TRAVERSÉE DE RETOUR DU NIMROD
Le voyage de retour du Nimrod effectué, sous le commandement de M. J. K. Davis, a été rendu intéressant par la recherche d’un certain nombre d’îles, qui sont portées sur la carte, mais dont l’existence est douteuse. Voici le rapport de M. Davis :
« Après avoir quitté Sydney le 8 mai, je me dirigeai vers le sud, en suivant le 151°longitude est. Le 12 mai nous étions par 43°latitude sud, le vent soufflant du sud-est ; le 17 je n’étais qu’à 97 milles de la position des îles telle qu’elle est donnée sur la carte. Un sondage donna 3 420 mètres de fond. Le 18 mai nous passions sur la position indiquée pour l’île de la Compagnie Royale, sans avoir aucune terre en vue. Je me dirigeai à l’est, puis au sud, sans relever aucun indice du voisinage d’une terre.
« Le 24 mai, à 190 milles de l’île Macquarie, nous fûmes surpris par un assez violent coup de vent de nord-est. Le 25, le vent tourna au sud-ouest ; à 11 h. 45 du soir, nous aperçûmes une île que nous longeâmes jusqu’à ce qu’au matin le vent et la mer devinssent moins violents. Mes instructions étaient de visiter l’île Macquarie et d’y faire des collections zoologiques et géologiques, dans le but de relier les connaissances recueillies dans l’Antarctique avec ce que nous savons de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Je devais aussi examiner si les pingouins et d’autres oiseaux y émigrent en hiver. En effet, les pingouins, en particulier, abandonnent l’extrême-sud lorsque la mer gèle en avril, et n’y retournent que l’été suivant. On ignore encore vers quelle région ils se dirigent.
« Nous avions aperçu l’île dans la nuit du 24 mai ; au jour, nous pûmes distinguer ses traits caractéristiques. En approchant du côté de l’est, on est tout d’abord frappé par la hauteur de l’escarpement de la ligne de côte, qui s’élève, par endroits, directement jusqu’à 500 mètres. A l’extrémité sud-est, il y a un récif dangereux, sur lequel la mer brise. En approchant encore davantage, nous vîmes que les versants des montagnes sont verts ; nous pûmes distinguer plusieurs chutes d’eau. Une large baie ou plutôt une grande concavité de la côte offre un mouillage au sud de l’ile. On le nomme Lusitania Road. En arrière se trouve une ligne de rochers, et, à travers une brèche de cette falaise on peut débarquer.
« A 10 heures du matin, nous jetâmes l’ancre à un quart de mille du rivage, par 15 mètres de fond. Du navire nous voyions deux huttes situées au pied de la colline. Une grande rookery de pingouins et quelques éléphants de mer animaient le paysage. Un canot fut mis à la mer et réussit à accoster malgré le ressac. On trouva les versants des collines couverts d’une végétation herbacée ; il n’y avait ni arbres, ni buissons dans l’île. Une petite rivière coule dans une vallée limitée par les collines et rend les bas-fonds marécageux. Des deux huttes, la plus grande avait servi de fonderie pour la graisse des éléphants de mer ; la plus petite était l’habitation des gens qui s’occupaient de cette industrie. Toutes deux étaient très délabrées.
« L’éléphant de mer, dont la taille atteint parfois 10 mètres, est un animal lourd et maladroit, qui passe presque tout son temps à dormir dans l’herbe, à peu de distance de la mer. Il a de grandes dents qui ressemblent un peu à des défenses ; malgré son apparence redoutable, il n’est pas dangereux. Les pingouins étaient nombreux en cet endroit ; les jeunes se trouvaient déjà presque en état de prendre la mer.
« Après être restés à l’ancre pendant la nuit, le lendemain nous longeâmes la côte vers le nord. Un vent de nord-ouest descendait des collines par rafales, et balayait la crête des vagues. A environ 10 kilomètres de la côte, il y a dans les collines une brèche nommée Gorge Verte ; c’est une large vallée, qui traverse l’île. Plus loin nous découvrîmes Nugget Point ; à partir de cet endroit, une ligne de récifs s’étend à quelque distance en mer. En approchant de ce point, nous aperçûmes deux huttes sur le rivage, et une épave. Soudain, à notre grand étonnement, une colonne de fumée s’éleva de la plus petite des deux cabanes. Avec la lunette, nous vîmes un homme debout sur le seuil surveillant notre approche. Nous jetâmes l’ancre et un canot fut envoyé à terre. L’homme s’approcha du rivage, avec deux petits chiens. Le ressac était violent ; notre nouvel ami nous indiqua un endroit pour aborder et aida l’équipage à atterrir. Tout le monde s’empressa de lui demander depuis combien de temps il était dans l’île, s’il y était seul, ce qu’il y faisait, etc. Voici les renseignements qu’il nous donna. M. W. Mac Kibbon était arrivé dans l’île en mars dernier sur un petit navire, appelé le Jessie Nicoll et appartenant à une compagnie qui avait la concession de l’île pour y exploiter l’huile de pingouin et les éléphants de mer. Ce navire amène quelques hommes qui travaillent pendant la belle saison. Au moment où le bateau repartit avec sa cargaison, notre ami préféra rester dans l’île afin d’y récolter de l’huile pendant l’hiver pour la saison prochaine.
« Le lendemain, j’allai moi-même à terre ; Mac Kebbon nous conduisit à sa petite hutte qui était confortable et chaude et d’une propreté rigoureuse. Elle se composait de deux chambres, dans chacune desquelles il y avait du feu. L’une servait d’atelier et de dépôt, l’autre de chambre à coucher. Ce Robinson, malgré ses cinquante ans, était aussi alerte qu’un jeune homme. Je n’ai jamais été indisposé, me répondit-il lorsque je lui demandai ce qui arriverait s’il tombait malade. Il était presque aussi surpris que nous de notre rencontre. Lorsqu’il apprit que nous revenions de l’Antarctique, il nous raconta qu’il avait navigué dans les mers arctiques sur la frégate à roues Valorus, destinée à ravitailler l’expédition de Nares et Markham.
« Nous restâmes quatre jours à l’île Macquarie et y fîmes une bonne collection d’échantillons d’histoire naturelle. Nous en partîmes le 30 mai ; dès que nous eûmes quitté l’abri de l’île, nous rencontrâmes une forte brise d’ouest, avec grosse mer. Nous passâmes sur la position indiquée pour l’île Emerald le 31 mai, à 8 heures du soir. La nuit était claire ; nous n’étions qu’à trois jours de la pleine lune ; s’il y avait eu la moindre terre dans le voisinage, nous n’aurions pas manqué de la voir. La hauteur de la mer ne nous permit pas de faire de sondage.
« Le 9 juin nous arrivâmes dans le voisinage de la position assignée aux îles Nemrod et, à 1 h. 15 du matin, par temps clair, nous passâmes sur ce point, sans avoir aucune terre en vue. La mer était encore forte. Après avoir parcouru 60 milles à l’est de cette position, j’essayai de sonder. Cette opération, exécutée à la lumière de la lampe et pendant que le navire roulait fortement, n’eut pas grand succès. Nous filâmes 2 000 mètres de corde sans rencontrer le fond.
« Le 17 juin à midi, nous calculâmes que nous étions sur le gisement de l’île Dougherty, mais comme le temps était couvert, nous ne pûmes vérifier cette estime. Le capitaine Keates place cette île sur la même latitude, mais à 34 milles à l’est de la position donnée par le capitaine Dougherty. Aussi je me dirigeai dans l’est, en suivant ce parallèle, puis, dès que la mer fut plus calme, je revins dans l’ouest. Mais du haut de la mâture aucune terre n’était en vue. Vers 4 heures du soir j’étais de nouveau sur la position indiquée par le capitaine Keates. Nous continuâmes vers l’est le long du 59° 21’ de latitude sans voir trace de terre.
« La nuit, sous cette latitude et en cette saison, dure seize heures ; par suite, les recherches de ce genre sont très difficiles ; sans affirmer que les îles en question n’existent pas, je puis dire qu’elles n’occupent pas les positions qui leur sont assignées. Par 59° 31’ latitude sud et 107°longitude ouest, nous rencontrâmes des vents de nord-est qui nous refoulèrent jusqu’au 61°sud, où nous trouvâmes un temps doux et des pluies continuelles.
« Le 17 juin à 10 h. 45 du soir, nous vîmes l’île Diego Ramirez sur notre droite, à une distance de 14 milles. Nous fîmes un très bon relevé de cette position et nous constatâmes que malgré les changements de température auxquels ils avaient été soumis, nos chronomètres étaient en bon état. La nuit était nuageuse et le fait que nous vîmes si distinctement ces îlots, dont le point le plus élevé n’a pas plus de 160 mètres, me confirma dans l’idée que si les autres îles avaient existé dans le voisinage des positions indiquées, nous n’eussions pas manqué de les voir. »
Le Nimrod toucha à Montevideo, et arriva à Falmouth le 26 août. Quatre jours après, il mouillait dans la Tamise, terminant ainsi son aventureuse croisière. Le navire avait quitté l’Angleterre depuis vingt-cinq mois.