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Un nuage de sable jaune, soulevé par les vents, balayait en hurlant les rues de Mos Espa, frappant les lunettes de protection de milliers d’impacts microscopiques, transformant la cité en une succession de terriers aux dômes incertains. Les bourrasques n’étaient guère que les vestiges moribonds de la tempête qui avait permis au Faucon d’échapper aux TIE de Pellaeon. Leia n’aurait pas dû éprouver de surprise en découvrant deux membres du trop fameux groupe d’assaut des fantassins Impériaux juste devant eux dans la brume de sable. Ce fut pourtant ce qu’elle ressentit.
Han avait passé une bonne moitié de la nuit à piloter le Faucon presque à l’aveuglette sur près de deux mille kilomètres de canyons battus par les vents. Pellaeon devait se demander si le Regina Galas avait survécu ou non à son voyage dans la tempête de sable. Ils avaient dissimulé le vaisseau dans l’une des anciennes planques de contrebande de Han, une vaste grotte dissimulée à une trentaine de kilomètres dans le désert. Ils avaient déployé une antenne et avaient passé la matinée à espionner les fréquences locales de communication, à la recherche du moindre indice laissant supposer que les Impériaux étaient à leur recherche. Après avoir obtenu la certitude qu’il n’y avait aucune activité inhabituelle, Han avait enfin sorti sa moto jet de la soute du Faucon et s’était rendu à Mos Espa afin de se procurer un moyen de transport pour le reste de son équipe.
Leia aurait dû prévoir le coup. Pellaeon était un officier de la vieille école, bien trop prudent et trop compétent pour commettre des erreurs grossières. Comme la plupart des commandeurs de destroyers stellaires, d’ailleurs, même en ces temps de restrictions budgétaires et d’équipages inexpérimentés.
Han lui prit le bras et lui fit signe d’avancer.
— C’est normal d’hésiter, c’est une réaction à laquelle ils s’attendent. (Un petit synthétiseur dissimulé dans sa bouche donnait à sa voix le ton rauque d’un Devaronien. L’appareil modifiait également suffisamment son profil vocal, ce qui lui éviterait d’être reconnu par quiconque utiliserait un système d’empreinte sonore pour retrouver la trace de Han Solo.) Pas de faux pas, surtout…
Elle glissa sa main sous le bras de son époux et fit de son mieux pour avoir l’air gentille et soumise tout en s’approchant des silhouettes en armure. Même si les époux Solo étaient parfaitement dissimulés sous les épais manteaux et les masques faciaux nécessaires à quiconque voulait s’aventurer dans une bourrasque de sable, Leia avait tout de même l’impression de parader devant les Impériaux dans la plus voyante de ses robes de gala de princesse Alderaanienne. Son visage et celui de Han étaient parmi les plus connus de toute la Nouvelle République. Celui qui parviendrait à les capturer, morts ou vivants, s’assurerait à coup sûr une belle promotion dans les rangs de l’Empire.
Elle ne parvenait pas à savoir si Han était nerveux ou non. Il avança d’un pas décidé jusqu’aux soldats et leva ses yeux, toujours abrités derrière ses lunettes de protection, vers l’enseigne au néon voyante qui trônait au-dessus de la porte.
— Palais des Arts de Mawbo, dit-il. Voilà, on y est.
— Mais c’est une vulgaire boîte de nuit ! s’offusqua Leia. Tu m’emmènes dans les endroits les plus chics, dis donc !
Han s’était planté devant les fantassins Impériaux. Ceux-ci le dévisagèrent, impassibles, derrière les lentilles sombres de leurs casques, avant de faire un pas de côté. L’un d’eux leur ouvrit la porte et leur fit signe d’entrer. Leia s’abstint de le remercier.
Ils se retrouvèrent dans un large foyer dont les moindres recoins étaient incrustés de sable. Un Weequay était posté devant l’entrée d’un vestiaire aux allures douteuses. Son visage était très caractéristique des membres de son espèce. De petits yeux ovales et un visage si noueux qu’on aurait cru qu’il s’agissait d’un masque en cuir fripé. À l’arrière de sa tête pendait une longue cascade de cheveux rassemblés en deux douzaines de tresses, une pour chaque année passée loin de sa planète natale. Il était vêtu – de façon absurde et visiblement peu confortable – d’une cape de soie toute neuve et d’une tunique apparemment trop petite, achetées sans aucun doute pour l’événement qui se préparait. Leia imagina, à la façon qu’il avait de se tenir contre le mur, qu’il devait dissimuler un gros pistolet blaster sous sa cape. Peut-être deux. Après tout, c’était un Weequay.
— Vous êtes là pour admirer les œuvres d’art ? demanda-t-il.
— Tout juste. (Han releva ses lunettes de protection sur son front. Leia eut soudain l’impression de discerner une lueur d’inquiétude dans le regard du Weequay.) Le Crépuscule des Killik est bien là ?
Le Weequay haussa les épaules.
— Mawbo a des tas de trucs à vendre aux enchères, aujourd’hui. (Il tendit un doigt noueux vers leurs manteaux.) Vous devez laisser vos vêtements ici, elle ne veut pas de sable dans la grande salle.
Leia et Han ôtèrent leurs lunettes et leurs masques faciaux. Ils les rangèrent dans les poches de leurs manteaux, qu’ils tendirent ensuite au Weequay. Avec sa peau teinte en bleu pâle et la prothèse constituée d’une paire de faux lekkus qui lui descendaient dans le dos, Leia pouvait passer pour une Twi’lek assez convaincante. Han, de son côté, avait adopté le crâne chauve, hérissé de cornes, d’un très inquiétant Devaronien à la peau rouge vif. Les deux déguisements, comportant également des lentilles de contact destinées à dissimuler leurs prunelles et des tampons digitaux collés à l’extrémité de leurs doigts, avaient été gracieusement fournis par les services secrets de la Nouvelle République. Lorsque le Weequay renifla les manteaux, sourit et tendit une main à Han pour le saluer, Leia ne put retenir un hoquet de stupéfaction.
— Je pensais bien avoir reconnu ce jus de chaussette que tu utilises comme eau de toilette, Solo, dit-il.
— Jaxal, ajouta prestement Han. Mon nom est Jaxal Solo, d’accord ?
Une boule glacée se forma au creux de l’estomac de Leia. Les Weequay utilisaient leur odorat pour communiquer avec les membres de leur propre clan, ils n’avaient pas leur pareil pour se souvenir des odeurs. Apparemment, la personne qui avait conçu les déguisements des époux Solo n’avait pas envisagé que Han pût rencontrer une vieille connaissance Weequay dans l’une des « maisons des arts » de Mos Espa. Leia non plus, d’ailleurs.
Mais le Weequay n’avait visiblement pas l’intention de les trahir. Il hocha vaguement la tête, jeta les manteaux sur la pile de vêtements qui se trouvait derrière lui et dit :
— Jaxal… Oui, bien sûr. Excuse-moi, j’avais oublié.
— Pas de problème, dit Han. Ça fait plaisir de te voir, Grunts. Je ne pensais pas que tu travaillais encore sur Tatooine.
— Et où veux-tu que j’aille ? dit le Weequay en haussant les épaules. Ce n’est pas parce que Mawbo t’affranchit que tu es libre de rentrer chez toi. Ça, faut le mériter. (Il regarda dans la direction de Leia, s’attendant clairement à ce qu’on les présente. Comme rien ne se produisait, il ajouta :) Je sens que tu te balades toujours avec cette carpette ambulante qui te sert de partenaire. Où est-il ?
— Il est dans les parages, répondit Han. (Chewbacca et C-3PO attendaient dans une chambre qu’ils avaient louée dans une auberge toute proche.) Drôle d’endroit pour une vente aux enchères d’objets d’art, non ?
— Mawbo veut faire une faveur au gars qui a amené le gros tableau, dit Grunts en hochant la tête. Je crois que c’est un de ses anciens amants.
— Comme des tas de gens, non ?
— Tiens, ça me fait penser… (Grunts agita la main en direction d’une armoire à l’arrière du vestiaire.) Faut que je jette un œil à vos armes.
— C’est déjà fait, répondit Han sans se démonter. Elles marchent très bien, merci.
Grunts laissa échapper un petit rire.
— Débrouille-toi pour qu’on ne les découvre pas. Mawbo me fouetterait si elle apprenait qu’elles ont échappé à ma vigilance. Et tu sais qu’elle aime ça, pas vrai ?
Il se tourna pour ouvrir la porte et Leia prit la parole :
— Qu’est-ce que ces fantassins Impériaux font ici, Grunts ? (Elle pensait déjà entendre la réponse – « Ils sont à la recherche de l’équipage du Regina Galas » – mais souhaitait connaître le prétexte invoqué par les Impériaux.) Est-ce que Mawbo a engagé des gardes supplémentaires ?
Le Weequay eut l’air de s’offusquer.
— Ils accompagnent deux de leurs officiers. Je leur ai demandé de les attendre dehors.
Grunts lança un regard à Han lui suggérant d’enseigner les bonnes manières à sa Twi’lek. Leia ignora le reproche et demanda :
— Des officiers ? Qu’est-ce qu’ils fichent ici ?
— La même chose que tout le monde, je suppose, dit Grunts en ouvrant la porte. Ils veulent s’assurer que la marchandise est authentique avant que la vente aux enchères ne débute.
Il leur fit signe d’entrer dans une pièce bourdonnant d’activité qui ne portait le nom de palais des arts que parce qu’elle était équipée d’une scène. D’une bonne demi-douzaine d’estrades, en vérité. Ces plates-formes étaient réparties dans l’immense espace caverneux et chacune d’elles était dotée d’un petit stand de boissons ou de nourriture. Aucun ne semblait retenir l’attention de la foule éparse. Çà et là, le plancher sali présentait des cercles de propreté correspondant aux endroits où avaient dû se trouver des tables, déménagées depuis afin de laisser plus de place aux visiteurs. Au centre de la salle se dressait la scène principale et, le long des murs, s’ouvraient des dizaines d’alcôves privées dans lesquelles les vendeurs exposaient les lots qu’ils mettraient en vente l’après-midi même. D’après les apparences, les quelques acheteurs potentiels étaient des amateurs d’art, venus d’autres planètes, attirés par la perspective de posséder, voire simplement d’admirer, Le Crépuscule des Killik. La plupart des vendeurs, en revanche, étaient des résidents de Tatooine qui espéraient profiter de l’occasion pour écouler tout ce qui leur semblait présenter la moindre valeur.
Tout en étudiant la foule, Leia se rapprocha de Han.
— Ce Grunts, tu le connais d’où ?
— C’est une longue histoire. On peut lui faire confiance.
— Avec toi, tout est toujours une longue histoire, dit Leia. Et si tu me la faisais un peu courte, hein ? J’ai légèrement besoin d’être rassurée, là…
Han soupira et s’avança vers la scène la plus proche, où une sculpturale femme Codru-Ji aux traits graciles, dotée de quatre bras et d’oreilles pointues, était en train de servir des boissons. Elle était habillée sans ostentation d’une blouse de soie scintillante et d’une veste dont les couleurs changeaient en fonction de l’humeur de la personne qui la portait. En l’occurrence, rouge cramoisi. La femme semblait aussi à l’aise dans ses atours neufs que Grunts. Le sourire qu’elle adressa à Han lorsqu’ils approchèrent du bar poussa Leia à se demander si cette personne aussi avait reconnu le parfum de Han. Celui-ci commanda deux verres de pousse-comète et, pendant que la machine bruyante derrière le comptoir assemblait avec méthode les molécules nécessaires à l’élaboration de la boisson, il se pencha pour chuchoter à l’oreille de Leia :
— Je le connais parce que, jadis, j’en étais le propriétaire.
— Quoi ? (Leia se demanda, une fois de plus, si huit années de combat aux côtés de Han avaient vraiment été suffisantes pour le connaître et pour justifier sa décision de l’épouser.) Tu as possédé un esclave ? Comment est-ce possible ?
— Je l’ai gagné lors d’une partie de sabacc contre Dame Valarian, dit Han, comme s’il s’agissait d’une excuse. Ensuite, je l’ai affranchi.
— Au bout de combien de temps ? demanda Leia.
— Tout de suite après avoir quitté le Lucky Despot, dit Han sur la défensive. J’ai voulu l’engager pour qu’il aide aux chargement et déchargement des marchandises, mais Chewie et lui n’ont pas pu se supporter. Une histoire d’odeurs incompatibles. Il s’est fourvoyé avec Mawbo dans l’espoir de gagner la possibilité de retourner chez lui. Et tu as entendu le reste.
Les boissons furent servies. La Codru-Ji accepta le paiement avec un petit clin d’œil. Le sourire que Han lui adressa en guise de réponse avait quelque chose de lubrique, mais peut-être n’était-ce dû qu’à l’intention – parfaitement louable – de rendre plus crédible son déguisement de Devaronien.
Leia attendit que la Codru-Ji se soit éloignée avant de demander :
— Et elle aussi, elle a été ta propriété ?
— Elle ? (Han commença à avancer vers le mur du fond, où deux douzaines d’acheteurs faisaient la queue devant une alcôve bien gardée dans le but d’admirer Le Crépuscule des Killik.) Qu’est-ce qui peut te faire penser que j’aurais pu être le propriétaire de Celia, hein ?
Leia devina que Han était en train de la taquiner. Elle se retint de lui demander comment il se faisait qu’il connaissait le nom de la Celia en question et remarqua que deux officiers Impériaux attendaient au bout de la file. L’un d’eux portait la tenue blanche de service d’un technicien de l’Empire. L’autre, la tunique grise et les broches typiques d’un officier de pont. Cet homme était probablement un subordonné direct de Pellaeon. Sa présence fit tiquer Leia. Elle se dit qu’elle avait besoin de connaître absolument les détails de la mission des Impériaux sur Tatooine. Ils n’auraient certainement pas envoyé un officier d’un rang aussi élevé pour retrouver une bande de contrebandiers. Non. Ils devaient certainement être là pour Le Crépuscule des Killik.
Leia se dirigea vers l’avant de la salle, entraînant Han vers une flamboyante sculpture en scintiverre de Tatooine.
— Tu as vu ?
— Difficile de rater un insigne pareil, surtout quand on a traîné ses guêtres à l’Académie Impériale, chuchota Han. Ces soldats à l’extérieur, à mon avis, ne sont là que pour détourner l’attention. Personne n’enverrait un gradé de destroyer stellaire dans un endroit pareil sans une escorte digne de ce nom.
Ils contournèrent une autre estrade sur laquelle une femelle Elomin proposait des sortes de tubes reliés à une vasque d’eau croupie et nauséabonde.
— Ils savent, dit Leia. Ils doivent savoir…
Han ne la contredit pas.
— Je ne vois pourtant pas comment ils ont découvert le coup, continua Leia. Nous étions seulement trois à connaître le secret de la clé. Et les deux autres se trouvaient sur Alderaan lorsque l’Étoile Noire a détruit la planète.
— Ta chef est au courant. Peut-être qu’elle…
— Non. S’il y a quelqu’un qui comprend l’importance de garder un secret, c’est bien elle. (Leia marqua une pause avant de continuer :) Je suis désolée. Si j’avais su que cela risquait de se compliquer…
— Tu serais quand même venue. Et je t’aurais suivie. Tu nais parfaitement que je ne te laisserais pas te lancer dans un truc pareil sans moi.
Leia lui serra le bras pour le remercier silencieusement de ne pas avoir ramené sur le tapis le fait qu’elle avait tardé à lui expliquer les raisons de leur venue.
— Enfin, j’aurais quand même aimé que tu me tiennes au courant un peu plus tôt… reprit Han.
Ils atteignirent l’alcôve devant laquelle était installée la sculpture de scintiverre. Ils firent mine d’examiner plusieurs carreaux criards à motifs floraux et organiques. Un panonceau indiquait que les pièces provenaient du palais du célèbre seigneur du crime, Jabba le Hutt. Les carreaux ne semblaient pas véritablement correspondre aux goûts de Jabba, en tout cas à l’idée que Leia avait eu le temps de se faire des goûts de Jabba, juste avant de se servir de sa chaîne d’esclave pour l’étrangler à mort. Le Hutt avait toujours préféré l’art figuratif. Plus c’était gueulard, plus cela lui plaisait.
Un Gran solitaire approcha de l’avant de l’alcôve. Ses trois yeux se posèrent sur la tunique voyante de Han et la bouche qui terminait sa petite trompe se plissa en un drôle de sourire impatient. Leia tira Han vers elle et ils se heurtèrent aux vendeurs de l’alcôve voisine, deux petits bipèdes qui leur arrivaient à peine à la taille, couverts de fourrure, petits museaux furtifs et longues oreilles soyeuses.
— Salut, cornes rouges ! dit le premier, prenant Han par le poignet. Tu m’as l’air de quelqu’un qui s’y connaît en belle marchandise. Viens donc par ici voir les véritables chefs-d’œuvre au milieu de tout ce dépotoir.
Le deuxième saisit Leia par la main.
— Par ici. (Il l’attira jusqu’à l’entrée de l’alcôve, où un troisième membre de leur espèce attendait, les bras croisés, devant un rideau holographique.) Deux crédits l’entrée. Si tu rates ça, tu vas le regretter toute ta vie.
Le troisième individu tendit la main à travers le rideau holographique et en ajusta l’opacité, ce qui permit à Leia d’entrevoir une collection disparate d’artisanat local, quelques colonnes tordues de plastacier et un paysage spatial totalement insipide, du genre de ceux qui ornaient les coursives des croiseurs à touristes de classe Nebula.
Han s’arrêta.
— Deux crédits ? Juste pour regarder ? (Il libéra son poignet, tendit la main et aida Leia à se débarrasser de l’autre petit vendeur.) Vous êtes restés dehors trop longtemps, les gars, les soleils vous ont cramé le cerveau.
Les petites créatures le dévisagèrent en battant des paupières. Leurs yeux bruns, cernés de longs cils, étaient si profonds que Leia ne put s’empêcher de les trouver adorables.
— Une si petite somme te cause du souci ? Imagine alors que c’est une avance, dit le premier. Remboursable si tu lances les enchères sur l’un de nos articles…
— Nous n’allons rien faire avec vos articles, d’accord ? (Han se fraya un chemin au milieu des trois petites créatures, tirant Leia derrière lui.) Ces Squibs, marmonna-t-il. Si tu te laisses faire, ils sont capables de te vendre un tonneau plein d’air tout en te faisant avaler qu’ils ont besoin de garder le tonneau…
Ils passèrent devant une alcôve dont les étagères étaient couvertes de récipients aux couleurs exquises. Le matériau qui avait été utilisé pour leur fabrication était si délicat qu’on pouvait parfaitement discerner la texture des rayonnages et des murs à travers leurs parois transparentes. Un panneau mis en place par le vendeur Barabel indiquait qu’il s’agissait de bols en alasl, fabriqués à la main par les pillards Tusken et découverts dans les Plaines de Jundland. Leia aurait aimé s’attarder un peu, pour étudier les pièces et éventuellement faire une offre d’achat. Mais la foule d’acheteurs potentiels était de plus en plus dense et l’endroit guère approprié pour se livrer à un travail d’observation. Il fallait qu’ils découvrent où se cachaient les autres gardes de l’officier Impérial. En cas de pépin, Han voulait savoir à quoi s’attendre.
Ils passèrent donc devant l’alcôve du Barabel et continuèrent vers le fond de la salle, essayant mentalement de reconstituer des angles de surveillance autour des deux Impériaux et cherchant à identifier les individus qui y étaient postés.
— Tiens, en voilà un, dit Han, hochant la tête vers un humain trapu aux cheveux courts qui faisait mine de s’intéresser à une concrétion sans valeur de cristaux de sable chauffés au blaster. Pas très subtil, pas vrai ?
— Pour l’Empire, je trouve au contraire que c’est d’une grande subtilité, répondit Leia.
Ils découvrirent rapidement deux autres gardes. Une équipe constituée d’une femme et d’un homme tentant de se faire passer pour une aristocrate Kuati et son courtisan Telbun.
Ils s’arrêtèrent ensuite devant une alcôve qui proposait quelques sculptures raffinées, ainsi qu’une demi-douzaine d’images scintillantes représentant des paysages de Tatooine. Leia s’attarda devant une bourrasque de sable s’approchant d’un bassin vide creusé dans le rocher, une œuvre intitulée Le Dernier Lac. Puis elle fut attirée par un holocube de grande taille.
L’image tridimensionnelle représentait un garçon aux cheveux blonds, de neuf ou dix ans, debout devant le cockpit d’un vieux podracer, des lunettes de protection pendant à son cou, ses bras levés au-dessus de sa tête. La joie exprimée par le sourire de l’enfant était aussi contagieuse qu’innocente. Apparemment, il faisait semblant d’avoir remporté une grande course. Mais ce n’est pas ce qui retint le plus l’attention de Leia.
Les yeux de l’enfant avaient quelque chose d’hypnotique. Leia se sentit obligée de rester là, à regarder l’image. Le gamin avait les yeux de Luke. Ils étaient du même bleu radieux, se dit Leia, ils avaient la même profondeur et la même douceur que ceux de son frère. Plus encore, ils possédaient cette même intensité calme, qui brûlait aussi fortement que les soleils jumeaux eux-mêmes.
Leia repensa alors aux deux globes blancs qui s’étaient substitués aux yeux de Luke au cours du rêve qu’elle avait eu à bord du Faucon Millennium. Elle commença à ressentir une étonnante connexion avec l’enfant. Mais ce n’était pas Luke, les joues du gamin étaient trop larges, son nez trop petit.
Ce n’était qu’un rêve.
Et les rêves ne représentent pas le futur, se répéta Leia mentalement. Il arrivait que ce soit des fenêtres s’ouvrant sur la sagesse intérieure d’une personne, des indices sur les vérités repoussées par la peur ou le désir dans des recoins oubliés de l’esprit. Ces yeux qu’elle avait vus à bord du Faucon, les deux soleils de Tatooine, ce gamin originaire de Tatooine, ils étaient probablement en train d’essayer de lui dire quelque chose. Mais quoi ?
Un homme d’une cinquantaine d’années, mince, le teint basané, s’approcha. Ses yeux noirs n’étaient pas fixés sur le visage de Leia mais plutôt sur ses mains. La Princesse les tenait serrées l’une contre l’autre, juste au niveau de sa taille, comme elle le faisait toujours lorsqu’elle avait à parler en public. Son assistante personnelle, Winter, lui avait pourtant signalé que ce geste était devenu une de ses caractéristiques principales et l’avait mise en garde sur le danger de se tenir ainsi lorsque Leia souhaitait garder l’anonymat.
Se maudissant intérieurement de ne pas avoir résisté à ses vieilles habitudes, Leia changea de posture et glissa une main sur l’épaule de Han. L’homme, apparemment le propriétaire de l’holocube, releva les yeux. Avec ses cheveux noirs et sa peau sombre, il arborait un air réservé suggérant qu’il avait bénéficié d’une excellente éducation ou, comme c’était plus souvent le cas sur Tatooine, qu’il avait eu l’occasion de visiter d’autres planètes. Il regarda Leia droit dans les yeux et lui adressa un sourire amical, aussi sincère qu’éclatant.
— Je ne suis pas surpris que vous trouviez cet hologramme fascinant, dit l’homme.
Leia sentit Han se raidir à l’écoute du ton entendu que venait d’adopter le vendeur. Elle serra l’épaule de son mari pour l’inviter à la prudence puis endossa son personnage de femme Twi’lek :
— Bien sûr, j’adore les gosses. (Elle jeta un coup d’œil alentour, dans l’espoir de découvrir un panonceau identifiant l’holocube et le découvrit à même le sol, cassé et parfaitement illisible.) Surtout les humains…
— Bien sûr, fit l’homme. Mais le gamin du cube n’en est plus un. L’hologramme a été pris lorsqu’il a gagné la course de la Boonta Eve, il y a plus de quarante ans de cela.
— Il a gagné ? s’étrangla Han. Écoutez, vous êtes bien gentil, mais il ne faudrait pas nous prendre pour des crétins. Même du temps où les courses de pods étaient légales, les humains n’avaient pas les réflexes pour y participer et y survivre. Alors, gagner une course… Un gosse, en plus…
Le vendeur ignora la remarque de Han.
— Je n’insisterai pas. Ce gosse, c’était mon meilleur ami. Mais les temps sont durs. Cependant, si vous voulez faire une bonne affaire, je suis prêt à vous proposer le cube à un bon prix avant la mise aux enchères.
— Ouais, c’est cela… (Han tira Leia vers lui.) Allez, viens, fillette.
Dès qu’ils furent hors de portée du vendeur, Han se pencha à l’oreille de Leia.
— C’est qui, ce gamin ?
— Comment veux-tu que je le sache ?
— Tu avais carrément les yeux rivés sur lui, dit Han. Je ne pensais pas que tu aimais l’holographie tant que ça…
— Pas particulièrement. Ses yeux me rappelaient les yeux de quelqu’un d’autre. Et puis nous avons peut-être un autre problème. Je pense que ce vendeur m’a reconnue. (Leia lui parla de son tic.) Winter prétend que je le fais tout le temps pendant les retransmissions holographiques. Elle a raison. Tu crois qu’il va essayer de me faire chanter ?
— À moins qu’il ne s’agisse d’un espion Impérial essayant de t’obliger à te dévoiler, ajouta Han. Je n’aime pas beaucoup ça et ce n’est pas une très bonne idée d’attirer l’attention sur nous en commençant une petite guerre des enchères contre les Impériaux.
Il se tourna vers l’alcôve des Squibs.
— Han, tu plaisantes ? Qu’est-ce que tu veux que cette bande de gros rats connaissent à l’art ?
— Rien. (Il sortit quatre crédits de sa tunique.) En revanche, ils s’y connaissent en vente aux enchères.
Les deux Squibs postés devant le rideau holographique laissèrent tomber les deux Togorians qu’ils étaient en train de harceler et observèrent en ricanant Han et Leia qui s’approchaient. Han leva la main et montra ses crédits.
— Si vous dites le moindre mot, nous partons, dit-il. Montrez-nous la came, c’est tout.
Le chef – enfin, celui que Leia identifia comme tel – arbora une expression qui laissait clairement deviner qu’il aurait dû songer à demander plus d’argent. Han remit les crédits dans sa poche. Leia, stupéfaite, vit le Squib hausser les épaules et faire mine de s’intéresser à un autre client.
Han soupira et sortit six crédits de sa poche.
— On n’a pas que ça à faire !
Les yeux du Squib étincelèrent. Il leva les deux mains pour présenter ses dix doigts.
— Sept, dit Han. Et je suis sûr que ça ne les vaut pas.
Le Squib baissa un doigt. Han sortit deux crédits de plus de sa poche, pour un total de huit. Le Squib soupira et tendit la main ouverte pour qu’on lui remette l’argent.
Il frotta alors les crédits contre sa joue poilue, hocha la tête et tendit l’argent à son congénère. Il se livra au même manège et tendit l’argent à travers le rideau holographique. Ce fut seulement lorsque le troisième Squib eut inspecté et approuvé les pièces que les époux Solo furent admis à pénétrer dans l’alcôve.
La pièce était remplie de vieux objets d’artisanat, de morceaux de plastacier tordu – accompagnés d’un panneau marqué SCULPTURES ANCIENNES – et de ces mêmes paysages stellaires sans intérêt que Leia avait remarqués quelques instants auparavant. Les Squibs commencèrent immédiatement à leur proposer toutes sortes d’objets, les frottant d’abord scrupuleusement contre leurs joues poilues avant de les coller de force dans les mains de Han ou de Leia. Tout cela sans prononcer le moindre mot.
Han repoussa la petite unité refroidissante qu’on venait de lui tendre et déclara :
— Stop ! On se calme ! Je vous l’ai dit, votre marchandise ne nous intéresse pas. Ce n’est pas pour ça qu’on est là.
Le chef, visiblement choqué, faillit en laisser choir un vieux bol ébréché.
— Ah bon ?
Ses deux compagnons lui firent signe de se taire.
— Ne vous inquiétez pas, dit Leia. Nous voulons simplement discuter. Et nous avions justement besoin d’un peu d’intimité pour ça.
— Discuter, c’est pas gratuit, dit le deuxième Squib.
— Le temps c’est de l’argent, ajouta le troisième.
Han se tourna vers Leia et leva les yeux au ciel.
— Fallait que tu la ramènes, hein ?
— Écoutez, vous autres, poursuivit Leia. Nous aimerions que vous fassiez un petit travail pour nous.
Un silence pesant tomba sur l’alcôve. Le chef des Squibs pencha la tête de côté et dévisagea Leia.
— On ne fait pas de petit travail, nous. On est pas des larbins.
— On veut vous proposer un marché, corrigea Han.
— Un marché ? (Le chef frotta ses petites mains.) C’est quoi, la came ?
— Le Crépuscule des Killik, répondit Leia. Nous aimerions que vous l’achetiez pour nous.
— Nous finançons l’opération, ajouta Han prestement. Et c’est vous qui menez les enchères.
Les Squibs échangèrent quelques regards et hochèrent la tête.
— Marché conclu, dit le chef.
— Mais… vous devez d’abord acheter tout notre stock, ajouta le deuxième Squib.
— Il est intéressant, pour sûr, fit Leia. Mais qu’est-ce que vous voulez qu’on en fasse ?
— C’est pas notre problème, dit le troisième.
— On peut vous prêter une unité de stockage magnétique.
— Comme ça, vous ne rayerez même pas les soutes de votre yacht.
Il devenait de plus en plus difficile de savoir lequel d’entre eux parlait.
— Pour mille crédits de plus. Une aubaine.
— Bon, et si on vous payait la valeur de votre stock ? demanda Leia. Comme ça, vous pourrez toujours le mettre aux enchères pendant la vente…
— Pas possible.
Non, vous achetez notre stock aux enchères. Sinon, pas de marché.
— Mais on n’en veut pas, de votre bazar, s’énerva Han.
— Alors, pourquoi avoir accepté notre offre d’unité de stockage magnétique ?
— On n’a rien accepté du tout ! s’exclama Leia.
— Et nous n’achèterons pas votre stock aux enchères, dit Han. Ça n’a jamais été l’idée de ce marché. Et puis quoi, encore ? Vous nous croyez assez idiots pour ne pas penser qu’un de vos barons, planqué dans la salle, pourrait faire monter les enchères…
— C’est idiot de penser que vous êtes idiots ?
— Alors, peut-être juste une petite…
— Non ! cria Han. (Les Squibs se turent et clignèrent des yeux, visiblement choqués. Il soupira et leva les yeux au ciel.) Bon, OK, qu’est-ce qu’il y a dans ce fichu stock ?
C’était reparti. Les Squibs firent une offre, Han et Leia une contre-proposition. La négociation semblait avancer à la vitesse d’un escargot agonisant, se transformant inexorablement en quelque chose d’abominablement complexe. Rien de ce que Leia avait pu voir au cours de sa carrière de diplomate pour le compte de la Nouvelle République ne l’avait préparée à ça. Lorsqu’ils en eurent enfin fini, il avait été décidé que Han et Leia (ou bien toute personne désignée par leurs soins) placeraient des enchères sur trois articles de leur choix dans chacune des catégories référencées. Le prix maximal serait déterminé par une formule alambiquée basée sur les mises à prix et les pas d’enchères, et ils auraient la possibilité de laisser quelqu’un d’autre acheter un des articles si l’occasion se présentait.
— Et nous récupérerons le tableau une fois que vous l’aurez acquis, dit Leia. Je veux en être sûre.
Les trois Squibs hochèrent la tête.
— Tout à fait, dit le chef. Tant que vous respectez votre part du marché. Un contrat, c’est un contrat.
— Parfait. Je m’appelle Limba, dit Leia en tendant la main. Faire des affaires avec vous a quelque chose de… de hautement éducatif. Jaxal a raison, vous êtes très forts.
Les Squibs bombèrent ostensiblement la poitrine.
— Vous avez fait le bon choix, dit le chef. (Il frotta sa joue contre la paume de Leia puis contre celle de Han. Il se tapa ensuite le pouce contre la poitrine.) Je m’appelle Grees. Et voilà Sligh.
Grees indiqua le deuxième Squib. Celui-ci fit un pas en avant et frotta sa joue contre les paumes de Han et de Leia.
— Moi, c’est Elama, dit le troisième Squib en venant appliquer sa joue contre la main de Leia. J’ai déjà rencontré des Twi’lek moins sympa.
— Merci, dit Leia. Enfin, je prends ça comme un compliment.
Han attendit qu’Elama vienne lui frotter la main puis demanda :
— Lequel d’entre vous va aller inspecter le tableau ? Je veux être certain que vous allez miser sur le bon article.
Elama et Grees se tournèrent vers Sligh et attendirent.
— Bon, je vais y aller, dit Sligh en soupirant et en secouant la tête en signe d’exaspération. Mais quand je reviens, je veux être aux premières loges.
Ils sortirent de derrière le rideau hologramme et virent que les officiers Impériaux étaient en train de s’en aller, ayant apparemment terminé leur inspection. Une palpable sensation de soulagement emplit l’atmosphère. Les murmures polis se transformèrent en conversations animées. De nombreux acheteurs potentiels surgirent soudain des recoins les plus sombres de la salle ou bien de derrière certaines alcôves. Les différents comptoirs où l’on servait des boissons bourdonnèrent alors d’activité. Leia, Han et Sligh rejoignirent une file d’attente et il leur fallut près d’une heure pour être autorisés à franchir le rideau holographique.
Au lieu du fameux tableau, le trio découvrit à l’intérieur une demi-douzaine de brutes patibulaires, toutes au service de Mawbo. Et toutes portaient des tuniques de nylar et des capes de scintisoie et pointaient allègrement leurs fusils blasters sur les acheteurs potentiels.
— Ne vous inquiétez pas, dit un Rodien. (Son museau conique se tordit vers un coin sombre, à la droite de Leia, et quelqu’un s’approcha de la Princesse pour lui bander les yeux.) Simple précaution de sécurité.
— Encore ? grommela Han. Mais vous avez déjà un Weequay, à l’entrée, qui nous a reniflés sous toutes les coutures et nous a délestés de nos armes…
— Vous voulez voir la toile ou pas ?
Han se tut. On les conduisit vers l’arrière de l’alcôve, puis, par un long et étroit passage et enfin par un élévateur à répulsion, jusqu’à une zone plus calme où subsistaient d’âcres et nauséabondes vapeurs de thaq. On leur ôta leurs bandeaux. Le trio se retrouva dans une pièce sombre, face à une section de mur illuminée par un plafonnier, flanqué de deux gardes Gamorréens. Au milieu du mur était accrochée la toile de mousse végétale Alderaanienne, triangle de velours aux sublimes couleurs, dont le cadre dissimulait astucieusement le contrôleur d’humidité. Elle était plus petite – guère plus de cinquante centimètres de large – mais beaucoup plus belle et émouvante que dans les souvenirs de Leia.
— Le Crépuscule des Killik, croassa une voix de femme juste derrière Leia. Vous disposez de deux minutes.
Leia voulut protester. Deux minutes, ce n’était pas assez long, surtout après une décennie passée à essayer de se rappeler la riche composition et les subtiles teintes de la toile. La Princesse avait cru ce trésor perdu à tout jamais, pour elle et pour les futures générations d’Alderaaniens. Et voilà qu’il était à présent sous ses yeux, à portée de sa main. Un obscur ciel de tempête était en train de s’abattre sur les constructions pétrifiées d’une ville de Killik. Au premier plan se tenait une rangée d’énigmatiques silhouettes insectoïdes – l’espèce disparue d’Alderaan bien avant l’arrivée des humains – se tournant vers le ciel, à l’approche des ténèbres. Leia n’avait jamais pu admirer la peinture sans s’émerveiller de la prescience de l’artiste, se demandant comment Ob Khaddor avait pu si clairement deviner ce que l’avènement de Palpatine signifierait pour l’ensemble de la galaxie… Et comment il avait réussi à exprimer son chagrin de façon si intense et si explicite en si peu d’espace.
— Si vous souhaitez vérifier le tableau, vous pouvez y aller, dit la voix rauque. Mais contentez-vous d’un brossage. Pas de prélèvement.
Sligh fit instantanément un pas en avant, se préparant à tendre sa joue poilue vers la toile.
— Non ! dit Leia, rattrapant le Squib à temps.
— Et qui c’est qui doit acheter ce machin, hein ? Vous ou nous ? demanda Sligh, sa lèvre inférieure relevée en signe d’irritation. Il faut que je vérifie la marchandise.
— La toile est authentique, dit Leia, attirant le Squib à elle. Je n’ai pas besoin de nécessaire d’analyse pour l’affirmer.
Elle se tourna vers Han et le découvrit en train d’admirer le tableau, le regard fixe et la mâchoire décrochée sous le coup de l’émerveillement.
Après huit années passées côte à côte, il était agréable de constater que Han pouvait encore la surprendre.