10
Un coup de vent brutal souleva l’aéroglisseur par le côté, bombardant les émetteurs des répulseurs de milliers d’impacts de grains de sable et poussant le véhicule en crabe à travers la plaine désertique. Leia se pencha pour faire contrepoids mais les égalisateurs automatiques s’enclenchèrent et le véhicule recouvra son équilibre avant même que la Princesse se soit rendu compte de ce qui était en train de se passer. Chewbacca gronda et d’un habile coup de volant récupéra la trajectoire initiale du speeder. Sans la flèche directionnelle de la vidéocarte, il aurait été impossible de deviner que le véhicule avait dérivé de son cap. La tempête s’était encore rapprochée et, à environ deux mètres au-delà de la verrière, la seule chose visible était un nuage jaunâtre de sable balayant la surface plane du plateau salin de la Great Chott. Même les soleils jumeaux avaient du mal à percer et on ne devinait leur présence dans la nuée qu’aux rayons lumineux et diffus qui semblaient provenir de plusieurs directions à la fois.
Leia activa son communicateur et tenta de contacter Han. Elle n’obtint que des parasites. Elle essaya encore. Rien. Elle essayait en fait depuis la veille au soir, pour le prévenir qu’ils seraient un peu en retard au rendez-vous à Anchorhead. Il y avait bien trop de TIE dans les environs pour faire sortir le Faucon de la grotte des contrebandiers. Ils avaient donc choisi de se déplacer en speeder. Jusqu’à présent, la Princesse avait été incapable d’entrer en contact avec son époux. Elle commençait à se faire du souci. Beaucoup de souci.
— Je suis certain que c’est à cause de la tempête. Princesse Leia, dit C-3PO. Les décharges d’électricité statique ont perturbé mes circuits pendant toute la matinée.
— Mais j’essaye d’appeler Han depuis hier soir…
— Oh, ciel, répondit C-3PO. Je ne m’en étais pas aperçu. Il se peut quand même que ce soit la tempête…
Chewbacca grogna une suggestion.
— Bonne idée, répondit Leia.
Elle ouvrit une autre fréquence et tenta d’appeler Tamora. Celle-ci était restée à Mos Espa avec ses enfants. La seule réponse qu’elle obtint fut une nouvelle volée de parasites.
— Vous voyez ? déclara joyeusement C-3PO. C’est bien à cause de la tempête.
Seule l’impossibilité de se contorsionner dans un endroit aussi confiné pour atteindre le siège derrière elle empêcha Leia de désactiver le droïde de protocole.
— Nous n’étions pas dans la tempête, hier soir…
— Bien sûr que non, répondit C-3PO, complètement à côté de la plaque. Nous étions à Mos Espa.
— Et nous n’avons pourtant pas pu contacter Han.
C-3PO garda le silence pendant quelques instants, avant de déclarer :
— Ciel. Pensez-vous que le Capitaine Solo ait pu se retrouver coincé par la tempête ?
Chewbacca émit un grognement lugubre. Ils continuèrent d’avancer lentement à travers les bourrasques, se repérant uniquement à l’aide de la vidéocarte, les yeux passant du panneau d’instruments à la nuée floue et jaune de l’extérieur. Leia essayait de contacter Han sur son comlink toutes les dix minutes. Elle chronométrait les intervalles minutieusement, non pas pour économiser de l’énergie mais parce qu’elle savait pertinemment que multiplier les appels signifierait qu’elle croyait Han en danger. Et elle ne le croyait pas. Elle refusait de le croire. Si Han Solo venait un jour à disparaître, ce ne serait pas dans une tempête de sable. Il faudrait plus qu’une simple tempête pour l’emporter. Beaucoup plus.
Finalement, un trio de symboles représentant des vaporateurs apparut en haut de la vidéocarte. Deux dans un coin et un dans l’autre. Ils se trouvaient encore loin d’Anchorhead, mais se rapprochaient des premières fermes de culture d’humidité de la grande périphérie.
Les bourrasques étaient plus fréquentes et plus puissantes, la visibilité presque nulle. Le speeder se balança et se cabra. Parfois, la difficulté à conserver l’équilibre du véhicule obligeait les égalisateurs à hurler comme des TIE. Une heure plus tard, les trois mêmes symboles représentant des vaporateurs étaient toujours mentionnés sur la vidéocarte, toujours en aval de la position du glisseur. Un nouveau symbole s’était joint au trio initial. Leia eut l’impression qu’elle arriverait plus vite à destination en marchant. Sauf, qu’à l’instant même où elle mettrait le pied dehors, la tempête la balayerait d’un coup et irait l’enfouir dans l’un des recoins les plus perdus de Tatooine.
Leia imagina Han, là, dehors, luttant contre la tempête, à califourchon sur un swoop gonflé à bloc. Immédiatement, elle essaya de remplacer cette image par une autre : Han assis dans un café d’Anchorhead, tapotant sur le dessus de la table du bout des doigts et attendant son arrivée. Mais elle n’arrivait pas à maintenir son attention sur cette image particulière. Sans s’en rendre compte, elle revenait sans cesse à celle d’un swoop basculé sur le côté, à moitié enseveli sous une dune, le carénage rempli de sable.
Cette image, Leia ne l’imaginait pas. Elle la voyait, là, à l’intérieur du speeder, aussi distinctement qu’elle avait vu le casque de Vador dans son rêve à bord du Faucon Millennium. Elle ressemblait à un hologramme mais en plus solide, en plus tangible. Elle tendit la main pour la toucher, s’attendant à ce qu’elle se volatilise à son approche. Au lieu de cela, ses doigts s’enfoncèrent dans la vision et disparurent totalement.
Leia ne s’abandonnerait pas à croire à cette vision. C’était juste un autre rêve éveillé, une hallucination causée par l’inquiétude et la fatigue. Tout sauf une vision. Tout sauf une fenêtre sur l’ailleurs.
L’image s’abîma dans les tréfonds de l’esprit de Leia, là où elle aurait dû rester tapie. Elle la chassa complètement en essayant d’appeler Han à nouveau sur le comlink, même si seulement quatre minutes s’étaient écoulées depuis sa dernière tentative.
La réponse fut identique aux précédentes. Des parasites.
Leia resta assise, troublée, essayant de se souvenir de ce que Luke lui avait dit la nuit d’avant, à savoir que la Force était avec elle, et que la peur et la colère la pousseraient vers ce qu’elle détestait le plus.
La tempête souleva le speeder et le maintint penché sur un côté. Les égalisateurs se remirent à gémir, dépassant les octaves les plus aiguës, atteignant le seuil de l’inaudible, tout en luttant contre la puissance du vent. Chewbacca se leva et bascula brusquement vers le côté le plus élevé, se penchant par-dessus la console centrale et plaquant Leia contre la paroi intérieure de l’engin.
— Oh non ! Nous allons nous retourner ! cria C-3PO. Nous allons être transformés en…
— C-3PO ! s’exclama Leia.
— Oui, Princesse ?
— Penche-toi !
Un tintement sourd et métallique retentit contre la cloison juste derrière elle. La plainte croissante des stabilisateurs commença enfin à redescendre vers des notes plus graves. Chewbacca parvint à orienter le nez du speeder contre la force du vent, mais l’appareil retomba lourdement, avec tant de violence que le sol vibra sous les pieds de Leia lorsque les répulseurs de flottaison touchèrent le sol. Le Wookiee poussa un grondement de soulagement. Il dériva de la puissance supplémentaire vers les répulseurs arrière afin de maintenir le nez de l’appareil baissé puis il reprit son pilotage contre le vent.
Le signal d’erreur de la vidéocarte retentit. Leia baissa les yeux et constata qu’ils avaient été considérablement déviés de leur course initiale. Il n’y avait plus que deux fermes de culture d’humidité sur l’écran, une en haut à gauche et l’autre en haut et au milieu. Au bas de l’écran, ce qui signifiait derrière eux, étaient apparues les lignes brisées d’une chaîne de montagne, soulignées de leur nom : les aiguilles. La flèche directionnelle pointait vers le haut et la droite de l’écran, clignotant en rouge pour indiquer qu’ils avaient dévié de leur cap. Chewbacca baissa les mains et, d’une pichenette de son doigt poilu, coupa l’alarme avant de mettre le cap sur la ferme la plus proche.
C’était sans aucun doute ce qu’il y avait de plus raisonnable à faire. Même si la tempête ne les balayait pas à travers la plaine pour les envoyer s’écraser contre les Aiguilles, il leur faudrait au moins une autre journée entière pour atteindre Anchorhead à la vitesse à laquelle ils progressaient. Autant aller s’asseoir tranquillement à l’abri et reprendre le voyage lorsque le temps serait plus clément.
Leia se serait parfaitement contentée de cette option, si une chose ne l’avait tourmentée.
— Qu’est-ce qu’on fait pour Han ?
Chewbacca grogna que Solo devait probablement en être à sa deuxième tournée de bière de Gizer à l’heure qu’il était.
— Je n’en crois pas un mot, dit Leia. Pas plus que toi, d’ailleurs. Han n’est jamais arrivé à Anchorhead. Je le sais.
Chewbacca se tourna vers elle. Son nez noir de Wookiee se plissa sous le coup de la réflexion. Il lui demanda finalement comment elle pouvait en être si sûre.
— Je l’ai senti, répondit Leia en haussant les épaules. Mais ce n’était pas ce que j’ai ressenti avec Luke, sur Bespin. Ce n’était pas aussi puissant.
Chewbacca hocha la tête et conserva le silence, attendant que Leia veuille bien continuer. C’était un des traits de la personnalité du Wookiee qu’elle chérissait le plus. Il ne doutait jamais d’un ami, ne le pressait jamais de questions. Il lui faisait confiance. Point. Leia concentra ses pensées sur Han, essayant de l’imaginer à Anchorhead en train de boire une deuxième chope de bière de Gizer. À nouveau, elle ne parvint pas à canaliser l’image. Mais, cette fois-ci, aucune autre vision ne s’y substitua. Même en essayant d’imaginer le swoop à moitié enterré, tout ce qu’elle parvenait à visualiser, c’était des bourrasques de sable. Même si la première image avait été autre chose qu’une simple manifestation de ses pires peurs, elle ne contenait aucun indice qui pût contribuer au sauvetage de Han.
Chewbacca poussa un grognement interrogatif.
— Je ne sais pas du tout par où chercher, reconnut Leia, secouant la tête. Si nous tombons sur des dunes de sable, arrêtons-nous et jetons un coup d’œil. C’est tout ce que je peux te dire.
Le Wookiee gronda une réponse signifiant qu’elle avait probablement raison. En essayant de naviguer dans une autre direction que celle qu’ils empruntaient, ils risquaient de dévier de leur cap et d’être emportés par les vents. Leia apprécia les paroles apaisantes de son compagnon mais n’y trouva guère de réconfort. Elle avait l’impression de laisser tomber Han. Si elle avait travaillé un peu plus assidûment au développement de ses talents dans la Force, elle aurait certainement été capable de le retrouver.
Mais travailler à ce potentiel aurait signifié affronter la face cachée de son propre héritage. Bien avant le rêve à bord du Faucon et l’avertissement de Luke, cette pensée l’effrayait autant que celle d’avoir des enfants.
Leia demanda à la vidéocarte des informations concernant les fermes de culture d’humidité qui apparaissaient sur le moniteur. Une ligne de texte apparut sous chacun des symboles. Sous le premier : FERME NADON, PRODUITS FRAIS TOUTE L’ANNÉE. ATTENTION : SYSTÈMES DE SÉCURITÉ AUTOMATIQUES. Sous l’autre : FERME DE LA FAMILLE RODOMON, VENTE EN GROS EXCLUSIVEMENT. ATTENTION : SYSTÈMES DE SÉCURITÉ AUTOMATIQUES, SURVEILLANCE DROÏDE. PAS DE VISITEURS. Ces derniers mots clignotaient en rouge.
La troisième ferme fit de nouveau son apparition dans un coin de l’écran, une ligne d’informations s’affichant immédiatement : FERME DARKLIGHTER, PRODUITS FRAIS ET BON ACCUEIL, VENEZ NOUS RENDRE VISITE. Leia indiqua le symbole du doigt.
— Chewie ? Allons vers celle-ci. On va s’y arrêter pour attendre la fin de la tempête.
Chewbacca baissa les yeux vers l’écran et grogna une objection.
— C’est la ferme où Luke a grandi, répondit Leia. Les parents de Gavin Darklighter en sont les propriétaires, aujourd’hui.
Chewbacca feula, suggérant que le milieu d’une tempête n’était peut-être pas le meilleur moment pour un échange de civilités. Sachant que la remarque bourrue était sans aucun doute le reflet de son inquiétude pour sa sécurité à elle, Leia sourit et hocha la tête.
— C’est un peu plus loin, d’accord, mais la ferme des Darklighter est plus sûre. (Elle s’appliqua à programmer leur nouvelle destination.) Et puis, porter un manteau et un masque de protection contre le sable dans une maison finirait par attiser les soupçons. Avec toi et C-3PO, il ne faudrait pas longtemps à nos hôtes pour deviner qui je suis. Autant aller dans un endroit connu et amical dès le départ.
Chewbacca réfléchit à la suggestion, hocha la tête et manœuvra le speeder dans la direction requise pour rejoindre la ferme. Ce cap ne faisait pas autant face au vent que le précédent et le côté du véhicule occupé par Leia ne cessait de se soulever régulièrement. Le Wookiee ajusta de nouveau les répulseurs, amenant le nez de l’engin presque au niveau du sol, pour continuer à progresser à l’aveuglette dans la tempête.
Aucun des millions de génies scientifiques qui peuplaient la galaxie n’avait trouvé le moyen d’éliminer le besoin en eau du corps humain. On pouvait fabriquer des combinaisons susceptibles de conserver la moindre goutte de sueur, on pouvait construire des réacteurs chimiques capables de synthétiser l’eau à partir de toute atmosphère respirable, on avait même découvert un moyen de pressurer l’eau au point de pouvoir transporter l’équivalent d’une semaine de réserve à sa ceinture grâce à un module antigravifique.
Mais il n’existait aucune pilule, aucune injection capable d’éliminer le besoin de boire. Dans un environnement ordinaire, le corps humain exigeait environ deux litres par jour pour rester en bonne condition. Dans le désert, un humain avait besoin de dix à quinze litres par jour en restant à l’ombre. Trente litres, s’il avait besoin de se déplacer. Si un homme ne buvait pas assez d’eau, il commençait à se sentir faible, à avoir des crampes d’estomac. S’il persistait à ne pas boire, il était pris de violents maux de têtes et de nausées, ses bras et ses jambes le démangeaient. Ensuite, sa vision se troublait, sa langue commençait à enfler et son sang à s’épaissir. La respiration se faisait plus difficile et son cœur finissait par s’arrêter de battre.
Han en était déjà à la phase des nausées. Avec le sang lui battant aux tempes et l’estomac retourné, il avait l’impression d’avoir passé une très longue nuit dans la cantina de Mos Eisley à écouter Figrin D’an jouer comme à l’accoutumée : fort et faux. Les swoops de compétition n’étaient pas conçus pour transporter beaucoup de charge et les quatre litres d’eau placés dans le compartiment utilitaire lui avaient permis de tenir jusqu’au milieu de la matinée. À présent, recroquevillé derrière le carénage du pilote, dans le cockpit à moitié enseveli du swoop, Han faisait tout son possible pour conserver le maximum d’humidité : ne pas bouger, respirer uniquement par le nez, ne pas exposer la moindre partie de son corps, conserver la visière de son casque baissée. Ses membres tremblaient un peu, mais il ne ressentait pas encore de démangeaison. Sa vision était aussi claire que possible, dans la mesure où la seule chose à voir était un voile de sable jaunâtre permanent. Il calcula qu’il pourrait certainement encore tenir le coup ainsi pendant dix ou douze heures. Avec un peu de chance, la tempête se calmerait d’ici là et Leia serait à même de le contacter. Sinon ? Eh bien, Tatooine n’était jamais qu’un gros four en forme de planète et il finirait par rôtir sur place.
Tout ça pour un tableau… Enfin, pour Leia, et pour les espions, aussi. Un sacré tableau quand même, se répétait-il dans sa tête.
Han continuait de surveiller le comlink de son casque mais il s’abstint d’émettre le moindre message. Même s’il parvenait à pénétrer les parasites déclenchés par la tempête pour contacter Leia, il ne voulait pas qu’elle, ou Chewbacca, vienne le chercher. Pas dans ces conditions climatiques. Pendant toute la nuit, le récepteur avait crachoté des parasites et des décharges statiques. Aucune voix ne s’était manifestée. Les décharges avaient cédé la place à un long sifflement continu, quelque chose que Han n’avait jamais eu l’occasion d’entendre au cours d’une tempête. Pour générer autant de décharges, cette perturbation devait être de proportions monstrueuses, même par rapport aux standards de Tatooine.
Au bout d’une heure, une étrange plainte s’éleva dans le haut-parleur du comlink. Han se tourna et creusa dans le sable qui encombrait le cockpit, à la recherche du bouton de syntonisation du système de communication. Il reconnut alors le gémissement et comprit qu’il ne provenait pas du tout de l’intérieur de son casque. Il se mit à genoux et aperçut une silhouette floue, en forme de H, dans la tempête devant lui. Dans la brume jaunâtre, la silhouette grossit au fur et à mesure de son approche. Même dans ces conditions extrêmes, on ne pouvait s’y méprendre. Un chasseur TIE.
Le chasseur stellaire passa au-dessus de sa tête en hurlant. Ses tramées ionisées s’évanouirent doucement dans la tempête.
Han retomba dans le sable derrière le carénage, se demandant quelles étaient les chances que le TIE n’ait pas repéré le swoop. Pas très bonnes, conclut-il. En considérant la taille du désert de Tatooine et le manque de visibilité dans la tempête, la présence du TIE n’était pas le fruit du hasard. Le chasseur stellaire devait utiliser un système de détection particulièrement sophistiqué pour le localiser.
Han en était là de ses réflexions lorsque le gémissement reprit, cette fois provenant de la direction opposée. La silhouette floue en H émergea de la tempête, volant si bas que Han fut tenté de dégainer son blaster.
Avant qu’il en ait eu le temps, le TIE remonta d’une dizaine de mètres et vira sur l’aile dans les bourrasques de sable. Une capsule d’un mètre de long surgit de la brume dans le sillage du chasseur. Elle décrivit une parabole et plongea vers le swoop. Sentant son sang battre dans ses oreilles, Han sauta par-dessus sa moto et s’éloigna à toutes jambes, penché en avant pour lutter contre le vent, agitant les bras devant lui comme pour fendre la tempête de sable.
Il venait de parcourir quelques foulées, suant abondamment et le souffle coupé, quand il comprit que si la capsule en question avait été une bombe il serait déjà mort. Tout penaud, se lamentant sur le précieux fluide qu’il avait gaspillé dans sa tentative de fuite, il retourna vers le swoop. Il découvrit la capsule, enfouie jusqu’aux ailerons de contrôle dans le sol de la plaine sablonneuse. Une lueur d’un blanc intense clignotait sur sa queue. Han comprit qu’un puissant émetteur, dissimulé dans les entrailles de la capsule, était certainement en train de projeter une onde de localisation.
— Ah, eh bien il y a au moins quelqu’un qui va finir par me retrouver !
Han s’assit dans le sable et passa quelques minutes à observer le clignotement de la balise de repérage. Impossible de savoir si les Impériaux connaissaient l’identité de la personne qu’ils recherchaient. Mais, apparemment, ils tenaient énormément à récupérer Le Crépuscule des Killik, au point de risquer leurs précieux chasseurs stellaires. Pour survivre, Han n’avait plus qu’à attendre qu’une escouade de fantassins Impériaux vienne inspecter l’épave du swoop. Bien sûr, il faudrait accepter l’humiliation de la capture, puis résister aux quelques jours de torture qui suivraient. Mais Han avait vu pire. Il avait même échappé à pire.
C’était cependant la période d’interrogatoire qui le préoccupait le plus. Leia avait résisté aux interrogatoires Impériaux à plusieurs reprises… mais c’était Leia. Il lui suffisait de penser à son devoir envers la Nouvelle République et elle était à même d’endurer n’importe quoi. Han ne disposait pas de la même force de conviction. Il doutait d’être en mesure de résister aux aiguilles, aux hallucinogènes et à la privation de sommeil. À terme, il finirait par admettre des choses que les Impériaux auraient déjà devinées, comme le fait qu’il se trouvait sur Tatooine pour récupérer Le Crépuscule des Killik. Ensuite, il leur révélerait certainement – un fait probablement également connu des Impériaux – l’existence du code dissimulé dans le cadre de la toile en mousse végétale. Puis il leur dirait quelque chose qu’ils ne sauraient pas, par exemple que le code correspondait au réseau Shadowcast. Enfin, il leur avouerait tout ce qu’ils voudraient savoir.
Le pire, c’est qu’ils réussiraient probablement à lui faire cracher que Leia était aussi sur Tatooine, avec C-3PO et Chewbacca pour seule protection.
Han dégaina son blaster pour désintégrer la balise de repérage. Il comprit alors que cela ne ferait certainement qu’accélérer sa capture. À l’interruption du signal, les Impériaux comprendraient que quelqu’un se trouvait là, toujours en vie, et ils se précipiteraient à la recherche du swoop. Il fallait que la balise continue d’émettre.
C’était en revanche à Han de prendre la poudre d’escampette. Il démonta la vidéocarte du guidon du swoop, étudia ses options, programma sa nouvelle destination, se leva et partit en titubant dans la tempête.
Avec le vent dans le dos, ce coup-ci.
Le symbole du vaporateur glissa près du témoin de position du speeder. Leia releva les yeux et découvrit qu’il était impossible de se repérer. Le sable balayait le pare-brise de l’habitacle avec une férocité redoublée. Le véhicule se balançait comme un chauve-faucon pris dans la turbulence d’un aéroglisseur de compétition.
— Tu peux ralentir, Chewie, nous y sommes. (Leia approcha son visage de la baie de transparacier et ne parvint à voir guère plus loin que le bout de son nez.) Enfin, je crois…
Chewbacca coupa les gaz et le speeder se mit à progresser tout doucement. Les mots VENEZ NOUS RENDRE VISITE glissèrent sous le point lumineux central représentant la position du véhicule. Le récepteur de la console de communication se mit à grésiller. Un bruit confus, correspondant probablement à une voix humaine, retentit dans le haut-parleur.
Leia se tourna vers Chewbacca. Elle vit qu’il la regardait, un sourcil relevé, attendant visiblement qu’elle lui confirme qu’elle avait bien compris ce que la voix avait dit. Leia secoua la tête. Les articulations des mains poilues de Chewbacca se serrèrent si fort que Leia crut un moment qu’il allait arracher la gouverne de direction. Le Wookiee était sans discussion possible énervé.
Leia regarda par-dessus son épaule en direction de C-3PO.
— Tu as compris quelque chose ?
— Je suis désolé, mais les interférences statiques sont vraiment épouvantables, répondit le droïde. Tout ce que je suis arrivé à saisir, c’est « droite soixante ». Soixante quoi, je n’en sais rien.
Chewbacca jura, poussant un grognement qui fit blêmir même Leia. Puis, il fit pivoter le nez du speeder de soixante degrés vers la droite. La tempête souleva le véhicule avec violence. Leia se dit que si le Wookiee n’avait pas été assis du côté le plus élevé, l’engin se serait certainement retourné.
Un autre craquement retentit dans le haut-parleur du système de communication.
— Je n’ai détecté aucune parole sensée, intervint C-3PO après que le bruit eut cessé. Je pense qu’il doit s’agir de décharges statiques.
Une faible colonne de lumière rouge apparut un peu plus loin sur leur droite, véritable point de repère dans la tempête. Lorsque Leia la lui indiqua, Chewbacca poussa un soupir de soulagement. Mais il manqua de faire basculer complètement le speeder lorsqu’il essaya de manœuvrer. Leia bondit de son siège pour faire contrepoids, elle se pencha par-dessus la console centrale, allant jusqu’à s’asseoir sur les genoux du Wookiee.
— C-3PO, viens du côté le plus…
— J’y suis, Princesse Leia, répondit le droïde. Mais j’ai peur de ne pas être assez lourd. Nous allons chavirer !
Chewbacca grogna à l’adresse du droïde, puis baissa le nez de l’appareil de quelques degrés en direction du vent. Après avoir dépassé la lumière du côté de Leia, il fit tourner le glisseur face au vent, plaçant la colonne rouge juste derrière eux. Le nez de l’appareil retomba. Chewie coupa les propulseurs et laissa le vent les ramener vers la balise lumineuse.
— Bien joué, Chewie, dit Leia.
La lumière rouge grossit et s’intensifia par le hublot arrière. Elle était installée sur un imposant merlon de sable. Chewbacca laissa les bourrasques les pousser jusqu’au bord, le vent se calma quelque peu. Le speeder se posa sur ses répulseurs au centre d’une cour, pas très loin de la balise rouge qui leur avait permis de se repérer. La visibilité était un peu meilleure à cet endroit et ils distinguèrent la silhouette d’une personne robuste, vêtue d’un lourd manteau et leur faisant signe de la suivre.
La silhouette leur fit franchir un portail et les guida jusqu’à un hangar encombré où régnait un véritable chaos. Elle leur indiqua de garer le speeder à côté d’un swoop de type S modifié, dont la grande selle avait été remplacée par trois petits sièges. Il fallut quelques instants à Leia pour comprendre que le hangar n’était pas simplement en désordre. Il avait été dévasté. Une motojet gisait sur le flanc et des chariots élévateurs avaient été dispersés au petit bonheur la chance. Le long des murs, des armoires à outils avaient été vidées, et le contenu de leurs tiroirs était éparpillé sur le sol. Des barils de lubrifiant gisaient, renversés, dans un coin de la salle.
— Cet endroit était beaucoup mieux rangé lorsque Messire Luke habitait la ferme, remarqua C-3PO. J’ai rarement vu un tel bazar…
— Je ne pense pas qu’il s’agisse de son état normal, répondit Leia, glissant son blaster dans la poche de son manteau. Chewie ? Laisse les moteurs tourner…
Chewbacca grogna par l’affirmative. La silhouette qui les avait guidés jusqu’au hangar approcha du speeder et baissa la capuche de son manteau. C’était un homme au visage lunaire, aux cheveux gris et aux longs favoris. Il avait les mêmes yeux bruns et le même sourire chaleureux que Gavin Darklighter. Leia ouvrit la portière de l’habitacle de son côté et vit l’expression de l’homme passer de l’aimable sourire d’accueil à la peur.
— J’allais vous dire que vous n’avez pas vraiment choisi le bon moment pour venir faire vos commissions, se reprit-il, offrant sa main à Leia pour l’aider à descendre. Mais je suppose que vous n’êtes pas venus de Coruscant pour m’acheter des hubbas. Qu’est-il arrivé à Gavin ?
— Rien du tout ! s’empressa de le rassurer Leia. (Se sentant un peu penaude de ne pas avoir anticipé la réaction de l’homme, elle accepta la main qu’il lui tendait et mit pied à terre. En recevant la visite d’un représentant officiel de la Nouvelle République, n’importe quel parent d’un des membres de l’Escadron Rogue aurait réagi de la même façon.) D’après ce que je sais, votre fils est en parfaite santé… Si toutefois vous êtes bien Jula Darklighter…
L’homme sourit à nouveau.
— Désolé. Je suppose que vous n’avez guère eu l’occasion de voir un hologramme de moi en train de prononcer un discours ! (Il lui serra la main.) Jula Darklighter. Mon fils a servi à bord du Mon Remonda sous les ordres de votre époux.
Leia lui rendit son sourire.
— Je sais. Le Lieutenant Darklighter est en train de se tailler une sacrée réputation au sein de l’Escadron Rogue.
Les joues de Jula rougirent de fierté. Il se pencha par la portière pour s’adresser à Chewbacca :
— Vous pouvez couper les moteurs, chef. Les Impériaux sont passés et repartis. (Il se releva et sourit à Leia à nouveau, comme s’il ne croyait pas tout à fait à ce qu’il était en train de vivre.) Au moins, maintenant, je sais ce qu’ils cherchaient. Au départ, j’ai cru que c’étaient les Squibs.
— Les Squibs ? demanda Leia, sentant son estomac se serrer.
Jula fit un geste en direction du swoop à trois places.
— Ils sont arrivés il y a quelques heures, juste après le départ des fantassins Impériaux. Ils étaient en bien piteux état.
— Ravi de te revoir, Princesse !
Un trio de petites silhouettes familières apparut à l’autre bout du hangar, sur le pas d’une porte éclairée.
— Sans rancune pour ce qui s’est passé aux Buttes d’Espa, hein ? dit Sligh.
Tous trois avaient la fourrure en bataille, après un passage à l’étuve de désinfection, et étaient couverts de la tête aux pieds de taches orangées de lotion au bacta.
— Tu nous as interrompus, ajouta Grees. Mais c’est pas grave.
Seules leurs figures, qui étaient restées sous leurs masques et leurs lunettes, semblaient intactes.
Leia plissa les yeux.
— Qu’est-ce que vous faites là, tous les trois ?
— Allons, c’est comme ça qu’on accueille des associés ? demanda Elama, l’air vexée. Nous, on est très contents de te voir.
Chewbacca descendit du speeder et gronda, ce que C-3PO traduisit par :
— Messire Chewbacca vous prie de ne pas mettre la charrue avant les banthas.
Jula fronça les sourcils et se tourna vers Leia.
— Vous les connaissez, ces trois-là ?
Leia soupira et hocha la tête.
— Je les connais, oui. Mais nous ne sommes pas associés…
— Ah, pardon, mon cœur, dit Grees, s’arrêtant pour se caler les mains sur les hanches. Han nous a sauvé la vie et maintenant…
Chewbacca empoigna Grees et le souleva à la hauteur de ses yeux, posant la même question que Leia dans la même seconde :
— Vous avez vu Han ?
— C’est pas ce que je viens de dire ? (Grees tenta d’attraper les pouces du Wookiee pour lui faire lâcher prise. En vain.) Si on voulait bien me laisser terminer…
— Où ça ? demanda Leia, saisissant le Squib par son baudrier utilitaire. Quand ça ?
— On répondra quand cette montagne de poils l’aura reposé, dit Elama, se postant devant Leia pour lui gifler la cuisse. Il serait bon que tu te rappelles que ce tableau nous appartient, à l’heure actuelle.
— Quoi ? Est-ce que… (Leia reconnut leur tactique de diversion. Elle se ravisa.) Peu importe. (Elle écarta les mains.) On verra ça plus tard. Où est Han ?
Elama et Sligh échangèrent un petit sourire puis hochèrent la tête de concert.
— Il nous a tirés d’affaire dans la Passe des Tusken, dit Elama.
— Ouais, nous avons retenu les Impériaux pour qu’il puisse partir à la recherche du tableau, ajouta Grees, arborant un sourire aussi étincelant que s’il avait été en train de jouer dans une publicité pour de la gommadent. On ne voulait pas le laisser partir seul mais on n’a pas réussi à le suivre.
— La dernière fois qu’on l’a vu, c’était un petit point lumineux filant à toute vitesse vers la Mesa, intervint Sligh. Il a un sacré swoop, quand même.
— Le Général Solo est là aussi ? demanda Jula.
— Han Solo n’est plus général, le corrigea C-3PO. Il a démissionné de ses fonctions il y a moins d’un…
— Je suis certaine que Jula est au courant, C-3PO, le coupa Leia. (S’il y avait bien quelque chose qu’elle souhaitait éviter, c’était de raconter les événements de Hapes au père de Gavin Darklighter.) Toute la galaxie est au courant.
Jula remporta l’éternelle gratitude de Leia en se contentant de hocher la tête de façon bourrue.
— Effectivement. (Il se tourna vers C-3PO.) Et puis, pour moi, Han Solo sera toujours le général sous les ordres duquel a servi mon fils.
— C’est très aimable de votre part, dit Leia. Pouvez-vous me dire s’il est possible qu’il ait pu rejoindre Anchorhead depuis la Mesa, hier soir…
Jula essaya de dissimuler son inquiétude en tournant les yeux vers le portail, mais il ne fut pas assez rapide pour abuser Leia.
Elle lui saisit le bras.
— Eh bien ?
— Probablement pas, répondit Jula. Le dernier message en provenance d’Anchorhead était un message d’alerte, invitant les voyageurs à se trouver un abri et à laisser passer la tempête. Personne n’est arrivé en ville hier soir.
Leia ne prit pas la peine de lui demander comment il pouvait en être sûr. Elle ne prit pas non plus la peine de lui expliquer qu’il n’existait personne d’aussi chanceux, d’aussi plein de ressources que Han Solo. Elle savait à présent qu’il n’avait pas rejoint Anchorhead. Elle l’avait compris bien avant qu’ils ne décident de s’arrêter.
Leia remonta à bord du speeder et tendit les doigts vers la vidéocarte. Elle se rendit compte que Chewbacca l’avait devancée et qu’il était en train d’afficher un plan général des environs. La Princesse se tourna vers Jula.
— Serait-il possible d’avoir un peu d’eau et des cellules énergétiques ?
— Princesse. (Jula se pencha par la portière du speeder et posa une main sur son bras.) Je ne peux pas vous laisser faire ça.
Leia sortit une liasse de crédits de ses poches.
— Je suis prête à vous payer…
— Là, vous insultez votre hôte, l’avertit Jula. Sur Tatooine, on a jeté des gens au Sarlacc pour moins que ça…
Leia fronça les sourcils.
— Je ne comprends pas…
— Si, je pense que vous comprenez. (Jula sortit une télécommande de la poche de son manteau. Il la pointa vers le portail et en pressa le bouton. Un champ de force, opaque et doré, se matérialisa.) Je ne peux pas vous laisser repartir. Pas dans cette tempête. Même pour Han Solo.