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Pendant que le speeder contournait la périphérie de Mos Espa, Leia regardait le paysage défiler par la verrière de l’habitacle. D’un côté du véhicule s’élevaient les huttes à dômes et les hauts murs des baies d’atterrissage du quartier du spatioport, témoin de l’âme tenace du commerce galactique et de l’esprit dynamique de la profusion d’espèces qui avaient élu domicile sur ce monde austère. De l’autre côté du speeder, les étendues dorées du désert, filant vers l’horizon, et le mur pourpre formé par la tempête de sable en train de s’éloigner, un rappel brutal de la sévérité de l’écosystème de Tatooine… et de la volonté dont il fallait faire preuve pour survivre sur une telle planète.
Les pensées de Leia ne cessaient de revenir vers son père. La révélation de Wald l’avait prise au dépourvu. Apprendre qu’Anakin Skywalker avait été esclave pendant son enfance le transformait en victime. Cette image était à l’opposé de celle qui hantait son esprit. La Princesse aurait tellement aimé pouvoir être d’accord avec l’affirmation de Wald et croire que son père n’avait jamais été Dark Vador.
Mais ce qu’il y avait de plus perturbant encore que la révélation de Wald, c’était l’influence que Tatooine était en train d’exercer sur elle. Elle ne voyait plus Mos Espa comme le spatioport rongé par la corruption qu’elle avait découvert en attendant le début de la vente aux enchères, mais plutôt comme le foyer de personnes comme Tamora ou Wald, qui avaient grandi là, qui y vivaient, et qui, d’une manière ou d’une autre, y avaient trouvé un petit coin de bonheur. Même le désert lui paraissait à présent moins redoutable. Toujours dangereux, bien sûr, mais Leia commençait à apprécier sa beauté, la majesté de ses dimensions, la subtilité de ses couleurs, la promesse d’un mystère tapi au plus profond de ses étendues.
Peut-être était-elle tout simplement en train de s’habituer à ce lieu. À moins que la Force ne lui joue encore des tours, réveillant en elle une quelconque connexion spirituelle avec son père. Quoi qu’il en soit, Leia savait qu’elle perdait petit à petit le contrôle de la mission. Ici, elle avait ressenti la présence de la Force, à plusieurs reprises. Celle-ci n’était pas à proprement parler en train de la guider mais elle la tiraillait, çà et là, la poussant vers des ténèbres au cœur desquelles elle ne souhaitait pas s’aventurer.
Le speeder pénétra dans une vaste arène ensablée aux limites de la ville. Il n’y avait aucune barricade pour en contrôler l’accès. Une arche de métal enjambait l’entrée d’une cour, on pouvait y lire : arène de swoops de Mos Espa.
Tamora guida Chewbacca jusqu’à l’autre bout de l’installation, où se dressait une allée de hangars en ruines. Un petit panneau devant le premier d’entre eux disait paddock des propriétaires. Les vastes portes du hangar étaient rongées par la rouille, et il y avait des petits tas de sable un peu partout, au petit bonheur la chance. La porte donnait l’impression de ne pas avoir été ouverte depuis un bon nombre d’années. Mais elle était dotée d’un portillon, suffisamment grand pour laisser le passage à un Wookiee, et le sol à cet endroit avait été piétiné, témoignant d’une utilisation régulière.
Chewbacca ouvrit la portière et le groupe passa du confort de l’habitacle climatisé du speeder à l’environnement étouffant, chargé de chaleur et de poussière, de la fin d’après-midi de Tatooine. Tamora – qui avait eu la bonne idée de confier ses enfants à Wald – se dirigea vers le hangar central. Un petit servodroïde chargé de l’accueil avait été posté devant une paire de portes en transparacier. Laissant C-3PO et Chewbacca près du speeder, afin de ne pas trop se faire remarquer, Leia et Han relevèrent les capuches de leurs manteaux et suivirent la jeune femme.
En approchant de la porte, Han se pencha vers son épouse.
— Ça va ?
— Bien. (Leia avait compris le sens exact de la question de son mari mais elle ne préférait pas s’étendre sur le sujet.) Pourquoi est-ce que ça n’irait pas ?
— Je n’ai pas dit que ça n’allait pas. (Han paraissait être la seule personne qui ne comprenait pas lorsque Leia employait son ton légendaire intimant à l’interlocuteur de ne pas insister.) Je veux juste comprendre ce qui s’est passé, là-bas, avec Wald. Qu’est-ce que ça peut te faire s’il pense qu’Anakin est un héros ?
— Ça ne me fait rien, tu le vois bien. (Leia regretta aussitôt la dureté de son ton. Elle s’arrêta et prit la main de Han.) Je suis désolée. C’est juste que j’ai du mal à avaler tous ces témoignages en faveur de Dark Vador.
— Ouais, je me demande si quelqu’un va finir par nous parler vraiment du gamin, dit Han. Je ne sais pas, est-ce qu’il attachait des grenades aux queues des banthas ? Des trucs de gosse, quoi…
Leia sourit faiblement.
— Je pense que c’est un peu plus compliqué que cela…
Han souleva un sourcil et attendit.
— Non, pas maintenant, dit Leia, relevant le menton en direction de la porte. On a un swoop à récupérer, tu te rappelles ?
— Ouais, d’accord, on verra le reste plus tard. (Han sourit et l’embrassa. Il rajusta son masque facial et se tourna vers la porte.) Si jamais il y a là-dedans un hologramme de ton père monté sur un piédestal, ou quelque chose du même topo, essaie de garder ton sang-froid. Ça va déjà être suffisamment difficile de convaincre Ulda de nous aider à sauver la peau de son ex-mari.
En fait, l’établissement d’Ulda n’était pas le genre d’endroit où on affichait les hologrammes de qui que ce soit. Il s’agissait des anciennes loges réservées aux propriétaires de podracers, qu’on avait transformées pour la plupart en officines de paris. C’était propre mais austère. Un comptoir et plusieurs guichets étaient installés à l’arrière. Trois rangées de tables en plastoïde avaient été disposées face à un mur de transparacier donnant sur la piste. Apparemment, aucune compétition n’était en cours mais une douzaine d’individus étaient assis au premier rang, à prendre des notes sur des datablocs, pendant que des mécaniciens effectuaient des tours de chauffe sous leurs yeux.
Leia fut surprise de sentir son cœur battre la chamade lorsqu’elle découvrit la piste elle-même. Elle devait bien mesurer cinq cents mètres de large et s’étendait sur deux kilomètres de part et d’autre du hangar, disparaissant dans un labyrinthe de pitons rocheux sur la droite et émergeant d’une plaine immense de poussière grise sur la gauche.
C’était donc là que son père avait gagné sa liberté. Observant les gigantesques tribunes, Leia eut l’impression d’entendre la foule hurler, sans doute comme au moment où Anakin avait franchi la ligne d’arrivée. À cette époque, il ne devait pas savoir qu’il emprunterait le passage obscur qui bouleverserait son existence. La vie devait lui paraître bien prometteuse. Il était, après tout, le seul humain à avoir remporté la Boonta Eve. Comment aurait-il pu deviner, ce jour-là, ce que cette victoire signifiait, ce qu’elle finirait par lui coûter, à lui et à l’ensemble de la galaxie ? Que se serait-il passé s’il avait terminé la course en deuxième position ? Serait-il resté esclave sur Tatooine ?
Une humaine d’une cinquantaine d’années émergea de derrière le bar et s’approcha. Elle posa les yeux sur Tamora avec une expression qui ne pouvait être que de la stupéfaction. Grande et svelte, elle avait les hautes pommettes et les sourcils arqués d’une aristocrate Kuati, une impression renforcée par la robe à larges épaulettes et la ceinture incrustée de joyaux qu’elle portait.
— Tiens, tiens, tiens… Tamora Spice… (Elle s’arrêta, cala ses mains sur ses hanches et toisa Tamora de haut en bas.) Tu as pris un peu de poids… Mais c’est ce qui arrive à toute femme qui porte les enfants du mari d’une autre…
Le visage de Tamora s’empourpra mais elle résista à la tentation d’émettre la moindre remarque acerbe.
— Tu as une mine superbe, comme toujours, Ulda.
Ulda fit un geste nonchalant de la main.
— C’est le pognon, ma chérie, dit-elle en souriant amèrement. Tiens, à propos, j’ai appris que Kit avait mis en vente son affreux holocube aux enchères de Mawbo.
Tamora hocha la tête.
— Bon débarras, tu peux me croire. (Ulda jeta finalement un coup d’œil aux compagnons de Tamora. Ne détectant aucun signe particulier sous les épais manteaux, elle en déduisit qu’il ne devait pas s’agir de personnes importantes. Elle s’employa donc à tourmenter Tamora de plus belle :) Alors, maintenant que la résidence Rendala est fermée, je suppose que les choses sont un peu justes sur le plan financier, non ?
— On se débrouille.
Ulda fit la moue.
— Ah, dommage, je pensais que tu étais venue pour un prêt.
— En fait… commença Han. (Il fit un pas en avant. Sa patience envers les remarques acerbes de cette femme venait d’atteindre ses limites.) En fait, c’est un peu ça…
Leia retint son mari par le poignet.
— Laisse Tamora s’occuper de ça, tu veux bien ?
— Oui, laissez donc Tamora, dit Ulda, foudroyant Han du regard. Qui que vous soyez.
Clairement, il s’agissait d’une femme qui avait rongé son frein pendant bien longtemps. Leia attira Han à elle et lui chuchota de ne plus bouger.
Tamora déglutit avant de continuer :
— Mon ami a raison, nous sommes ici pour t’emprunter quelque chose.
Le visage d’Ulda s’éclaira.
— Vraiment ? (Ignorant toujours les compagnons de la jeune femme, elle tira une chaise à la table voisine et s’assit. Elle s’abstint d’inviter Tamora à faire de même.) Continue, je sens que ça va me plaire…
— Peut-être pas tant que ça, répondit Tamora. Kit a des ennuis.
Ulda laissa fuser un petit ricanement.
— Et ça ne devrait pas me plaire ? J’ai bien mérité de m’amuser un peu, non ?
— Il a de très gros ennuis, dit Tamora. Les Impériaux sont à sa recherche.
— Ils sont à la recherche de Kit ? (L’expression d’Ulda changea, à mi-chemin entre le choc et le doute.) Et pour quelle raison ?
Au lieu de répondre, Tamora déclara :
— Kit a pris le swoop de Wald.
Le visage d’Ulda se décomposa.
— Il a fait quoi ?
— Il a pris le swoop de Wald et est parti dans le Canyon de l’Arche, dit Tamora. Pour échapper aux Impériaux.
— Mais Kit est incapable de piloter un swoop ! Et dans le Canyon de l’Arche… (Ulda laissa sa phrase en suspens, secoua la tête et releva les yeux vers Tamora.) Tu ne m’as toujours pas dit pourquoi les Impériaux lui collaient au train.
Décidant qu’il était grand temps de reprendre le contrôle de la conversation, Leia intervint :
— Il a volé un tableau qu’ils souhaitaient acquérir.
Ulda fixa la Princesse du regard, s’attendant à ce qu’elle relève enfin la capuche de son manteau protecteur. Leia ne bougea pas. Ulda haussa les épaules et n’émit aucune objection. Il est parfois préférable de ne pas insister lorsqu’un individu ne souhaite visiblement pas révéler son identité.
Au lieu de cela, elle demanda :
— C’est Le Crépuscule des Killik qu’il a volé ?
Leia hocha la tête.
— Et pourquoi ?
— C’est ce que nous essayons de découvrir, dit Leia.
— Il voulait le protéger, insista Tamora. Un Devaronien a essayé de le détruire pendant la vente aux enchères et Wald prétend que les Impériaux pensent qu’il y a quelque chose de dissimulé dans son cadre.
— Ouais, Kit a cru bien faire, il a voulu aider, dit Han, cynique comme à son habitude. Peut-être qu’il a aussi pensé qu’il pourrait tirer quelques crédits de l’affaire.
Ulda réfléchit quelques instants avant de secouer tristement la tête.
— Quoi qu’il en soit, il va me manquer. (Elle se tourna de nouveau vers Tamora.) Il venait ici, de temps en temps, enfin uniquement quand il disposait d’un peu de liquidité pour ses paris…
— Ah bon ? s’exclama Tamora. Il venait ici ?
Ulda sourit tristement.
— Je savais bien qu’il ne t’en disait rien. Les hommes, qu’est-ce que tu veux, on ne peut pas leur faire confiance.
Tamora parvint à dominer ses sentiments.
— Wald dit que tu possèdes toujours le swoop de Rao.
— Et alors ? fit Ulda en haussant les épaules.
— Alors j’en ai besoin pour partir à la recherche de Kit, lança Han.
— Ah oui ? dit Ulda en fixant Leia.
— Mon mari est un excellent pilote de swoop, intervint Leia, esquissant un geste en direction de Han. (L’usage stipulait que les hommes inconnus ne s’adressent pas directement aux femmes Kuati.) Et nous serions prêts à vous dédommager pour son utilisation.
— Cette bécane n’est pas à louer, dit Ulda. Mais peut-être que je peux vous en passer une autre ?
— Un autre swoop ne permettrait pas de rattraper l’engin de Wald, dit Tamora. Si Kit se rend compte que quelqu’un est en train de le suivre, il va mettre les gaz et disparaître, tu le sais bien.
— Alors, je vous propose d’acheter le swoop de Rao, dit Leia. Est-ce que quinze mille crédits feraient l’affaire ?
La proposition retint l’attention d’Ulda. Elle plongea le regard dans la zone obscure sous la capuche de Leia, essayant de deviner l’identité de son interlocutrice ou bien calculant jusqu’à combien elle pouvait négocier.
— Trente mille ! annonça Leia. Et Kitster a déjà vingt minutes d’avance.
— Et ça ne changera rien en envoyant votre mari au casse-pipe. (Ulda se leva et se tourna vers le groupe d’individus rassemblés devant la baie vitrée.) Ody ? Va chercher Rao. Il faut qu’elle me ressorte son vieux swoop…
— C’est pas une bonne idée, M’dame, dit un Er’Kit à la peau bleue, au crâne ovoïde et aux oreilles pointées vers le bas, en se tournant vers elle. Rao serait incapable de piloter un speeder, à c’t’heure.
— Allons bon, encore ?
L’Er’Kit hocha la tête et se replongea dans son databloc.
Leia adressa un regard à Han et dit :
— Je n’arrive pas à croire que trente mille crédits ne sont pas suffisants pour…
— Ce n’est pas une question d’argent, dit Ulda. Je serais même prête à vous le laisser pour vingt mille. Mais cette bécane a déjà causé la mort de six pilotes. Je l’ai achetée pour la remiser et empêcher qu’on l’utilise à nouveau.
Han fit un pas en avant.
— Écoutez, chère madame, tant qu’il y a un siège et un propulseur, je peux piloter n’importe quoi.
À la grande surprise de Leia, Ulda ne gifla pas Han pour avoir eu l’outrecuidance de lui adresser directement la parole. Elle lui lança un vague coup d’œil avant de se tourner à nouveau vers Leia.
— Bon, je veux d’abord le voir piloter un swoop traditionnel…
— On n’a pas vraiment le temps…
— S’il est doué au point de maîtriser le swoop de Rao, le temps, il le rattrapera. Ça ne prendra que dix minutes. (Sans attendre de réponse, Ulda s’adressa de nouveau au groupe d’individus absorbés par leurs datablocs :) Ody ? Emmène ce type jusqu’au hangar. Qu’il fasse un tour de piste avec le vieux Novastar.
L’Er’Kit se leva et, titubant sérieusement, se dirigea vers eux.
— Le Novastar ?
— Oui, le Novastar. Faut encore qu’on te cure les oreilles ? (Ulda se tourna vers Leia.) Les pilotes de podracers… C’est à se demander s’il ne leur reste que la moitié du cerveau parce qu’ils faisaient la course ou bien s’ils faisaient la course parce qu’ils n’ont qu’une moitié de cerveau…
L’explication était amusante, mais Leia était suffisamment instruite dans l’écoute des autres pour ne pas avoir remarqué la surprise dans le ton d’Er’Kit. Quelque chose clochait à propos de ce Novastar. Elle se tourna vers Han.
— Emmène le Wookiee avec toi et inspecte le swoop. S’il ne te plaît pas, demande qu’on t’en prête un autre. (Leia se sentait déjà assez mal à l’aise d’avoir entraîné Han dans cette histoire. Il n’était pas nécessaire de lui faire prendre des risques inutiles. Elle pivota vers Ulda et plissa les yeux.) Je pense qu’Ulda n’y verra aucun inconvénient.
— Pourquoi il ne me plairait pas ? (Han adressa un petit signe de tête à Leia pour indiquer qu’il avait compris l’avertissement.) Ça fait vingt ans qu’on n’a pas fabriqué de swoop aussi costaud que le Novastar.
Ulda sourit.
— Votre époux semble s’y connaître en swoops. Peut-être pourrais-je vous offrir un verre ? Il va lui falloir quelques minutes avant de s’engager sur le circuit.
— Un tord-boyaux. (C’était toujours ce que Leia commandait quand elle voulait se faire passer pour une dure à cuire.) Atomisé, pas secoué.
— La seule recette valable. (Ulda se tourna vers Tamora.) Tu veux bien t’en occuper ? Je suppose que tu n’as pas oublié où tout était rangé…
Tamora la foudroya du regard et afficha son sourire le plus hypocrite.
— Bien sûr que non.
Ulda la regarda se diriger derrière le bar puis ricana doucement.
— Tamora était ma meilleure barmaid. (Elle embrassa la salle d’un large geste.) Dommage qu’elle m’ait piqué mon mec.
Leia descendit les marches jusqu’à la première rangée de tables, là où les différents individus notaient sur leurs datablocs les résultats des essais en cours. La plupart paraissaient bien vieux pour leurs espèces respectives mais l’un d’entre eux – un Veknoïd aux dents cassées, dont la bouche couvrait presque l’intégralité de son visage – semblait aussi voûté et meurtri qu’Ody. Il lui manquait un bras et d’affreuses brûlures lui balafraient tout le corps.
— Et ce Veknoïd, c’était aussi un pilote de pod ? demanda Leia.
— Ils ne sont pas très durs à identifier, pas vrai ? répondit Ulda. Les pilotes de swoop ne sont pas aussi amochés.
Faisant signe à Leia de la suivre, Ulda s’approcha du Veknoïd et se pencha vers son oreille, qui n’était plus qu’un épouvantable moignon fondu.
— Teemto ? hurla Ulda. Tu veux bien raconter tes souvenirs de pilote à cette dame ?
Le Veknoïd l’ignora. Là, en bas, sur la piste d’essai, un swoop avait grillé son moteur et s’était écrasé dans le sable. Le Veknoïd en prit bonne note sur son databloc, masquant ses écrits avec son coude pour que Leia et Ulda ne puissent voir ce qu’il inscrivait.
— Hé ! Je te parle dans ta bonne oreille ! dit Ulda. Je sais que tu peux m’entendre.
Finalement, Teemto releva les yeux de son bloc.
— On allait vite.
— Quoi, c’est tout ? demanda Leia. Juste vite ?
Tamora apparut avec un plateau sur lequel étaient posés deux verres. Teemto sourit et prit l’un d’entre eux.
— Très vite, ajouta-t-il en clignant de son seul œil valide.
— D’après mes souvenirs, c’est même comme ça que tu as perdu un bras, non ? dit Ulda. En allant trop vite.
Teemto fronça les sourcils et leva un doigt pour se curer l’oreille.
— Heu… Ulda ? Inutile d’insister, dit Leia. (Elle avait vécu suffisamment longtemps avec Han pour savoir ce que la Kuati était en train de faire. Le seul moyen de faire parler un pilote, c’était de mettre en doute ses talents.) Si Teemto n’a pas envie d’en parler…
Ulda l’ignora et indiqua le moignon du bras manquant de Teemto.
— Tu as bien entendu ce que je t’ai dit. Tu as perdu ça parce que tu n’as pas été fichu de contrôler ta machine à pleine vitesse.
Teemto dévisagea Ulda pendant un moment. Il dévoila ses dents cassées et se tourna vers Leia.
— Ma machine, je la contrôlais parfaitement. Mais c’est ce salaud de Beedo, celui qu’on appelait le Tueur, qui a lancé une clé à molettes dans mon pod tribord.
— Ce n’est pas très sportif, dit Leia.
— Ouais, tu parles d’une excuse, ajouta Ulda d’un ton cynique.
La raison pour laquelle Kitster s’était installé avec Tamora devenait plus claire de minute en minute. Leia avait cependant des difficultés à comprendre pourquoi il avait d’abord accepté d’épouser Ulda. Elle jeta un coup d’œil à la piste. Une poignée de mécaniciens et de pilotes travaillaient près des paddocks, mais il n’y avait toujours aucune trace de Han.
— Dis à la dame comment tes oreilles ont fondu, enchaîna Ulda. (Voyant que le Veknoïd mettait un peu de temps à répondre, elle ajouta :) À moins que tu ne préfères qu’on jette un coup d’œil, ensemble, à ton ardoise ?
L’expression de Teemto passa de l’irritation à l’incrédulité. Il se contenta de grogner et de cligner à nouveau de l’œil à Leia.
— Ça s’est passé pendant la Boonta Eve. Les Tusken ont tiré sur un de mes moteurs. (Il se tourna vers Ulda.) J’ai même une vidéo qui le prouve. Et quoi, maintenant ? Tu veux que je lui raconte comment j’ai perdu un œil ?
— La Boonta Eve ? Vous voulez parler de la course de la Boonta Eve ? fit Leia.
— Tout juste ! répondit-il. L’année de la victoire de ce gamin humain.
— Anakin Skywalker ? (Leia perçut le choc dans sa voix et comprit qu’elle faisait peut-être preuve d’un peu trop d’intérêt pour le sujet. Il aurait été plus malin de changer de conversation en espérant que personne ne s’en rende compte, mais elle voulait absolument savoir si son père était aussi bon pilote qu’on le racontait. Elle voulait savoir dans quelles circonstances il avait gagné sa liberté. De plus, Han n’était toujours pas apparu sur la piste.) Ce gamin, il était aussi bon qu’on le dit ?
Teemto la dévisagea pendant un long moment. Ses grosses lèvres dessinèrent un sourire narquois mais il se ravisa, décidant probablement que cela ne valait pas la peine de défier plus longtemps Ulda. Il posa son verre de tord-boyaux sur la table.
— Anakin était génial. Le meilleur. Un humain capable de battre Sebulba en combat singulier… (Il caressait distraitement ses cicatrices brûlées, tout en parlant.) Je suis désolé, j’ai des grands trous de mémoire à propos de cette course.
— Mais tu avais eu l’occasion de te mesurer à Anakin avant la Boonta Eve, non ? insista Ulda. Tu peux lui dire quel genre de pilote c’était…
Leia se demanda si la tenancière de l’établissement n’avait pas deviné son identité. Si c’était le cas, elle ne ferait que confirmer ses soupçons en changeant ostensiblement de sujet tout de suite.
— J’ai cru comprendre qu’il y avait beaucoup de tricherie, à l’époque, non ?
— Non, pas avec Skywalker. (Teemto laissa son regard errer à travers la baie de transparacier, ses pensées perdues dans une époque révolue, et poussa un petit ricanement.) Ce petit humain n’a jamais triché. Il devait être trop jeune et penser que le seul moyen de gagner, c’était honnêtement, je suppose.
— Il n’a jamais triché ? (Leia avait du mal à le croire.) Peut-être que vous ne l’avez pas remarqué…
Teemto laissa échapper un grondement menaçant.
— Madame, vous avez déjà assisté à une course de pods ?
Ulda prit Leia par le bras.
— Tout le monde prétend qu’Anakin a concouru dans les règles de l’art. Apparemment, ce fut bien l’un des seuls. (Elle attira la Princesse à l’autre bout de la salle.) Tenez, voilà votre homme. On devrait peut-être l’observer d’ici.
Tamora fit son apparition avec un autre verre de tord-boyaux. En bas, sur la piste, Han et Chewbacca étaient en train de suivre Ody jusqu’à l’anneau d’essai, poussant un swoop hors d’âge devant eux. Les parieurs installés à l’autre bout de la salle se redressèrent sur leurs sièges et se mirent à chuchoter entre eux. Leia sentit comme un grand creux dans son estomac. Han lui avait cassé tant de fois les pieds avec toutes ses histoires de courses qu’il avait remportées quand il était jeune… Avec Dewlanna, le vieux cuisinier Wookiee qui s’était occupé de lui, c’était apparemment les seuls souvenirs heureux qu’il conservait de sa jeunesse. Il y avait pourtant quelque chose qui n’allait pas sur cette moto. Quelque chose de très bizarre.
— Les choses sont allées trop loin, dit Leia à Ulda.
— Pas la peine de vous inquiéter. (Ulda continuait d’observer le petit groupe en train d’approcher de la piste d’essai.) Si votre homme est assez bon pour piloter le swoop de Rao, il se débrouillera très bien sur ce petit Novastar.
Leia reconnut immédiatement cette manière, en général utilisée par les Bothans, de pousser les gens dans leurs derniers retranchements. On plaçait le sujet dans une situation qui l’obligeait à admettre qu’il mentait ou à prouver qu’il ne mentait pas. Mais là, il y avait un vice caché. Et Leia avait horreur des vices cachés, surtout lorsque la vie de Han était en jeu.
— Je suis très éprise de mon mari, vous savez. (Leia donna à sa voix un ton des plus glacés. On lui avait souvent dit qu’elle était à même de donner des frissons à un wampa.) Je serais très en colère si quoi que ce soit de malencontreux lui arrivait.
— Alors, j’espère qu’il est aussi bon pilote qu’il le prétend. (L’assurance dont Ulda avait fait preuve jusqu’à présent parut se lézarder quelque peu.) Pour nous deux…
Le trio atteignit enfin l’anneau d’essai, un petit ruban de sable entourant la zone centrale des paddocks et qui ne devait guère mesurer plus d’un kilomètre de circonférence. Chewbacca maintint le swoop et Han s’y installa. Ody passa quelques instants à essayer de montrer les commandes à Han puis sembla comprendre que Solo les connaissait déjà. Il s’écarta de quelques pas.
À ce moment, Ulda sortit un comlink de sa manche.
— Ody ? Est-ce qu’il a vérifié les vannes de contrôle ?
Ody hocha la tête et porta son propre comlink à ses lèvres.
— Oui, dans le hangar.
Han enclencha les propulseurs ioniques.
— Alors il les a réparés ?
Ody secoua la tête. Chewbacca se recula à son tour.
— Eh bien, ne reste pas planté là ! Fais-le immédiatement descendre de ce…
Han tourna la poignée des gaz et décolla. Les épaules d’Ulda s’affaissèrent. Les parieurs se levèrent et, retenant leurs respirations, s’approchèrent de la baie de transparacier. Leia posa la main sur le petit blaster dissimulé dans sa poche.
Han avait déjà parcouru près de la moitié de la première ligne droite lorsque le nez de son swoop se releva brusquement. L’engin fila dans les airs comme un missile.
Ulda empoigna son comlink.
— Ody, qu’est-ce qui se passe ?
En bas, Ody écarta les mains. À cet instant, Han atteignit le premier virage, fit exécuter un demi-tonneau à sa moto et amorça une descente qui le ramena dans l’axe de la deuxième ligne droite. Il attendit d’être suffisamment près du sable, au point de soulever un véritable sillage derrière lui, pour redresser l’engin.
De la frime. Comme d’habitude.
Ulda poussa un long soupir de soulagement. Les parieurs regagnèrent leurs fauteuils, discutant entre eux, prenant des notes sur leurs datablocs. Leia conserva la main dans sa poche, les doigts crispés sur la crosse de son blaster.
Han monta de nouveau en chandelle à l’approche du deuxième virage. Il fit pivoter le swoop et répéta sa spectaculaire manœuvre. Il était à peine sorti de la courbe qu’Ulda approcha de nouveau le communicateur de sa bouche.
— Ody ? Va préparer le swoop de Rao. Et installe une vidéocarte sur le guidon.
L’Er’Kit fit un signe de la main et se dirigea vers le hangar puis se mit à courir comme un fou. Une longue colonne de silhouettes en armures blanches perchées sur des motojets Impériales venait d’apparaître sur la piste en provenance de Mos Espa. Elles négocièrent le virage des tribunes en trombe et filèrent vers l’autre bout de l’arène.
— Ne me dites rien, marmonna Leia. Ils vont vers…
— Le Canyon de l’Arche. (Ulda fit un signe de tête en direction de l’entrée du canyon en question, dans le lointain.) C’est le chemin le plus rapide.
— Kit ! s’étrangla Tamora.
Ulda surprit encore une fois Leia en prenant la main de Tamora dans la sienne.
— Ça va aller. Ton ami le retrouvera en premier.
— Ah oui ? demanda Leia, interloquée.
— Bien sûr, dit Ulda sans cesser de regarder Tamora. Parce qu’il saura où est allé Kit.
— Comment cela ? demanda Tamora, stupéfaite.
— Kit a été mon homme pendant de nombreuses années. (Ulda ne put s’empêcher d’arborer un petit sourire narquois.) Et je pense que je sais encore des choses à son sujet que tu ne connaîtras sans doute jamais.