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Ils mangèrent dans la salle à manger particulière, sur le toit-jardin. La vue qui dominait la ville était agréable, à partir des fenêtres du troisième étage, et la Dr Lee avait mis sa blouse blanche au rancart. Par moments, Dale eut l’illusion d’être revenu au XXe siècle, au cours d’un rendez-vous avec une jolie femme.

Mais la conversation joua et l’illusion disparut. C’était bien une sorte de jeu. Chaque question avait une réponse, et chaque réponse était une pièce d’un puzzle compliqué. Les pièces assemblées, on obtenait une image de l’an de grâce 2121.

Cela lui fit penser à quelque chose.

— Je suppose que la religion a un peu changé.

— Pas vraiment. Nous adorons toujours la Vierge Marie, tout comme vous.

Barton se demanda ce qu’une Bible actuelle révélerait. Elles l’avaient probablement transformée de la même façon que l’histoire. Quel était le terme qui correspondait à l’adoration de la Vierge ? Mariolâtrie, c’était cela. Mais très peu de femmes semblaient porter son nom.

— Je me suis posé des questions au sujet des noms. La fille qu’on a embarquée avec moi… elle s’appelle Jerry, mais on l’a inscrite sous le nom de Jerry-1283-quelque chose.

— Son adresse, probablement. Les patronymes ont disparu avec le mariage. Et les noms n’ont plus de connotation de sexe.

— J’ai remarqué. Jerry, Pat, et Lee. Je suppose qu’il y a un tas de Jean, Billie et Louie.

— Oui, et des Sandy, Sunny, Lou et Jackie. Je crois que vous avez entendu parler de la Proclamation de Femmancipation.

— J’ai un peu lu là-dessus. Si j’ai bien compris, les femmes ont pris le gouvernement en main après la guerre et elles ont tout fait marcher. Elles ont aboli la guerre, et cela me paraît sensé. Mais… et le mariage et la famille ?

— Les trois vont toujours main dans la main, lui apprit la Dr Lee. Je crois bien que vous ignorez tout des premiers principes de féminologie pratique.

— Je le crains, en effet. Qu’est-ce que la guerre a à voir avec le mariage et les marmots ?

— Les marmots ?

— Les enfants.

— Commençons avec eux. Après la guerre, la féminité se retrouva confrontée avec deux tâches de grande ampleur. Il fallait rebâtir la civilisation dans le domaine physique… et du côté psychique.

» Pendant un certain temps, nous nous sommes attelées à la première tâche. Comme vous le savez probablement, les résultats de la guerre prolongée furent désastreux. Même aujourd’hui, il existe des communautés entières, des États entiers, qui n’ont pas encore été rendus habitables. Les Recs sont encore en train de creuser et de récupérer.

— Un beau gâchis, commenta Barton.

— Oui, croyez-m’en ! Heureusement, à la fin de la deuxième année de guerre, les usines fonctionnant à l’énergie atomique s’étaient multipliées et nombreuses étaient les petites villes à posséder leur propre réactivateur. À la fin des années cinquante, on en était arrivé à un point où une ville de 60 à 100 000 habitants pouvait tirer son énergie électrique d’une seule unité centrale. Un grand nombre de ces unités fut utilisé à la fin de la guerre… et nous en avons fabriqué d’autres. Aujourd’hui, la plupart des villes abritent moins de cent mille personnes et presque toutes s’appuient sur l’énergie atomique. Ce qui élimine tout besoin d’équipement lourd. La pénurie de pétrole a mis fin à l’ère de l’automobile et de l’avion d’antan – de plus, l’aviation a été mise hors la loi en tant qu’arme de guerre. Désormais, nous fabriquons presque exclusivement des marchandises pour le commerce, et les centres fermiers sont nombreux.

— Les femmes dirigent tout ?

— Pourquoi pas ? Dans les cultures primitives, c’est toujours la femme qui s’occupait de l’agriculture. Et de l’artisanat. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que les hommes ont pris le contrôle de la production dans les usines. Au bout de cinquante ans, les femmes sont revenues. Et même à votre époque, les femmes dirigeaient la plupart des entreprises.

— Attendez un peu, coupa Barton. Oui, nous avions quelques femmes en haut de l’échelle. Mais la plupart des banquiers, des marchands, des docteurs et des hommes de loi étaient des hommes.

— Des fantoches. Rien que des fantoches. Réfléchissez un peu, Dale. Qui menait la barque, en fait ? Est-ce qu’il n’y avait pas toujours une ou plusieurs secrétaires efficientes qui s’occupaient de tout… qui tenaient les dossiers à jour, les vérifiaient, appuyaient sur les boutons ? J’ai entendu parler de vos soi-disant hommes d’affaires et professions libérales, avec leurs bureaux bien nets et leurs rendez-vous de golf. Vos usines, vos magasins, vos hôpitaux et vos écoles étaient dirigés par des femmes. Vous étiez dans les relations publiques, n’est-ce pas ? Est-ce que ce n’est pas une branche de la publicité ? Eh bien, vos publicistes savaient qui était le vrai patron. Ils flattaient les femmes, pas les hommes. Quand le moment est venu de prendre le pouvoir, nous autres femmes n’avons pas eu grand-chose à apprendre.

» D’autre part, nous avons pu simplifier notre façon de vivre en supprimant purement et simplement de notre culture le concept du guerrier. Au premier abord, nous pensions avoir réussi en rejetant la guerre, en renvoyant dans leurs foyers ce qui restait de nos armées et en détruisant les armes. Nous avons ensuite découvert qu’il nous fallait annihiler ce culte du guerrier. Ce qui nous a amenées à notre deuxième tâche d’envergure.

» J’ai fait allusion à la réhabilitation psychique. C’est là que nous, féminologistes, sommes entrées en scène. Nous avons déniché les racines de l’agressivité excessive qui conduisait à la guerre.

Barton but son café.

— Tout ceci est très intéressant, dit-il. Mais nous sommes loin du mariage et de la famille.

— Vous ne voyez pas ? C’est là que naissait le problème, depuis le début. Oh, à l’époque préhistorique, c’était probablement une bonne chose. La femme cultivait le sol, elle était l’artisan ; le mâle était chasseur et protecteur. La nécessité les a unis, et faire du mâle le tueur relevait du bon sens. Des schémas culturels se sont bâtis autour de l’idée de l’homme dominateur et de la femme protégée.

» Mais la civilisation a avancé et les circonstances ont changé. Malheureusement, les anciennes habitudes ont persisté. Les garçons étaient censés se montrer « virils » et « braves » – on les encourageait à combattre, à lutter physiquement dans des « sports » et des « jeux » qui n’étaient qu’une guerre symbolique. Au même moment, on appliquait des restrictions à leur vie d’adultes. Il était contre la loi de se battre, de tuer… sauf pendant la guerre. Pour beaucoup d’hommes, il en résultait des frustrations. On cherchait des sublimations et des compensations en faisant des affaires et non la guerre ; mais cela ne suffisait absolument pas. Car les affaires conduisaient à leur tour à la guerre. Les hommes vivaient dans un monde où il était possible d’apporter paix et prospérité à chacun ; mais ils persistèrent à dramatiser chaque aspect de leur vie en tant que combat. Mon équipe contre ton équipe, ma ville contre ta ville, mon pays contre ton pays. Et comment appelait-on les relations entre hommes et femmes ? La « guerre des sexes », n’est-ce pas ?

— Oui, c’est bien ça, je crois. Je n’y avais jamais songé auparavant.

— Hé bien, songez-y. Lorsque vous avez atteint l’âge adulte, la famille n’était plus une unité solide. Trop de femmes travaillaient aux côtés des hommes et démontraient leur égalité et leur supériorité. Le mariage lui-même me perdait sa signification essentielle ; le « foyer » était devenu un appartement minuscule, un amoncellement de gadgets autour du téléviseur. Ou bien c’était une boîte à biscuits de quatre pièces, avec un grand garage. Dans l’un et l’autre cas, il ne demandait l’attention ni de l’homme ni de la femme. Dans presque tous les cas, ce n’était pas un endroit pour les enfants.

» Une nouvelle fois, dans la société agraire, les enfants étaient un atout pour chaque famille. Plus il y avait d’enfants, plus on avait de bras dans les champs et la ferme. Même dans les villes, lorsque l’unité familiale existait, un enfant était une source possible de revenus et de sécurité pour l’avenir.

» Mais à votre époque, les enfants étaient une charge. Il était difficile de louer un appartement si on avait un enfant. On ne pouvait sortir se distraire à moins de trouver une baby-sitter, comme on appelait ça, parce que l’unité familiale ne regroupait plus sous le même toit les grands-parents ou des alliés. On ne pouvait lâcher un enfant dans les cañons infestés de voitures des rues citadines.

» Vous avez vu les résultats, n’est-ce pas, Dale ? Le taux croissant des divorces, l’augmentation terrifiante des activités antisociales, la montée de la délinquance juvénile. Car, dans cette atmosphère non réaliste, l’agression était engendrée. Mal à l’aise dans une famille qui n’était une famille que de nom, élevé dans une prison fermée appelée foyer, encouragé à être « agressif » pour découvrir toutes ses tendances agressives bloquées par l’école, l’Église et les autres institutions sociales…, une seule issue demeurait. L’adolescent apprit à haïr, rêva de tuer. Quel avenir s’offrait aux jeunes des années soixante ? Une conscription certaine, une guerre presque certaine. Ce n’était que violence ; oh ! c’est que j’ai vu des microbobines de vos bandes dessinées, de vos « polars » ! Je connais vos films et la TV d’antan. Quel monde ce devait être ! Papa et maman se bagarraient dans le salon et le petit se rongeait les ongles dans sa chambre en attendant que vienne son temps.

— Mais il n’y avait pas que ça, tout n’allait pas si mal, s’insurgea Burton.

— Bien sûr que non ! Rien n’est totalement bien ou mal. Cette sorte de vision des choses, tout noir ou tout blanc, est typique de l’ancien processus agressif. Vous viviez dans un monde où les hommes « conquéraient » et les femmes « s’abandonnaient », où les relations entre les sexes étaient considérées comme un jeu ou une compétition de deux volontés. Comment disait-on, déjà ? « Je vais te montrer qui porte la culotte ! » Les procès en divorce comportaient des lettres d’injure, et la fierté paternelle mena à l’établissement de la fortune héréditaire, la soi-disant « entreprise capitaliste », qui engendra d’autres misères.

» Eh bien, nous avons extirpé tout cela. Plus de mariage en tant qu’institution, et plus de sacrifice frustrant pour un foyer purement nominal. Comme vous le savez, nous avons des permis de reproduction. Les enfants sont élevés dans les Crèches, et par des féminologistes compétentes.

— Ça paraît plutôt… dur.

— Pourquoi ? Parce qu’il n’y a plus de guerre ? plus d’affaires où l’on se coupe la gorge ? Plus de famines, plus de frustrations sexuelles ? Oh, il en existe encore, je vous l’accorde. Rien n’est noir ou blanc, comme je l’ai déjà dit. Il y a toujours quatre femmes pour un homme, et certaines classes inférieures se complaisent dans les attitudes masculines. Mais les choses ne cessent de s’arranger. Soyons réalistes : même si nous revenions à l’ancien système, il n’y aurait pas assez d’hommes pour que ça marche. Le résultat serait désastreux.

— Et l’amour ?

— Oh, ma Marie ! La Dr Lee porta la main à son front. C’est bien d’un homme ! Elle lâcha un soupir. Il fallait aborder ça, n’est-ce pas ?

— Pourquoi pas ? J’ai toujours pensé que c’était rudement important, lui dit Dale Barton.

— Évitons ça pour l’instant. Une autre fois…, lui promit-elle. Nous devons discuter de quelque chose de bien plus important.

— De quoi s’agit-il ?

— De vous. Et de Mère Veille. Elle est prête à vous recevoir, comme je vous l’ai dit à mon cabinet.

— Pourquoi moi ?

— Vous ne comprenez pas votre position ? Nous sommes arrivées à tout tenir secret, jusqu’à présent, avant d’être sûres que vous soyez remis. Maintenant, nous voudrions révéler l’événement. C’est que vous êtes la plus importante découverte du siècle… une relique authentique et vivante du passé !

— Qu’est-ce que vous voulez faire, me mettre dans un musée ?

— Bien sûr que non ! À nouveau, ce gloussement inattendu. Vous paraîtrez à la T.V., en compagnie de Mère Veille elle-même. Il y aura sans doute une émission extraordinaire uniquement pour vous. Vous pourrez alors parler de la machine, expliquer que les Techs sont en train d’y travailler et qu’elles seront bientôt capables d’en fournir une réplique pour le bénéfice de celles dont l’état exige cette thérapeutique. Vous allez être une célébrité, Dale.

— Est-ce une bonne chose ?

— Une bonne chose ? C’est merveilleux, oui ! C’est le rêve de tout homme. Je suppose que vous n’avez pas pu voir jusqu’où peut arriver aujourd’hui un homme du monde beau et talentueux. Vous aurez des femmes importantes à vos pieds, prêtes à vous offrir vêtements et joyaux, et à satisfaire vos moindres désirs. Vous vivrez dans le luxe, elles se battront pour vous faire signer un permis de reproduction. Inutile de prendre cet air : les temps ont changé, ce n’est plus un déshonneur d’être un homme entretenu.

— Homme entretenu, marmonna Barton. En y réfléchissant, dans toute cette tartine, vous n’avez pas beaucoup parlé de ce que font les hommes dans cette société.

— Les hommes ? Eh bien, en général, ils font ce qui leur plaît. Quelques-uns ont de petits emplois de secrétaires dans le commerce ou l’industrie. Ils travaillent aussi dans le bâtiment et la mécanique. Mais la plupart se contentent de satisfaire leurs partenaires de permis, et ils sont de plus en plus nombreux dans cette génération à s’être trouvé des violons d’Ingres. La majeure partie de nos écrivains, peintres, musiciens et acteurs sont des hommes, vous savez.

— Un tas de poules mouillées, oui, grommela Barton.

— Oh, cessez de parler et de penser comme ça, lâcha sèchement la Dr Lee. Vous ressemblez à un Renégat.

Renégat. Encore ce terme-là ! Dale Barton prit une longue inspiration.

— Vous n’en avez pas parlé, dit-il.

— J’espérais ne pas devoir le faire, soupira-t-elle. Mais je vois qu’il est nécessaire de parler franchement. Qu’avez-vous entendu dire des Renégats ?

— Je sais seulement qu’ils existent quelque part. Je crois qu’il s’agit d’hommes qui ont grandi en dehors de votre société, ou qui ne sont pas acceptés par elle. Ils vivent à l’Ouest, n’est-ce pas ? Et ils possèdent encore mariage et famille. C’est à peu près tout.

— Je voudrais bien que ce fût tout. Dale, les Renégats constituent un problème sérieux, plus sérieux que ne le soupçonnent la plupart des gens. Et s’ils ne sont pas stoppés, nous risquons d’avoir des ennuis.

— Stoppés avant quoi ?

— Avant qu’ils ne prennent le pouvoir. Le sourire avait disparu, la voix était douce et sérieuse. C’est ce qu’ils recherchent, bien sûr. Voilà ce qu’ils veulent : faire reculer la pendule, revenir au temps et aux usages de jadis. Y compris le mariage et les milices, les épousailles et les mitrailles.

— Peuvent-ils y arriver ?

— Personne ne connaît le nombre exact des Renégats. Même les estimations officielles varient : il peut y en avoir dix mille comme un demi-million. Ils vivent dispersés dans tous les États de l’Ouest, dans la campagne en général, et parfois dans des villages et des villes à eux. Nous les avions laissés tranquilles jusqu’à présent, et ils nous avaient laissées tranquilles…, mais cela est fini.

» Ces derniers temps, ils se sont introduits dans les villes. Par ruse. Ils ont espionné, volé et saboté. Pis encore, ils ont répandu leur propagande. Non contents de terroriser les travailleuses simples et honnêtes, ils ont poursuivi les hommes de leurs mensonges, les ont excités et leur ont raconté comme tout était magnifique « au bon vieux temps ». Oui, et ils les ont incités à la révolte, à l’organisation pour la protestation.

» Pour le moment, ils demeurent dans l’ombre, à part quelques fois où ils ont réussi à installer des émissions-pirates de télévision régionales. Mais on trouve partout leurs pamphlets, leurs écriteaux sur les murs… Nous avons peur qu’ensuite, ils n’organisent un vrai parti politique.

Barton haussa les épaules.

— Quoi de mal à cela ? C’est bien une démocratie, non ?

— Certainement pas ! Nous sommes en matriarchie et nous en sommes fières.

— Mais d’après ce que vous m’avez dit, ils constituent une opposition. Et d’après ce que vous ne m’avez pas dit, je crois que vous avez des raisons de craindre que d’autres ne les écoutent. Si votre monde nouveau est si parfait, pourquoi s’inquiéter des Renégats et de leur propagande ?

Les boucles rousses tombèrent en avant lorsqu’elle secoua la tête.

— Mais il n’y a rien de parfait ; je vous l’ai dit : rien n’est noir comme jais ni blanc comme neige ! Nous n’en sommes qu’au stade expérimental, il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Ce qu’il y a de bien, c’est que nous allons dans la bonne direction ; nous échappons à la guerre, aux affaires et à toute cette confusion abominable qui a envoyé chez les psychiatres tant de gens de votre génération.

» Les Renégats veulent nous ramener à notre point de départ. Ils s’adressent aux hommes et même à certaines femmes. Admettons-le : ils ont des arguments solides. Si nous sommes si saines d’esprit, pourquoi tolérer les pros et les lutteurs ? Et les bébés en caoutchouc ? S’il n’existe pas de véritable instinct maternel, pourquoi la plupart des femmes ont-elles des perruches ou des canaris ? Et ainsi de suite – rien que des questions logiques. Mais quand nous tentons de leur donner des réponses logiques, de leur expliquer qu’il faudra du temps pour faire disparaître les mœurs des débiles hérités du passé, ils ne veulent rien entendre.

» Ils ne cessent de s’infiltrer, de nous tarauder. Comme des « chauvinistes » de votre époque – je crois que c’est le nom qu’on leur donnait.

— Vous voulez dire les communistes, fit Barton. Je comprends leur technique.

— Ils se plaignent que le monde n’ait pas encore atteint l’Âge d’Or. Mais cela ne fait que cent cinquante ans que nous avons démarré, sur la base du plus beau désastre de toute l’histoire – un désastre légué par la masculinité. Ils ont disposé de cinq mille ans, et voilà ce qu’ils nous ont transmis. Maintenant, ils veulent qu’on leur rende la planète. L’aspect dangereux de la chose, c’est que beaucoup trop de gens, hommes et femmes, commencent à croire que ce serait désirable.

» Maintenant, est-ce que vous comprenez pourquoi vous, vous allez être si important ?

— Non, pas exactement.

— Réfléchissez-y un instant, Dale. Vous vous voyez dans cette émission avec Mère Veille ? Arrivant là-haut après toute la publicité – ne vous inquiétez pas, nous répandrons la nouvelle de telle sorte que tous les êtres humains de l’hémisphère soient impatients de vous voir et de vous entendre –, arrivant là-haut en tant que seul représentant vivant des coutumes de jadis au sujet desquelles les Renégats ne cessent de mentir ? Vous êtes le seul et unique arbitre, Dale. Le seul à avoir vu les deux mondes : celui de 1971, avant la guerre, et notre monde nouveau.

» On vous acceptera comme juge impartial et objectif. Et quand vous direz que la société actuelle est meilleure, on vous croira. Voilà comment ça se passera.

À nouveau, Barton ressentit un bourdonnement dans son cerveau. Être ou ne pas être. Cela lui rappela l’après-midi, lorsqu’elle lui avait ordonné, debout devant lui, de se souvenir de ce dont il ne voulait pas se souvenir, ne voulait pas se souvenir, ne voulait pas se souvenir…

— Dale, il y a quelque chose qui ne va pas ?

— Non, tout va bien.

— Vous direz la vérité, n’est-ce pas ?

— Bien sûr. Il marqua une pause. Seulement, je n’ai pas encore décidé où est la vérité.

La Dr Lee opina du chef. Son sourire, lorsqu’il apparut, était brûlant de compassion.

— Eh bien, vous aurez largement le temps d’y réfléchir. Ce soir, dans votre cellule.