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Han n’avait jamais été aussi ému par une œuvre d’art. Ils passèrent les deux heures suivantes dans un café des environs, pour attendre le début de la vente aux enchères. L’esprit de Han ne cessait de passer la toile en revue, s’attardant sur la façon qu’avaient les Killik de se tourner vers l’arrivée de la tornade. L’image rappelait à Han que les gens – et les insectes – pouvaient être balayés en un instant par des forces qu’ils ne pouvaient comprendre, que, parmi tous les obstacles que la vie dressait au-devant des individus, on ne pouvait guère contrôler quoi que ce soit, à part peut-être ses propres réactions. C’était quelque chose que Han avait un peu tendance à oublier lorsqu’il devait essuyer une tempête, et c’était l’une des choses qu’il préférait chez Leia. Dans la tourmente, elle ne ployait jamais, elle tenait toujours bon, alors que tous ceux de son entourage pouvaient être emportés à la première bourrasque.
Han souhaitait que Leia puisse récupérer le tableau en mousse végétale. Elle avait passé une grande partie de son enfance à admirer Le Crépuscule des Killik. C’était la seule connexion physique avec le palais familial subsistant après la destruction d’Alderaan. Et de toute façon, même si les acheteurs potentiels n’en avaient que faire, cette toile lui appartenait de manière légitime. Han hésitait encore à traiter le vendeur de voleur. La toile en mousse végétale était en transit au moment de la destruction de la planète et les lois galactiques de récupération s’appliquaient autant aux œuvres d’art qu’à quoi que ce soit d’autre. Il devait cependant y avoir une raison pour que le tableau soit mis en vente sur une planète aussi dénuée de lois et de règlements que Tatooine. Et ce n’était certainement pas pour les vertus curatives de son atmosphère désertique.
Comme tous les établissements à proximité du Palais des Arts de Mawbo, celui dans lequel se trouvaient Han et Leia étaient tellement fréquenté que l’air était presque moite de l’humidité des respirations des clients. Ceux-ci – pour la plupart des acheteurs attendant l’ouverture de la vente – discutaient entre eux, par petits groupes. Ils étaient vêtus de leurs plus beaux atours et tentaient de ne pas éveiller l’attention en exprimant leur intérêt pour tel ou tel lot, tout en évaluant leurs éventuels adversaires pour les futures enchères. Assis dans un recoin faiblement éclairé, faisant de leur mieux pour ne pas s’intéresser aux autres, Han et Leia n’attirèrent que quelques vagues regards soupçonneux. Chewbacca et C-3PO se trouvaient dans un autre café, de l’autre côté de la rue, suffisamment loin pour éviter d’être associés à « Jaxal » et à « Limba ». Ils étaient cependant assez près pour intervenir en cas de besoin.
Les vendeurs commencèrent à arriver, seuls ou bien à deux. Parmi eux, le Barabel proposant les bols en alasl et l’humain aux cheveux noirs, propriétaire de l’holocube représentant le gamin et son podracer. Han ne fut guère surpris de voir les yeux de Leia suivre l’humain qui s’avançait jusqu’à un tabouret de bar resté vacant. En général, elle n’accordait que peu d’attention aux œuvres holographiques, mais cette image avait quelque chose de particulier. Han commençait à se faire une idée sur la question.
Il passa un bras derrière le dossier de la chaise de Leia et commença à caresser les faux lekkus de son épouse. Les queues crâniennes répondirent par un tressaillement d’appréciation.
— Au fait, dit Han. Tu ne m’as jamais dit qui il te rappelait, ce gamin de l’holocube.
— Lui-même ne me rappelle personne. Ce sont ses yeux.
— Bien sûr, répondit Han. Si tu le dis…
— Je le dis, répondit Leia, ne mordant pas à l’hameçon.
— Allez, crache le morceau. Moi aussi je le trouve mignon, ce gosse.
— Qu’est-ce qui te fait croire que je le trouve mignon ?
— J’ai bien vu comment tu le regardais.
Leia lui adressa un regard qui aurait pu congeler le plus torride des soleils.
— Et ?
— Alors il doit bien y avoir une raison.
— Et quel type de raison, Han ? demanda Leia en plissant les yeux.
Han avala une grande gorgée de sa boisson. Il devina que Leia comprenait clairement où il voulait en venir et il savait à quelle réaction s’attendre. Mais c’était le genre de risque qu’un homme se devait de prendre.
— Peut-être parce que tu aimes les enfants, dit-il. Peut-être que tu veux des enfants, non ?
Le visage de Leia se figea, perdant toute trace d’émotion, signe qu’elle était en colère, très en colère. Furieuse, même. Elle avala à son tour une longue gorgée de sa boisson et évita de regarder son époux.
— Nous avons déjà parlé des enfants bien avant notre mariage. Je croyais que tu avais compris.
— Ouais, j’ai compris, dit Han. Mais je pensais que…
— Nous étions d’accord, non ? (Leia reposa bruyamment son verre sur la table.) Tu ne peux pas changer d’avis comme ça.
Han se mordit la langue. Comment pouvait-il lui expliquer qu’il n’avait pas changé d’avis ? Que c’était plutôt lui qui avait changé, que ce mariage même l’avait changé ?
— Je me souviens de ce qu’on a dit, reprit-il. Mais tu ne t’es jamais dit que ça pouvait être irrationnel ?
— Irrationnel ?
— Irrationnel. (Han dut déglutir pour s’humecter la gorge.) Comment un gosse…
— Allez, vas-y, dis-moi que tu viens juste de te rappeler que tu as eu un enfant avec Bria Tharen, déclara Leia. Je pense que je peux encaisser le coup. Tout le monde a un passé, après tout.
— Ouais, mais je suis à peu près sûr qu’il n’y a pas de gamin dans mon passé à moi, répondit Han. (Bria avait été son premier amour, une beauté gracile aux cheveux roux qui avait contribué aux fondations de la Rébellion et qui était morte en martyre après avoir doublé Han en volant les plans de la première Étoile Noire.) Bria, il est vrai, était plutôt cachottière…
— Et je suppose que ses petits secrets n’ont rien à voir avec notre conversation, hein ?
— Effectivement. (Han s’approcha d’elle et sa voix ne fut plus qu’un murmure :) Je sais qu’on en a déjà parlé, mais j’ai un peu de mal à croire que le Côté Obscur a totalement infecté ton sang.
— Ce n’est pas ce que j’ai dit, le corrigea Leia. C’est du pouvoir qui coule dans mes veines. Et le pouvoir conduit à la corruption. J’en suis le témoin tous les jours.
— Pas systématiquement, dit Han, prenant le bras de Leia pour abattre une nouvelle carte. Tiens, regarde ton frère. Je ne connais personne qui soit aussi sensible à la Force que lui. Si quelqu’un risque d’être corrompu, c’est bien lui…
Leia se détourna et, fixant les yeux sur le mur décrépi de l’établissement, avala d’un trait la moitié de son verre.
— Laisse tomber.
— Écoute, je ne suis pas en train de te dire qu’il faut qu’on prenne une décision aujourd’hui…
— Tu sais très bien ce que je ressens depuis Bakura, dit Leia, toujours sans le regarder. J’estime ne pas avoir le droit de donner naissance à un être qui pourrait devenir le nouveau Dark Vador de la galaxie. Si tu ne peux pas te faire à cette idée, alors pourquoi ne m’as-tu pas laissée épouser le prince Isolder ?
La seule mention du nom d’Isolder fit grincer Han des dents. L’événement de Hapes avait anéanti le très peu de foi qu’il conservait dans la politique.
— Et qu’est-ce que… (Han entendit le ton de sa voix monter. Il se retint, vérifia aux alentours qu’on n’était pas en train de les écouter. Apparemment non. À l’approche de la vente aux enchères, la salle retentissait d’un vacarme qui rendait les conversations difficiles à suivre, même lorsqu’on était assis à la même table.) Et qu’est-ce que tu as dit à Isolder ?
Leia se tourna enfin et fixa son regard dans le sien.
— Comment cela ?
— À ce sujet, dit Han. Est-ce que tu lui as dit que tu ne voulais pas d’enfant ?
— Je n’en ai jamais eu l’occasion. Je te rappelle que quelqu’un m’a enlevée avant que les négociations s’engagent dans cette voie.
— Ah ouais ? (Han aperçut la serveuse qui s’approchait et il lui fit signe de s’éloigner.) Imaginons que les négociations soient allées aussi loin. Tu crois que Ta’a Chume aurait autorisé le mariage sachant que tu ne voulais pas d’enfant ?
Le masque sévère de Leia se brisa. Elle dévisagea son mari, les larmes aux yeux.
— Pourquoi est-ce que tu fais ça ?
— Parce que tu ne sais pas ce que tu veux.
— Parce que tu le sais, toi, peut-être ? demanda-t-elle.
— Je vois comment ton visage s’illumine quand quelqu’un te laisse tenir son bébé, dit Han. J’ai vu comment tu as réagi lorsque tu as vu le gamin de l’holocube.
— Tu te trompes…
— Tu sais que j’ai raison, l’interrompit Han. Et tu as peur de l’admettre. Le seul motif pour lequel tu ne veux pas avoir d’enfant, c’est que tu as toujours peur de ton père. Tu as peur de lui et tu es furieuse contre lui. Et c’est une excuse bidon pour ne pas avoir de gosse. Surtout en sachant que loi et moi, nous en voulons, des gosses.
Leia attendit qu’il ait terminé de parler pour reprendre la parole :
— C’est bon, t’as fini ?
— Ouais, c’est pas si compliqué à piger.
— Certes, dit Leia. Parce que je me souviens très bien d’une fois où tu m’as dit que tu pouvais parfaitement vivre sans enfant. C’est très clair dans mon esprit.
Han haussa les épaules.
— Ça me plaît, ce mariage. C’est peut-être ce qui m’a fait changer d’avis au sujet des gamins. (Il baissa les yeux et observa la sombre décoction au fond de sa chope.) Je ne me suis pas rendu compte que j’aimais bien ça. Enfin, je veux parler de la famille. Je me demande ce que ça doit faire d’élever un gosse, d’essayer de lui trouver un coin tranquille pour qu’il puisse y grandir peinard.
— Ben voyons, comme la maison que tu n’as jamais possédée ?
— Ouais, quelque chose comme ça, admit Han. (Il avait vu Leia prendre le contrôle de négociations complexes assez souvent pour savoir quand elle essayait de détourner la conversation.) Mais tu ne m’as toujours pas répondu à propos de Ta’a Chume et d’Isolder. Quand est-ce que tu allais leur dire que tu ne voulais pas d’enfants ?
— Je ne sais pas.
— Si ça se trouve, jamais. (Han fit la réflexion sans amertume. Il essayait simplement de faire comprendre à Leia que, dans certaines circonstances, elle aurait pu ou pourrait avoir des enfants.) Peut-être que pour la Nouvelle République tu aurais pu prendre le risque.
— J’aurais fini par leur dire, annonça Leia en relevant la tête. Avec tout le pouvoir du Consortium de Hapes derrière moi, un enfant avait beaucoup plus de chance de mal tourner.
L’impact du regard noir lancé par Han fut adouci par la rangée de crocs façon Devaronien dévoilée par son sourire.
— Ta’a Chume n’aurait jamais partagé ton point de vue.
Leia lui adressa le traditionnel petit sourire triste cher aux Twi’lek.
— C’est peut-être pour ça que je ne me suis pas fait trop de souci lorsque les Hapans sont venus me rendre visite.
Moins d’une demi-heure standard plus tard, Han et Leia étaient assis derrière le rideau holographique d’une des alcôves privées du Palais des Arts. Ils regardèrent la grande Halle se remplir de spectateurs et d’acheteurs potentiels. Tout ça sentait l’argent à plein nez. Les rires nerveux claquaient comme des crédits sonnants et trébuchants, le brouhaha électrisé croissait comme pendant toutes les ventes à la criée de la galaxie, les barmen et les serveuses proposaient tord-boyaux et rafraîchissements à plus de dix fois leur prix habituel.
L’officier Impérial se trouvait juste devant la scène principale, où allait se tenir la vente aux enchères. Son partenaire, un officier scientifique, avait disparu, remplacé par deux impressionnants gardes du corps en uniforme d’apparat. C’était le seul groupe qui bénéficiait, dans toute la salle, de plus d’espace vital qu’il n’en avait réellement besoin.
Han aperçut Grees, Sligh et Elama qui se frayaient un chemin dans la foule des acheteurs, s’approchant de tous ceux qui semblaient plus ou moins intéressés par le Crépuscule sous prétexte de leur proposer des informations sur les lots mis en vente. Quelques-uns mordirent à l’hameçon et les Squibs en profitèrent, de façon plus ou moins déguisée, pour présenter certains de leurs articles. En tout cas, le petit trio ne s’attardait jamais longtemps avant de partir à la recherche d’un nouveau client.
La foule était surtout constituée d’arrivistes espérant réaliser de bonnes affaires tout simplement parce que la vente avait lieu sur Tatooine. Il y avait aussi pas mal de brutes, engagées plus pour protéger les cartes à puces de transfert de fonds – obligatoires pour participer aux enchères – que pour leur connaissance en matière d’art. L’espace d’un instant, Han aperçut Elama en train de délester en douceur un Aqualish d’une vibrolame cachée dans sa botte, pendant que Grees et Sligh lui prenaient la tête avec leur discours de représentants de commerce.
— Ces Squibs sont bons, trop bons, même, dit Leia. (Elle était assise à côté de Han près d’une table à cocktail en plastoïde, à moitié affalée sur une banquette couverte d’une épaisse peluche dont la forme empêchait de se tenir autrement qu’allongé.) Tu es sûr qu’on peut respecter le marché qu’on vient de passer avec eux ?
— La situation est sous contrôle.
Leia parut dubitative, les senseurs placés à la base de ses lekkus factices réagirent à son humeur, obligeant les tentacules à se tordre de façon spasmodique.
— Tu te rends compte qu’ils préparent certainement un coup fourré ?
— Peut-être, mais nous, on a un Wookiee.
Han pointa l’une de ses fausses cornes en direction de Chewbacca. Celui-ci était au milieu de la salle, en train d’écouter les arguments de Sligh. Il avait teint sa fourrure d’une longue bande rousse sur l’une de ses épaules. Un Wookiee ne pouvait guère se déguiser autrement qu’en changeant les marques de naissance de son pelage. Chewbacca résista environ cinq secondes au bavardage des Squibs. Il dévoila ses crocs, leva un pied et les trois petites créatures détalèrent.
— Tu vois ? Pas de problème !
C-3PO, dont le déguisement consistait en une patine verdâtre appliquée sur sa coque dorée, observait l’altercation à quelques mètres de distance. Il commença à avancer dans la foule, s’excusant auprès de chaque personne qu’il croisait.
Leia activa son communicateur et ouvrit une fréquence à l’attention du droïde.
— Qu’est-ce que tu es en train de faire ?
C-3PO s’empara de son propre comlink.
— Ils ont apparemment besoin d’un traducteur. J’allais proposer mes services…
— Non, dit Leia. Laisse-les tranquille.
C-3PO arrêta d’avancer mais conserva son comlink à hauteur de son modulateur vocal.
— Vous en êtes certaine ? Ces Squibs ont l’air de vouloir rendre service. J’ai l’impression qu’ils possèdent d’intéressantes informa…
— NON ! fit Han dans le comlink de Leia, espérant que les Squibs avaient été suffisamment effrayés par Chewbacca pour ne pas remarquer l’arrivée du droïde. Contente-toi de faire ton boulot.
C-3PO se tut pendant très précisément une seconde – l’équivalent électronique d’un soupir – puis fit pivoter sa tête en direction de l’alcôve où attendaient Han et Leia, manquant de révéler la cachette de ses propriétaires à un observateur attentif.
— À vos ordres.
Leia débrancha son communicateur et leva les yeux au ciel.
— Tu es sûr de ton coup, là ?
— Qu’est-ce qui pourrait aller de travers ? dit Han en haussant les épaules.
Ils passèrent les minutes suivantes à essayer de repérer l’escorte de l’officier de pont. Ce ne fut guère difficile. Comme prévu, ils s’étaient postés par groupes de deux, dans les coins les plus reculés de la salle, vêtus de tuniques anodines ou de vêtements de travail au beau milieu d’une foule qui privilégiait les tenues voyantes, les accoutrements foireux ou les équipements typiques de Tatooine. Tout le monde se tenait à bonne distance d’eux. Les Impériaux se distinguaient autant que des rancors au beau milieu d’un champ de fleurs.
Han repéra également l’homme aux cheveux noirs qui avait tenté de leur vendre l’holocube du gamin et de son podracer. Il se tenait près du commandeur Impérial, à l’avant de la foule. Il était à moitié tourné vers l’arrière de la salle, étudiant les spectateurs, ne recherchant pas quelqu’un en particulier mais dressant visiblement mentalement une liste des personnes présentes. Han se sentait encore perturbé par la façon dont l’homme s’était focalisé sur Leia lors de l’exposition des lots précédant la vente aux enchères.
Exactement à l’heure prévue, une humaine assez corpulente, peau pâle, yeux en amandes et longs cheveux noirs rassemblés en une tresse, apparut de derrière le paysage urbain tridimensionnel qui masquait l’arrière de la scène. Elle attendit que les choses se calment dans la salle et s’avança d’une démarche souple, qui n’avait rien perdu de sa grâce et de sa détermination malgré les quarante kilos superflus accumulés depuis l’époque où elle était danseuse. D’une voix rauque, due à l’excès d’inhalation de hubba, elle souhaita la bienvenue aux participants de la vente aux enchères. Elle se présenta – Mawbo Kem –, déclencha des rires dans l’assistance en signalant que tous les hommes réunis dans la salle devaient déjà la connaître.
Lorsque les spectateurs se furent à nouveau calmés, Mawbo annonça qu’elle commencerait la vente avec un lot exceptionnel. À ce moment précis, la Codru-Ji qui avait servi Han et Leia quelques heures auparavant monta sur la scène, tenant entre ses quatre mains le lot en question. Quelques secondes plus tard, un hologramme géant représentant l’article se matérialisa au niveau du plafond. Il s’agissait du cube holographique du gosse et de son podracer.
Plusieurs personnes de l’assistance, qui n’étaient visiblement pas originaires de Tatooine, se mirent à huer et à siffler. Les locaux leur intimèrent de se taire et poussèrent des acclamations encore plus tonitruantes. Instantanément, la salle s’emplit d’un tumulte de cris de liesse et de hourras, probablement trop enthousiastes pour être honnêtes.
En parfaite professionnelle, Mawbo conserva le silence, laissant la cacophonie s’installer et dynamiser la vente aux enchères.
Un clic étouffé retentit dans le comlink de Han, au fond de sa poche. Sligh venait de confirmer qu’il était prêt à remplir sa part du marché. Han répondit par un double clic : « Allez-y. »
— Merveilleux, grogna Leia. Réveille-moi quand on en sera au Crépuscule, avec un peu de chance, ça devrait se produire aux alentours de minuit…
En dépit de son ton, ses yeux étaient fixés sur l’hologramme au-dessus de la scène. Han dut tourner la tête pour dissimuler son sourire.
Sur l’estrade, Celia leva l’holocube au-dessus de sa tête avec deux de ses bras et se mit à parader de long en large de sa démarche hautaine de danseuse.
— Comme vous pouvez le constater, dit Mawbo, il s’agit de l’holocube présenté ce matin dans l’alcôve numéro douze. C’est un hologramme original, unique en son genre, du seul pilote humain de pod à avoir jamais remporté la course de la Boonta Eve. Le cliché a été pris il y a une quarantaine d’années et est mis en vente aujourd’hui par le meilleur ami du pilote, Kitster Banai.
Le public s’abstint du moindre commentaire sceptique.
— Ils ne vont tout de même pas avaler un truc pareil ? dit Han. Il y a une vieille arène de course, juste à la sortie de la ville. Les gens du coin doivent bien savoir qu’un humain est incapable de piloter un podracer !
L’homme aux cheveux noirs qui mettait l’holocube en vente – Kitster Banai – avança jusqu’au bord de la scène et souffla quelque chose à Mawbo.
Elle hocha la tête et, après lui avoir fait signe d’un doigt boudiné de regagner sa place, elle déclara :
— Pour ceux qui ne sont pas du coin et qui auraient visité l’alcôve de Kitster ce matin après que le panonceau explicatif a été abîmé, je signale que le gamin de l’hologramme est bien originaire de Mos Espa et qu’il s’appelle Anakin Skywalk…
La salle tout entière explosa en un tonnerre d’applaudissements et de cris de joie. La dernière syllabe du nom fut perdue dans le vacarme. Mawbo réclama le silence, mais il lui fallut un certain temps pour obtenir gain de cause.
— Quoi ?! Qu’est-ce qu’elle a dit ? fit Leia, Anakin Skywalker ?
— Peut-être…
Un peu mal à l’aise, Han s’approcha du rideau holographique, imaginant qu’en se rapprochant de la représentation tridimensionnelle il lui serait plus facile de remarquer les ressemblances entre Leia et le gamin. Ce n’était guère frappant. Les pommettes étaient assez hautes, la forme des yeux… Peut-être le visage… C’était cependant suffisant pour être plausible.
Han jura dans sa barbe et, conservant à grand-peine la maîtrise de ses émotions, reprit la parole :
— J’ai entendu Anakin Sky quelque chose. Luke a bien dit une fois qu’il avait découvert une information sur le Net stipulant que ton père aurait passé son enfance sur Tatooine, non ?
— Il n’a pas dit que c’était précisément ici, à Mos Espa, dit Leia en baissant les yeux vers la table.
Han haussa les épaules.
— Il n’y a quand même pas tant de villes que ça sur Tatooine. (Il glissa la main dans sa poche et appuya une seule fois sur l’activateur de son comlink, signalant ainsi à Sligh qu’il ne fallait pas miser sur l’article.) Ce n’est pas si surprenant.
Leia prit son temps pour regarder son mari droit dans les yeux.
— Tu n’as pas idée…
Sligh répondit par un double clic signalant qu’il avait l’intention de miser.
Han répéta son ordre, un seul clic, pas d’enchère, et essaya de prendre un air détaché.
— Eh bien, en tout cas, le nom explique bien des choses…
— Quoi, par exemple ?
Han voulait dire que l’identité du gosse expliquait pourquoi Leia ne pouvait détacher les yeux de l’holocube. Il vit son épouse se raidir et décida qu’une autre hypothèse serait peut-être préférable.
— Eh bien, ça expliquerait qu’un gamin de neuf ans ait pu remporter la grande course de la Boonta Eve, dit Han. Parce qu’il était animé par la Force, en fait.
Mawbo parvint enfin à calmer la foule et, sans perdre de temps, démarra les enchères.
— Qui veut faire une offre ? (Elle se tourna d’abord vers l’officier Impérial qui se tenait au premier rang.) Vous, Monsieur, peut-être ? On peut dire que le jeune Anakin a eu une carrière des plus étonnantes, non ?
Han ne fut pas surpris de voir le commandeur décliner l’offre d’un geste courtois. L’officier était assez âgé pour avoir servi dans la marine Impériale du temps de la grandeur du Seigneur Noir. Les seules personnes, en dehors des Rebelles, qui avaient de bonnes raisons de craindre Vador étaient bien celles qui avaient servi sous ses ordres. Mawbo n’insista pas et chercha un autre acheteur des yeux.
— Cent crédits !
Han ne parvint pas à distinguer l’acheteur dans la foule, mais la voix aiguë lui était déjà bien trop familière. Sligh venait d’ouvrir les enchères à un tiers du plafond autorisé par Solo, pour tenter d’effrayer les acheteurs indécis et éviter que les prix ne s’envolent trop vite.
Le regard de Mawbo se baissa au niveau de la taille des personnes qui attendaient juste devant la scène.
— Cent crédits pour le Squib du premier rang.
— Le Squib ? siffla Leia. Nos Squibs sont en train de miser sur un holocube de Dark Vador ?
Han haussa les épaules et appuya sur son comlink. Une fois.
— Cent crédits… Une fois…
— Cent vingt !
L’enchère était venue d’une femme aux cheveux blonds vêtue d’un manteau usé par les sables.
— Cent cinquante ! proposa Sligh, essayant toujours de décourager les acheteurs.
— Mais qu’est-ce qu’il fabrique ? demanda Leia, plus inquiète que perplexe. Ils savent bien que ce n’est pas ça que nous voulons…
— Oui, ils le savent. Ne t’inquiète pas.
Un Kurtzen paré d’un patchwork de cuir offrit cent soixante-quinze crédits. Sligh répondit en proposant cent quatre-vingts. Han appuya de nouveau sur l’activateur de son comlink.
Grees traversa le rideau holographique et tendit la main vers Han.
— Donne-moi ton comlink.
— Tu rêves ? fit Han. Je suis en train d’essayer de faire comprendre à Sligh que nous ne sommes pas intéressés par cet holocube.
— Il aurait fallu y penser avant la vente aux enchères. (Grees tendit les doigts vers le petit appareil.) Allez, donne-moi ton comlink, tu brises la concentration de Sligh.
— Il aurait fallu penser à quoi, avant la vente aux enchères, hein ? demanda Leia en plissant les yeux. De quoi parle-t-il, Han, heu… Jaxal ?
Inutile de nier, Leia connaissait trop son époux pour se laisser berner plus longtemps. Les choses ne feraient qu’empirer s’il continuait à feindre l’innocence. Il sortit le communicateur de sa poche et le tendit au Squib.
— Appelle Sligh, dis-lui qu’on ne veut pas le cube.
— Trop tard. (Grees coupa la fréquence et rendit le comlink.) Un marché, c’est un marché.
Leia sentit sa mâchoire se décrocher.
— Quel marché ? Vous êtes en train d’essayer d’acheter un hologramme de mon… De Dark Vador !
— Un hologramme d’Anakin Skywalker, corrigea Han. Et je ne savais même pas qui il était. Je croyais simplement que le cliché te plaisait, vu que tu n’arrivais pas à en détacher les yeux.
Grees quitta l’alcôve et disparut dans la foule. Les enchères atteignaient à présent deux cent trente crédits. Sligh venait de décider de calmer le jeu, ne proposant que des pas d’enchères de deux ou trois crédits à la fois. La femme blonde et le Kurtzen ne semblaient pas des plus coopératifs.
— Tu croyais que cet holocube me plaisait ? (Leia étudia Han de son légendaire regard en duracier. Ses faux lekkus se mirent à battre dans son dos comme des reptiles enragés.) Un holocube de mon père ?
Han écarta les mains.
— Comment l’aurais-je su ?
L’enchère atteignit deux cent soixante crédits. Sligh décida de franchir le pas jusqu’à trois cents, réussissant enfin à effrayer les autres prétendants. Mawbo essaya d’obtenir une meilleure offre, baratinant le Kurtzen, appâtant la femme blonde. Sans succès.
— Trois cents crédits pour le Squib, dit Mawbo. Trois cents crédits, une fois… Deux fois…
— Trois cent dix ! lança alors la femme.
— Trois cent onze ! rétorqua Sligh.
— Hé ! Il dépasse la limite ! dit Han.
Il ouvrit une fréquence et envoya un simple clic au Squib. Le prix atteignit trois cent vingt crédits quelques instants plus tard. Solo se leva et franchit le rideau holographique. Grees et Elama avaient disparu. Demandant à Leia de l’attendre, il descendit l’allée étroite qui serpentait entre les alcôves jusqu’à la salle principale. Bien entendu, Leia le suivit. Il atteignit la zone proche de la scène, où étaient installées de larges alcôves dotées de portes secrètes donnant sur une antichambre à l’arrière du théâtre, réservées aux personnalités.
— Je croyais t’avoir demandé de m’attendre.
— Effectivement, tu me l’as demandé, répondit Leia. Qu’est-ce qui se passe ?
— Je lui avais dit d’aller jusqu’à trois cents. (Les enchères atteignaient à présent quatre cent vingt crédits.) Il ne respecte pas le marché.
— Et nous sommes supposés leur faire confiance pour le Crépuscule ?
Le sifflement d’une chaise à répulseurs retentit dans l’alcôve adjacente. Han se retourna et vit une main boudinée jaillir du rideau holographique pour faire signe à un droïde-serveur. Au petit doigt scintillait une gemme Coruscane, sertie sur une bague si grosse qu’il était difficile de l’ignorer… et de l’oublier. Han voulut demander à Leia si elle aussi avait aperçu la main, mais la Princesse l’entraînait déjà vers les premiers rangs du public.
— Oublie ce que tu as vu dans l’alcôve. L’important c’est de parvenir à maîtriser Sligh. Si nous achetons ce cube holographique, je crois bien que je te défoncerai le crâne avec !
— Mais tu as bien vu la bague, non ? demanda Han.
Leia l’attira près d’elle et baissa le ton.
— Des bagues aussi voyantes, il y en a plein la galaxie, mon chéri.
Assurément, si ce n’est que celle aperçue par Han appartenait sans discussion possible à Threkin Horm, le très corpulent président du très puissant Conseil Alderaanien. Envisageant les considérables profits – par exemple, une nouvelle planète pour son peuple – qui pourraient résulter de l’union des maisons royales d’Alderaan et de Hapes, Horm avait été de ceux qui avaient le plus insisté pour que Leia épouse Isolder. Ce qui signifiait que son nom était maintenant inscrit en haut de la liste des ennemis de Han.
Le couple se glissa derrière les Impériaux, s’attirant des regards méfiants et d’ostensibles mouvements de coude pour leur barrer la route de la part des gardes du corps. Han et Leia virent Sligh, debout à l’avant de la zone laissée vacante par les autres acheteurs tout autour des représentants de l’Empire. Les enchères atteignaient cinq cent dix crédits. Han dut attraper le Squib par la peau du cou, l’obligeant à quitter le premier rang, pour éviter qu’elles ne montent à cinq cent vingt.
— Repose-moi ! (Sligh dévoila ses crocs, comme prêt à mordre.) Encore deux enchères et nous gagnons !
— Ah ouais ? Et avec quel argent ? demanda Han. La limite était fixée à trois cents crédits !
— Trois cents ? fit Sligh en jetant des regards affolés aux autres acheteurs. Qu’est-ce qui t’arrive ? T’es fauché ?
Han releva les yeux et s’aperçut que les Impériaux, ainsi qu’un certain nombre de spectateurs, regardaient dans sa direction. Bien trop discipliné pour se laisser aller à ricaner, l’officier ne put cependant dissimuler la lueur condescendante qui brillait dans son regard.
— Il n’est pas trop tard pour annuler l’autre marché, si tu vois ce que je veux dire.
— Annuler ? (L’attitude de Sligh passa de l’arrogance à l’inquiétude.) Tu ne peux pas annuler. Il s’agit d’un autre marché.
— Tu veux parier ?
Han laissa tomber Sligh et, accompagné de Leia, retourna à l’alcôve qui leur avait été allouée, bien trop conscient des regards braqués sur eux.
Ayant enfin regagné leurs sièges, Leia lâcha :
— Tu vas rire : je pensais qu’on avait engagé les Squibs pour éviter d’attirer l’attention…
— D’accord, d’accord, répondit Han. Mais ils ont prévu un angle d’attaque.
— Un angle d’attaque… Joli. Tu as une idée de ce dont il s’agit ?
Han haussa les épaules.
— Avec les Squibs, c’est difficile à dire.