6

 

 

 

Il devait être tard, très tard. Barton était en train de regarder une tache sur le mur. Il y avait pas mal de temps qu’il faisait cela.

La cellule n’était pas vraiment une cellule – plutôt une chambre d’hôpital, en dépit de la grille de la porte – et son lit était assez confortable. Dans le corridor désert, la lumière était tamisée et il aurait pu dormir.

Mais il préférait regarder la tache. Quelqu’un avait lâché à cet endroit une goutte de café. Une tache de café, les bords en dents de scie, tels des tentacules. La tache était une araignée.

 

Dans la toile du temps, les hommes vont tomber,

Victimes éternelles de la sombre araignée.

 

Qui avait écrit cela ? C’était en tout cas dans un autre monde, très loin dans l’espace et le temps. Il était absurde de songer désormais à cet autre monde. Il était ici, pour le meilleur et pour le pire. Dans sa cellule, vêtu du costume noir coupe jean que lui avait donné la Dr Lee. Le lendemain, il était attendu au Capitole pour rencontrer la représentante de Mère Veille. Madame la Présidente. Les rouages grinceraient, la bonne nouvelle serait proclamée et il serait informé, conseillé et télévisé.

Il n’avait plus maintenant qu’à se décider. Se décider en regardant la tache. C’était là sa tâche. Une sacrée tâche, ce devait être. Ne pas être. Pars, maudite tache ! Qui avait dit ça ? Lady Macbeth. Bien sûr, il fallait que ce soit une femme. Le Théâtre de Shakespeare, par Ann Hathaway. Ah, ouais, elle savait écrire

Pas de doute, il allait perdre la boule. Mais il n’y avait rien à faire. Il s’était mis en colère contre la Dr Lee, quoiqu’elle fût là pour l’aider. L’aider à se souvenir, l’aider à prendre une décision.

Car, d’un autre côté, il s’indignait qu’on l’aidât. Il voulait agir de son propre chef. Mais comment faire, dans un monde de cheftaines ? Si seulement il savait ce qui était bien ou mal. « Mais rien n’est entièrement noir ou blanc. » Même la tache était d’un gris brun. Gris comme le couloir, gris comme le silence…

Le silence. Il s’était évanoui. À sa place, était apparu un bruit lent et ténu. Un froufrou. Un froufrou qui approchait, approchait, approchait, approchait…

Il se leva, alla jusqu’à la grille et regarda dans le couloir sombre. Les poils du dos de sa main se hérissèrent.

Quelque chose arrivait. Quelque chose se glissait, rampait, se déroulait sur le sol du couloir. Quelque chose de marron et d’informe, quelque chose qui froufroutait et raclait. Il le regarda approcher, incapable de bouger ou de détourner le regard.

Ça fut bientôt devant la porte et il discerna la silhouette vague d’un corps accroupi. Une main osseuse rampa sur le sol, et il vit qu’elle tenait une brosse.

L’homme de ménage ! Bien sûr, c’était lui ! Le visage ridé se releva, et il plongea son regard dans les yeux bleus vides et larmoyants. Les lèvres de l’homme de ménage étaient minces et brunes sur le sphincter crispé de la bouche. Barton les vit à peine remuer, mais un chuchotement en partit bel et bien :

— Tu veux sortir d’ici ?

Barton hocha lentement la tête.

— J’ai les clés ici. Longe simplement le couloir. Il y a un escalier de service, derrière. La porte d’en-bas est déverrouillée. Reste dans les ruelles, tu marches trois blocs vers le nord et un bloc à l’ouest. Tu rentres par-devant et tu demandes Mickey.

— Par-devant quoi ?

— Le Paillasson. C’est le nom… tu verras l’enseigne. L’homme de ménage se mit à genoux. Barton aperçut l’éclat d’une clé qui tournait dans la serrure. La porte s’ouvrit.

— Maintenant, dépêche-toi, il faut que je les ramène avant qu’elles s’en rendent compte.

— Qui t’a envoyé ? demanda-t-il.

— L’organisation. Tu sais qui c’est.

— Les Renégats ?

La colère flamboya soudain sur le visage ridé.

— N’utilise pas leur terme à elles ! On est une organisation. Va voir Mickey… On t’attend.

— Merci.

— Encore une chose. Il te faut le mot de passe.

— Qu’est-ce que c’est ?

Barton se pencha et l’homme de ménage lui chuchota une phrase dans l’oreille, puis il sourit et s’éloigna.

— Compris.

Barton courut à l’autre bout du couloir.

Il courut à l’autre bout du couloir, il courut dans l’escalier, il courut dans la ruelle. Les ruelles étaient ténébreuses, mais il redoutait la fluorescence des intersections. Il dut prendre son courage à deux mains pour traverser les rues, mais après son premier passage il se sentit un peu plus sûr de soi.

Très peu de femmes, semblait-il, avaient l’habitude de sortir après la tombée de la nuit. Il se rappela d’ailleurs que la Dr Lee avait dit que la plupart des résidences se trouvaient dans la banlieue – le centre de la ville était fonctionnel, consacré aux occupations diurnes seulement. Il portait maintenant un costume conventionnel, ce qui lui rendait la tâche plus facile. Le seul danger résidait dans la découverte de son évasion et une alerte donnée aussitôt.

Encore deux pâtés de maisons. Un seul. Encore un à l’ouest. Quelques gens déambulaient dans ce secteur, remarqua-t-il ; des femmes seules ou par couples ; à l’arrière-plan, le néon des enseignes gueulardes.

Jo’s Bar… Attraction uniquement masculine… La Cave à Sandy… Des Hommes, des Hommes… des Hommes !… Bowling Sally… Jackie & Jill… Venez voir nos gars…

Les enseignes étaient différentes, mais l’atmosphère était vaguement familière. Main Street à Los Angeles, North Clark à Chicago, Bourbon Street à La Nouvelle-Orléans… Cent cinquante ans auparavant, dans un autre monde, un monde d’hommes.

Mais ceci était un monde de femmes. Les femmes rôdaient devant les bouis-bouis, les femmes se donnaient des coups de coudes et sifflaient quand il passait. Une grosse bonne femme, d’un certain âge et couverte de faux diamants se dandina jusqu’à lui, véritable lustre ambulant.

— Hé, mon gars, qu’est-ce que tu fous, ce soir ?

Il la repoussa et continua d’avancer. Voilà l’endroit qu’il cherchait. Le Paillasson.

 

LE PAILLASSON

Salle de lutte

Spectacle permanent

Pas moins de SEIZE lutteurs masculins

24 heures sur 24 !

Gare à la bagarre !

 

Barton franchit l’entrée et émergea dans un smog brutal de fumée, de parfum et de transpiration âcre. Les yeux irrités par le rouge tapageur des murs, les oreilles irriguées par le beuglement de la musique et des voix, il se tint irrésolu devant le grand bar en fer à cheval.

Les silhouettes vêtues de pantalon étaient partout debout, assises, verre à la main, cigare à la bouche. Barton fut surpris de découvrir un petit nombre d’hommes – des individus barbus et moustachus, pour l’essentiel. Chacun d’eux avait une femme ou deux à ses côtés ; ils occupaient de petites tables ou des box dans les coins de la grande salle et se soumettaient béatement aux caresses et signes d’affection de leurs compagnes.

Mais la grande majorité des femmes étaient seules (il n’y avait pas de coureurs de jupons, mais de coureuses de pantalons) et leur attention se portait sur le grand ring au centre de l’espace séparant les deux branches du fer à cheval.

C’est là, sous les projecteurs éblouissants, que se trouvait le paillasson, l’arène. Et c’est là que se trouvaient les lutteurs.

Réminiscences de la télévision. L’Ange blanc contre le Bourreau de Béthune ! Barton vit entrer un Mexicain musclé suivi d’un Grec huilé. Les deux portaient des peignoirs très décorés garnis de sequins. Ils se dirigèrent dans les coins opposés, minaudèrent à l’intention des spectatrices et firent des gestes dans toutes les directions.

— Allez, vas-y ! hurla une petite blonde debout à côté de Barton. Ouais !

Une femme grassouillette agita son verre.

— Enlève ! Enlève !

Lentement, avec l’hypertimidité hypocrite de l’effeuilleuse d’art, le Mexicain ôta son peignoir et banda ses biceps. La foule – cette grande bête à la tête – unique ouvrit la bouche pour vociférer et siffler.

Le Grec traversa sinueusement le ring en laissant à son tour traîner son peignoir. Son torse tauresque était livide sous le tatouage vert qui descendait de la gorge à son short fuchsia. Le dessin central de la poitrine représentait une danseuse de houla mais, à entendre l’ovation, on aurait aussi bien pu croire qu’il dévoilait la Joconde.

— Un peu d’action ! s’écria la blonde. Tue-le, mon chou !

Elle se pencha et confia à sa voisine grassouillette :

— Attends un peu, tu vas voir, je vais me le rancarder après le combat.

Barton s’avança jusqu’au bar. Les lutteurs se tenaient en équilibre. Le gong sonna et le drame inévitable commença – ce drame aussi vieux qu’Eschyle : la pantomime de combat. Tout y était, y compris les grimaces traditionnelles, l’agonie bidon, les trucs et les artifices que Barton avait cent fois contemplés sur cent écrans tremblotants.

Rien n’avait vraiment changé. Coups de pieds et de tête, manchettes, caracolages et poses lui étaient bien trop familiers… et les réactions sans inhibitions demeuraient les mêmes. Les femmes avaient toujours manifesté ce genre d’attitude face à ce spectacle assez peu ragoûtant, même dans les années cinquante ou soixante, se souvint Barton. Il ne pouvait alors le comprendre et il ne tenta pas de le comprendre ce jour-ci. Il avait d’autres choses à faire.

Il hocha la tête et capta le regard d’une barmaid maigre et d’un certain âge.

— Ouais, mon mignon, qu’est-ce que ça sera ?

— Je veux voir Mickey.

— Mickey n’est pas là.

— Oh ! Barton se pencha en avant et ses lèvres prononcèrent le mot de passe : – Alors, où sont les toilettes pour hommes ?

La barmaid l’examina un instant de la tête aux pieds.

— Là derrière, fit-elle avec un signe de tête. Derrière cette porte et en haut de l’escalier.

— Merci.

Dale Barton se fraya un chemin à travers la chair humaine. À deux reprises, des mains se tendirent pour le retenir, des voix le câlinèrent et le flattèrent. Mais il continua son chemin, ouvrit la porte et monta les marches. Au palier se trouvait une autre porte. Il fit halte et frappa.

— Qui est là ?

— Un ami à Mickey.

— Pas ici, mon joli.

— Ce n’est pas les toilettes pour hommes ?

La porte s’ouvrit aussitôt.

— Entre.

L’homme qui se trouvait en face de lui était chauve, trapu, gris de visage et incroyablement gras. Il ressemblait bel et bien à un morse après une crocectomie. Des plis de jean terne pendaient sur un torse flasque et tremblotant.

Il referma la porte derrière Barton. Ils se tenaient dans une petite pièce contenant un mobilier quelconque. Une unique fenêtre tout en hauteur et une alcôve barrée par un rideau.

— Assieds-toi. C’est pas un palace, mais on travaille où on peut.

Barton prit une chaise. Le morse installa sa masse sur le divan.

— Cette machine où elles t’ont trouvé, tu sais la construire ?

— Non.

— Dommage. J’espérais que oui. Ç’aurait été bien.

— Comment as-tu appris l’existence de la machine ?

— Comme j’ai appris l’existence du reste. On a une organisation. On est prêts depuis plusieurs mois. On avait une douzaine de plans, mais tu es arrivé à point nommé. Maintenant, ça va être facile.

— Alors, c’est vrai. Vous avez l’intention de vous emparer du gouvernement.

— Nous en emparer ? Le visage grisâtre eut une grimace. Le récupérer, tu veux dire. En ce qui nous concerne, tout ce système n’est pas légal, et il ne l’a jamais été. Elles ont simplement profité de la guerre pour nous ficher dehors. Mon Pépé m’a tout appris quand j’étais encore morveux. Les hommes étaient en train de combattre et de mourir pour leur pays en Jersey et en Oregon, et voilà que les femmes leur ont fauché le gouvernement derrière leur dos. Elles se sont emparées des propriétés privée. Elles ont ruiné famille et foyer. Qu’est-ce que ça te dirait de grandir dans une Crèche, sans mère pour te guider ? Qu’est-ce que ça te dirait de vivre dans un monde où les femmes ont seules la parole ?

» Tu sais ce que ces idiotes sont allées faire ? Elles ont supprimé l’armée. Comme ça, elles ont décidé de tout stopper d’un jour à l’autre ! Elles ont aussi cessé de fabriquer des avions. Fermé les frontières. Bien sûr qu’on était mal en point, mais on avait encore des troupes. Et des avions, et des bombes.

» Le reste du monde, il était encore plus mal loti. Tiens, on aurait pu partir avec ce qu’on avait et vous massacrer tout ça. Vouais, le massacrer. On aurait pu diriger le monde. Mais les femmes n’ont rien voulu écouter. Elles et leurs histoires de paix, elles et leurs permis de reproduction ! T’es un homme, Barton. T’as vu comment c’est. Tu vas plier comme tout le reste ? Tu vas aller courir prendre un permis de repro chaque fois que tu verras quelque chose qui te plaira, laisser les poules mener les coqs ?

— Je ne sais pas. Barton poussa un soupir. Tout ceci m’est encore étranger et je n’en ai pas encore suffisamment vu pour me faire une idée. Je veux avoir le temps d’y réfléchir soigneusement.

— Y a pas le temps. L’homme gras soupira aussi. On a déjà attendu trop longtemps. Il y a un quart de million d’hommes – de vrais hommes – éparpillés dans l’Ouest. Ils ont des fusils, pour la plupart, et des munitions. Ce ne sont, la plupart, que des vieux trucs, mais on croit pas qu’il faudra beaucoup de troupes. L’important, c’est qu’on est encore vingt mille dans les villes. Et aux postes clés, parfois. On a le moyen de s’occuper des usines, des studios de T.V. et des coins comme ça. On a un plan.

» T’as vu comme ça nous a été facile de te joindre, ce soir. Les femmes, elles font pas attention. Elles sont pas malignes pour deux sous. Tous les trucs des espions, on les connaît encore et les femmes les ignorent. On les a donc infiltrés petit à petit. Il y a des hommes postés un peu partout ; dans les affaires, au Congrès, même. Et on est prêts à agir. On a besoin que du signal… et c’est toi qui le donneras.

— Quel signal ?

— Celui de la révolution. C’est tout prévu. Tu dis un mot et dans trois jours on aura repris la barre. Merde, qui sait, p’têt’ que tu deviendras Président. Même si Mickey a d’autres vues.

Barton cligna les yeux.

— Tu n’es pas Mickey.

— Non. C’est moi Mickey.

La mince silhouette franchit le rideau de l’alcôve. Barton fixa le visage placide en se demandant où il l’avait déjà aperçu. Puis il se souvint. Il avait fait son apparition sur un écran au commissariat. C’était la femme âgée que l’on avait appelée Lou.

Elle s’avança en souriant, toujours vêtue de son blanc uniforme amidonné d’infirmière.

— J’en ai suffisamment entendu, dit-elle. À moi, maintenant. Phil ne dispose pas du vocabulaire nécessaire.

— Y a pas que ça, dont je dispose pas, grommela Phil. Ça vous est facile de parler, mais j’ai une excellente raison de leur rentrer dedans, à ces putains de bonnes femmes !

— Ne sois pas amer, lui conseilla Mickey. Puis, s’adressant à Barton : – Vous voyez, Phil a connu une expérience déplaisante il y a quelques années. Il a provoqué un petit soulèvement au Tennessee et le gouvernement l’a capturé. Les féminologistes l’ont examiné et ont décidé qu’il était représentatif du type qu’elles ne désirent pas voir perpétuer dans les générations à venir. Elles ont donc pris les mesures nécessaires pour éviter cette perpétuation, ainsi que vous pouvez le constater.

— Elles m’ont chaponné, voilà ce qu’elles ont fait ! Ces satanées…

Phil ressuscita les obscénités d’antan. Barton fixait Mickey.

Elle sourit.

— Je sais à quoi vous pensez. Vous comprenez pourquoi, après une telle expérience, un homme comme Phil a hâte de renverser le gouvernement actuel. Mais cela vous intrigue que moi, une femme, je sois dans cette organisation.

— C’est juste.

— Eh bien, laissez-moi vous dire que je ne suis pas la seule. Mes parents étaient des Renégats, et ils m’ont envoyée en ville. Il y a d’autres femmes qui croient la même chose que moi… et un tas d’autres qui verront la lumière lorsque nous tiendrons les rênes. Ce sera alors la fin du genre de spectacles répugnants comme celui que vous avez pu admirer en bas. Nous reviendrons au mariage normal et à la sainteté du foyer, nous restaurerons la dignité de l’homme et… mais je ne devrais pas faire de discours.

— Je crois que je vois ce que vous voulez dire, dit Barton. Ce qui n’est pas clair, c’est ma position là-dedans.

— Vous êtes l’homme clé. Vous allez tirer la goupille de la grenade, si j’utilise correctement l’expression. Et vous déclencherez l’explosion qui démolira tout le système.

— Quand ?

— Demain. C’est pour cela que nous avons peu de temps, vous voyez.

— Qu’est-ce que vous voulez exactement que je fasse ?

— Retournez en prison pour l’instant. Mickey se mit à polir ses lunettes. Retournez en prison avant qu’elles ne découvrent votre absence. Et attendez. Demain, la nouvelle sera annoncée… et une émission aura lieu le soir à partir de la capitale, à Springfield. On vous y conduira ; j’ai entendu la Dr Lee parler de ces plans. Vous rencontrerez la Présidente. Ensuite, vous et Mère Veille paraîtrez à la T.V.

» C’est cela que nous attendons. Dans tout le pays, tout le monde vous regardera. Et les nôtres seront prêts. Prêts à agir à votre signal. Vous n’avez qu’à faire un discours. Vous leur parlerez du monde tel que vous l’avez vu. Un monde où le progrès a été stoppé, où la science est paralysée, où rien n’existe plus qu’une morbide préoccupation pour les relations entre les sexes – vous savez que dire. Et on vous croira.

» À la fin de votre discours, nous serons prêts à agir. Notre organisation sera là à votre côté. Inutile d’avoir peur. Dès que vous aurez fini, vous serez tranquillement convoyé jusqu’à notre quartier général voisin. Dans tout le pays, nous entrerons alors en action.

— Je ne vois pas…

— Vous n’avez rien à voir. Les détails ont été réglés. La Présidente et tout le Cabinet seront là ; nous pourrons les capturer sans coup férir. Croyez-moi, en deux heures nous contrôlerons le pays. Nous n’avons besoin que de votre coopération.

— Supposons que je ne voie pas les choses comme vous, s’enquit Barton. Supposons que je ne fasse pas un discours de ce genre.

Mickey eut un petit rire.

— Ne soyez pas naïf, dit-elle. Vous savez ce qui arrivera. On vous tuera, purement et simplement.

— Ouais. Phil se leva. Et ça nous empêchera pas d’agir. Mais je crois en toi. T’es un homme. Tu arrives du bon vieux temps, alors que les hommes étaient des hommes et que les femmes étaient des femmes. T’as de la jugeote. Tu feras le boulot.

— J’en suis sûre, continua Mickey. Et vous savez, Phil avait raison. Dans le nouveau système, il nous faudra un homme en tant que Président. Ce pourrait facilement être vous. Réfléchissez-y donc.

— Entendu.

— On ferait bien de partir. Je vais vous ramener – il est temps que je parte aussi. Allez, venez.

Barton hocha la tête. Mickey pénétra un instant dans l’alcôve et revint avec quelque chose qui brillait dans sa main. Avec un sourire maternel, elle ouvrit son sac et fourra le pistolet dedans.

— Salut, mon vieux, fit l’homme gras. À demain soir.

En bas, la lutte avait toujours lieu, mais ils sortirent par une porte de derrière. La voiturette électrique de Mickey les attendait dans l’ombre de la ruelle.

Sur le chemin du retour, Barton demeura silencieux. La femme âgée parla davantage.

— J’espère que vous comprenez, pour Phil, dit-elle. Lui et ceux de sa sorte nous sont utiles. Mais ne commettez pas l’erreur de croire qu’il est caractéristique de notre organisation. À notre côté, nous avons les plus beaux esprits de notre époque – des esprits habiles, pas seulement des intellectuels, mais des savants et des technologues. Ils sont parvenus à conserver une partie de la connaissance fondamentale, à l’Ouest, vous savez ; pas en microbobines, mais dans les livres d’antan. Avec une histoire authentique, des informations réelles. Et la chimie, les maths, la biologie et la physique. Nous serons prêts à repartir au point où on s’était arrêté dès que nous contrôlerons les sources de production. On commencera par les usines atomiques, et on partira de là.

— C’est pour cette raison que Phil m’a demandé si je savais construire la machine ?

— Oui. L’un de nos gros arguments sera notre capacité de produire de nouvelles inventions, des améliorations. Nous reviendrons à l’ère de la machine, Barton. Nous relancerons les rouages du progrès. Et vous serez peut-être sur le siège du chauffeur.

La voiturette pénétra dans le parking du commissariat central.

— Rentrez, maintenant, lui ordonna Mickey. Remontez de la façon dont vous êtes descendu. Personne ne saura que vous êtes sorti. Il y a des chances pour que je ne vous revoie pas avant demain soir. Mais maintenant, vous savez que faire. Dites oui à tout le monde, allez à Springfield et faites ce discours. Elles ne pourront pas vous couper la parole – nous y veillerons. Elle lui tendit la main. Nous comptons sur vous. Souvenez-vous que le destin de la masculinité est entre vos mains.

Barton se détourna et monta les marches. Il parcourut le couloir. La porte de sa cellule était encore entrebâillée. Il entra et la referma derrière lui.

Puis il s’assit sur son lit.

Rien d’autre à faire sinon attendre le lendemain. Et quelle journée cela devait être ! Être ou ne pas être