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Ventes

Des ventes aux enchères sont régulièrement consacrées à Hergé. La spéculation va désormais bon train. Tout cela est à la fois logique et complètement irrationnel. Les puristes vont se lamenter, les réalistes trouver ça normal. À une certaine époque – je n’en dirai pas plus –, j’aurais pu vraiment et facilement m’en mettre plein les fouilles. Je ne l’ai pas fait, plus par naïveté que par honnêteté. Ça pourrait m’énerver, mais dans le fond, je ne regrette pas d’avoir laissé la place à d’autres.

Naguère, on vit l’ayant tous les droits affirmer dans un documentaire diffusé sur Arte : « Je n’aime pas les collectionneurs. » Aujourd’hui, Moulinsart SA est « partenaire » de ventes comme la vente Piasa du 30 mai 2010. Lors de cette vente, la double planche 75-76 du Sceptre d’Ottokar a été adjugée 243 750 euros. Rappelons quelques chiffres de ventes « record » effectuées précédemment chez Artcurial : 764 000 euros en 2008 pour une gouache de Tintin en Amérique ; 372 000 euros, en 2009, pour une image du Crabe aux pinces d’or ; 103 000 euros pour un exemplaire de l’album L’Étoile mystérieuse de 1943…

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Olivier Delcroix, commentant la vente Piasa, a retracé l’incroyable histoire, digne des frères Loiseau, des planches 75 et 76, qui furent volées en 1946 au siège du magazine Cœurs Vaillants, où elles faisaient partie d’un tas d’originaux d’Hergé, oubliés dans un coin de bureau. Et notre confrère de s’interroger : « En mettant aux enchères aujourd’hui la double planche 75 et 76 du Sceptre d’Ottokar, pourquoi Moulinsart SA cautionne-t-il la vente de planches volées ? se demandent les amateurs de l’œuvre d’Hergé. Au lieu de les racheter et de les exposer au somptueux musée Hergé qui a ouvert ses portes à Louvain-la-Neuve en juin 2009. La question mérite d’être posée. »

Voile

La question du voile a été abordée depuis longtemps par Hergé. Dans Les Cigares du Pharaon, les Dupondt portent le niqab, un voile qui couvre tout le visage, sauf les yeux. Certes c’est une ruse pour faire évader Tintin, mais ce faisant, en détournant ce vêtement de son usage traditionnel les Dupondt vont beaucoup plus loin, dans la provocation anti-islamiste. Il est étonnant qu’une fatwa n’ait pas été lancée contre eux. Dans Tintin au pays de l’or noir (p. 40, case 9) au premier plan sur la gauche, on peut voir une femme en niqab. En arrière-plan, à droite, une femme simplement coiffée d’un foulard blanc, et portant un panier de fruits sur la tête, fait la causette avec un homme. Tous ces gens cohabitent paisiblement.

Dans Coke en stock (pp. 24 à 25), pour quitter clandestinement la ville de Wadesdah, Tintin et Haddock se déguisent en porteuses d’eau. La tête couverte d’une capuche et le visage masqué jusqu’aux yeux par un foulard, ils se rendent à un puits où une femme, elle aussi vêtue du niqab, les interpelle avec rudesse. En arrachant avec violence le voile qui cache le visage de Haddock, cette femme s’entend dire : « Pourriez pas parler français comme tout le monde, espèce de Fatma de Prisunic ?!… Qu’est-ce que vous me voulez, à la fin ?… » (p. 26, case 1). Effrayée, la femme court donner l’alarme. Reste à savoir la cause de sa frayeur : une femme à barbe ou un barbu ? Mais notons que comme les Dupondt dans l’épisode plus cité haut, Haddock et Tintin encourraient aujourd’hui une fatwa (de Prisunic).

Bien que Coke en stock, publié en 1958, soit une dénonciation sans équivoque de l’esclavagisme et du racisme, il se trouva des bien-pensants pour affirmer que cet album présentait une vision raciste des Noirs. Dans les éditions suivantes, Hergé modifia certains dialogues. Et c’est ainsi que « Fatma de Prisunic » devint « Bayadère de carnaval ».

Voronoff

Voir RANKO.