Nestor
Plus je relis les aventures de Tintin, et plus Nestor m’apparaît comme un sale type, sournois, xénophobe et raciste.
Nestor entre au service des frères Loiseau, quelques mois seulement avant que ne commence l’aventure au cours de laquelle Tintin, Tournesol et Haddock découvrent Moulinsart. Qu’il ne se soit jamais rendu compte qu’il servait deux crapules, voilà qui n’est pas crédible. S’il était abruti, passe encore, mais Nestor est un homme intelligent et cultivé, qui, par exemple, a Les Pensées de Pascal comme livre de chevet.

Il y a tout lieu de penser qu’en août 1941, il a fait partie des premiers volontaires belges francophones engagés dans la Légion Wallonie, formée à l’initiative de Fernand Rouleau, bras droit de Léon Degrelle, avec l’assentiment des Allemands. Fin 1941, Nestor quitte la Légion Wallonie alors que celle-ci devient la 28e division SS Wallonie (28. SS-Freiwilligen-Grenadier-Division Wallonien, en allemand), une des 38 divisions des Waffen-SS durant la Seconde Guerre mondiale.
Hergé, qui savait tout cela, avait envisagé, après avoir achevé Coke en stock, une histoire dont Nestor aurait été la figure centrale. Une figure très suspecte, pour ne pas dire crapuleuse. Il n’a pu hélas se résoudre à dire la vérité sur ce personnage peu sympathique1.
Nick
Voir RODWELL.
Numéro 31
Le dernier chapitre de Tintinolâtrie, ouvrage qui, au contraire de notre enthousiasme tintinophile, est hélas aujourd’hui épuisé, comportait un test destiné à mesurer le QT (Quotient tintinologique) des admirateurs du petit reporter. Ce jeu, conçu par Hélène Maya, s’intitulait « La seule fois où Tintin… » et comportait, reconnaissons-le humblement, de menues erreurs que des lecteurs attentifs ne manquèrent pas de relever.
Tintinolâtrie n’ayant toujours pas été réédité, ce qui est d’ailleurs plus que regrettable, nous n’avons par conséquent jamais pu corriger les erreurs que comportait ce QT.
Il est donc temps de publier une lettre remarquable que nous adressa, il y a presque un quart de siècle, M. Ggavinovitch.
« Le 28 décembre 1987,
En 1950, j’étais responsable, placé sous l’autorité directe de T. Tournesol, de la division “Équipements lunaires” et plus spécialement de la mise au point du scaphandre lunaire, au Centre de recherches atomiques de Sbrodj, si célèbre aujourd’hui. À ce titre, M. Hergé a eu la courtoisie extrême de me représenter, aux pages 7 et 8 de Objectif Lune ; mon nom ne vous dirait rien, mais j’étais le numéro 31 dans l’organigramme du Centre, ce qui n’était pas rien, puisque M. Baxter était n° 1, T. Tournesol n° 9, F. Wolff n °14, MM Haddock et Tintin respectivement 56 et 57 seulement.
J’ai été embauché en même temps que F. Wolff, que j’avais connu à White Sands (USA). Ce passé m’a valu de sérieux ennuis après le retour de la fusée, et les épisodes douloureux qui l’ont accompagné. En effet, au début des années 50, l’air du temps véhiculait en Syldavie des relents de maccarthysme, dont j’ai fait les frais.
Les collègues et les amis de F. Wolff ont été suspectés d’avoir participé à l’embarquement clandestin du colonel Boris, alias Jorgen ; vous vous souvenez que l’espion bordure avait pénétré dans la fusée dans une caisse provenant de l’usine d’optique d’Iéna, en République démocratique d’Allemagne, je vous le rappelle. F. Wolff était chargé de l’approvisionnement en vivres et en matériel, et ma tâche était terminée à l’époque ; j’estime avoir porté le chapeau de ces messieurs de la ZEPO, incapables de filtrer convenablement les accès de Sbrodj et même ceux de la fusée : qu’on songe à l’embarquement des deux policiers Dupond et Dupont !
Il m’a été reproché des vétilles qui ne justifiaient pas, à mon sens, mon éviction du Centre. Ainsi a-t-on “ressorti” l’épisode de la combinaison de Milou, trop grande pour lui, digne d’un saint-bernard. Je n’avais fait que suivre les directives de T. Tournesol, qui connaissait bien le chien de M. Tintin. De même si Milou pénétra dans le secteur interdit AT ainsi vêtu, la responsabilité en incombait à F. Wolff, lequel le reconnut d’ailleurs. Lors des essais préalables du scaphandre lunaire de A. Haddock, je reconnais bien volontiers avoir oublié de retirer les souris blanches qui avaient servi aux premières expériences.
Mais il m’avait été reproché beaucoup plus injustement d’avoir employé du plexiglas pour la confection du casque de ce même scaphandre, que nous avons testé, T. Tournesol et moi-même, avec les moyens les plus scientifiques et les plus rigoureux possible. Dans le climat hystérique de cette époque, outrageusement anticommuniste, la référence au plexiglas n’était pas, en Syldavie, politiquement neutre, et résonnait fâcheusement comme Plekszy-Gladz, à ce moment numéro 1 du Parti moustachiste au pouvoir en Bordurie. Cette homonymie, regrettable il est vrai, fut impossible à expliquer, et je fus tout simplement licencié, avant d’être interdit pendant dix années de séjour en Syldavie.
Je ne vous écris cependant pas pour vous raconter une histoire vieille de plus de 40 ans, mais pour que vous soyez certain que j’étais on ne peut mieux placé pour connaître les secrets de la mise au point du scaphandre. Aussi, ai-je été stupéfait que votre collaboratrice, Mme H. Maya, ait pu commettre une erreur dans le test destiné à mesurer le QT. Je ne nie pas les capacités de Mme le Professeur de Trivial-Poursuitologie à l’université de Vierzon, mais je suis tenu, par la vérité historique, à rectifier l’erreur portant sur la question et la réponse 19 : “La seule fois où Tintin regarde Haddock à la télé” serait, selon elle, dans Objectif Lune, p. 37. Je suis au regret de la contredire, mais il ne s’agit pas d’un poste de télévision : ce mode de communication était bien entendu déjà connu en 1950, mais le Centre de Sbrodj ne l’utilisait pas, pour des raisons que j’ignore, mais qui ne font que renforcer le caractère amateuriste de notre entreprise, qui a cependant réussi.
Pour en revenir au scaphandre lunaire, les essais d’étanchéité dans un sas isobare et isotherme permettent de recréer les conditions de pression et de température proches de celles du « vide » intersidéral. Différents cadrans, manomètres et indicateurs permettaient à tout moment de contrôler ces paramètres simples. L’observation se faisait directement au travers des parois du sas par un hublot en plexiglas (je suis désolé d’insister sur ce point) et non par un écran vidéo ou une télévision, absente, je vous le répète, à Sbrodj. M. Hergé a d’ailleurs remarquablement représenté la console de commande des installations, en particulier grâce aux vues d’ensemble de la page 39, strips I (case 2) et III (case 3). L’épaisseur des parois était d’environ 0,40 mm et le hublot était composé, pour autant que je me souvienne de ce détail technique, d’un monobloc serti dans un cadre d’invar, acier au nickel qui présente l’avantage de posséder un coefficient de dilatation négligeable. C’est au travers d’un hublot identique que M. Baxter a pu observer le départ de la fusée, à partir du blockhaus situé à proximité de la piste de départ.
J’espère que cette précision vous conviendra ; je reste à votre disposition pour tous détails supplémentaires. Si je puis insister encore davantage, permettez que je corrige une seconde erreur de ce test de QT. En réponse à la question 38, “La seule fois où Tintin se fait appeler galopin”, votre collaboratrice renvoie à l’album Picaros, p. 17. Je suis au regret de constater qu’il n’en est rien ; par contre, dans l’album Tibet (p. 14, IV, 1) A. Haddock s’écrie : “car vous vous imaginez que j’allais laisser partir tout seul une espèce de galopin comme vous !”
Merci pour votre action militante envers mon ami Tintin : il restera un exemple éternel pour les jeunes de 7 à bien plus de 77 ans !
Si vous le rencontrez, saluez T. Tournesol de ma part : je ne lui ai pas gardé rancune de mon licenciement, il y a plus de 35 ans. Je n’ai fait que le croiser lors du Congrès International d’Astronautique de Sydney en 1966, à cause de son retard provoqué par le détournement de l’appareil de L. Carreidas. Je remercie également mon traducteur, M. Guigon, car je ne parle que l’anglais et le syldave.
À lire de Benoît Mouchard « Le syndrome de Nestor » in À l’ombre de la ligne claire, Vertige Graphic, 2002.