De nouveau seule à Marsa !

Sandrila Robatiny s’éveilla lentement et constata qu’elle était seule dans le lit. Il faisait sombre ; plus précisément, des yeux d’humains ordinaires auraient trouvé que la pièce était sombre. Quand son amplificateur de lumière se mettait automatiquement en marche, un indicateur de puissance, dans son champ de vision virtuel, lui indiquait le niveau d’amplification. Cela lui permettait d’avoir une idée de la quantité réelle de lumière. Se souvenant être entrée le matin de très bonne heure et avoir assisté au lever du jour durant ces derniers moments mouvementés, elle fut immédiatement étonnée par cette obscurité. L’horloge de sa céph indiquait 23 h. 23 h ! Son étonnement fut remplacé par une surprise inquiète. Pourquoi avait–elle tant dormi ? Ou plutôt… Pourquoi avait–elle dormi, tout simplement ? Elle amorça le premier geste pour se lever précipitamment, dans l’intention d’interroger Bartol, mais les forces lui manquèrent et elle ne parvint qu’à s’asseoir. Sa conscience s’effilocha. Elle eut un léger mal de tête. Hum ! Symptômes faciles à identifier ! Elle comprit qu’on lui avait injecté une dose d’endormil. Le céph–agenda indiquait bien que sa dernière période de sommeil remontait à onze jours, or elle avait bien dormi dix heures. Il n’y avait donc aucun doute possible : on lui avait injecté ou fait ingérer de l’endormil.

— Bartol !… … Bartol ?

Elle appela plusieurs fois, de plus en plus fort, puis elle décida de faire un effort pour se lever. L’effet de la substance dormitive s’atténuait peu à peu. En faisant le tour de l’appartement, ce qui n’était bien sûr pas bien long étant donné sa taille, elle constata qu’elle était tout à fait seule. Bartol a dû sortir, se dit–elle, mais pourquoi me suis–je endormie ? Les dernières minutes, nous ne nous sommes pas quittés des yeux, m’a–t–il vue sombrer ? Gardant toutes les lumières éteintes, elle passa en vision infrarouge et, en partant du lit, elle suivit les empreintes de Bartol. Celles–ci apparaissaient faiblement en regard de ses propres traces beaucoup plus récentes, donc beaucoup plus chaudes, donc beaucoup plus lumineuses en infrarouges. Elles étaient tout de même suffisamment visibles et elle put les remonter jusque devant la porte. Là, son terrible regard numérisa les empreintes digitales sur la poignée, elle fit travailler un logiciel de reconnaissance de formes qui les compara aux clichés des doigts de Bartol toujours en mémoire et, en moins d’une seconde, elle eut la confirmation qu’elles étaient bien, sans erreur possible, toutes siennes. Elle ouvrit la porte à son tour, lentement, prudemment, la formidable machine de son corps disposée à réagir avec plus de prestesse qu’un jeune félin. Personne ! Ses yeux soumirent la poignée extérieure à un examen digital qui ne lui révéla rien d’intéressant. Le palier par contre était plus bavard, beaucoup plus même ! Il montrait des traces de pas instructives. Tout d’abord, elle lut sur le marbre que Bartol était sorti de l’immeuble, car ses marques dirigées vers l’extérieur s’arrêtaient devant la cage de l’ascenseur. Surprise ! il était fort visiblement pieds nus. Pourquoi ? Pourquoi était–il sorti les pieds nus ? fronça–t–elle des sourcils, vraiment perplexe. Mais il y avait encore autre chose : d’autres pas. Beaucoup moins lumineux que les précédents car c’étaient des semelles cette fois ; l’échange thermique avec le sol avait été moins facile.

Elle fouilla dans quelques menus virtuels de son Interface Encéphalique et afficha dans un rectangle, sur le bureau de sa céph vision, une des images automatiquement mémorisées. C’était un cliché du palier tel qu’elle l’avait observé la nuit précédente, quelques minutes avant d’assommer involontairement sa pauvre victime. Elle le compara avec ce qu’elle voyait en direct. Encore une fois, elle mit à contribution un logiciel de traitement de formes ; celui–ci compara les deux scènes pour ne conserver que ce qui les différenciait. Il ne resta alors dans son céph écran que les pieds nus de Bartol et des semelles relativement petites. Elle en déduisit que l’inconnu devait être de taille modeste… une femme peut–être. Cette personne était arrivée par les escaliers, avait attendu Bartol sur le palier, et était indubitablement repartie avec lui par l’ascenseur. Aucune trace de lutte, rien dans la disposition des empreintes ne révélait une éventuelle résistance de la part de Bartol. L’identificateur était parfaitement froid, personne ne l’avait touché depuis longtemps. Le visiteur avait–il frappé pour appeler Bartol ? Pas de traces sur la porte en tout cas… Elle retourna dans l’appartement, fit sa toilette, enfila sa combinaison et sortit. À l’intérieur de l’ascenseur, les traces se perdaient dans la confusion des autres empreintes ; beaucoup de monde avait piétiné ce petit espace depuis l’inexplicable escapade de Bartol. Elle referma la porte de la cabine et dévala les escaliers en imaginant des scénarios :

Bartol attendait quelqu’un pour une raison inconnue. Cette raison devait rester secrète. Ne faisait–il pas partie de l’Organisation ! Peut–être qu’à ce titre, il ne pouvait pas tout lui dire… Elle ne pouvait même pas lui en vouloir… Il avait donc décidé de l’endormir pour traiter son affaire, puis revenir tranquillement et discrètement près d’elle et ensuite… Non ! elle chassa cette première idée complètement farfelue. Pourquoi serait–il sorti nu–pieds ?… Et puis, une telle manière d’agir était beaucoup trop cavalière… Non, ça ne lui ressemblait pas… … Il était somnambule, il allait nu–pieds, on ne sait où, encore endormi… Pheee ! Encore plus stupide, pourquoi un type l’attendait–il devant la porte alors ! Et, en plus, toujours la même question : Qui dans ce cas eut intérêt à l’endormir ?

Comme elle s’y attendait, sur le trottoir, il était impossible de retrouver leurs traces. La chaleur du soleil accumulée durant la journée avait effacé tout le contraste. Seules les empreintes les plus récentes, remontant à moins d’une heure, étaient visibles. Elle remonta les marches, comme elle les avait descendues, c’est à dire quatre à quatre et méditativement. On était bien obligé de conclure que Bartol était parti dans un état anormal, c’était la seule manière d’expliquer l’oubli de ses chaussures… Non ! Il y en a une autre, rectifia–t–elle : l’urgence. Oui bien sûr, cette possibilité apparaissait vraisemblable. Quelqu’un est venu l’appeler, c’était urgent. Il s’est levé précipitamment et a suivi l’inconnu en courant. Évidemment ! Non… quelque chose ne va pas encore… comment expliquer qu’on ait tenu à m’endormir ? Arrivée à l’étage de l’appartement de Bartol, un problème majeur enraya le cours de ses cogitations : la porte ! La porte était close ! Elle avait complètement oublié de la bloquer d’une manière quelconque.

Comme elle s’y attendait, sur le trottoir, il était impossible de retrouver leurs traces. La chaleur du soleil accumulée durant la journée avait effacé tout le contraste. Seules les empreintes les plus récentes, remontant à moins d’une heure, étaient visibles. Elle remonta les marches, comme elle les avait descendues, c’est à dire quatre à quatre et méditativement. On était bien obligé de conclure que Bartol était parti dans un état anormal, c’était la seule manière d’expliquer l’oubli de ses chaussures… Non ! Il y en a une autre, rectifia–t–elle : l’urgence. Oui bien sûr, cette possibilité apparaissait vraisemblable. Quelqu’un est venu l’appeler, c’était urgent. Il s’est levé précipitamment et a suivi l’inconnu en courant. Évidemment ! Non… quelque chose ne va pas encore… comment expliquer qu’on ait tenu à m’endormir ? Arrivée à l’étage de l’appartement de Bartol, un problème majeur enraya le cours de ses cogitations : la porte ! La porte était close ! Elle avait complètement oublié de la bloquer d’une manière quelconque. Difficile d’imaginer une étourderie plus stupide ! se fustigea–t–elle. Il n’existait à sa connaissance aucun moyen d’entrer. Que faire à présent ? … 23 h 23 … … C’était étonnant de constater comment la vie est instable ! Tout allait si bien quelques heures à peine auparavant. Elle avait trouvé plus que ce qu’elle cherchait. Marsa, la ville de sa naissance, lui avait offert un beau cadeau de retrouvailles, l’amour en prime de l’Organisation qu’elle s’apprêtait à rencontrer. Et, d’un seul coup, plus rien, plus rien du tout ! De nouveau seule à Marsa !