Indien (Tintindien)
Depuis longtemps, on nous parle de l’importance capitale exercée par la découverte de la civilisation chinoise sur l’évolution de l’œuvre d’Hergé.
OK. Néanmoins, à n’évoquer que le seul Tchang, se trouve complètement occulté le tropisme le plus mystérieux des aventures de Tintin : l’Inde et les Indiens !
Indiens d’Amérique du Nord (Tintin en Amérique) ; Indiens du Rawhajputalah (Les Cigares du Pharaon) et du Hambalapur (Les 7 Boules de cristal) ; tribus indiennes Arumbayas et Bibaros du San Theodoros (L’Oreille cassée) ; Incas du Pérou (Les 7 Boules de cristal et Le Temple du Soleil) ; Indiens de New Delhi (capitale de l’Inde), hôtesses et pilotes d’Air India et surtout bouddhisme indien d’Atisha à l’origine des sectes lamaïques du Tibet (Tintin au Tibet).
On sait désormais que Tchang, retrouvé par Tintin au Tibet et par Hergé à Bruxelles, a été idéalisé pour ne pas dire surcoté dans des proportions qui laissent dubitatifs jusqu’aux tintinophiles les plus invétérés.
Il est donc temps de rappeler qu’un homme exerça sur Hergé une influence tout aussi grande que Tchang, si ce n’est beaucoup plus : le Père Gall. Hergé fit la rencontre de ce moine fin 1948 à la Trappe de Scourmont, près de Chimay, où il s’était rendu pour trouver un peu d’apaisement, alors qu’il traversait une grave crise, disons, existentielle. Une rencontre capitale. Indianiste de longue date, le Père Gall, alias Lakota Ishnala, « Loup solitaire », était Sioux par adoption et faisait effectivement partie, bien que ne s’étant jamais rendu aux États-Unis, d’une tribu sioux des Ogallalas.
Le lendemain de leur rencontre, Loup solitaire emmène Hergé au fond des bois où il lui propose de fumer le calumet de la paix. « Cette forme-là de sentiment religieux, Hergé la ressent comme très proche. Le Père Gall lui parle de l’âme indienne, de la volonté de communion avec tous les êtres de l’univers et de ce sentiment d’harmonie avec la nature dont l’homme blanc est incapable. Il tente de rectifier les inepties propagées sur le sujet par le scoutisme avant d’évoquer la situation actuelle des Indiens dans les réserves1. »

Benoît Peeters, Hergé, fils de Tintin, Flammarion, collection « Champs », 2006, pp. 293 à 295