22
Lorsque la silhouette massive du transdunes disparut derrière les dunes de sable, Tatoo Un inondait déjà l’immense étendue de la Mer de Dunes Occidentale de ses rayons d’or. Leia se tourna vers Han. Il était allongé sur le dos, sur le capot avant de l’aérofouineur, observant le ciel avec ses jumelles.
— Il est parti, annonça la Princesse. (Avec Chewbacca, C-3PO et les Squibs, ils se trouvaient à une dizaine de kilomètres de l’ancienne maison d’Obi-Wan, cachés à l’embouchure ombragée d’un canyon en bordure de la Mer de Dunes.) Tu vois quelque chose ?
— Il y a toujours un TIE qui le suit. (Han baissa ses macrobinoculaires et descendit du capot de l’engin Impérial.) On dirait bien que ton plan va marcher.
— Pour peu que Herat tienne parole, insista C-3PO, assis sur le siège passager à l’avant. Personnellement, je ne trouve pas qu’il soit recommandable de faire confiance à un Jawa.
Chewbacca, assis au volant, grogna une question.
— Cela n’a rien à voir ! répondit C-3PO. Je n’ai jamais cru un seul instant que Maîtresse Leia avait réellement l’intention de me proposer comme monnaie d’échange.
— Une réponse bien prétentieuse pour un droïde, dit Han, se tournant vers Leia. Mais C-3PO n’a pas tort. Herat est en train de prendre un gros risque. Il se peut même qu’elle le trouve un peu trop gros à son goût.
— Ça dépend, dit Sligh. (Grees et lui étaient installés à l’arrière, en train de bricoler les unités de communication de deux casques de fantassins Impériaux récupérés auparavant dans la caverne.) Si tu l’as déjà doublée, elle, ou non !
— Nous n’avons doublé personne ! dit Leia. Je vous rappelle que c’est vous qui avez décidé de mettre fin à nos accords dans le canyon. Nous n’étions donc pas obligés de vous rendre le catalyseur.
— Tiens, ça me fait penser… Comment avez-vous réussi à redémarrer le réacteur ? demanda Han.
— La charge de baradium d’un déto…
— Sligh ! aboya Grees. Ils n’ont pas payé pour cette information !
— Elle tiendra parole, dit Sligh, ramenant immédiatement la conversation sur Herat. C’est pour ça que nous vous avons suggéré de lui proposer un kit de diagnostic pris sur le Faucon Millennium, plutôt que votre droïde de protocole. Un Quaxcom série 15, c’est le top pour un Jawa. Personne ne laisserait passer une offre pareille. Elle va prendre le risque, tant qu’elle pensera que vous serez à l’arrivée pour lui remettre le kit.
Des parasites retentirent dans les petits écouteurs du casque qui se trouvait sur les genoux de Grees. Il activa un levier installé dans la mentonnière, hocha la tête et se tourna vers Sligh.
— Le droïde a raison, dit Grees, tendant le casque à Chewbacca. Ils ont changé la modulation. Code Bleu de sécurité.
— Bien sûr, répondit C-3PO. Le databloc Impérial m’a assuré que le changement de mode est une procédure fréquente lorsque des équipements de communication sont volés.
Sligh ajusta les changements de fréquence sur le casque qu’il avait entre les mains, avant de le tendre aussi à Chewbacca.
— On place toute notre confiance en vous, dit-il à Han.
— Alors pourquoi risquer sa vie à elle ? demanda Han, faisant un geste vers Elama. (Celle-ci se tenait à côté de Leia, engoncée dans un manteau protecteur couleur chamois. Elle tenait un fusil blaster de fantassin Impérial beaucoup plus grand qu’elle et portait sur son dos une réserve d’eau qui devait bien peser la moitié de son propre poids.) On n’a pas besoin d’escorte à ce point, quand même…
— Je viens avec vous uniquement pour vous aider à trouver l’oasis fantôme, dit Elama. Il faut penser aux objectifs.
Leia savait que les Squibs étaient bien plus intéressés par la protection de leurs propres intérêts que par le succès de la mission. Elle ne voulut pas discuter. En plus du fait que Herat avait martelé que la seule récupération du transdunes ne suffisait pas à couvrir les risques qu’elle encourait, la présence d’Elama avait été le point le plus épineux de ces négociations pour le moins précipitées. Les Squibs refusaient purement et simplement de suivre le plan sauf si l’un d’entre eux accompagnait Han et Leia jusqu’à l’oasis fantôme, même si cela pouvait compromettre le déguisement des époux Solo.
Leia prit le casque, puis baissa les yeux vers Elama.
— J’espère seulement que tu pourras suivre le rythme, dit-elle. Tu n’as pas d’armure réfrigérée et la marche au soleil va être bien longue.
— C’est pour ça qu’elle y va ! intervint Grees. Elle est la plus résistante de nous tous.
Les oreilles d’Elama se dressèrent fièrement.
Han leva les yeux au ciel, s’empara de son casque et prit l’avant-bras de Chewbacca.
— Je compte sur toi. Tu ne touches à rien et, quand tu seras avec le Faucon, évite de rayer…
Chewbacca leva à son tour les yeux au ciel et poussa un grognement aussi moqueur qu’ennuyé.
— Han, cette casserole porte encore des marques de brûlure de l’attaque sur la première Étoile Noire. (Leia se tourna vers Chewbacca.) Tu peux rayer tout ce que tu veux. Ça le poussera peut-être enfin à repeindre ce fichu engin !
Chewbacca hocha la tête avec enthousiasme. Il alluma les répulseurs et s’engagea dans le canyon avec C-3PO et les deux autres Squibs. Il fit un vague signe de la main sans se retourner. C’était ainsi que le Wookiee agissait, à chaque fois qu’ils se séparaient. Pour lui, de trop grandes effusions pouvaient signifier qu’ils ne se reverraient pas.
Han passa son bras autour des épaules de Leia. Ensemble, ils regardèrent l’aérofouineur disparaître derrière un angle de roche.
— Alors, demanda-t-il. Tu crois vraiment que ça va marcher ?
— Je ne sais pas, dit Leia, se tournant pour faire face à son mari. Tu as une meilleure idée ?
Han sourit.
— Ouais ! (Il glissa ses mains autour des hanches de Leia pour l’attirer à lui, jusqu’à ce que les plaques thoraciques de leurs armures s’entrechoquent.) Ça…
Elama poussa un grognement dégoûté.
Leia l’ignora et embrassa Han jusqu’à ce que la tête lui tourne. Puis elle l’embrassa à nouveau. Ce n’était pas parce que cela risquait d’être la dernière fois, mais tout simplement parce qu’ils étaient ensemble dans ce pétrin. Enfin, elle s’écarta et sourit à son mari.
— En avant, marche, soldat !
Leia et Han enfilèrent leurs casques et commencèrent à marcher vers l’oasis. Elama restait à environ cinq cents mètres à la traîne, pour protéger leurs arrières et ne pas se faire repérer au cas où ils tomberaient par hasard sur une patrouille de reconnaissance. Ils firent bien attention à rester dans l’ombre qui baignait les pieds des falaises. En partie pour ne pas trop s’exposer au soleil mais surtout pour réduire le risque d’être aperçus par une sentinelle, qu’il s’agisse d’un Impérial ou d’un Tusken.
En dépit de l’unité de réfrigération intégrée à leurs armures, la marche était lente et guère confortable. À bord du transdunes, Han avait assemblé une armure à partir de morceaux épars qui semblait lui aller à peu près. Leia, elle, avait dû rembourrer presque toutes les pièces de la sienne avec de la laine de tomuon. Malgré cela, les jambières et les avant-bras étaient encore beaucoup trop longs pour elle, et chaque pas représentait un effort pour plier les chevilles et les genoux. Il leur fallut près de quatre heures, à patiner dans le sable ou à déraper sur des cailloux, pour couvrir une distance de quatre kilomètres. Lorsqu’ils se glissèrent dans une petite anfractuosité afin de marquer une pause, Leia était épuisée et moulue.
Pourtant, elle se répétait qu’elle avait certainement de la chance. La situation de Kitster Banai devait être bien pire. Pour peu qu’il soit encore en vie. S’ils ne parvenaient pas à récupérer Le Crépuscule des Killik à temps pour en informer Mon Mothma, des centaines de membres de la résistance Askajian auraient à endurer des tourments épouvantables sous les assauts des sondes des droïdes d’interrogatoire Impériaux.
Elama les rejoignit quelques minutes plus tard. Ses mouvements étaient si discrets et son manteau la camouflait si bien que Leia faillit ne pas la voir passer devant l’ouverture. La Princesse dut sortir et lui faire signe. La Squib avait l’air encore plus épuisée que Han et Leia. Elle s’affala dans l’ombre de la crevasse en poussant un soupir de grande lassitude.
— Comment te sens-tu, Elama ? demanda Leia.
— Je tiens le coup pour l’instant, non ? Vous n’allez quand même pas m’abandonner si je m’évanouis dans cette…
— Du calme, l’interrompit Han. On protège aussi tes intérêts.
Elama lui adressa un regard de biche qui, malgré la fatigue et la colère, était tout à fait adorable.
— Tu ne crois quand même pas que je vais tomber dans ce panneau ? Je vous connais, vous, les humains.
— Tu as besoin de te reposer ? demanda Leia. Chewie et les autres doivent être arrivés à proximité des plaines salées, à l’heure qu’il est. Ils ne quitteront pas le canyon tant que nous ne leur aurons pas envoyé le signal.
Elama but une longue gorgée d’eau par le tube qui pendait de sa réserve au-dessus de son épaule. Elle se releva et ajusta le fusil blaster sur son bras.
— Je protège vos arrières !
Leia remit son casque, s’empara d’un communicateur Impérial dans sa ceinture utilitaire et regarda Han. De peur qu’un signal de leurs propres comlinks n’éveille l’attention des oreilles ennemies, ils avaient décidé de brouiller les pistes en communiquant sur le réseau même du Chimaera. Avec un peu de chance, les Impériaux ne remarqueraient pas les émissions supplémentaires.
— Chubba ! jura Elama, tendant la main pour activer le bouton d’émission. Tu le lances, ton signal, ou quoi ?
Leia envoya un clic. Un double clic, émis par Chewbacca, lui répondit immédiatement.
Leia et Han s’approchèrent de l’embouchure de la crevasse afin d’obtenir une vue bien dégagée du ciel au-dessus de la Mer de Dunes. Han sortit ses macrobinoculaires et s’agenouilla. Une minute passa… Deux… Leia commença à se demander si Herat n’avait pas décidé de ne plus prendre de risque, après tout.
— Ils ont mordu à l’hameçon, déclara finalement Han.
Il tendit les macrobinoculaires à Leia. Cette dernière put voir alors une douzaine de TIE – un escadron tout entier – descendre du ciel et voler au-dessus des dunes. Elle activa le calculateur de portée. Dans les indications, elle ne vit qu’un « 1 » suivi de deux espaces flous et bleutés correspondant au défilement des chiffres.
— Cent kilomètres ? Ce n’est pas possible…
— Je dirais presque cent cinquante, dit Han. Herat doit pousser le réacteur du transdunes dans ses derniers retranchements. Il doit friser la surchauffe. Elle le veut vraiment, ce kit de diagnostic…
— Elle le mérite.
Leia rendit les jumelles à Han puis appuya à nouveau sur le bouton de transmission du communicateur volé aux Impériaux. Cette fois, Chewbacca ne répondit pas. La consigne était de transmettre le moins possible pour ne pas attirer l’attention. Leia savait cependant que Chewbacca était en train de piloter l’aérofouineur dans les dernières centaines de mètres du canyon pour rejoindre la Mesa et filer vers le lieu où le Faucon était caché. En priant pour que la diversion occupe les Impériaux sur la Mer de Dunes assez longtemps pour que l’engin puisse se fondre dans le trafic général grouillant de Mos Espa à Mos Eisley. Ils avaient estimé que cette partie du voyage prendrait à peu près une heure. Le voyage de retour – en espérant que le cargo Corellien serait bien dans la grotte lorsque Chewbacca et les autres arriveraient – ne prendrait que trois minutes.
Une série de rayons bleus strièrent les cieux distants.
— Ils ont ouvert le feu, annonça Han.
— Sur Herat ? demanda Elama.
— Difficile à dire, répondit Han.
— Ce sont des tirs de semonce, dit Leia, se rappelant les directives Impériales dont ils avaient pris connaissance. Le commandement du Chimaera veut nous capturer vivants. Ils ne vont pas courir le risque de toucher le réacteur et de désintégrer le transdunes.
Ils observèrent en silence pendant encore deux minutes. Leia en eut presque mal aux oreilles, impatiente d’entendre, dans les écouteurs de son casque, la voix d’un officier donner des ordres ou celle d’un soldat poser des questions, quelque chose qui lui indiquerait que le Chimaera réagissait correctement à la diversion. Mais, témoignant d’une discipline qui avait cruellement fait défaut aux troupes Impériales depuis l’avènement de Palpatine, les deux compagnies postées en embuscade conservèrent le silence radio.
— Zut ! dit Han. Il va falloir employer la manière forte. Ils vont certainement faire descendre une compagnie supplémentaire.
Leia hocha la tête.
— On aurait du deviner qu’ils avaient une carte dans leur manche. Ces nouveaux Impériaux… ils ont fait des progrès considérables.
Ils rangèrent les macrobinoculaires et se mirent en route vers l’oasis. Leia et Han progressaient en alternance par tranches de cinquante mètres, en avance sur Elama afin de se protéger les uns les autres. Au bout de deux cents mètres, ils commencèrent à entendre le grognement des banthas et ils coururent se réfugier en bordure des Plaines de Jundland. Avancer le long de la zone où démarrait la Mer de Dunes était certainement la voie la plus rapide pour rejoindre l’oasis. Mais c’était également la plus évidente.
Ils aperçurent deux fantassins Impériaux à trente mètres de là, étendus contre un monticule de sable. Leurs armes gisaient à leur côté et du sang maculait leurs armures blanches. L’un d’entre eux arborait un trou dans la visière de son casque. L’autre avait été touché à la gorge, dans la zone la plus vulnérable, entre la plaque thoracique et la mentonnière.
— J’ai l’impression qu’on a choisi le mauvais déguisement. (Filtrée au travers du synthétiseur vocal du casque, la voix de Han résonnait comme toutes les autres voix de fantassins Impériaux que Leia avait eu l’occasion d’entendre.) C’était pas prévu, ça, non ?
— Non, pas vraiment, dit Leia. Tu aperçois le tireur ?
Han étudia les collines voisines avec ses macrobinoculaires pendant quelques instants, puis secoua la tête.
— Non, mais je vois plein d’endroits où il pourrait se cacher.
— Il est probablement parti, dit Leia.
— Probablement, acquiesça Han. Mais couvre-moi quand même.
Tenant son blaster prêt à tirer, Han courut à travers la zone dégagée et plongea entre deux rochers de l’autre côté. Leia s’élança pour le rejoindre. Elle se retourna et vit Elama en train de frotter son museau contre les casques des soldats morts. Quand elle eut terminé, elle s’empara de leurs ceintures utilitaires et se les accrocha en bandoulière avant de rejoindre les époux Solo derrière les rochers.
Remarquant leurs regards, elle déclara :
— Il fallait bien s’assurer qu’ils étaient morts, pas vrai ? Ils auraient très bien pu vous tendre un piège.
Han secoua la tête sous son casque et se prépara à gravir la colline. Il s’interrompit net, dans le fracas d’un moteur à répulsion résonnant entre les parois du canyon. Leia saisit son époux à la volée par le bras pour l’inciter à se cacher à nouveau. Ils regardèrent en direction du son et virent un rideau de poussière s’élever un peu plus loin dans le ravin. Quelques secondes plus tard, la silhouette blindée d’une navette d’assaut Impériale apparut. Elle passa à quelques mètres au-dessus de leurs têtes avant de disparaître à l’autre bout du canyon.
— Ah, c’est pas trop tôt… dit Leia.
Elle imaginait ce qui avait dû se passer à bord du transdunes de Herat. Une compagnie de fantassins Impériaux était certainement descendue en rappel sur le toit. Ils avaient percé le blindage et découvert une passerelle inoccupée. Ils avaient alors dû entreprendre une fouille minutieuse. Quelqu’un avait dû trouver l’aérofouineur Impérial dans la soute inférieure, avec sa carte holographique endommagée et son émetteur envoyant des décharges statiques de façon aléatoire. C’étaient ces curieux messages qui avaient dû éveiller les soupçons des services de renseignement du Chimaera. Un autre soldat avait certainement retrouvé Herat, enfermée dans un coffre à outils. Elle avait joué son rôle, paraissant soulagée d’apprendre que ses assaillants avaient quitté le transdunes et remerciant les Impériaux de l’avoir sauvée. Puis elle avait dû feindre la stupeur, annonçant que ses agresseurs avaient volé des motojets toutes neuves pour s’enfuir. D’une minute à l’autre, un officier serait bien obligé de rompre le silence radio pour annoncer que les Rebelles devaient certainement filer à travers la Mer de Dunes sur des motojets…
Satisfaite, Leia hocha la tête.
— Ils ont mordu à l’hameçon.
— Peut-être, dit Han. À moins que cette navette n’aille récupérer une…
Han fut interrompu par une voix retentissant dans son casque :
« Compagnie A, repliez-vous vers la navette pour un retour à la base. Compagnie B, déployez-vous et maintenez l’embuscade.
— Maintenir l’embuscade ? Quoi, nous seuls ? tonna une autre voix, furieuse. Mais j’ai déjà perdu près de la moitié de mon groupe en… »
Une voix, plus grave, intervint sur la fréquence :
« Seriez-vous en train de discuter vos ordres, Capitaine ? »
La voix du capitaine se fit instantanément obséquieuse.
« N… non, Monsieur. J’avais juste besoin d’une clarification…
— D’une clarification ? dit l’autre voix. Eh bien, je souhaite que votre groupe se déploie afin de maintenir l’embuscade, aussi bien dans la Mer de Dunes que dans les canyons. Toutes les pertes que cela pourrait vous causer sont sans importance, tant que vous restez suffisamment alertes pour capturer les Rebelles. Si tant est qu’ils viennent dans votre secteur. Lorsque j’estimerai qu’il est temps de récupérer le tableau, j’enverrai des renforts pour aider vos survivants. Suis-je assez clair ?
— Oui, Monsieur.
— Très bien, Capitaine. À toutes les unités : retour au silence radio, code prioritaire Jaune. »
Leia se tourna vers Han.
— Pourquoi doutes-tu toujours de moi ?
— Je n’apprends pas vite, je suppose…
Préférant laisser Elama cachée derrière les rochers, Leia et Han commencèrent à remonter la pente poussiéreuse et s’arrêtèrent à quelques pas de la crête. Ils avancèrent prudemment, tête baissée, jusqu’à une série d’excroissances formées par des pans de roches plates. Han s’allongea et rampa jusqu’à une longue ouverture en V pratiquée entre deux rochers, lui permettant d’avancer un peu plus sans se faire repérer. Leia le couvrit jusqu’à ce qu’il descende sur une petite terrasse. Il se tourna et lui fit signe de le rejoindre. Poussant son fusil blaster devant elle, Leia commença à ramper. Elle vit soudain la silhouette en haillons d’un pillard Tusken se dresser derrière son mari.
Leia s’arrêta net. C’est alors qu’une ombre apparut sur le pan de rocher juste à côté d’elle. Plus bas, l’Homme des Sables faisait tournoyer son gaffi au-dessus de Han pour le frapper.
— Han ! Derrière…
La poitrine du Tusken explosa dans une décharge de lumière et de fumée. Un rayon laser fusa au-dessus de la tête de Han et toucha quelque chose juste derrière Leia. Un râle retentit au-dessus d’elle et l’ombre disparut. Elle se tourna pour regarder. Un troisième tir illumina l’atmosphère et frappa quelque chose de l’autre côté. Cette fois, elle ne se retourna pas pour voir de quoi il s’agissait. Elle se leva et se mit à courir, bondissant par-dessus Han pour le rejoindre à l’extrémité de l’anfractuosité.
Se rétablissant, elle avança la tête entre les rochers.
Trois Tusken étaient étendus sur les pierres, des trous fumants dans leurs poitrines. Deux étaient immobiles, apparemment morts. Le troisième bougea et tendit la main vers son arme tout en marmonnant quelques paroles gutturales. Han se releva derrière elle et l’acheva.
Leia étudia les trois guerriers pendant quelques instants, s’accordant un peu de temps pour arrêter de trembler. Elle se tourna alors vers Han.
— Qui a bien pu nous sauver la peau ? Lando est dans le coin ?
— J’en doute. (Han se tourna et indiqua la crête suivante, à deux cents mètres de là.) Les tirs sont venus de là-bas.
Un fantassin Impérial armé d’un objet évoquant une canne de deux mètres de long – en fait, un fusil de tireur d’élite – sortit de derrière un rocher et leur fit signe. Han lui répondit et un deuxième soldat, portant l’épaulette orange des chefs de peloton, apparut. Il leur fit signe de les rejoindre, d’un geste de la main. Leia leur répondit, toujours par gestes, qu’ils arrivaient, puis elle aida Han à cacher les cadavres des trois Tusken. Enfin, faisant mine d’aller ramasser un gaffi, elle voulut avertir Elama de la présence des fantassins Impériaux.
La Squib avait disparu.
— Attention, il y a des tireurs d’élite, dit tout de même Leia tout haut. Fais gaffe à toi.
— Tu crois quand même pas te débarrasser de moi aussi facilement ? demanda un rocher voisin. J’ai bien vu ce que vous étiez en train de faire.
Sachant qu’il était inutile de discuter, Leia rejoignit Han en silence et ils commencèrent à marcher vers le chef de peloton. Ils firent attention à ne pas avancer trop à découvert, au cas où un autre pillard Tusken se trouverait encore en embuscade, mais ils ne tentèrent pas de se cacher. Une douzaine d’autres fantassins Impériaux venaient de faire leur apparition.
— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Leia. On s’approche et on tire dans le tas ?
— Seulement si c’est nécessaire, répondit Han. Essayons d’abord autre chose. Tu as toujours ce databloc trouvé dans l’aérofouineur ?
Leia dépassa Han afin qu’il puisse fouiller dans son paquetage dorsal. Ils remontèrent la colline, dépassant deux autres cadavres de soldats Impériaux, et se présentèrent au chef, qui les attendait dans une sorte de petite clairière de roches abritée par deux grosses dunes de sable.
L’officier toisa Leia de haut en bas, constatant que l’armure ne lui allait pas en raison de sa petite taille.
— Matricules ? demanda-t-il.
— Il fait une étude sur l’efficacité des tactiques, répondit Han, indiquant Leia du pouce. Je suis son escorte.
— Et alors ? Depuis quand les stagiaires ne portent pas de matricule ?
— Quel stagiaire ? Je viens du haut commandement, dit Leia.
À travers les optiques de son casque elle foudroya l’officier du regard, laissant sa phrase en suspens pour lui faire comprendre qu’il s’agissait de la réponse à sa question.
Au bout d’un moment, le chef se tourna vers Han.
— Et toi, soldat ?
— Ne répondez pas, soldat, dit Leia. (Elle prit le databloc des mains de Han et lui tendit son fusil blaster.) C’est le haut commandement qui me l’a assigné.
Le chef de peloton, visiblement perplexe, continuait d’étudier Han.
Ce dernier haussa les épaules et écarta les mains en signe d’impuissance. L’officier se tourna de nouveau vers Leia.
— Vous avez de la poigne pour une si jeune recrue, hein ?
— Votre dévouement à l’application de la procédure d’identification est louable, dit Leia, ignorant le dernier commentaire de l’officier. J’en prends note immédiatement. Votre matricule ?
— S-T-trois-quatre-sept, Monsieur ! déclara l’officier, comme mu par un réflexe.
— Merci. (Leia fit semblant de taper le numéro sur son databloc.) Nous étions avec la Compagnie A jusqu’à ce que vienne l’ordre de redéploiement. Nous allons travailler avec vous, à présent. Nous avons besoin d’un poste d’observation donnant sur le campement, aussi près que possible de l’action.
— Monsieur ?
— Et nous devons y être seuls, ajouta Leia. Mes observations sont classées secrètes.
— Vous pouvez vous installer ici. (ST-347 indiqua du revers du pouce la clairière rocheuse derrière lui.) On a une vue bien dégagée et, avec une bonne paire de macrobi…
— Aussi près possible de l’action, répéta Leia d’un ton sec. Nous devons nous installer avant que la Compagnie A ait fini de se déployer. Vous comprenez ?
ST-347 soupira derrière son synthétiseur vocal.
— Le plus près possible, hein ? (Il fit un signe vers le databloc.) Il va vous falloir ranger ce truc-là et bien penser à baisser la tête. Les Tusken semblent considérer que les optiques de nos casques font d’excellentes cibles d’entraînement.
Quand ils furent prêts, ST-347 les conduisit jusqu’à la crête. Là, il s’allongea et rampa, invitant Han et Leia à faire de même, jusqu’à ce qu’ils puissent apercevoir le camp en contrebas. À la surprise de Leia, il se trouvait à une assez grande distance dans les sables, après une large bande rocailleuse démarrant au pied d’une grosse dune. Elle aperçut les silhouettes laineuses de banthas allant et venant, ainsi que les petits dômes des huttes Tusken, mais c’était tout ce qu’il était possible d’observer à l’œil nu.
— Le plus près qu’on puisse vous proposer, c’est au sommet de cette grande dune, dit l’officier. Mais, si vous étiez avec la Compagnie A, c’est de là que vous venez…
— C’est drôle, de là-bas, ces collines avaient l’air beaucoup plus proches. (Leia se tourna vers Han.) Dis-moi, soldat, je t’avais pourtant demandé de vérifier notre orientation et les distances, non ?
Derrière le dos de Leia, Han et ST-347 échangèrent un de ces regards que seuls des soldats peuvent échanger en présence d’un officier. Puis le chef de peloton se retourna et fit signe à deux fantassins Impériaux, qui patrouillaient de leur côté de la colline, d’attendre.
— Je peux vous assigner Sept-huit-neuf et Six-trois-six, Monsieur, dit-il à Leia. Ainsi, vous serez certain d’atteindre votre poste en un seul morceau.
— Très efficace de votre part, S-T-trois-quatre-sept. (Leia rampa en arrière, pour s’éloigner de la crête, et se releva. Elle braqua les optiques de son casque sur Han.) Visiblement, le haut commandement ne m’a pas confié la plus efficace des escortes.
Leia commença à descendre la colline pour rejoindre ses deux nouvelles recrues.
— C’est qui, ce gamin ? demanda l’impérial à Han dès qu’elle se fut un peu éloignée. L’un des neveux de Pellaeon ?
— Pire, répondit Han. Le fils de Quenton, fraîchement sorti de l’académie militaire.
— Quenton a un fils ?!
— Il préfère rester discret à ce sujet. Vous pouvez comprendre pourquoi.
— T’as tiré le gros lot, soldat, dit ST-347. Fais gaffe à le garder en vie.
Quarante douloureuses et épuisantes minutes plus tard, Leia et Han étaient en train de ramper vers le sommet de la grande dune. Les soleils jumeaux dardaient impitoyablement leurs rayons sur le sable et, même avec son unité de réfrigération réglée sur le maximum, Leia avait l’impression de ramper au centre d’une poêle à frire.
Elle se tourna vers Han.
— Ça va, toi ?
— Ne te fais pas de bile pour moi. Tu vois Elama ?
— Non, répondit Leia. Mais je ne me fais pas de souci pour elle. Elle était prévenue que ça se passerait comme ça.
— Tu es sûre ?
— De quoi ?
— Que tu ne te fais pas de souci pour elle ?
Ils atteignirent le sommet et se retrouvèrent à contempler le pan le plus escarpé de la dune. À deux cents mètres en contrebas, trente huttes en laine de bantha étaient installées sur une plaine rocailleuse à proximité d’une petite oasis. À l’autre bout du campement se dressait une hutte dont l’installation paraissait permanente. Elle était couverte de peaux de banthas mais renforcée par une structure extérieure réalisée à partir des os des montures des Tusken. Un peu plus loin, derrière une arche constituée de côtes de banthas, gisait une pile d’objets longs et blanchis. Leia eut le sentiment qu’il s’agissait certainement d’autre chose que de simples bouts de bois. Les banthas paissaient tranquillement près de l’oasis, mais leurs cavaliers Tusken restaient invisibles.
Leia prit ses macrobinoculaires et les braqua sur la grande hutte s’élevant près de l’arche en os de banthas. On avait pris bien soin d’enterrer les parois de tissu et de cuir profondément dans le sable. Un autre os de bantha servait à en verrouiller la porte de l’extérieur.
— Tu as vu cette hutte, près du tas d’ossements ? demanda Han.
— Oui, je suis juste dessus, répondit Leia. C’est une prison.
Même sans remarquer l’os qui servait de verrou, Leia aurait certainement deviné la nature de la construction qu’elle était en train d’observer. La seule vue de cette hutte lui fit courir un frisson glacé dans le dos. C’était un lieu de torture et de mort, un lieu où la souffrance et le désespoir avaient imprégné la Force avec tant de puissance que Leia pouvait les ressentir, même depuis le haut de la dune. Son épaule lui fit de nouveau mal. Ainsi que toutes ses autres blessures plus anciennes. Particulièrement celles infligées par le droïde d’interrogatoire de Dark Vador à bord de la première Étoile Noire.
Leia baissa ses jumelles et détourna les yeux.
— On va s’amuser…
— S’amuser ? demanda Han. Tu devrais peut-être vérifier que ton unité de réfrigération n’est pas déréglée !
— Ce ne sera pas nécessaire, dit Leia. Je peux ressentir ce qui se passe en bas.
— Encore un message de la Force ? (Même avec sa voix filtrée par le casque, Han avait l’air un peu mal à l’aise à cette idée.) Tu peux ressentir ce qui s’est déjà passé ou bien ce qui va se produire ?
Leia haussa les épaules.
— Ce n’est pas très clair. Tout ce que je ressens, c’est un fantôme de douleur.
— Ah, ouais, super… Comme si la vraie douleur ne faisait déjà pas assez mal… (Han se tourna vers l’oasis.) Peut-être que c’est Kitster. C’est bien là qu’il devrait se trouver, s’il est toujours en vie.
Leia imagina le visage de Kitster et se concentra sur la grande hutte. La douleur fantôme ne s’intensifia pas, mais l’oasis lui parut soudain plus familière, un peu comme Mos Espa, lorsqu’elle avait quitté la demeure de Watto. Un peu comme la masure de Shmi, lorsque Leia s’y était réfugiée.
Elle sentit son estomac se nouer puis se glacer. Quelques secondes plus tard, elle commença à ressentir une grande solitude et du désespoir, en provenance de la hutte. Les macrobinoculaires glissèrent entre ses doigts. L’air absente, elle les regarda dévaler la dune sur une vingtaine de mètres, puis disparaître derrière un pli du terrain.
— Leia ! s’étrangla Han. (Il regarda tout autour de lui.) Ça ne va pas ?
— C’est là qu’ils l’ont enfermée, dit Leia, sous le choc. C’est là que Shmi Skywalker a été torturée.