6

En cette belle journée de printemps, Sarah et ses amis avaient décidé de passer leur pause déjeuner dans le parc du campus. Ils étaient assis en cercle sous un séquoia de plus de quinze mètres.

- Au moins, le beau temps est revenu, fit Sam en essayant de mettre fin à l'interminable conversation.

Cela faisait trois quarts d'heure qu'ils ne parlaient que de la mort de Lucy et d'Amy. Tout ce temps à ressasser de sombres pensées et à échafauder des hypothèses plus terrifiantes les unes que les autres.

— Ouais, tu as raison. Passons à autre chose ou on va devenir dingues, fit Lisa, qui s'allongea près de son petit ami.

Sam changea de position et accueillit sa tête sur son ventre.

- De toute façon, le type doit déjà être loin. Les tueurs en série changent très souvent de lieu. Même s'il est de la région, il va se faire discret à l'avenir, intervint Edward.

Avec sa carrure d'athlète, il était tout l'opposé de Sam.

- C'est clair ! fit Shanice en finissant d'avaler une bouchée de son sandwich.

Près de son homme, elle se sentait sereine. La peur de la veille s'était estompée au fil des heures.

- Ouais. En tout cas, j'espère que les flics font leur maximum et, quand ils l'auront trouvé, qu'ils n'hésiteront pas à lui foutre une balle en pleine tête, dit Courtney en attrapant la bouteille de Coca.

- Espérons-le, dit Sarah.

Elle n'avait parlé à personne de son entrevue de la matinée. Elle devait dorénavant oublier toute cette histoire. Elle commençait même à regretter d'avoir donné le nom de Jennifer au shérif Logan. Mais ce qui était fait était fait.

- Hé, vous arrêtez, maintenant! intervint Sam en revenant à l'assaut. On parle d'autre chose. On ne va pas se lamenter indéfiniment. Il fait une journée radieuse. Et, quoi qu'on puisse dire, rien ne fera revenir Lucy et Amy. OK ?

- Oui, chef ! fit Courtney d'un ton moqueur.

Après un silence durant lequel ils prirent en compte la remarque de Sam, Shanice les ramena à leurs projets pour le week-end.

- Bon, alors, cette virée en forêt, on la maintient ou pas ?

Tout le monde la regarda avec de grands yeux, comme si elle venait d'énoncer une énormité.

- Ben, je ne sais pas. Faut voir, fit Lisa.

- Avec ce tueur en ville. Ça fout plutôt les jetons ! ajouta Courtney.

Elle fit basculer sa longue chevelure blonde par-dessus ses épaules.

Edward éclata d'un rire moqueur.

- Ma vieille, tu crois vraiment qu'il va s'en prendre à six personnes, dont un quarterback ?

- Non, mais peut-être qu'il faudrait annuler, fit Sam en venant à la rescousse de Courtney.

- Hé la crevette, tu as les pétoches ? ! se moqua Edward.

- M'appelle pas comme ça ! s'énerva Sam.

Lisa quitta le confort de son ventre.

- Hey ! Vous n'allez pas commencer à vous chamailler. Moi, je suis d'avis que l'on maintienne notre randonnée. Ça nous fera le plus grand bien de changer d'air. Deux jours dans les montagnes, rien de tel pour oublier notre civilisation ! Et, tu sais, Ed, la crevette, elle te casse en deux quand elle veut ! ajouta-t-elle.

Un silence. Puis les rires fusèrent. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Sam s'obligea à sourire.

- Et toi, Sarah, tu en penses quoi ? demanda Shanice quand la crise de rire fut passée.

- Oui, non, je ne sais pas. Il faut que je réfléchisse. Je vous donne la réponse en fin d'après-midi. Ça vous va ?

- Très bien. Mais assure. Si tu ne viens pas, je vais être la seule fille sans mec. Pas terrible, si tu vois ce que je veux dire, fit Courtney en posant sa main sur la sienne.

- Tu n'as qu'à sortir avec Liam, il n'attend que ça, lança Edward.

Liam était lui aussi un joueur de l'équipe universitaire de football.

- S'il te plaît, tout sauf lui, répondit-elle.

S'il était effectivement beau garçon, il était d'un machisme sans borne ; de nombreuses filles en avaient fait les frais.

- C'est toi qui vois, conclut Edward.

La pause déjeuner était presque terminée. Avant de retourner en classe, Sarah passa dans sa chambre chercher ses affaires de cours.

Elle venait à peine de mettre ses cahiers dans son sac, que l'on frappa à la porte. Elle hésita. Elle savait qui se trouvait de l'autre côté.

Elle attendit sans faire le moindre bruit. Elle n'ouvrirait pas.

- Sarah, ouvre-moi, je t'en prie. Il faut que je te parle !

Évidemment, c'était Brian. Elle garda le silence.

- Je sais que tu es là. Je t'ai vue entrer ! Allez, ouvre-moi.

Elle soupira, posa son sac et se résolut à le laisser entrer.

Quand elle ouvrit la porte, il se pencha vers elle pour un baiser. Mais Sarah détourna la tête et recula vers la fenêtre.

Le soleil était toujours aussi éclatant sur le campus.

- Pardonne-moi, bébé. Je ne sais pas ce qui m'a pris. J'ai vraiment pété les plombs. Cette histoire est si terrible que j'ai réagi comme le dernier des cons. Si tu veux bien, j'aimerais que tu acceptes ça, fit-il en lui tendant un petit sac en papier très élégant qui de toute évidence provenait d'une des plus grandes bijouteries de la ville.

Si elle n'avait pas oublié la gifle et les menaces de la matinée, elle n'en admettait pas moins qu'il n'était pas dans son état normal. Qui aurait pu l'être après une telle annonce ! Néanmoins, elle ne lui pardonnerait pas aussi facilement. Et, surtout, il faudrait qu'il clarifie ses sentiments.

- Tu crois qu'un cadeau peut faire oublier une gifle ? dit-elle d'un ton dur et sec.

Brian esquissa un sourire et baissa les yeux.

- Je ne sais pas quoi te dire pour me faire pardonner, fit-il en redressant la tête. Gifle-moi ! Gifle-moi aussi fort que tu peux.

Sarah émit un petit rire ironique. C'était stupide, mais ô combien tentant.

- Aussi fort que je le veux ? fit-elle d'un ton plein de sous-entendus.

Brian avait dit ça pour montrer la sincérité de son regret, mais n'aurait jamais pensé qu'elle le prenne vraiment au mot.

- Oui, maintint-il, n'osant faire machine arrière.

- D'accord.

Et, sans attendre, elle lui envoya une gifle d'une violence telle qu'elle lui laissa la trace de sa main sur la joue.

Brian émit un petit cri vite refoulé. Il leva sa main, mais ce fut pour masser sa joue devenue brûlante. Il souffla un long moment, mais ne montra aucune rancœur.

- Dis donc, ça fait combien de temps que tu t'entraînes ! essaya-t-il de plaisanter.

Sarah haussa les épaules.

- J'ai fait de la boxe quand j'étais jeune.

C'était absolument faux, mais il était bien capable de le croire !

Brian rit cette fois de bon cœur et lui tendit à nouveau son cadeau.

- Prends-le, s'il te plaît.

Sarah accepta. Elle prit le sachet. D'une main impatiente elle en extirpa un petit paquet délicatement enrubanné. Son visage reflétait une curiosité jubilatoire. Elle arracha sans précaution le précieux emballage, pour découvrir un écrin.

Alors, presque avec douceur, elle l'ouvrit. Un diamant merveilleusement mis en valeur par un sertissage de grand joaillier étincelait dans son coffret.

- Tu es fou ? Ça doit coûter une fortune !

- Elle te plaît ? lui demanda-t-il avec une certaine appréhension.

Sarah le regarda et trouva touchant son air de chien battu.

- Elle est superbe, dit-elle en sortant la bague de son écrin.

Elle la passa à son annulaire droit. Elle semblait faite pour elle.

- Je ne peux pas l'accepter, dit-elle alors en la retirant.

L'étonnement envahit le visage de Brian.

- Pourquoi ? C'est un cadeau. Un cadeau, ça ne se refuse pas, tenta-t-il en espérant la faire changer d'avis.

Mais Sarah resta inflexible. Elle remit la bague dans son écrin et le rendit à Brian. S'il avait vraiment des sentiments pour elle, il devrait le lui prouver d'une façon beaucoup plus évidente.

- Écoute, j'en ai assez qu'on se voie en cachette. Il faut que tu choisisses. Soit tu continues à sortir avec miss Parker, soit avec moi. Je n'ai pas l'intention de poursuivre une relation avec quelqu'un qui a honte de moi.

Elle exagérait, évidemment, mais il l'avait bien mérité.

Brian prit un ton persuasif.

- Bébé, c'est toi que j'aime. Mais ce n'est pas si facile. Elisabeth est une fille fragile. Tu peux comprendre que, par respect pour elle, je prenne le temps de tout lui expliquer.

- Ça, c'est ton problème, Brian. J'aurais été prête à attendre encore un peu, mais ta réaction de ce matin a semé le trouble dans mon esprit. Alors, tu vois, ça va être très simple, au contraire. Ce week-end, on organise une sortie en forêt avec Shanice, Ed, Sam, Lisa et Courtney. Si tu veux, tu viens avec nous, à la vue de tous, sinon c'est définitivement fini entre nous.

Brian serra les lèvres. Il alla près de la fenêtre. Des oiseaux chantaient à tue-tête sur les branches des arbres centenaires.

- Je n'aime pas Elisabeth. C'est avec toi que je veux être, mais laisse-moi encore du temps. Pas longtemps, mais encore un petit peu.

Sarah jubilait. Elle voyait bien qu'il était entièrement à sa merci. L'adorable imbécile !

- C'est à prendre ou à laisser. Si samedi matin tu ne nous as pas rejoints, tu pourras considérer que c'est terminé entre nous.

Ils se regardèrent droit dans les yeux avant que Sarah ne lui indique la porte.

- Allez, laisse-moi, je vais être en retard.

Brian la prit dans ses bras, avec douceur, sans la brusquer.

- Tu es la pire petite peste que j'aie jamais rencontrée, dit-il.

Mais il n'y avait aucun reproche dans sa voix.

- C'est pour ça que tu m'aimes. Allez, je t'ai dit de t'en aller. Va-t'en.

Il lui déposa un long baiser sur les lèvres et consentit enfin à quitter la chambre.

Une fois seule, Sarah laissa exploser un rire triomphal.

Les hommes sont tellement prévisibles !

Elle acheva de remplir son sac et se dépêcha de rejoindre les bâtiments de cours. Elle traversa le parc en courant pour arriver juste avant que Mme Page n'entre dans l'amphithéâtre.

Elle s'assit à côté de Shanice et sortit son cahier et sa trousse.

- Au fait, il paraît qu'Augeri a convoqué Jennifer. Ils seraient partis en voiture ensemble. C'est bizarre, tu ne trouves pas ? souffla Shanice à son amie.

Sarah sentit le sang refluer de son visage. Elle regrettait vraiment son inspiration matinale.

- Ça alors, tu crois qu'elle est coupable ? ! murmura-t-elle.

- Je ne sais pas, mais c'est super louche.

Mme Page s'installait lentement au bureau, après avoir pris le temps d'effacer le tableau où étaient encore inscrites des phrases ayant trait au cours de la matinée.

Les étudiants discutaient entre eux dans un brouhaha bien différent de la solennité de la veille.

- Elle me fait peur, cette fille. Toujours à l'écart, sans aucune amie. Mais de là à penser qu'elle ait pu tuer Lucy et Amy... Non, je ne peux pas le croire, fit Sarah en tâchant de calmer les battements de son cœur.

- Je n'ai pas dit ça, mais peut-être qu'elle est simplement complice. Peut-être qu'elle a un copain secret. Un tordu dans son genre. Ça m'étonnerait pas qu'elle traîne dans une secte satanique. Tu as vu la musique qu'elle écoute ? continua Shanice.

Sarah savait que personne ne peut être jugé sur son apparence, mais il était vrai qu'elle avait des attitudes étranges. Ce n'était pas l'agression de lundi qui lui prouverait le contraire.

— En tout cas, si c'est elle, j'espère qu'elle finira ses jours en prison. Je n'aime pas cette fille.

Mme Page posa le chiffon plein de craie et se retourna vers l'amphithéâtre.

- Silence, s'il vous plaît ! glapit-elle de sa voix aiguë. Je ne veux plus entendre un seul bruit !

Lentement le brouhaha déclina. Le cours pouvait démarrer.

Sarah prit son stylo et commença à prendre des notes, mais le cœur n'y était pas. Jennifer était-elle réellement coupable ?

Sept Jours à River Falls
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