12

Même avec un speeder et un swoop amarrés dans la soute de chargement arrière, six fauteuils et toute une batterie de capteurs de recherche installés en urgence avec des fixations magnétiques au sol dans le compartiment avant, le skiff des Darklighter était encore assez spacieux pour accueillir le groupe dans un confort relatif. Il était également assez lourd pour ne pas être balayé par les bourrasques de vent. À la minute même où le vent tomba en dessous de la barre des cent kilomètres à l’heure, Jula demanda à tout le monde d’embarquer et ils se mirent en route.

Jula et Silya occupaient la cabine de pilotage, se faisant exactement passer pour ce qu’ils étaient, à savoir deux fermiers partis à la recherche d’éventuels survivants dans la tempête. Leia et les autres étaient installés dans la soute avant, un compartiment réfrigéré afin d’éviter la dégradation des denrées transportées. Grelottants, ils se mirent à observer les cadrans des capteurs passifs. Après deux heures passées dans un froid glacial, à respirer de vieilles odeurs de hubba moisi et à scruter l’écran du scanner optique, Leia se sentait au bord de craquer, d’ennui et d’énervement. Elle se rappela avoir ressenti la même chose lors de certains assauts militaires auxquels elle avait participé du temps de la Rébellion. Un long trajet jusqu’au lieu des combats rendait en général les soldats silencieux, transformant les individus les plus extravertis et les plus sociables en monolithes lugubres.

Mais ils n’étaient pas en train d’aller au combat. La question n’était pas de savoir si les occupants du skiff réagiraient correctement face au feu et à la furie d’un assaut, mais plutôt comment ils se comporteraient une fois qu’ils auraient atteint la zone de recherche principale, une vaste langue de sable désolée et silencieuse. D’après les calculs de Jula, il s’agissait de l’endroit où ils avaient le plus de chance de retrouver Han. Les Squibs avaient dressé une liste assez exhaustive de lieux où Han aurait pu se réfugier pendant la tempête. Ils avaient également programmé un itinéraire permettant d’explorer la plaine de la façon la plus méthodique possible. Mais, en vérité, personne n’était sûr de trouver quoi que ce soit. La zone de recherche avait été définie à partir de la dernière position connue de Han, lorsque celui-ci s’était servi de son comlink pour signaler l’accident du swoop de Kitster et la présence du transdunes. Mais peut-être avait-il déjà rejoint la périphérie de Mos Eisley.

La tempête s’éloignant, le trafic des communications commença à revenir à la normale. Leia résista pourtant à la tentation d’appeler Han sur son comlink. Plusieurs engins-espions Impériaux avaient déjà pris l’air et devaient être en train d’effectuer des rondes au-dessus du désert, surveillant les fréquences et analysant chaque signal, à l’affût du moindre renseignement concernant le voleur du Crépuscule des Killik. Han et Leia utilisaient des brouilleurs de type militaire sur leurs communicateurs. Une transmission provenant d’un petit skiff local attirerait sans coup férir une compagnie entière de fantassins Impériaux.

Leia essaya encore une fois d’imaginer Han à Anchorhead, dégustant une bière de Gizer et tapotant sur la table du bout des doigts. Encore une fois, l’image se volatilisa. Aucune image de swoop à moitié enseveli ne vint s’y substituer. Elle entendit simplement un gémissement étouffé, si distinct, si tangible, qu’elle lança un regard noir vers le plafond de la soute.

Chewbacca grogna une question.

— Eh bien, tu n’as pas entendu ? demanda Leia.

— Entendu quoi ? intervint Sligh, instantanément soupçonneux.

Leia pencha la tête. Le gémissement se fit plus précis.

— Des TIE.

Les Squibs échangèrent des coups d’œil et regardèrent Chewbacca. Le Wookiee écarta ses grandes mains poilues et haussa les épaules. La voix de Jula retentit alors dans l’intercom :

— Débranchez les senseurs, en bas, nous avons…

Un hurlement assourdissant résonna à travers la paroi de métal du skiff. Un TIE venait de les survoler à basse altitude. Il y eut également un grondement, produit par quelque chose de plus gros qu’un petit chasseur stellaire, relativement étouffé et beaucoup plus éloigné.

Leia leva les yeux vers le plafond.

— Et là, vous avez entendu, non ?

La fourrure des Squibs se hérissa. Le nez de Chewbacca se plissa sous le coup de l’inquiétude.

— Moi, j’ai entendu, répondit C-3PO.

Le skiff entreprit de décélérer.

— Mes petits chéris, il est temps de déclencher l’opération « sacs à viande », dit Silya. On dirait bien qu’une navette d’assaut vient de débarquer une patrouille de recherche au grand complet…

Chewbacca déroula une bâche qui était restée jusque-là attachée au plafond. Elle imitait parfaitement la texture de la paroi et servit à dissimuler toute la batterie de capteurs et senseurs. Les Squibs s’emparèrent d’un grand sac destiné au transport des cadavres. Ils le tirèrent jusqu’à la porte de la soute et s’y engouffrèrent. Leia se glissa dans son propre sac. Chewbacca, lui, dut en utiliser deux. Il enfila ses jambes à l’intérieur du premier et se passa le second par-dessus les épaules. Tous conservèrent leurs armes avec eux, le long de leurs jambes.

C-3PO fut le dernier à prendre son poste. Il désactiva les lumières de la soute, les plongeant instantanément dans les ténèbres totales. Puis, il coupa son propre motivateur et s’affaissa le long de la paroi, près de la porte d’accès. Quelques minutes plus tard, le skiff s’arrêta. Dans l’intercom – à présent peu audible à travers la bâche –, Leia entendit un fantassin Impérial s’adresser à Jula :

— Volontaires d’Anchorhead ?

On entendit un tintement métallique, correspondant probablement à un panneau magnétique appliqué à la va-vite sur la coque de l’engin.

— Recherche et sauvetage, expliqua Jula. (Les hurlements du vent et les volées de grains de sable giflant l’armure de plastoïde du soldat couvraient presque sa voix.) Vous avez certainement remarqué qu’on s’est payé une sacrée tempête, non ?

— Bien sûr, répondit le fantassin Impérial. Qu’est-ce que vous faites ici ?

— Je viens de vous l’expliquer, répondit Jula, l’air sincèrement excédé. Vous n’avez pas vu le panneau ? Recherche et sauvetage. Ce sont les survivants qui nous intéressent.

— Vous n’en trouverez pas ici, dit le soldat.

— Et ce gros swoop, là ? demanda Jula. Quelqu’un a bien dû le piloter jusqu’ici, hein ?

— Ce swoop ne vous regarde pas, répondit le fantassin Impérial. Combien de survivants avez-vous récupérés ?

— Comme d’habitude, annonça Jula nonchalamment. Aucun.

— Aucun ?

— En vérité, on fait de la récup’, intervint Silya d’une voix douce et fragile. Le terme sauvetage relève plus de l’euphémisme.

— Il relève de quoi ? demanda le fantassin Impérial. Bon, passons. Ouvrez le skiff, qu’on puisse l’inspecter.

L’intercom devint silencieux. Leia jura intérieurement. Elle glissa sa main par la fermeture éclair de son sac et lança une capsule odorante, du même type que celles que les fermiers utilisaient pour attaquer les terriers de profoggs, lorsque ces vermines avaient un peu trop tendance à fouir près des cultures hydroponiques. La puanteur n’était pas totalement la même que celle dégagée par le cadavre d’un humain, mais elle était suffisamment écœurante pour décourager une inspection méticuleuse de la soute. La Princesse referma son sac et retint sa respiration.

La porte de la soute s’ouvrit en sifflant et la masse inanimée de C-3PO tomba dans les bras du fantassin Impérial. L’homme poussa un juron à travers son filtre vocal et le droïde roula lourdement sur le sol de la soute, en travers du passage. Comme prévu. Leia sentit son sac se réchauffer rapidement lorsque l’air étouffant du désert pénétra dans le compartiment réfrigéré.

— Désolé, dit Jula. Ils ont pas mal bougé. On a eu quelques grosses bourrasques en chemin.

— Cette odeur… (Aucun filtre à air portatif installé dans un casque n’était en mesure de totalement éliminer la puanteur qui régnait dans la soute. À son ton, le soldat Impérial devait certainement faire la grimace.) Qu’est-ce que ça sent ?

— Qu’est-ce que vous voulez que ça sente ? demanda Jula. On a trouvé quelques personnes… en piteux état, disons.

— Je croyais que vous étiez à la recherche de choses à récupérer…

— C’est vrai, et on a surtout récupéré des cadavres. Beaucoup de cadavres, dit Silya. Vous ne pensez tout de même pas qu’on allait les laisser pourrir sur place, non ?

— De plus, ajouta Jula, il arrive qu’il y ait des récompenses.

Le fantassin Impérial garda le silence pendant un long moment. Leia fut contrainte de reprendre son souffle, le plus discrètement possible. Elle remercia silencieusement Silya pour les cuillerées de lotion tonique qu’elle leur avait administrées avant le départ de la ferme. Cela ne rendait pas l’odeur plus agréable, mais au moins n’étaient-ils pas obligés de lutter pour s’empêcher de vomir.

— Vous avez trouvé des humains ? demanda le soldat.

— Deux ou trois, dit Jula. Si vous cherchez quelqu’un en particulier, ne vous gênez pas, montez donc…

— Ce ne sera pas nécessaire, répondit prestement le fantassin Impérial. Nous recherchons un homme appelé Kitster Banai. Voici un holo…

— Pas la peine, dit Jula. Je connais Kitster. Qu’est-ce qui vous fait penser que vous allez le trouver là, dans le désert ? Ce n’est pas son genre de…

— C’est moi qui pose les questions, l’interrompit le fantassin Impérial.

— Oui, bien sûr, pas de problème… (Jula se lança cependant dans sa question suivante sans marquer la moindre pause :) Et le type qui pilotait ce swoop-fusée, là… (le pouls de Leia se mit à battre avec une telle intensité qu’elle manqua un bout de la question de Jula)… vous en débarrasser, non ? Un cadavre, ça sent très mauvais, très rapidement, par une chaleur pareille. On peut l’emmener, si ça vous dit…

Un cadavre ! Leia dut se retenir pour ne pas se relever brusquement. Si les Impériaux étaient toujours à la recherche de Kitster Banai et qu’ils venaient de découvrir un corps… Cela ne pouvait être que celui de… Elle n’arriva pas à formuler le reste de sa pensée. Si c’était bien cela, il était hors de question qu’elle quitte les lieux sans lui. Elle ne laisserait pas le corps de son époux aux mains d’un ramassis de…

— Il n’y a pas de cadavre, dit le fantassin Impérial. Et les vôtres, vous les avez trouvés dans les environs ?

— Non, en tout cas pas assez près d’ici pour que ce soit votre pilote de swoop, répondit Jula.

Leia respira à nouveau. Il y avait toujours un espoir. Han était à pied, perdu dans le désert de Tatooine, avec un détachement de TIE et une compagnie de fantassins Impériaux aux trousses. Les probabilités n’étaient pas si mauvaises. Pour Han Solo, en tout cas.

À l’extérieur du skiff, Jula reprit la parole :

— Tous viennent des environs de la route principale des speeders. Donc… si vous ne comptez rien faire de cette épave de swoop…

— Les intentions de l’Empire ne vous regardent pas, fermier. Et les Squibs ?

— Eh bien quoi, les Squibs ? demanda Jula d’une voix soudain pleine de ressentiment.

— Vous en avez trouvé ?

— Des Squibs ? Oh non. Ils ne rapportent rien, de toute façon.

Le fantassin Impérial resta silencieux quelques instants puis demanda :

— Vous êtes sûr de ne pas avoir trouvé de Squibs ?

— Écoutez, je sais à quoi ça ressemble, un Squib, répondit Jula. Si vous ne me croyez pas, montez dans la soute et allez vérifier vous-même. Je ne pense pas que ça va déranger qui que ce soit, là-dedans.

La voix du fantassin Impérial s’éloigna. Le sable crissa sous ses pas lorsqu’il se dirigea jusqu’à la trappe d’accès à la soute arrière du skiff.

— Qu’est-ce qu’il y a, là-dedans ?

— Des épaves qu’on a récupérées. (Laissant la porte de la soute avant ouverte, Jula rejoignit le fantassin Impérial à l’arrière.) Combien m’avez-vous dit qu’il y avait de Squibs ?

— Je ne vous ai rien dit. (Les voix se firent plus ténues.) Pourquoi ?

— Parce que j’ai trouvé un swoop qui pourrait bien vous intéresser, dit Jula. Il est équipé de trois petites selles en lieu et place de…

Les voix se firent trop distantes pour être compréhensibles. Leia ne supportait plus de ne pas voir ce qui se passait dehors. Elle fit doucement glisser la fermeture de son sac pour risquer un coup d’œil. Par la trappe ouverte, dans la brume poussiéreuse des vents qui soufflaient encore à une quarantaine de kilomètres à l’heure, cinq soldats Impériaux montaient la garde autour du swoop dont Han s’était servi. Le véhicule gisait sur le flanc, à moitié recouvert par une dune, son poste de pilotage presque totalement enfoui dans le sable.

En fait, le swoop reposait à terre comme dans l’image qui était apparue à Leia à bord du speeder. La dune recouvrait le carénage à la même hauteur. Le sable coulait de la tuyère d’échappement de la même façon, recouvrant petit à petit le même côté du siège du pilote. Le même côté abîmé, seule partie visible de la selle. La vue ne s’approchait pas de ce qu’avait imaginé Leia. C’était sa réplique exacte. Il était à présent impossible de le nier plus longtemps. Elle n’avait rien imaginé. Elle n’avait pas eu d’hallucination. Leia venait de ressentir une vision induite par la Force.

Elle n’en fut guère surprise. Elle avait compris depuis fort longtemps – lorsque Luke lui avait révélé la vérité à propos de leur père – que la plupart de ses talents pour la diplomatie, qu’elle attribuait à son intuition, n’étaient en fait que des éclairs non maîtrisés de son aptitude à devenir Jedi. Leia repensa alors à sa vision à bord du Faucon Millennium. Elle était capable de toucher la Force, comme Luke le lui avait expliqué. Mais avait-il raison pour tout le reste ? Était-elle autant en danger que Han pouvait l’être ?

Jula Darklighter apparut par la trappe, suivi du chef des fantassins Impériaux et de deux autres soldats. Ils rejoignirent le reste de l’escouade près du swoop-fusée. Jula fit deux fois le tour de l’épave puis s’accroupit du côté exposé aux vents et observa le sol. Le chef se pencha par-dessus son épaule. Sa voix filtrée par le casque posa une question que Leia ne parvint pas à entendre.

Jula secoua la tête. Le fantassin Impérial insista, exigeant visiblement une réponse. Le fermier haussa les épaules puis, du doigt, indiqua le sol avant de tracer une ligne imaginaire qui suivait la direction de la tempête et filait vers l’horizon. Le chef demanda à cinq de ses soldats de s’approcher. Il leur montra le sol puis leur désigna le même point à l’horizon. Les fantassins Impériaux hochèrent la tête, enfourchèrent leurs motojets et se dispersèrent dans le désert vers la zone que leur avait montrée leur supérieur.

Jula se tourna et dit quelque chose à propos du swoop. Ce à quoi le chef des soldats répondit par un sévère mouvement négatif de la tête. Le fermier écarta les mains et se mit à marcher vers le skiff, l’officier Impérial sur les talons.

— … vous remercie pour votre aide, citoyen. Vous voudrez bien également signaler tous les transdunes et tous les Jawas que vous pourriez rencontrer.

— Bien sûr, je n’y manquerai pas, répondit Jula d’un ton cynique. Mais je suis certain que je pourrais faire preuve d’une plus grande assiduité si vous me laissiez emporter ce swoop…

— Je vous l’ai déjà dit, j’ai des ordres et je dois le garder pour qu’on puisse l’inspecter. Vous connaissez mon immatriculation de service. Contactez-moi un peu plus tard. Laissez-moi le temps de parler à mes supérieurs pour leur expliquer combien vous nous avez été utile. Peut-être qu’ils voudront bien vous laisser récupérer l’épave une fois qu’ils en auront fini avec elle.

Jula s’arrêta à côté du skiff et tendit la main vers la commande de fermeture de la soute.

— Il n’y a pas d’autre moyen ?

— Non. Il n’y en a pas d’autre. Et mes supérieurs seront certainement enclins à accéder favorablement à votre requête si vous nous aidez à localiser ce transdunes.

— Je n’en doute pas, répondit Jula en pressant la commande.

La porte coulissa en sifflant et le skiff reprit sa route. La soute se mit à déborder d’activité dès que Leia et les autres se furent extraits des sacs de conservation.

— Quelle odeur ! suffoqua Elama. Je crois que je préfère encore être morte !

Ils allumèrent l’éclairage du compartiment réfrigéré et Leia se dirigea droit sur l’intercom.

— Jula, c’était le swoop de Han…

— J’avais deviné, répondit le fermier. L’engin était encore en bon état lorsqu’il l’a abandonné, ne vous faites pas de souci.

— Tiens donc dit Leia, employant le même ton cynique dont Jula s’était servi avec le fantassin Impérial. Et qu’est-ce qui vous rend si sûr de vous ?

— Je le sais, c’est tout, dit Jula. Il y avait une balise Impériale juste à côté du swoop. Han a eu la très bonne idée de ne pas la mettre en pièces avant de partir. Il ne voulait donc pas qu’on le retrouve.

— Cela signifie également qu’il n’était pas totalement désespéré, ajouta Silya. Lorsqu’un homme commence à avoir soif, il fait tout pour qu’on le retrouve.

— D’accord… dit Leia. Qu’est-ce que vous avez vu sur le sol pour que les fantassins Impériaux se mettent en route si vite ?

— Rien.

Leia attendit quelques instants. Aucune explication ne venant, elle reprit :

— Où ont-ils filé ?

— Nulle part.

— J’ai bien peur que Jula leur ait joué un tour, intervint Silya. Il leur a fait croire qu’il avait remarqué quelque chose, alors qu’il n’y avait rien. D’un seul coup, les soldats se sont mis à le voir aussi et ils ont détalé !

— Ils n’étaient pas très malins, même pour des Impériaux ! dit Elama.

— Tout le monde sait que dans le désert un homme assoiffé n’irait pas marcher contre le vent, ajouta Sligh.

— Ah, eh bien moi, je l’ignorais, dit Leia. Mais oui, ça semble logique. Alors, qu’est-ce que vous avez trouvé, Jula ?

— C’est ce que je n’ai pas trouvé qui est important, répondit-il. Vous m’avez bien dit qu’Ulda avait fait installer une vidéocarte sur le guidon du swoop, non ?

— Exact.

— Elle n’y était plus quand j’ai regardé.

Chewbacca, qui était en train d’aider les Squibs à rouler la bâche qui leur avait permis de dissimuler leur matériel dans un logement du plafond, grogna. C-3PO, d’une voix traînante en raison de la lenteur de remise en route de son système, traduisit :

— Messire Chewbacca ne voit pas comment cette information pourrait être utile. Tant que nous ne savons pas où il avait l’intention d’aller…

— Moi je parie sur la Piste des Jawas, dit Sligh.

— Tu veux parier combien ? demanda Jula.

— Jula ! le tança Silya. N’en profite pas, tu veux ! Grees ? nous sommes au nord de cette zone, on l’a passée depuis longtemps.

Les oreilles des deux Squibs mâles s’aplatirent en arrière. Elama se mit à ricaner. Grees lui montra les dents et demanda :

— Alors vous pensez à quoi ? Aux Terriers des Banthas ?

— C’est là que j’irais, répondit Jula. Qu’est-ce que tu en dis ?

— On a plus de chance dans les Jardins du Sarlacc, à mon avis, intervint Sligh.

— Mais Han n’est pas originaire de Mos Espa, répondit Silya. Il ne doit pas connaître le Puits aux Moines.

Leia regarda Chewbacca, qui poussa alors un grondement négatif. Si le Wookiee n’avait jamais entendu parler de l’endroit en question, il y avait des chances pour que Han n’en ait jamais entendu parler non plus.

— Allons vers les Terriers des Banthas, dit Leia. Puits ou pas, je sais que Han ne s’approcherait pas d’un lieu dont le nom contient le mot « sarlacc ».

Le plancher du skiff tangua lorsque l’engin se mit à accélérer.

— Allez-y, branchez les scanners, dit Jula. Les Impériaux savent maintenant que nous sommes à la recherche de quelque chose. Même s’ils nous détectent, je pense qu’ils vont nous laisser en paix. De plus, on réussira peut-être à trouver des indices.

Chewbacca et les Squibs se mirent au travail. Leia s’empara d’une paire de macrobinoculaires et ouvrit la porte, suffisamment pour avoir une vue dégagée. La tempête était terminée mais les vents continuaient à balayer le sol, soulevant une brume de poussière qui réduisait la visibilité à une centaine de mètres à la surface du désert. Le ciel était clair, cependant, d’un bleu si profond qu’il en était presque violet. Dans le lointain, le premier des soleils jumeaux était déjà en train de disparaître derrière une chaîne de montagnes brunes aux pics acérés, inondant l’horizon d’un éventail de rayons dorés. Leia ajusta la commande de ses jumelles pour obtenir un grossissement maximal. Elle inspecta la terne splendeur de Tatooine, à la recherche du moindre indice témoignant de la présence de son mari. Elle scruta la brume perlée pour tenter de repérer la moindre zone d’ombre, la moindre découpe anormale, qui pourrait évoquer le corps d’un homme ou une quelconque pièce d’équipement gisant à terre.

Tout en observant l’horizon, Leia imagina le visage de Han dans son esprit, espérant que l’image pourrait se transformer en vision induite par la Force et à même de lui fournir des indications sur l’endroit où se trouvait son époux. La seule vision qui se produisit fut une succession rapide de représentations de Han : l’insolent mais adorable vaurien essayant de la sauver sur l’Étoile Noire, l’amoureux plein de suffisance sur le point d’être congelé dans la carbonite, le prétendant maladroit sur Endor, proposant élégamment de se retirer pour qu’elle puisse se consacrer… à son frère !

Chewbacca vint s’asseoir derrière elle, observant l’horizon par-dessus sa tête, les pattes posées sur ses épaules. Ses mains étaient aussi lourdes qu’un paquetage de commando, mais Leia s’abstint de le lui faire remarquer. Aussi grosses soient-elles, elles lui étaient surtout d’un grand réconfort. Elle savait que le Wookiee était au moins aussi inquiet qu’elle.

Il grommela une question.

— J’essaye, dit Leia. Mais la Force et moi, on n’est pas vraiment en phase en ce moment.

Chewbacca lui serra les épaules et gronda doucement.

— Non, ça ne va pas, Chewie, répondit Leia. C’est moi qui ai entraîné Han dans tout ça. Il faut que je réussisse à le tirer de là. Je lui dois bien ça.

Leia porta à nouveau les macrobinoculaires à ses yeux. Le voyage à travers la plaine se poursuivit. Finalement, le skiff entama un virage et la porte de la soute se trouva directement face aux montagnes. Le vent était tombé et la brume de poussière s’était dissipée. Leia pouvait à présent observer le désert sur plusieurs centaines de mètres, le regardant disparaître dans un labyrinthe de canyons bruns et de falaises rocheuses percées de milliers de cavernes aux bouches obscures.

— Les Terriers des Banthas ? demanda Leia.

— T’as deviné ! (Elama apparut à côté de la Princesse. Elle se haussa sur la pointe des pieds et poussa sur les binoculaires afin d’obliger Leia à détacher son regard du sol des canyons.) Cherche s’il y a des urusais ou des skettos volant en cercle.

D’accord. C’est quoi ?

— Des charognards et des suceurs de sang, dit Grees. (Il déclara ceci sans la moindre subtilité, mais c’était apparemment une qualité qui faisait cruellement défaut aux Squibs.) Si tu les vois en l’air, c’est bon signe.

— Et si je les vois à terre ?

— À ton avis ? fit Sligh. Laisse Elama observer le sol, d’accord ?

Ils longèrent le flanc de la montagne. Un trio de chasseurs TIE surgit du ciel et contourna le skiff pour l’observer de plus près. Au départ, Leia les confondit avec des urusais mais les engins reprirent l’air en hurlant avant qu’elle ait eu le temps d’ordonner à Jula de s’arrêter. La petite troupe passa la minute suivante à se demander si les chasseurs stellaires étaient équipés de capteurs susceptibles d’avoir repéré la porte de la soute partiellement ouverte. Mais les appareils ne revinrent pas.

Cinq minutes plus tard, Leia remarqua un nuage de créatures aux ailes parcheminées volant en cercle au-dessus d’une crevasse dans la paroi du canyon. De grands yeux rouges, un bec acéré jaillissant des plis d’une peau aux reflets vert et or, et un éventail de piquants s’élevant sur l’arrière de la tête : il s’agissait probablement d’une des créatures les plus laides qui peuplaient le ciel de la planète. Lorsque les bestioles remarquèrent le gros skiff, elles se mirent à voler plus bas, resserrant le diamètre de leur cercle.

— Stop ! (Leia baissa ses jumelles et indiqua le canyon. Sans les binoculaires, les créatures évoquaient des flitnats.) Là, dans le canyon…

— Des urusais, annonça Elama.

— Je les vois, dit Jula, faisant pivoter le skiff vers le corridor rocheux. Je vais manœuvrer pour approcher la porte le plus près possible de la crevasse.

Quelques instants plus tard, un coup terrible retentit sur le toit du véhicule.

— On nous bombarde ! s’exclama C-3PO. Nous sommes perdus !

— Mais non, ce sont juste des cailloux, espèce de tas de boulons, dit Grees. Les urusais défendent leur pitance, c’est tout.

Les Squibs préparèrent leurs blasters. Leia et Chewbacca échangèrent des regards nerveux et dégainèrent également leurs armes. Les coups sur le toit se firent de plus en plus nombreux, se transformant en pluie continue et assourdissante. Des impacts commencèrent à apparaître dans le plafond de la soute. Leia demanda à C-3PO de lui rappeler en temps utile d’envoyer aux Darklighter les crédits nécessaires à l’achat d’un skiff neuf.

Enfin, Jula exécuta un dernier virage et vint ranger le véhicule à une centaine de mètres de la paroi rocheuse. Elle était aussi verticale et aussi lisse que n’importe quel mur de Coruscant, fendue en son milieu par cette crevasse, d’environ un mètre de large, que Leia avait repérée précédemment. Même par la très étroite ouverture de la porte de la soute partiellement refermée, Leia sentit une brise légère sortir de la crevasse. Elle paraissait fraîche, comparée à la fournaise qui régnait alentour. Il devint vite apparent que la fissure était en réalité une gorge profonde et sinueuse, emplie de sable, qui devait s’engager vers le cœur de la montagne. Dans la lueur baissante des soleils se couchant à l’horizon, elle était également sombre et menaçante.

Les Squibs sautèrent du skiff devant Leia et Chewbacca.

— On s’en occupe ! dit Grees.

— Essayez de détourner l’attention des urusais, ajouta Sligh.

Chewbacca gronda. Leia secoua la tête.

— Hors de question que je reste ici, dit-elle. C’est peut-être mon mari qui est là-dedans.

— C’est pour ça qu’il faut qu’on y aille, rétorqua Elama. Le Wookiee se retrouverait coincé au bout de trois pas, et ne compte pas sur nous pour t’attendre si jamais Han a été entraîné dans ce trou par un petit dragon krayt.

— Laissez les Squibs se charger de tout ça, ma chère, intervint Silya dans l’intercom. Ils seront plus rapides et je pense que la rapidité est cruciale.

À contrecœur, Chewbacca gronda son acquiescement. Il prit Leia par le bras, comme pour s’assurer qu’elle ne commettrait pas de bêtise.

Grees pressa la commande de fermeture de la porte et les trois Squibs s’engouffrèrent en courant dans la fissure, faisant des bonds d’une paroi à l’autre, utilisant régulièrement des rochers affleurant comme planches d’appel.

Les urusais firent claquer leurs ailes et filèrent sur la crevasse pour y larguer des cailloux gros comme le poing. Depuis la porte de la soute, Leia et Chewbacca ouvrirent le feu. Ils abattirent trois des créatures en plein vol et, au bout de quelques secondes, les bombardements cessèrent. La Princesse et le Wookiee n’eurent plus par la suite qu’à tirer occasionnellement afin de décourager toute créature ailée qui faisait mine de s’intéresser à la crevasse d’un peu trop près.

Quelques minutes plus tard, un étrange croassement retentit. Les Squibs se mirent alors à se disputer de façon très animée.

— Han ? (Leia voulut se diriger vers la crevasse mais Chewbacca la retint. La fermeté de sa poigne témoignait qu’il n’accepterait aucune discussion.) Qu’est-ce qui se passe ?

Le curieux croassement s’éleva à nouveau, bientôt suivi d’autres éclats de voix des Squibs.

— Grees ? Sligh ? appela Leia. Quelqu’un peut-il me répondre ?

Chewbacca poussa un rugissement. Sligh revint en trottinant, rebondissant d’une paroi à l’autre, les oreilles couchées en arrière et la fourrure couverte de sable humide. Cette fois, même le Wookiee ne parvint pas à retenir Leia. Elle bondit hors du skiff et se précipita vers l’entrée de la gorge ensablée.

— Alors ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Qu’est-ce qui ne va pas ? répéta Sligh. C’est ton bonhomme qui ne va pas, voilà ce qu’il y a ! Il est pire qu’un Hutt, oui ! Il lui arrive de penser à autre chose qu’aux crédits ?

— Aux crédits ?!

Leia s’interrompit dans son élan, essayant de comprendre ce que Sligh venait tout juste de lui dire. Elle en devina enfin le sens. Si Han était en train de parler d’argent, cela signifiait qu’il était en vie, et bien en vie, même ! Il était conscient, conscient et déterminé à ne pas se laisser abuser.

Les peurs accumulées au cours des dernières vingt-quatre heures s’évanouirent en un instant, laissant en elle un vide qui fut bientôt envahi par une cascade d’émotions qu’elle eut bien du mal à contenir. La confusion, la culpabilité, la colère. Aussi vive qu’un cœur de réacteur instable, elle atteignit d’un coup le point de non-retour de la fusion. Elle explosa littéralement, faisant preuve d’une violence, d’une furie qui la surprirent elle-même :

— Écoute-moi ! (Leia arracha Sligh à la paroi contre laquelle il s’était agrippé. Ne prêtant aucune attention aux crocs acérés du museau du petit rongeur prêts à se ficher dans son poignet, elle le souleva à hauteur de son visage.) Je paierai ce que vous voulez. Ramenez juste mon mari à bord du skiff ! Et tout de suite !

Mais il était impossible d’intimider un Squib. Même pour la Princesse Leia. Sligh se contenta de la regarder droit dans les yeux, puis, très calmement, il posa sa main sur celle de Leia et entreprit de lui faire lâcher prise, doigt par doigt.

— Vous… Les humains… vous et votre… sacré argent ! (Il parvint à soulever le pouce de Leia et retomba légèrement sur le sol sablonneux.) Comment peux-tu croire que je vais te demander des crédits pour ça ? Là, tu m’as carrément insulté !

Leia, confuse, le dévisagea.

— Ce n’est donc pas…

— Pour de l’argent ? Mais, ma grande, il n’y a que les Jawas qui feraient payer pour sauver la vie de quelqu’un. (Sligh la prit par la main et l’entraîna à sa suite dans la crevasse.) Il a peur qu’on l’ait vendu aux Impériaux. Il ne bougera pas tant qu’il ne t’aura pas vue.

Ils s’enfoncèrent d’une cinquantaine de mètres dans la gorge encombrée par le sable et les rochers. Han était bien là, allongé, la tête posée sur les genoux d’Elama. Grees était en train de verser tout doucement des gouttes d’eau entre ses lèvres desséchées. Il avait l’air au plus mal, le visage couvert de brûlures, les joues creuses, les yeux cernés et fermés. Leia tomba à genoux près de lui.

— Han ? (Elle lui prit la main et découvrit qu’elle était aussi sèche et chaude que les parois rocheuses de la crevasse.) Han, réveille-toi.

— Leia ? C’est toi ? dit-il en ouvrant les yeux.

— Oui, Han. Je suis là.

— Tu es sûre ?

— Certaine, Han.

— Parfait. (Il laissa sa tête retomber en arrière sur les genoux d’Elama et fit signe à Leia de s’approcher.) Faut que je te dise quelque chose.

— Quoi donc ? demanda Leia en s’approchant.

Il l’attira à lui et colla sa bouche à son oreille.

— Le Crépuscule des Killik… chuchota-t-il.

— Han, ne t’en fais pas pour ça…

— Écoute, ne dis rien aux Squibs. Il est en route pour… (Il ferma les yeux puis les rouvrit quelques instants plus tard.) Il est en route pour…

— Pour Anchorhead, termina Elama. (Elle fit signe aux deux autres Squibs de soulever les pieds de Han.) Ouais, c’est bon, tout le monde sait ça.

Han ouvrit les yeux et lança un regard horrifié à la Squib.

— Ah bon ?

— Ben ouais, dit Grees, soulevant un des pieds.

— Un peu, mon neveu, ajouta Sligh, s’emparant de l’autre pied. Tout le monde sait que les transdunes s’arrêtent toujours à Anchorhead.