Saint-Ogan (Alain)
Hergé a dit avoir été influencé par le dessinateur Alain Saint-Ogan, le créateur de Zig et Puce.
Mais un ouvrage de la Bibliothèque Rose, Le Plus Beau Chien du monde de Thérèse Lenôtre, publié aux Éditions Hachette en 1939, réserve quelques surprises. Il se pourrait bien que le maître ait finalement été influencé par le disciple. Sur la couverture de ce livre figure un jeune garçon en pantalon de golf. Il a le visage rond, le front dégagé, les cheveux blonds tirés en arrière. Un fox-terrier blanc lui fait la fête.
Mais ce sont les illustrations de cet ouvrage qui sont le plus intrigantes car toutes les scènes d’extérieur font penser à des décors déjà dessinés par Hergé, que ce soit dans Les Cigares du Pharaon, Le Lotus Bleu ou Le Crabe aux pinces d’or.
Autre chose : le père de Zig et Puce fut un sacré antisémite. Espérons que cette fâcheuse disposition n’entra pas dans l’admiration que lui vouait Hergé…
Sanzot
Voir BOUCHERIE.
Sbrodj
Dans Objectif Lune (p. 4, case 7), le capitaine Haddock traite de « Sbrodj » puis de « Bachi-Bouzouk » le chauffeur de la ZEPO1 qui conduit la voiture dans laquelle Tintin et lui ont pris place pour aller retrouver T. Tournesol. Un transfert effectué sous le nom d’« expédition campanule ». Le chauffeur ayant répondu « Sbrodj » à la question inquiète de Tintin qui lui demandait : « Où nous conduisez-vous ? », Haddock, croyant à une insulte, réplique illico : « Sbrodj vous-même. » Sbrodj, le capitaine et Tintin l’apprendront un peu plus tard, est le nom du Centre de recherches atomiques d’où la fusée lunaire doit décoller. Certes, il s’agit d’un quiproquo et les vétilleux diront que la méprise exclut ce mot des jurons haddockiens. Mais le fait que le capitaine enchaîne avec « Bachi-Bouzouk » prouve que pour lui, il s’agit bien d’une insulte. Comme l’expliquent Daniel Justens et Alain Préaux, le syldave sbrodj est à rapprocher du marollien sprottjes, « choux de Bruxelles » ou encore de esprots (« anchois de Norvège ») que les Néerlandais appellent sprot, mais que les Marolliens n’hésitent pas à déformer en spokskes.
Pourquoi évoquer ce Sbrodj ? Parce que, à ma grande honte, ce mot ne figure pas dans l’intégrale des jurons du capitaine. Si un lecteur attentif ne m’avait pas signalé la chose, je ne me serais jamais aperçu de cet oubli. Et ça m’énerve !
Attention, il ne faut pas confondre Sbrodj et Sprbodj. Commandant de la gendarmerie de Zlip, en Syldavie, Sprbodj est aussi membre du ZZRK (Zyldav Zentral Revolutzionär Komitzät), groupe révolutionnaire animé par Müsstler dont le but est le renversement de la monarchie syldave. Chargé de l’élimination de Tintin, Sprbodj procède à son arrestation et organise un guet-apens qui heureusement échoue.
Sirov
Dans Le Sceptre d’Ottokar paraît un personnage qui ressemble comme deux gouttes de szprädj au capitaine Haddock, surtout quand on regarde son profil gauche. Son nom : Sirov, presque homonyme de cirrhose. Ce solide Syldave est d’ailleurs en contact avec un certain Wizskizsek, commandant de la gendarmerie d’un petit village syldave : « Allo ?… Oui, ici Sirov… Salut, Wizskizsek » (p. 26, case 8) et c’est avec Zlop qu’il s’embusque dans la forêt pour tendre une embuscade à la charrette dans laquelle Tintin est supposé avoir pris place.
Notons que Sirov semble prompt à s’emporter et à se lancer dans de fulminantes imprécations. « Où est-il, mille tonnerres !… » (p. 27, case 11).
Sirov est-il la préfiguration de Haddock ? Ou est-ce Haddock qui serait la réincarnation de Sirov ? Le capitaine apparaît en effet en 1941, dans l’album suivant, pauvre épave en manque d’alcool, car à sec de whisky !
Allons plus loin. Cette ressemblance est si stupéfiante qu’elle ne peut être fortuite. Haddock aurait donc du sang syldave dans les veines ! Si secret de famille il y a, c’est sans doute là qu’il se cache. Bien sûr, les puristes, les tintintégristes feront remarquer que dans la version noir et blanc du Sceptre d’Ottokar parue en 1939, l’apparition de Sirov est moins haddockienne que celle mise en scène dans la version couleur de 1946. Ce qui laisse à penser qu’Hergé – comme l’avait avancé Yves Crespel – s’est livré à une facétie, en accentuant la ressemblance entre Sirov et Haddock.
Stabat Mater
Il est temps de mettre en lumière un personnage presque totalement négligé par tous les tintinologues. Bizarrement alors qu’elle ne figure pas dans le pourtant très remarquable Dictionnaire des noms propres de Tintin, de Cyrille Mozgovine, madame Wang est évoquée dans la contribution de Dominique Cerbelaud à L’Archipel Tintin2, ouvrage collectif préfacé par le susdit Mozgovine.
Il serait temps qu’un hommage digne de ce nom soit enfin rendu à madame Wang, épouse de Wang Jen-Ghié qui est le chef de la société secrète des « Fils du Dragon ».

Dans Le Lotus bleu (p. 29, cases 4 à 11), Tintin est confronté soudain au chagrin de madame Wang, la mère de Didi qu’une piqûre de fléchette au radjaïdjah a rendu fou. Comment, devant ce tableau poignant, ne pas penser à une des strophes du Stabat mater ?
« Qui pourrait dans l’indifférence
Contempler en cette souffrance
La mère auprès de son fils ? »
Brisée par ce malheur, elle implore son mari, le suppliant d’intervenir : « Notre fils a une nouvelle crise de folie, Wang !… De grâce, essayez de le calmer !… » La douleur indicible de cette mater dolorosa bouleverse Tintin qui ne peut retenir ses larmes et balbutie : « Pauvre, pauvre maman… »
Moment d’autant plus émouvant qu’on ne connaît pas de mère à Tintin et que c’est la seule fois, au cours de toutes ses aventures, où il prononce le mot maman. Dominique Cerbelaud fait remarquer avec justesse que ce « cri du cœur » annonce le lamento du capitaine Haddock quand dans Le Crabe aux pinces d’or, Tintin le rencontre pour la première fois (p. 16, cases 1 à 6). Au reproche du jeune homme « Que dirait votre vieille mère si elle vous voyait dans cet état ? », le capitaine imbibé pleure comme un enfant : « Bou-ou-ouh !… Maman ! »
Face à madame Wang, Tintin est ému au plus profond de lui-même par une des plus grandes souffrances que puisse connaître une mère : voir son enfant se perdre dans les brumes de la déraison et le sentir devenir inaccessible alors qu’il est si proche… Comme mort en étant vivant. Chez Tintin, une telle intensité dans la compassion est exceptionnelle. La folie qui fait souvent rire dans les autres aventures est ici considérée sous son angle tragique.
Surréalisme ?
À propos des séquences oniriques de L’Étoile mystérieuse, il a souvent été fait référence au surréalisme. Que le surréalisme belge ait influencé Hergé, pourquoi pas ? Mais si c’est le cas, c’est très indirectement. Certes, le surréalisme eut de remarquables représentants en Belgique. Mais Magritte, Delvaux, Nougé, Ubac, Jean-François Chabrun, Noël Arnaud, Christian Dotremont ou Scutenaire ne semblent pas avoir été très prisés dans le milieu sans grandes audaces intellectuelles où évoluait Hergé. Le surréalisme, pour s’en tenir à la définition qu’en fit Breton, tendait à « une insurrection générale contre tous les mots d’ordre de la société bourgeoise en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ». Pas trop la tasse de thé des amis d’Hergé qui croyaient encore en l’avènement d’un « ordre nouveau ». L’adjectif surréaliste n’est adéquat qu’en apparence, et permet d’esquiver l’angoisse bien réelle qui fonde l’atmosphère apocalyptique des premières pages de L’Étoile mystérieuse. L’angoisse d’une fin imminente qu’Hergé a été le seul à retranscrire.
Rappelons qu’un des ultimes surréalistes belges, l’écrivain, poète, essayiste, éditeur, photographe, cinéaste, créateur de collages et d’objets insolites, Marcel Mariën (1920 – 1993), eut pour adepte Jan Bucquoy, grand pourfendeur de l’œuvre d’Hergé.
Syldavie

Enfant, j’ai longtemps confondu la Syldavie avec la Slovénie qui était alors une des républiques de la Fédération socialiste yougoslave. Une confusion due à la paronymie de ces deux contrées slaves, mais due aussi à l’émotion avec laquelle mon grand-père me parlait de la Slovénie. Dans sa jeunesse, quelques années avant la guerre de 14-18, il était parti vivre à Maribor, puis à Ljubljana pour y enseigner le français. Passionné de littérature, de poésie et de peinture, il s’était rapproché de la petite et chaleureuse communauté des artistes-slovènes. L’écrivain Wladimir Leustic3 (1886-1957) devint son grand ami, ainsi que le sculpteur Lojze Dolinar (1893-1970). C’est dire si mon émotion fut grande, quand, en feuilletant un ouvrage passionnant consacré aux pays imaginaires de la bande dessinée4, je découvris une carte sur laquelle, en Europe centrale, figuraient la Syldavie et la Slovénie, pays séparés par l’État du Rocca Negra5, mais ayant tous les deux, à l’est, une frontière avec la Bordurie ! Le rapprochement entre les deux contrées n’était donc pas seulement paronymique, mais aussi géographique.
En 2004, Le Sceptre d’Ottokar a enfin été traduit en slovène6. Il ne reste plus qu’à traduire cet album en syldave, pour que de Klow à Dbrnouk les jeunes de 7 à 77 ans puissent à leur tour découvrir les exploits de celui qui tant aima leur pays qu’il alla jusqu’à risquer sa vie pour le sauver.
Comme le prouvent leurs travaux linguistiques très poussés, Alain Préaux et Daniel Justens sont sans doute les plus grands connaisseurs de la langue syldave. Qu’attendent les Éditions Casterman, qui ont déjà publié un de leurs ouvrages7 pour leur commander cette traduction ?
Szlaszeck aux champignons
La recette de ce plat traditionnel syldave est donnée dans les Carnets de Syldavie8, à ce jour le meilleur ouvrage pour découvrir « tout ce que vous avez voulu savoir sur la Syldavie ».
Szut (Piotr)
Balte bath. Étonnant Estonien.
ZEPO : la police secrète syldave.
L’Archipel Tintin, préface de Cyrille Mozgovine, Les Impressions nouvelles, 2004.
Seul ouvrage de Wladimir Leustic disponible en français, Le Nœud de vipère, SEDEP, 1978.
Jean-François Douvry, Les Pays imaginaires de la bande dessinée, illustré par Claude Serrière, collection Mosquito, Dauphylactère Éditions, 2003. Cet atlas, outre la Syldavie répertorie en Europe centrale la Poldévie (capitale Lüdno), pays cher à Jean-Michel Charlier, où s’illustra Valhardy dans le Rayon supergamma et La Machine à conquérir le monde. Sont aussi signalés, du nord au sud : la Westlandie, l’Esturie, le Grand Kudpein, le Bretzelburg, la Braslavie, le Maquebasta, la Belladonie, la Stry Chninie, l’Arachistan, la Corélie et la Drakonie.
Dans Le Seigneur de Gonobutz (Bob de Moor, Éditions du Lombard, 1980), le Rocca Negra est un petit pays où Barelli aide Vittorio, seigneur de Gonobutz, à lutter contre le nouveau gouvernement corrompu qui a accepté la construction d’un viaduc qui va défigurer une splendide vallée.
Otokarjevo Zezlo, Ucila International.
Daniel Justens, Alain Préaux, Ketje de Bruxelles, Casterman, 2004.
Jacques Hiron, Carnets de Syldavie, Mosquito, 2009.