Leia Organa, depuis peu Leia Organa Solo, était assise derrière Han et Chewbacca sur la passerelle de pilotage du Faucon Millennium. Les soleils jumeaux du système de Tatoo flottaient au loin par la verrière avant, comme une paire d’yeux incandescents dans la noirceur de l’espace. Comme tous les jumeaux, les astres étaient unis par un lien aussi imprévisible que puissant. De temps en temps, ce lien contribuait à intensifier leur luminosité bien au-delà de celle normalement émise par deux simples soleils. Parfois jusqu’à la projection de vagues de décharges ionisées, qui ondoyaient à travers le cosmos, brouillant les circuits et perturbant les boussoles braquées sur les masses des planètes. Aujourd’hui, les jumeaux assaillaient le Faucon de décharges électromagnétiques qui saturaient les capteurs et condamnaient les haut-parleurs du cockpit à cracher des parasites.
Chewbacca était absorbé par la mise en place de filtres sonores. Les parasites passèrent du mugissement au craquement puis s’adoucirent en un sifflement continu. Stupéfiée par l’étrangeté de ce son aux allures de ricanement, Leia se pencha vers la console principale des communications et se rendit compte que l’indicateur de réception balayait les fréquences à la recherche d’un signal. Elle se pencha un peu plus, jusqu’à ce que son harnais de sécurité l’empêche d’aller plus loin.
— Han ? Est-ce que tu entends…
Aucun son ne sortit de sa bouche. Le ricanement se transforma en un rire grave. Une nébuleuse de gaz noir commença à se former au-devant du Faucon. Han n’y prêta aucune attention. Pas plus que Chewbacca. Surtout lorsque la nébuleuse prit petit à petit la forme d’une capuche de Chevalier Jedi.
— Han ? Tu ne vois pas…
Encore une fois, sa voix ne produisit aucun son. Dardant leurs rayons à travers la capuche, les soleils jumeaux évoquaient à présent deux yeux démoniaques, des yeux froids, qui évoquaient la méchanceté et la soif de pouvoir. Là où la nuée stellaire était moins dense, des volutes pourpres et radiantes dessinèrent une bouche tordue au bas d’un visage sillonné de rides.
Les coins de la bouche se soulevèrent.
« À moi… »
La voix était cruelle, distincte, animée du pouvoir du Côté Obscur. Leia s’étrangla, en silence, et essaya de lever un bras. Celui-ci lui parut aussi pesant que le Faucon Millennium lui-même.
Le sourire se transforma en moue dédaigneuse.
« À moi… »
Han et Chewie ne semblaient pas remarquer ce qui était en train de se produire. Leia aurait hurlé, si sa bouche avait bien voulu lui obéir.
La nébuleuse se densifia et les volutes pourpres disparurent dans les nuées d’un noir d’encre. Les soleils jumeaux s’évanouirent dans les ténèbres et le nuage noir prit la forme d’un masque familier. Un masque aux angles tranchants, aux reflets d’obsidienne, encadré par la longue silhouette évasée d’un casque tout aussi noir.
Le casque de Vador.
Un frisson nauséeux submergea Leia. Les lentilles incurvées du masque devinrent transparentes, mais au lieu de révéler les soleils jumeaux de Tatooine, ou bien l’opacité rougeâtre du regard de Dark Vador, Leia se retrouva face aux yeux bleus et doux de son propre frère.
— Luke ! Qu’est-ce que tu…
Sa question demeura aussi silencieuse que les précédentes. Les yeux de Luke se firent vides, durs, comme hantés, et le casque se mit à tourner doucement d’un côté à l’autre. Des décharges électriques bleutées se dessinèrent autour des circuits vocaux intégrés au masque respiratoire. Mais les mots de Luke étaient inaudibles sous les tornades de parasites. Leia essaya de formuler quelque chose, intimant à son frère de ne pas se laisser aller, de sortir des ténèbres, elle voulait lui dire que son équipement devait mal fonctionner, que ses propos ne lui étaient pas parvenus, mais à cet instant le casque cessa de se mouvoir.
Luke braqua son regard dans les yeux de sa sœur pendant ce qui sembla durer des secondes… peut-être des minutes… Ses yeux à présent étaient morts et froids, pareils à de la glace. Leia prit peur. Le masque se fondit doucement dans la noirceur du vide cosmique. La Princesse se retrouva à fixer de nouveau l’incandescence presque aveuglante des soleils jumeaux du système de Tatoo.