pas avoir plus de vingt-cinq ans, mais il se prend pour un caïd ! Il fait du bruit toute la soirée et fume des joints sans arrêt. Je vous dis pas le bestiaire qu'on voit passer. Je vous jure ! Une fois je l'ai attrapé par le col de sa veste, et je lui ai promis de lui faire la peau s'il n'arrêtait pas tout son bordel. (Il prit une pause en soupirant avec force.) Une journée de tranquillité. Mais dès le lendemain c'était le même boucan. Il a les neurones grillés. Ça sert à rien de lui causer. Il faudrait le faire interner. Je suis sûr...
- Parlez-moi de Lucy, l'interrompit Callwin.
Elle n'avait vraiment pas envie de faire durer la conversation. Ce type la répugnait.
- Ben, je sais pas trop. Avec tout le respect que je dois à son âme, elle était habillée comme une pute, quoi !
Et tu crois que je vais retranscrire ça tel quel ! Tu me diras, les putes, ça doit te connaître ! se dit Callwin, qui néanmoins conserva son sourire.
- L'avez-vous vue ce week-end traîner chez Larry ?
- Ben non, c'est ce que j'essayais de vous dire. Il est pas chez lui. Depuis vendredi soir jusqu'à aujourd'hui, pas un bruit. Juste trois ou quatre connards qui se sont évertués à appuyer sur son interphone pour qu'il ouvre.
Puis, reliant enfin les deux événements, il se tapa le front de sa main gauche.
- Merde, je suis trop con ! Il les a tuées, cet enculé ! Écoutez, faut que j'appelle les flics, dit-il, réellement sous le choc.
Callwin le vit rentrer chez lui. Elle arrêta son dictaphone. Son sourire disparut en même temps que la silhouette de l'homme.
Au moins, j'ai un peu d'avance, pensa-t-elle.
Logan roulait vers le commissariat, le long des grandes avenues commerçantes de la ville. Le temps était radieux.
En ce début de printemps, des arbres étaient en fleurs, d'autres couverts de petites feuilles d'un vert intense qui s'épanouissaient sur les branches bourgeonnantes. Les gens marchaient tranquillement sur les trottoirs, vaquant à leurs occupations habituelles. Une fois le choc passé, la vie reprenait son cours à River Falls.
- C'était sympa ce déjeuner, fit Logan. Je ne devrais peut-être pas l'avouer, mais ils me manquent, ces doux dingues.
Assise à sa droite, Hurley esquissa un sourire. Et moi, je ne te manque pas ? eut-elle envie de lui demander. Au lieu de quoi elle lui répondit :
- Tu n'as qu'à démissionner de ton poste au titre ronflant et revenir à Seattle.
Logan haussa les épaules tandis qu'il s'arrêtait à un feu rouge.
- Non, je suis très bien ici.
Ferme et sans appel. Hurley pinça les lèvres et revint à leur affaire.
- Peut-être qu'on pourrait aller directement à l'adresse du petit copain de Lucy.
- Hum, rien ne presse. On passe au bureau et on y va. De toute façon, je sais déjà ce qu'il va nous dire : je ne l'ai pas vue du week-end, et pour cause !
Hurley était moins catégorique. D'après le profil qu'en avaient brossé les étudiantes, il était évident qu'il n'avait aucun mobile pour commettre de telles abominations. Il couchait avec l'une d'elles depuis des mois, et peut-être même avec les deux. Pourquoi aurait-il soudain décidé de les trucider avec une sauvagerie bestiale ?
Néanmoins, elles lui avaient peut-être parlé avant de partir. Au point où ils en étaient, chaque détail avait son importance.
- Au fait, quand Jennifer Shawn arrivera, si tu le permets, j'aimerais bien l'interroger.
Redémarrant à vitesse modérée, Logan acquiesça.
- Pas de problème. Si tu tiens à perdre ton temps. Je crois que cette Sarah est juste morte de peur et qu'elle a surtout besoin d'être rassurée.
- Merci, mais c'est à moi d'en juger.
Logan tourna la tête vers elle, tout en gardant un œil sur la route.
- Oh, madame est vexée ! dit-il en riant. Notre profileuse en chef se croit plus maligne que tout le monde. Écoute, si jamais cette Sarah nous mène quelque part, je t'offre tout ce que tu veux.
Logan tendit sa main. Hurley le considéra avec dérision, mais lui tapa dans la paume et scella ainsi leur accord.
Ils eurent à peine le temps de sortir de leur véhicule, déjà le sergent Traviss, sortant en courant du commissariat, se ruait à leur rencontre.
- Shérif, on vient d'avoir un coup de fil d'un voisin de Larry Brooks. Il est persuadé que c'est le tueur ! s'affola Traviss en avalant ses mots.
Logan claqua la portière et prit Traviss par l'épaule.
- Calme-toi et répète-moi exactement ce qu'il t'a dit.
Mais lui aussi sentait monter l'adrénaline. Hurley s'approcha d'eux tandis que d'autres agents les observaient par les fenêtres.
- Il s'appelle Robert Quire. Il dit qu'il est son voisin et je sais plus. Je crois qu'il a des preuves, un truc comme ça !
- OK, Daniel, tu contactes Blanchett et tu lui demandes de foncer chez le juge pour un mandat de perquisition à l'adresse de Brooks. Tu lui dis aussi de me rejoindre juste après, répondit Logan, qui commençait à sentir la terre se faire plus solide sous ses pieds.
- D'accord, shérif.
Logan n'aurait pas parié un sou sur ce jeune gamin.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as oublié de me dire quelque chose ? fit-il devant le regard insistant de son agent.
- Vous croyez que c'est lui ? Il faudrait peut-être envoyer plus de monde ?
Logan posa ses deux mains sur les épaules de Traviss.
- Ecoute, tu ne me donnes pas de conseil. Et, surtout, rien ne prouve la culpabilité de ce type. Ne va surtout pas lancer des rumeurs, si tu vois ce que je veux dire.
Traviss rougit. Il avait saisi l'allusion. Pourtant, Dieu sait qu'il n'avait pas parlé aux journalistes. Il redressa la tête.
- Shérif, je n'ai jamais trahi le code de l'honneur de la police.
Oui, c'est ça, se dit Logan.
- Allez, trouve-moi Blanchett, et dis-lui de rappliquer juste après le juge.
Il se retourna vers Hurley qui se tenait déjà prête à repartir, la main sur la poignée de la Cherokee.
- J'ai merdé une fois de plus, fit-il.
Hurley lui adressa un regard plein de compassion. Un instant magique.
Logan se mit au volant et démarra.
- Appelle Nathan et sa troupe. Tu leur dis de faire demi-tour. Je crois qu'on va avoir besoin d'eux, fit-il en fonçant sur l'avenue Wilson.
Hurley sortit son portable et composa le numéro.
- Allô, Nathan, c'est Jessica. Où êtes-vous ?
- À moins de cinquante miles de Seattle. Pourquoi ?
- Demi-tour, j'ai besoin de vous au 145 Hampton Street. Mets ton GPS en action. On vous attend là-bas.
Un temps de silence, puis Blake répondit :
- OK, mais, la prochaine fois, essayez de nous avertir avant qu'on reprenne la route.
Hurley sourit en entendant Freeman en fond qui maugréait. Elle rangea son portable et se mit à regarder la route.
- Je suis vraiment trop con, on aurait dû aller chez lui dès le début, putain de merde ! jura Logan en frappant son volant du plat de la main. J'ai complètement merdé ! Merde !
Hurley comprenait que si Brooks se révélait être le tueur, Logan passerait les prochaines semaines à ruminer son manque de réactivité. Mais, au fond, elle ne croyait pas à cette thèse. Trop jeune, trop sociabilisé. Pourquoi aurait-il commis une telle horreur contre sa petite copine ?
- Appelle le commissariat et demande si on a une fiche sur ce Larry Brooks. Manquerait plus qu'il ait un casier chargé à bloc, fit-il en tentant de calmer sa tension.
Il n'arrivait pas à y croire. Tellement persuadé d'avoir affaire à un tueur en série, il n'avait pas vraiment pris au sérieux l'hypothèse du crime passionnel. Quel minable ! Mais quel minable !
Il déboucha sur Market Square. Le gyrophare en action, il grilla le croisement, évitant de justesse deux voitures qui freinèrent en catastrophe.
- Mike, je n'ai pas l'intention de mourir en voiture, dit simplement Hurley.
Logan lui jeta un bref coup d'œil et remarqua son visage préoccupé. Cette vision suffit à faire descendre d'un cran son énervement. Il lâcha quelque peu l'accélérateur et reprit une vitesse normale.
Ils finirent le parcours dans un silence tendu. Logan se gara en face de l'immeuble délabré. Il bondit de sa voiture et sonna sur tous les interphones à la fois.
Trois voix lui répondirent.
- Ici le shérif Logan. Ouvrez-moi.
Il s'attendait à une certaine réticence de la part des locataires, mais à son soulagement un déclic caractéristique se fit entendre. Il ouvrit la porte. Il courut dans le couloir qui menait à l'escalier. Il frappa à la première porte du rez-de-chaussée.
- Va au premier et demande au voisin où se trouve son appartement, fit-il à Hurley.
Il trépignait sur place. Il frappait un second coup quand une voix les interpella du haut de l'escalier.
- Shérif? C'est vous?
Logan se rua dans l'escalier et se heurta à Robert Quire en train de descendre.
- Oui, vous savez où est l'appartement de Larry Brooks ?
Hurley se tenait derrière lui. Il fallait à tout prix qu'elle passe devant Logan. Si jamais Larry se trouvait chez lui, elle craignait qu'il ne fasse une bêtise sous l'impulsion de la colère.
- Oui, c'est moi qui vous ai appelés. Suivez-moi, il habite juste à côté de mon appart.
Ils gravirent l'escalier en courant, puis s'arrêtèrent une seconde sur le palier du deuxième étage. Logan sortit son arme, Hurley déboutonna la sécurité de son étui.
- C'est quelle porte ? chuchota Logan.
Quire pointa du doigt une des portes du couloir.
- La troisième à gauche, fit-il tout aussi bas.
Logan s'apprêtait à avancer quand Hurley le retint par le bras.
- Mike, rien ne prouve que c'est lui. Par contre, c'est peut-être un témoin important. Pas de fusillade.
Ce n'était pas un avis mais un ordre. Logan souffla, baissa la tête et la redressa.
- Pardon, fit-il. Fais-moi confiance, j'ai pas l'intention de tuer qui que ce soit.
Hurley pria pour qu'il dise vrai.
Logan s'avança lentement vers la porte. Parvenu devant, il colla son oreille. Le silence.
Deux portes s'ouvrirent plus loin.
- Qu'est-ce qui se passe ? demandèrent des voix.
Hurley réagit immédiatement. Elle sortit sa plaque et alla calmer le voisinage.
Pas un bruit, pas un mouvement.
Logan prit une profonde inspiration et frappa fortement la porte de son poing.
- C'est le shérif Logan, ouvre tout de suite cette porte ! hurla-t-il.
Voilà, en cas de bavure il pourrait dire au juge qu'il avait suivi les règles d'interpellation. Et, sans attendre de réponse, il donna un violent coup de pied dans la porte. Cette dernière tint bon, en revanche il ressentit une vive douleur à la cheville.
Il arma son pistolet et visa la poignée. Deux tirs, puis un nouveau coup de pied. La porte s'ouvrit en grand et alla heurter le mur.
Logan s'engouffra dans la pièce et d'un geste circulaire chercha sa cible. Personne.
Il passa le salon et entra dans la chambre. Un lit défait. Des vêtements par terre. Il n'y avait personne.
Hurley arrivait derrière lui.
- Les fenêtres sont fermées. Il ne vient pas de se faire la malle, si ça peut te rassurer.
Arme toujours tendue devant lui, Logan sentit que toute la tension accumulée le quittait progressivement. Il rangea lentement son pistolet dans son étui et poussa un soupir retentissant.
- Je l'ai dit à votre collègue, au téléphone, qu'il n'y avait personne depuis vendredi ! intervint Quire.
- Vous, vous dégagez. Vous n'avez rien à faire ici, tonna Logan.
Quire sentit la menace et ressortit illico. Hurley sur ses talons referma la porte comme elle put. Elle revint près de Logan et croisa les bras sur la poitrine.
- À quoi tu joues ? Tu te prends pour un flic de série télé ? le railla-t-elle d'un ton glacial.
Logan détourna le regard et commença son inspection des lieux. Il souleva le matelas, passa devant elle en l'ignorant, avant d'ouvrir une armoire remplie de vêtements entassés.
- Tu crois que tu pourras changer le passé ! Ce qui est fait est fait. Je croyais que tu avais compris ! fit-elle alors que les souvenirs affluaient.
- Laisse-moi tranquille. Tais-toi, marmonna-t-il en jetant les tee-shirts en boule au sol.
- Détruis tous les indices, c'est très malin, Mike !
Hurley en avait assez. Elle n'avait jamais réellement cru à sa guérison. La haine coulait toujours dans ses veines. Il n'arrivait pas à se pardonner.
- Si on coince ce tueur, je lui ferai la peau. C'est pour ça qu'on m'a élu shérif. Pas d'avocat, pas de putain de bla-bla, une balle entre les deux yeux et tout rentrera dans l'ordre, fit-il en croisant son regard.
Hurley vit la folie dans ses yeux. Que tout rentre dans l'ordre. Mais cela ne sera jamais possible ! avait-elle envie de lui hurler.
Elle posa une main apaisante sur sa joue.
- Mike, s'il te plaît, calme-toi. Assieds-toi et reprends-toi. Ce Larry n'est pas Ray Snider. Reviens au présent.
À l'évocation de ce tueur en série qu'il avait attrapé voilà près de quatre ans, Logan eut un rictus terrible. Hurley faillit reculer. Puis, lentement, les flammes de l'enfer quittèrent les pupilles de Logan. Il s'assit sur le lit défait.
- Tu veux bien interroger le voisin ? Je vais attendre Nathan ici, fit-il d'une voix plus posée.
Hurley acquiesça. Il ne perdait rien pour attendre.
Logan la regarda quitter la chambre et s'allongea sur le lit. Le regard perdu sur le plafond jauni, une seule question le taraudait.
Où es-tu, petite ordure ? !