B

Balthus

« Matisse ? Je préfère Tintin. C’est aussi simplifié, mais c’est plus amusant ! »

Bayadère de carnaval

Voir VOILE.

Beh-Behr

ou le vrai prénom de Tintin

Dans Les Cigares du Pharaon, une interrogation de Tintin, ne laisse pas de surprendre. « Comment ai-je pu oublier que Beh-Behr est le nom sous lequel je me suis fait enrôler ? » (p. 26, case 9).

C’est sous le nom de Beh-Behr que Tintin a été recruté à son corps défendant dans l’armée d’un cheik d’Arabie. Il est intéressant de noter que c’est Tintin lui-même qui a fourni ce nom aux recruteurs.

Une fois enlevés les deux h supposés donner une connotation arabisante à ce pseudo, reste Béber. Béber, ou Bébert, est le diminutif tiré de plusieurs prénoms : Gilbert, Norbert, Robert, et surtout Albert.

L’étymologie d’Albert, issu du germain adal et behrt permet d’ailleurs de retrouver le h de Beh-Behr. Ce qui laisse à penser que le pseudo choisi par Tintin au moment de son enrôlement forcé, fait référence à Albert plutôt qu’à un autre prénom.

Serait-ce en souvenir du roi Albert Ier ? Admirateur de ce roi de légende, Hergé illustra le livre que Paul Verrie consacra au monarque en 1934, La Légende d’Albert Ier Roi des Belges, Casterman-Paul Duval.

Serge Tisseron, spécialiste ès secret de famille, a naguère avancé qu’il se pourrait qu’Hergé soit de noble origine : « Peut-être le géniteur du père de Hergé était-il le roi des Belges lui-même, Léopold II, connu d’ailleurs pour avoir eu de nombreux « bâtards1 » » : voilà qui expliquerait ce « Beh-Behr ».

N’en déplaise aux psychanalystes, la piste aristo a dû être abandonnée depuis que Philippe Goddin a exhumé l’acte de naissance du véritable géniteur du père et de l’oncle de Georges Remi. Aucun lien de parenté n’a jamais existé entre Hergé et le roi des Belges. Pour être juste avec Serge Tisseron, notons que celui-ci tempérait ses suppositions généalogiques : « L’histoire souterraine qui parcourt comme une hantise les albums de Tintin ne correspond donc pas à sa réalité familiale cachée, mais à l’ensemble des rêveries qu’il organisa, enfant, afin de remplir les blancs de sa généalogie et d’en gérer les contradictions2. »

Mais ce Beh-Behr n’est pas innocent ! Et ce n’est pas un pur hasard s’il vient à l’idée de Tintin se présenter ainsi dans Les Cigares du Pharaon.

Cyrille Mozgovine dans son considérable dictionnaire des noms propres rappelle que Tintin est un diminutif de Robert ou d’Albert. Le Beh-Behr en question ne serait donc que le diminutif du vrai prénom de Tintin : Albert.

Un autre épisode vient confirmer cette hypothèse.

Dans Les Cigares du Pharaon, pour s’introduire déguisé chez le professeur Smith, Tintin demande de l’aide au Senhor Oliveira da Figueira. Celui-ci fait donc passer Tintin pour un proche parent, et le présente comme étant son neveu Alvaro « … qui vient d’arriver du Portugal… Il est orphelin, le pauvre petit… » (p. 43, cases 8 et 9).

Alvaro, vient d’une déformation de Albéric (Alberico en espagnol) dans lequel on retrouve la racine alb-, nom d’un personnage de la mythologie germanique, la même racine que celle du prénom Albert. Albert dans lequel des étymologistes voient aussi la trace du latin albus qui signifie « blanc, clair, serein, favorable ». Rien d’étonnant à ce que le moine Foudre Bénie dans Tintin au Tibet surnomme Tintin « Cœur pur » (p. 44, case 7). Sa façon à lui de l’appeler Albert.

Au moment où j’achève ces recherches, Cyrille Mozgovine me signale qu’avant moi, il s’est penché sur « l’énigme apparemment impénétrable » du prénom de Tintin. Dans un article3 écrit en mars 2001, il faisait notamment remarquer que Tintin ne peut pas être un surnom, puisqu’il est souvent question de « monsieur Tintin ». Ce nom figurant d’ailleurs sur une plaque posée au-dessus de la sonnette de l’intéressé (Le Sceptre d’Ottokar, p. 7, case 11).

Que le prénom que je porte soit sans doute le même que celui de Tintin, voilà qui ne m’autorise pourtant pas à prétendre à quelque préséance que ce soit sur les autres tintinologues.

Tout en me réjouissant d’arriver aux mêmes conclusions que celles de l’éminent chercheur qu’est Mozgovine : « Cette double assonance hypothétique conduit à suggérer que le prénom de Tintin n’est autre qu’Albert… », je me dois de rendre à Cyrille ce qui revient à Cyrille.

Bibliographie partiale

… plus que partielle

De tous les livres consacrés à Tintin, exception faite pour tous les livres de Benoît Peeters – dont le remarquable Hergé, fils de Tintin –, mis à part le considérable Dictionnaire des noms propres de Tintin de Cyrille Mozgovine, sans oublier le foisonnant Tracé Hergé, de H. Van Opstal, presque tous, à peine feuilletés, me tombent des mains. Presque tous, sauf les ouvrages qui prolongent les albums en de troublantes implications du réel et l’imaginaire. Tintin est un des rares personnages de BD à vivre en dehors de ses albums.

C’est en lisant ces livres où l’existence du héros à la houppette ne semble faire aucun doute que je retrouve les émotions ressenties jadis. Et de reprendre à mon compte cette phrase de Léo Bloy placée en exergue de Tintinolâtrie… : « Il me semble que je m’en souviendrai toujours, de même qu’on se souvient de ces images puériles et merveilleuses qu’on admirait dans l’enfance et qui semblent plus réelles que tout ce qui peut être vu au cours de la vie. » (Léon Bloy, Le Pèlerin de l’absolu).

Petite sélection :

Ariane Valadié, Ma vie de chien, Lattes, 1993 / « Points Virgule », Seuil, 1994.

Jacques Hiron, Carnets de Syldavie, Mosquito, 2009.

Dr Patrick Pommier, avec la collaboration de Jean-Bernard Pouy :

– L’Expédition Sanders-Hardmuth, ADK, 2005 ;

– L’Expédition Calys, ADK, 2007.

Serge Provencher, Les Mémoires de Nestor, Le Jour Éditeur.

 

Évidemment, quitte à paraître vaniteux, je me permets de citer, outre le hélas épuisé, et toujours pas réimprimé Tintinolâtrie, Casterman, 1987 :

– Le Tournesol illustré, éloge d’un oublié de l’histoire des sciences, Casterman, 1994 ;

– Le Dupondt sans peine, Albin Michel / Canal + Éditions, 1997 ;

– La Castafiore, Biographie non autorisée, Chiflet & Cie, 2006.

Bordurie

Après la mort d’Hergé, je m’étais étonné qu’aucun message de condoléances n’ait été adressé au roi des Belges par le roi de Syldavie. Alors que Tintin, jadis, avait été fait Chevalier de l’Ordre du Pélican d’Or pour les services qu’il avait rendus à la monarchie syldave, un tel silence avait de quoi intriguer !

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Soupçonnant une interception de la lettre de condoléances par un agent bordure infiltré à l’ambassade de Syldavie à Bruxelles, j’avais donc écrit à Sa Majesté Muskar XII, pour lui demander de diligenter une enquête sur une éventuelle interception du courrier royal. J’écrivis aussi à son excellence Plekszy Gladz, à Szohôd.

Animé par le seul désir de voir s’instaurer une concorde durable entre ces deux nations, j’étais en droit d’espérer des réponses à mes interventions épistolaires. Or, quel désappointement de me voir retourner ces deux missives, ornées des mentions « adresse insuffisante » et « adresse inexacte » ! Avec, ce qui était moins ordinaire, au dos des deux enveloppes, des tampons en lettres cyrilliques qui fort bizarrement indiquaient que ces lettres avaient transité par Moscou !

Un indice anodin, mais qui allait pourtant me permettre de résoudre, du moins d’éclairer un peu, le mystère de cette énigme géo-politico-postale.

À l’époque où remontent ces faits – c’était avant la perestroïka – rares étaient à l’Ouest, ceux se souciaient sincèrement du sort des États baltes : Estonie, Lituanie et Lettonie. Ces pays avaient été phagocytés par l’URSS un an à peine après la signature du pacte germano-soviétique qui stipulait dans une de ses clauses la disparition pure et simple de ces pays.

Pour ma part, encore dans l’enchantement d’une relecture du Sceptre d’Ottokar, je ne me doutais pas de la disparition pure et simple de deux autres nations de l’est de l’Europe, en l’occurrence la Syldavie et la Bordurie. Après la Seconde Guerre mondiale, profitant du désintérêt des nations occidentales pour les petits États d’Europe centrale, Staline avait poursuivi sans vergogne sa politique expansionniste entérinée par la conférence de Yalta. Parmi les territoires concédés à l’ogre du Kremlin se trouvaient la Syldavie et la Bordurie. Un protocole secret, cosigné par les Américains, les Anglais et les Russes, avait réglé, dès février 1945, le sort du petit royaume syldave, dont le roi Muskar XII s’était illustré héroïquement en combattant l’envahisseur nazi4, envahisseur épaulé hélas par des collabos issus du ZZRK, inféodés à la Bordurie alors fasciste.

En 1947, prétextant de la signature des traités de Paris qui entérinent la rectification des frontières soviétiques aux dépens de la Finlande qui perd la Carélie, et de la Roumanie, amputée de la Bessarabie, l’Armée rouge occupe sine die la Syldavie qui se retrouve intégrée à la Bordurie soviétisée.

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La Bordurie communiste, dirigée d’une main de fer par le maréchal Plekszy-Gladz, devenu ultrastalinien après avoir été un admirateur d’Hitler, se croyait alors à l’abri des appétits soviétiques. Pour plaire à Staline, le dictateur bordure avait même choisi une paire de moustaches comme emblème national ! Mais en 1956, tirant un parti maximum de la répression de la révolte hongroise – révolte dont l’attention du monde entier est accaparée – Nikita Krouchtchev, le nouveau maître du Kremlin, décide d’envahir et d’annexer la Bordurie. Le prétexte ? Le rapprochement entre le dictateur Plekszy-Gladz et le maréchal Tito, maître de la Yougoslavie qui avait rompu avec Moscou et qui cherchait à se rapprocher des pays dits « non alignés » comme l’Inde de Nehru et l’Égypte de Nasser.

Il est vrai que le Grand État Major bordure avait eu l’imprudence et même l’impudence de révéler que la Bordurie était sur le point de fabriquer une arme absolue, effrayante préfiguration de la bombe à neutrons (L’Affaire Tournesol, pp. 52 et 53). Rappelons que l’album L’Affaire Tournesol est paru en 1956.

Et c’est en 1956 précisément, que les chars russes entrent dans Szohôd, la capitale bordure. Appliquant l’ubuesque formule : « S’il n’y avait pas de Pologne, il n’y aurait pas de Polonais », les envahisseurs s’appliquent à faire oublier la Bordurie, jusqu’à en dissoudre le souvenir dans la mémoire des autres peuples.

Boucherie Sanzot

Un jour, on apprendra que le boucher de Moulinsart, après avoir égorgé et saigné ses victimes, les désossait dans son arrière-boutique pour les transformer en pâté.

1.

Serge Tisseron, Tintin et le Secret d’Hergé, Hors Collection, Presses de la Cité, 1993, p. 148.

2.

Idem, p. 147.

3.

« Le prénom de Tintin », Cyrille Mozgovine, La Dépêche, supplément gratuit à la revue Les Amis d’Hergé, mars 2001.

4.

« Les Allemands, pressés d’en finir, donnent le feu vert à leurs alliés bulgares pour l’annexion de la région de Dbrnouk où est implantée une forte minorité bulgarophone. Le 11 septembre 1939, les troupes de Sofia franchissent la frontière au sud-est, en concertation avec l’armée bordure, qui, au nord-est, remonte la vallée du Moltus et du Wladir. En appui à cette invasion, l’aviation bordure, équipée d’avions allemands Heinkel, bombarde la capitale, Klow. La petite armée syldave oppose une résistance farouche aux envahisseurs. Le roi Muskar XII prend lui-même le commandement des troupes. Les gardes du Trésor royal, à court de munitions, vont jusqu’à livrer des corps à corps meurtriers à coups de hallebardes. Grâce à ce sacrifice, le souverain réussit à gagner l’aéroport et à prendre l’avion pour la Grèce. L’accompagnent quelques membres de son état-major, ainsi que la Castafiore et son fidèle Igor Wagner. » Albert Algoud, La Castafiore, Biographie non autorisée, Chiflet & Cie, 2006.