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Je téléphonai à mon patron et dis :
— Je ferais mieux de venir vous voir.
— À quel sujet ?
— L’affaire Staniland.
— Et alors ? Tirez-la au clair. Qu’est-ce qui vous arrête ? Vous ne savez pas qui est coupable ?
— Si, mais je n’ai pas de preuves. Je ne peux pas prouver ce que je sais. Le bureau du Procureur Général ne marcherait jamais ; je n’obtiendrais pas de mandat parce que tout ça ne serait pas valable devant le tribunal. Des cassettes ne constituent pas une preuve. Et pourtant dans cette affaire, tous les gens à qui j’ai parlé jusqu’ici ont contribué à le tuer, directement ou indirectement.
— Vous feriez bien de les interroger. De les interroger pour de bon.
— Je pourrais les interroger pendant un an, ils n’avoueraient jamais. Et c’est normal ! Il n’y avait pas de témoins.
— C’est difficile. (Il soupira.) Mais le travail d’un policier est difficile, vous le savez. Surtout à l’heure actuelle.
— Et surtout dans ce service.
— Quoi qu’il en soit, venir me trouver, ça n’y changera rien. Je n’en vois vraiment pas l’utilité.
— J’essaie de vous dire que cette affaire me préoccupe trop. J’en perds le boire et le manger.
— Eh bien, il ne faut pas. Vous le savez. Il faut rester objectif.
— Si cette affaire ne m’avait pas préoccupé, tant préoccupé, je ne serais pas arrivé aussi loin.
— Oui, c’est délicat, c’est vrai.
— J’ai le sentiment que les coupables doivent payer. Mais comment puis-je les faire payer si je n’ai pas de preuves ?
— Je vous laisse entièrement juge.
— Mes sentiments priment parfois mon jugement.
— C’est parce que vous êtes humain, dit-il avec une étincelle d’amusement, que vous travaillez dans ce service. Si vous aviez été une machine comme Bowman, j’aurais laissé passer votre demande pour la Criminelle il y a longtemps.
— Ça ne m’aide pas beaucoup.
— Bien sûr que non. C’est pourquoi ça ne sert à rien d’en discuter. Vous êtes totalement seul ; mes hommes le sont toujours. Je n’ai personne à vous donner pour vous aider.
— Je voudrais qu’on me retire cette affaire, dis-je carrément.
Sa voix se durcit.
— Si vous abandonnez cette affaire, je vous mets au rancart. Vous serez fini, vous comprenez ?
— D’accord, je vais donner ma démission. Je vais suivre l’affaire en tant que citoyen, à titre personnel. Comme ça je n’aurai pas besoin de mandat, et je pourrai oublier le Procureur Général.
— Voyons, calmez-vous. Admettons que je n’aie pas entendu ce que vous venez de dire.
— Il vous est facile de parler. Vous n’avez pas entendu les témoignages dans cette affaire. Vous ne vous rendez pas compte de ce que cet homme savait, de ce qu’il avait appris, de ce qu’il était ! Ce n’est pas simplement la mort d’un alcoolique que j’ai sur les bras.
— Je ne fais pas que parler, sergent. Si je ne m’étais pas débrouillé tout seul, je ne serais pas là où je suis. Alors écoutez, vous ne pouvez pas donner votre démission, il y va de votre amour-propre. Mais ces conversations sont tout à fait irrégulières. Vous devez faire le nécessaire pour régler cette affaire. Vous savez qui sont les coupables ; coincez-les. Mais n’enfreignez pas les règles. C’est clair ?
— En un certain sens.
— Eh bien, quoi qu’il en soit, l’évidence, c’est clair, Dieu merci, dit-il, et il raccrocha.
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