— Je suis ici ad honorem, cher élève. Je ne leur ai pas demandé d’invitation, bien sûr, mais elles m’ont mis sur la liste.
Il trouva l’explication absurde, mais il avait décidé de ne pas s’étonner et d’attendre la suite des événements. Il avait soudain envie de fumer. De boire et de manger aussi. Il vit un plateau avec des sandwiches en triangle pointant vers lui et en prit deux tartinés d’une pâte qui pouvait être des rillettes. En fait non, mais c’était quand même bon. César lui tendit une coupe de champagne et il engloutit lui-même un beignet au sucre en entier, sans mordre dedans, d’une seule bouchée.
— Je voulais te voir, dit-il avec une rapidité fantasmagorique, comme si le beignet avait disparu de sa bouche par un gosier large et sombre. On doit parler, Salomón, tu ne crois pas ? Faire un résumé de ce qui s’est passé. Récapituler. Revenir au début. Tout cela mérite une sérieuse réflexion. On fait un tour ?
Une allée bordée de bougainvillées invitait à découvrir l’obscurité. En smoking et des coupes d’or pétillant à la main, ils avaient l’air de deux patrons fêtant le succès de leurs affaires.
— Tu connais cet endroit ? – César fit un geste pompeux englobant le jardin. C’est immense. J’ai fureté un peu partout. Des salles innombrables, des rhapsodômes… Les invités viennent du monde entier. Chacun occupe son poste au sein du groupe, mais on m’a dit qu’il y avait des possibilités de promotion interne…
— Je dois prendre ça comme une proposition de travail ? demanda Rulfo.
L’espace d’un instant, César le regarda. Puis il partit d’un éclat de rire.
— Oh, non, non, ce ne sont que des détails… Des détails… ! – Il reprit un sérieux altéré, comme s’il avait continué à rire en son for intérieur. Ah, comment va Susana ?
Rulfo eut du mal à avaler la gorgée de champagne qu’il s’apprêtait à boire.
— Mal. Très mal. Tu ne le savais pas ?
— Savoir… ? Oh, je ne sais que ce qu’on m’a raconté. – César écarta d’un coup de pied des broussailles qui gênaient le passage. Le revers de sa chaussure projeta des étincelles de cuir verni. Je sais qu’elle est enfermée quelque part, par bêtise. Je sais qu’elle a connu des jours meilleurs. Je sais qu’elle n’aurait pas dû venir au rendez-vous avec toi. C’est tout ce que je sais. Mais, je te le dis ad pedem letterae, certains doivent payer et d’autres présenter la facture. Cependant, il est possible qu’elles lui pardonnent. Après tout, elle n’a commis aucune faute. Cela dépend de nous. Chaque mot prononcé est important.
La phrase entraîna le silence dans son sillage. Ils continuèrent à avancer au-delà des rayons d’ombre qui convergeaient vers la maison. Deux autres invités (deux plastrons blancs et flottants dans l’obscurité) les croisèrent en sens inverse, presque comme s’il s’agissait de leur reflet dans un miroir mobile.
— Elles ne sont pas encore arrivées, commenta César, mais elles viendront. Elles font toujours acte de présence à la fin.
— Je crois que j’ai déjà eu le plaisir d’en rencontrer certaines.
— Moi aussi. Ce sont les plus aimables, je te préviens. Les autres le sont moins. Mais c’est compréhensible. Elles sont un peu nerveuses. Elles ont connu de grands malheurs. Elles m’en ont fait un résumé, et j’avais du mal à le croire. Je suis ravi de ne pas être l’une d’elles, je peux te l’assurer. Oh, ce doit être terrible, d’être l’une d’elles… ! Elles affrontent actuellement une grave crise. – Il se pencha à l’oreille de Rulfo. Son haleine était un aérosol à champagne. Elles soupçonnent des trahisons… Des histoires de ce genre, tu sais. Elles ne peuvent faire confiance à personne… – Il s’écarta à nouveau et lui adressa un clin d’œil. Rulfo se demanda ce qu’il voulait dire par là. Mais il y a une chose qu’on peut faire toi et moi pour arranger la situation. Après, on ira tous à la maison pour fêter ça. Ou, si tu préfères, on reste et on accepte "l’offre de travail", ad libitum… – Il rit à nouveau comme si le souvenir de cette phrase produisait dans son corps d’inévitables chatouillements. On peut même penser que nous pourrions reprendre nos modestes vies d’avant. Susana comprise, bien sûr. Tous en bonne santé et joyeux. Elles nous laisseraient. Mais elles ont besoin d’un peu de collaboration de notre part.
Penser à Susana retournait l’estomac de Rulfo. Il commençait à comprendre que ce qu’il avait vu dans la cellule n’était pas un rêve.
Ouroboros
N’y pense pas.
— J’ai déjà collaboré, dans le cadre de mes modestes possibilités, poursuivit César. Je leur ai parlé de tout ce qu’on a trouvé chez Rauschen, cet hypocrite, ce traître, cet inverti… – Ses yeux étincelaient de joie, son ton était même amusant, comme s’il n’avait pas insulté Rauschen mais s’était moqué de lui avec des épithètes affectueuses. J’ai apporté ma modeste contribution. Maintenant c’est ton tour. A nous tous, on pourra améliorer la situation. Alors, si tu veux bien, on va récapituler. – Il s’arrêta et Rulfo l’imita. Les sapins environnants étaient des sortes d’aires d’irréalité, des trous noirs bonsaïs, des singularités de jardinage. Vous avez fait un rêve absurde, vous vous êtes rendus dans la maison guidés par lui, vous avez trouvé la figurine, puis la fille lui en a substitué une autre qu’elle avait fabriquée elle-même et elle t’a trompé… C’est bien ça ?
Rulfo acquiesça. Parler de Raquel lui semblait méprisable, mais soudain il avait compris qu’elles connaissaient déjà les réponses. Il devina que leurs questions visaient à tester son degré de collaboration.
— Il t’a semblé que la fille avait changé du jour au lendemain ? Tu l’as trouvée différente ?
— Oui. La deuxième fois que je l’ai vue, elle m’a semblé différente.
— Plus grande ? Plus petite ? Plus grosse ?
— Son regard. Il était différent. Et son attitude. Plus… plus décidée.
— Ça, c’est important, l’encouragea César. Et après ?
Rulfo raconta la mort de Patricio et l’envie qu’elle avait de fuir.
— Vous avez à nouveau rêvé de Lidia Garetti ?
— Non, essaya-t-il de répondre, et il lui sembla que César (ou qui que ce fût caché derrière César) ne remarquait pas le mensonge.
— Tu as vu Raquel utiliser la poésie à un moment ?
— Jamais.
— Tu vois ce que je veux dire ? Les vers de pouvoir.
— Je vois ce que tu veux dire, mais elle semblait tout ignorer à ce sujet.
— Alors, comment se fait-il qu’elle savait tant de choses sur la figurine ?
— Je ne sais pas. Je n’ai pas dit qu’elle ne savait rien sur la figurine.
Soudain César écarquilla les yeux. Es semblaient avoir été polis récemment : deux boules d’ivoire peint qui rappelèrent à Rulfo les yeux de la fillette. — N’essaie même pas de mentir, dit-il doucement. Oh, non, non, non. Ce serait une grave erreur, Salomon. Elles lisent en toi. Elles te décomposent en paroles et te lisent. Chacun de nous est un vers pour elles.
— Et pourquoi ne peuvent-elles vérifier ce qui les intéresse le plus ? demanda Rulfo en soutenant son regard.
— Parce que ce ne sont pas des devineresses. Enfin si, mais dans de modestes proportions. Il existe des lacunes qu’elles ne peuvent combler, des plages de silence auxquelles elles n’ont pas accès…
— Elles ne sont pas aussi puissantes que je le croyais, alors.
— Tu sais, mon cher, elles le sont plus que tu ne l’imagines, mais elles partent d’un point de vue complètement différent du nôtre. Leur vision est logique, la tienne est émotionnelle. Tu ressens, elles comprennent. Tu ne vois que les briques : elles conçoivent la maison et l’habitent. Le logos de l’univers leur donne raison, parce que l’univers, ce sont des paroles. Comme un poème.
Un lointain éclat de rire qui produisit le même effet qu’une surprise pyrotechnique détourna une seconde l’attention des deux hommes. Dans la joyeuse gamme de lumières de la maison s’agitait une accumulation de costumes en soie, cheveux épais et jambes nues. Le tintement d’une voix masculine entraînait les éclats de rire.
— Le logos de l’univers leur donne raison, répéta Rulfo, sarcastique. Dommage qu’elles ne puissent pas trouver une figurine de cire cachée.
— Je vais t’expliquer : il existe des îles de silence… Et puis, sous le logos, tu sais ce qu’il y a ? Le hasard. Les mots produisent des choses, effectivement, mais cela ne tient pas à leur sens. Ce qui importe vraiment est l’ordre du hasard. Comme une partie de dominos entre des joueurs aveugles : le plus probable est que la chaîne des fiches ne soit pas correctement placée, mais, même comme ça, elle constituera une image. Voici ce qui nous préoccupe : c’est-à-dire ce qui les préoccupe. Parce que n’importe quelle phrase dite au hasard peut être terrible. On n’a pas prononcé assez de mots dans le monde pour savoir tout ce qu’ils peuvent produire. Cet effort de hiérarchie a été considérable, mais il est impossible, im-pos-si-ble, de tout contrôler. Pas uniquement la syntaxe, mais aussi la phonétique, la prosodie… – César reprit sa marche tout en parlant. Le monde est un verglas de vers, et elles savent qu’elles courent le risque, à chaque pas, de tomber dans le vide. Tu pensais peut-être que c’étaient des bourreaux ? Ce sont des victimes… ! Des victimes, comme toi ou moi… !
Ils étaient parvenus à une clairière décorée par une fontaine. Au centre se dressait, tel un Hermès mutilé, une vieille statue de satyre.
— Des victimes… répéta César. Le reste est banal. Il existe un seul vers dans tout Cavafy qui peut produire des ampoules de pus et une forte fièvre, une strophe de Keats qui confectionne des serpents, un court vers de Neruda qui explose comme un champignon nucléaire et une ligne de Sappho qui provoque l’impérieux et inéluctable désir de violer une petite fille. Mais que signifient tous ces détails négligeables face à ce verglas ? – Il frappa le bord de la fontaine, comme s’il parlait de lui. Que signifie tout cela en comparaison avec ce lac glacé et fragile où tu peux t’enfoncer au moment où tu t’y attends le moins… ? La réalité est du bois de chauffage, la poésie ce sont des flammes et, elles, elles ont découvert comment faire le feu. Bien. Mais, et alors… ? Elles sont dans la préhistoire… ! Tu dois abandonner l’idée d’un Dieu omnipotent. Elles sont fragiles. Aussi faibles que toi, mais plus effrayées. Elles ont vu de près le visage de la réalité… Et tu connais le vrai visage de la réalité ?
César, maintenant, parlait au milieu de gesticulations diverses : il ouvrait et fermait les mains, levait les bras, se courbait. Les grimaces déformaient son visage comme s’il s’était agi d’un sac en plastique avec un rat s’agitant à l’intérieur.
— Ce n’est pas le tien, je suppose, insinua Rulfo.
— C’est celui d’un crabe, dit César en ignorant la plaisanterie. Le visage de la réalité est celui d’un crabe : elle t’attrape, te réduit en miettes avec ses pinces en même temps que… que tu tentes… désespérément… de comprendre ce que cela signifie, où peuvent bien être la bouche, les yeux… Tu ne vois qu’une chose à trois lobes qui s’ouvre et se ferme, mais ce pourrait tout aussi bien être l’anus. Comment te défendre si tu ne sais même pas par où elle va t’avaler ? Tu te rappelles la plaisanterie du chien et de l’aveugle ? Un aveugle offre une friandise à son chien puis lui donne un coup de pied dans le derrière. Un homme le voit et lui demande : "Dites, pourquoi est-ce que vous lui donnez une friandise et ensuite un coup de pied dans le derrière ?" Et l’aveugle répond : "Si je ne lui donnais pas de friandise, comment saurais-je où se trouve son derrière… ?" Ah, ah, ah, personne ne sait où se trouve le derrière de la réalité, et la seule chose qu’elles peuvent faire est de lui offrir des friandises… ! Nous pensons qu’elles sont très puissantes, mais tu sais le pire de tout… ? Le pire de tout, c’est qu’il n’y a personne qui soit vraiment puissant ! – Sa voix s’était élevée de plusieurs demi-tons, au point de se transformer en un désagréable couinement de goret à l’abattoir. Soudain il porta les mains à son visage et sembla sangloter. Tu ne sais pas… ! Tu ignores complètement ce que cela signifie de vivre ainsi… ! Il faut s’habituer… ! On a besoin d’une stricte hiérarchie… D’un ordre rigide… ! Ce sont des sortes de vestales… ! Elles ne peuvent avoir de rapports avec les autres, hormis pour des motifs d’inspiration poétique ! Elles ne peuvent pas avoir d’enfants ! Il ne peut y en avoir deux avec la même charge, car c’est la plus âgée qui a la préséance… ! Il n’y a que des règles, des règles, des règles… ! Ou on devient complètement idiot, ou… ! – Soudain il écarta les mains de son visage et s’approcha de Rulfo. Ses lèvres brillaient d’un carmin étrange et ses pupilles semblaient avoir rétréci jusqu’à ressembler à celles d’un chat. Tu sais ce qu’a fait Akelos… ? Tu sais quelle a été sa trahison… ? Tenter de cacher l’enfant de cette dénaturée, cette prostituée, cette misérable… !
Soudain Rulfo commença à comprendre.
— L’ancienne Saga a eu un enfant… murmura-t-il. C’est pour cette raison que vous l’avez exclue, n’est-ce pas ? C’est la faute qu’elle a commise. Et Akelos l’a aidée.
Un enfant. Les pièces s’emboîtaient. Raquel. Le tatouage.
César s’était tu et, immobile, regardait Rulfo, les lèvres maquillées et déformées. Une colonne mousseuse de bave lui vint aux commissures.
— Tu n’as rien d’autre à me dire ? balbutia-t-il.
— Si. – Rulfo prit une profonde inspiration. Ôte ce masque une bonne fois pour toutes, clown. Tu ne ressembles absolument pas à César.
Brusquement, de façon si immédiate que son cerveau enregistra à peine un battement de paupières, il se rendit compte que, au lieu de César, il avait devant lui la femme obèse qui l’avait reçu à son arrivée. avec son maquillage d’histrion, ses lunettes, son pull et sa jupe. Les yeux de la femme constituaient deux points de lumière fauve trouant l’obscurité.
— Espèce d’âne… ! Un âne mal élevé ! Je n’ai pas encore fini… ! Abandonner un monsieur au milieu d’une conversation, c’est mal, mais abandonner une dame, c’est pire… ! Et je suis les deux… Doublement pire… ! Pirissime… !
— Je le déplore terriblement, madame.
Rulfo avait déjà conçu une stratégie et la mutation ne le prit pas au dépourvu. Il lança le reste de coupe de champagne au visage de la femme et se jeta sur elle en serrant les mains autour de sa gorge… mais il entendit alors un petit filet rapide de doux mots français se glisser comme un souffle entre les lèvres maquillées.
Subitement, une douleur comme il n’en avait jamais ressenti, hérissée, cristalline, très pure, tranchante comme l’éclair, lui transperça l’estomac et le fit tomber à genoux sur le gazon, incapable même de crier.
— Baudelaire, il entendit la voix lointaine de la femme. Premier vers de L’Albatros.
La piqûre cessa aussi rapidement qu’elle était arrivée et Rulfo pensa – sut avec certitude – que, si elle se répétait, il mourrait.
Mais elle se répéta.
Non pas une, mais deux, trois fois encore.
Et elle s’éleva. Elle commença à monter par son œsophage en fouettant les lieux par lesquels elle passait avec des éclairs douloureux d’une intensité incroyable que l’écho atteignait sa tête et ses jambes, se reflétait à l’intérieur de ses mâchoires et de ses genoux, dans les cavités osseuses de son front et de sa nuque, et lui peignait des éclats de lumière sur les rétines.
Il se tordit sur l’herbe en gémissant. Il n’avait jamais éprouvé avec une telle certitude la sensation qu’il allait mourir. Ses pores s’étaient ouverts et déversaient de la sueur ruisselante. Mais, plus que la douleur, ce qui le terrifiait vraiment était le reste.
Cette horripilante perception
qu’une chose vivante
montait par son tube digestif.
Il voulut la vomir et n’y parvint pas.
— Vous connaissez ce poème, monsieur… ? Composé en 1856, île Maurice, inspiré par notre sœur Veneficiae… Récité tel que je viens de le faire, il produit un effet amusant, mais, s’il se récitait comme un bustrophédon, à l’endroit et à l’envers, alors là, on s’amuserait… ! Vous m’écoutez, monsieur… ? A ce stade, vous devriez maintenant savoir que je déteste qu’on ne m’ écoute pas… !
Rulfo reçut le coup de pied sans même s’en apercevoir. Une douleur bien plus forte l’absorbait complètement. La chose qui provoquait en lui les terribles élancements lui traversait le pharynx. Il cessa de respirer. Il s’étrangla. L’espace d’un instant, il crut qu’il allait s’asphyxier. Une affolante seconde plus tard, il la sentit sauter comme une boule rugueuse sur sa langue accompagnée d’une amère vague de bile et d’un autre coup de glas de douleur, cette fois à la luette. Il sut immédiatement de quoi il s’agissait : d’un énorme insecte. Il le projeta à l’extérieur, en ouvrant la bouche autant qu’il put.
Un scorpion noir, surdimensionné jusqu’à l’absurde, tomba à terre ventre en l’air, se redressa et poursuivit son chemin en se perdant dans l’herbe.
Après avoir craché à plusieurs reprises et réussi un bref vomissement, Rulfo commença à se sentir mieux. Les piqûres étaient encore douloureuses mais il s’efforçait de penser que tout n’avait été qu’une hallucination. Il se répétait inlassablement qu’il était impossible qu’un tel monstre eût transité par son tube digestif.
Une chaussure à talon tambourinait près de son nez.
— Je suis impatiente d’être écoutée. Je réclame mon droit à être écoutée.
Il leva la tête. Une montagne pourvue d’une poitrine et d’une jupe se penchait sur lui d’un air indigné, le symbole du bouc se balançant à son énorme cou.
— Premier point : ne recommencez pas à essayer ce que vous avez essayé. Deuxième, plus important : écoutez-moi toujours avec attention, avec passion, avec délice… – Soudain, le visage de la femme se détendit. Les lèvres carmin sourirent et les yeux enduits de Rimmel s’ouvrirent démesurément. Baudelaire a dit un jour que lorsqu’il buvait de l’eau-de-vie il sentait comme un scorpion lui passer dans les entrailles. Eh bien c’est vrai… ! – Elle lança un petit rire cristallin. Vous voulez vous appuyer sur mon bras… ? Comme vous êtes pâle… ! Un peu de punch, peut-être. ! Cela vous dit… ? Allons, accompagnez-moi…
Trébuchant, Rulfo se leva en s’appuyant sur ce bras volumineux et poilu. Ils se dirigèrent vers la maison par l’autre chemin.
— Je suppose que vous nous avez dit la vérité, dit la femme entraînant Rulfo, à petits pas rapides.
Plus exactement : je suis sûre que vous nous avez dit la vérité. Maintenant, nous devons interroger la reine des garces. Je suis curieuse de savoir ce qu’elle va nous raconter. Entre des nuages de douleur, Rulfo aperçut l’endroit vers lequel ils se dirigeaient : une petite tonnelle à l’air libre éclairée par des candélabres et flanquée d’arcs en métal recouverts de lierre. Des guirlandes de fleurs constituaient le toit. Autour, jouaient les mites.
Au centre se tenait Raquel.