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Sarah sentit qu'on la poussait dans le dos. Elle ronchonna, et se mit à plat ventre sur le lit.

- Sarah ! Réveille-toi ! la secoua Brian.

Ce coup-ci, elle sursauta et sortit de sa rêverie matinale.

Quelle nuit délicieuse... Oubliées les terribles nouvelles de la veille. Elle avait passé la soirée sur un petit nuage. Brian avait été parfait, délicat, attentionné, essayant de l'amuser.

Durant tout le dîner au Harry's Bar (un snack à l'entrée est de la ville), il n'avait eu de cesse de la réconforter. Alcool et mots gentils aidant, elle s'était enfin laissée aller.

Quand ils étaient arrivés au motel tout proche, c'était avec une humeur guillerette qu'elle s'était jetée dans ses bras et avait commencé à se déshabiller.

Ils avaient fait l'amour durant plus de deux heures, avec une suite d'orgasmes comme rarement elle en avait connu. Elle s'était endormie sur son torse. Heureuse.

— Quoi ? Parle moins fort. Quelle heure est-il ? fit-elle en se redressant sur le lit.

Brian était déjà habillé et avait ouvert les rideaux. L'aube éclairait faiblement la chambre du motel. Les nuages s'étaient évaporés.

Un bleu profond mêlé à un camaïeu de tons orangés se partageaient le ciel. Le soleil n'allait pas tarder à faire son apparition.

— Tu peux m'expliquer ce que c'est ? fit-il en lui agitant sous le nez la lettre de Lucy et Amy.

Elle était mortifiée. Ils avaient passé une nuit si douce. Pourquoi fallait-il que le réveil soit aussi brutal ?

— Tu as fouillé dans mes affaires ? ! l'attaqua-t-elle.

Elle sortit du lit, le cœur battant à tout rompre, les joues en feu.

— C'est tombé de ton manteau. Explique-moi ! Ça veut dire quoi ?

Il était complètement stressé. Elle ne l'avait jamais vu comme ça. Derrière sa colère, elle le sentit affolé.

Elle attrapa sa petite culotte et l'enfila sans se presser.

— Tout d'abord tu te calmes ! fit-elle d'un ton qu'elle espérait autoritaire.

Elle ne supportait pas les machos. Elle ne s'était jamais laissée dominer par les hommes. Ce n'était certainement pas aujourd'hui que ça allait commencer.

- J'ai découvert cette lettre dimanche matin sous ma porte. Je ne suis pas allée à leur rendez-vous, si tu veux savoir, fit-elle en enfilant son jean. Comme tu as pu le lire, nous ne nous parlions plus depuis des années. Ce n'est que pure coïncidence si elles m'ont écrit juste avant de mourir. (Elle boutonna son jean et prit une pose volontaire.) À moins que tu ne me suspectes de les avoir tuées ? !

L'absurdité de la situation donnait du courage à Sarah.

Elle savait que Brian pouvait céder facilement à la colère, mais elle ne pouvait croire qu'il aille jusqu'à utiliser la force.

Son explication sembla convaincre Brian, qui se calma lentement. Son souffle redevint plus régulier et son visage se détendit.

- Avoue que c'est quand même très étrange qu'elles te contactent juste avant leur mort ?

Sarah attrapa son soutien-gorge et l'agrafa.

— Qu'est-ce que tu veux que je te dise de plus ? J'ai passé une journée épouvantable hier. Mais la nuit a été fabuleuse. Je t'en prie, Brian, ne gâche pas tout.

Elle se rapprocha de lui et lui prit la lettre des mains avant de passer ses bras autour de son cou.

- Excuse-moi, mais c'est tellement étrange que... (Il ne finit pas sa phrase et fit une moue de dépit.) Je ne savais plus quoi penser.

- Alors tu es pardonné. Mais, à l'avenir, évite de hurler.

Brian sourit et l'embrassa d'un long baiser réconciliateur. Leurs bouches se séparèrent enfin et Sarah regarda sa montre.

- Bon, il faut que j'y aille avant que les cours reprennent. Surtout que j'ai déjà manqué toute la matinée d'hier.

— Rien ne presse. Il est sept heures. Tu m'as dit que tu as cours à neuf heures ?

C'était exact, mais elle avait quelque chose à faire auparavant.

- Je dois apporter cette lettre à la police. Peut-être que ça peut leur servir. Je suppose...

— Quoi ? ! s'écria Brian en reculant. Tu ne vas pas aller voir les flics avec ça ! Tu n'es pas sérieuse !

Sarah fronça les sourcils. Il redevenait hystérique !

— Qu'est-ce que tu veux que je fasse d'autre ? ! Lucy et Amy sont mortes dimanche. Au matin j'ai trouvé cette lettre qu'on avait glissée sous ma porte. Ce qui veut dire qu'elles étaient encore en liberté dans la nuit de samedi à dimanche. De plus, ce rendez-vous, ça devrait aider les flics dans leur enquête.

Brian secoua la tête et se mit à tourner en rond dans la chambre.

— Mais tu ne comprends pas ? Si tu vas chez les flics, c'est toi qui vas devenir le suspect n° 1 ! Tu es la dernière personne à avoir eu de leurs nouvelles. Tu as lu ce qu'elles disent ? ! continua-t-il en faisant de grands gestes nerveux avec ses bras. « On aimerait se réconcilier », qu'est-ce que tu t'imagines que les flics vont croire ?

— Moi, le suspect n° 1 ? ! Mais tu ne sais plus ce que tu dis, Brian, fit-elle en rebondissant sur son accusation.

Elle n'aimait pas du tout le ton de cette conversation. Elle n'aurait jamais pensé que Brian fût une poule mouillée.

— Très bien. Alors explique-moi pourquoi vous étiez fâchées depuis des années ?

— Nous n'étions pas vraiment fâchées, répliqua Sarah en se souvenant parfaitement de la raison pour laquelle elles ne se voyaient plus.

- C'était quoi, alors ?

Sarah poussa un soupir et se rapprocha de la fenêtre. Une parcelle flamboyante de soleil commençait à passer au-dessus de l'horizon.

- La vie, tout simplement. J'ai changé en arrivant ici. Lucy et Amy ont toujours été plus excentriques que moi. L'arrivée à l'université a élargi le fossé qui nous séparait. Tu sais bien avec qui elles s'étaient acoquinées. Franchement, moi, les mauvais garçons ce n'est pas trop mon truc.

Brian ne savait pas s'il devait prendre cela pour un compliment ou pas.

- Ça reste à prouver. Je ne te crois pas un seul instant. Et les flics y croiront encore moins. Tu dois bien te rendre compte que, dans les enquêtes sur les tueurs en série, les flics ne possèdent quasiment aucun indice. Le shérif va se ruer sur toi pour calmer l'opinion publique qui cherche un coupable. Ma pauvre, tu es pain bénit pour eux. Ils fouilleront ta vie et l'étaleront au grand jour, comme pour la pire des criminelles. N'as-tu vraiment rien à te reprocher ? Es-tu prête à voir à la une des journaux le moindre des écarts que tu aurais pu commettre ?

À ce moment, la paranoïa de Brian commença à devenir contagieuse. Elle n'avait jamais vu les choses sous cet angle-là.

Elle était innocente. Elle voulait seulement aider les services de police à arrêter le criminel qui avait tué ses anciennes amies. De là à se mettre en danger et à remuer le passé...

- Je ne sais pas. Ils vont vite voir que je n'y suis pour rien. En plus, nous étions ensemble tout le week-end.

Elle s'arrêta net. Elle avait enfin compris pourquoi Brian semblait si affolé. Le salaud ! pensa-t-elle aussitôt. Il ne s'inquiétait pas pour elle, mais pour lui !

Elle émit un petit rire méprisant.

— Tu as peur que notre liaison soit dévoilée ? Tu as peut-être même peur qu'on te suspecte de complicité avec l'ennemi public n° 1 que je suis ! l'agressa-t-elle, sentant la colère monter en elle.

— Mais qu'est-ce que tu racontes, tu délires !

Il était bien moins fier à présent.

- Le fils Hoggarth. L'étoile montante de notre petite ville. Le quarterback préféré de ces dames, suspecté de complicité dans des crimes odieux ! (Elle laissa échapper un énorme rire moqueur.) Elle va en faire une tête, la très coincée miss Parker. Son fiancé la trompe avec une tueuse.

Brian s'approcha de Sarah et, sans prévenir, lui asséna une gifle qui lui ouvrit la lèvre.

Sarah porta la main à sa bouche. Dès qu'elle vit le sang, sa colère se mua en rage.

— Espèce de connard ! T'es vraiment qu'une pauvre merde !

Brian n'en revenait pas de s'être ainsi laissé aller. Il n'avait pu s'en empêcher.

- Non seulement je vais aller voir les flics, mais si tu t'avises de porter à nouveau la main sur moi, je te jure que tu le paieras très cher.

Sarah alla chercher son manteau, l'enfila et se dirigea vers la porte. Brian l'attrapa par le bras et la força à le regarder.

- Excuse-moi, pardonne-moi, mon bébé. J'ai pété les plombs. Je ne sais pas ce qui m'a pris.

Il paraissait sincère, mais cela ne l'excusait pas pour autant.

- Réfléchis à ce que tu vas faire, ajouta-t-il sur le même ton plaintif. Imagine tout le mal que tu peux faire en allant voir les flics. J'accepte de souffrir si notre liaison est révélée au grand jour, mais pense à Elisabeth. Tu crois vraiment qu'elle a mérité ça ?

Le minable ! Brian avait tout d'un apollon. Un corps magnifique, un visage aux traits réguliers et au regard charmeur. Malheureusement, il ne comprenait vraiment rien aux filles.

Faire allusion, en cet instant crucial, à la personne que Sarah détestait le plus au monde ! Elisabeth Parker. La fille du patron du grand hôtel de luxe le River's Dream.

Sa rivale !

Elle se dégagea de son emprise et se rua vers la porte.

— Va te faire foutre !

Elle attrapa la poignée de la porte mais, avant qu'elle ait pu l'ouvrir, Brian s'interposa et la bloqua.

- Ne déconne pas, Sarah. Je suis très sérieux. Si tu vas voir les flics, tu vas te foutre dans une merde pas possible. Tu le regretteras, fit-il d'un ton qui n'était plus du tout amical.

Sarah vit un éclair de folie voiler son regard. Un frisson la parcourut.

- Laisse-moi sortir, Brian. Laisse-moi sortir. Je te promets de ne pas parler de toi.

Ils s'affrontèrent du regard, puis Brian obtempéra sans dire un mot.

Sarah quitta le motel et alla attendre le bus. Il était hors de question que Brian la reconduise où que ce soit.

Sept Jours à River Falls
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