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— PUTAIN, j’ai fait, ET ÇA, TU TROUVES PAS QUE C’EST UN BEAU COIN… ??!! QU’EST-CE QUE TU VEUX DE PLUS… ??!!
Le guide m’avait pris en grippe dès le début et il essayait de me faire mourir de faim. On marchait depuis cinq heures du matin et j’avais juste un café et deux bières dans le ventre. Vers midi, j’avais commencé à faire quelques propositions raisonnables mais il secouait chaque fois la tête, non, suivez-moi, il disait, on va choisir un coin vraiment agréable pour s’arrêter, il faut que ces deux jours soient placés sous le signe de la Beauté. Toute la bande de tarés qui suivaient était aux anges.
Cette fois-ci, on était arrivé dans une sorte de clairière avec un tapis de feuilles rouges et on surplombait la vallée. Le guide s’est arrêté et voyant que j’avais déjà jeté mon sac par terre et qu’un gros type à lunettes avait viré au bleu, il a hoché la tête.
— Bon, il a fait, mais on restera pas trop longtemps. Il faut qu’on arrive au refuge avant la nuit.
Je me suis écroulé dans l’herbe sèche à côté de Lucie. Elle semblait en pleine forme. Le soleil avait grimpé doucement dans le ciel et on s’était tous rapidement retrouvés en tee-shirt, je pouvais à peine détacher mes yeux de la poitrine de Lucie. Ça faisait trois jours que je tirais la langue derrière elle. J’ai jeté un œil entre ses jambes en ayant l’air de regarder dans le vague et ça m’a fichu un sacré coup, son short était beaucoup trop petit pour elle, j’ai dû serrer les dents pour éviter de faire une connerie, j’ai attendu que ça passe en préparant des sandwiches au jambon.
— Alors, elle a demandé, ça te plaît ? T’es content… ?
— C’est royal, j’ai dit. Je me sens renaître.
— L’homme d’aujourd’hui est tellement éloigné de la Nature, elle a fait.
— Ça me fiche la chair de poule, j’ai dit.
La dernière fois que j’avais baisé me semblait quelque chose de très lointain. J’avais repéré cette fille qui courait depuis plusieurs jours en survêtement sur la plage, à l’heure où je me levais et je m’asseyais pour la regarder. Je me branlais en soupirant et les journées s’écoulaient tristement, je passais mon temps à recopier mon roman et l’image de cette fille qui fonçait sur la plage me poursuivait un peu partout, ça tournait à l’idée fixe. Un matin, je lui avais fait un petit signe de la main, elle avait souri et quelques jours plus tard elle s’arrêtait devant ma fenêtre et on échangeait deux ou trois mots sur le temps ou les bienfaits du sport.
Trois jours avant cette balade en montagne, elle avait lancé l’idée folle de plonger dans les vagues glacées et je m’étais défilé. Je m’étais retrouvé avec son survêtement dans les bras pendant qu’elle piquait un crawl vers le large. Quand elle était revenue vers moi en roulant des hanches dans un bikini rouge sang, j’étais plus le même homme.
Et le lendemain, j’avais plongé avec elle en souriant dans l’eau mortelle et froide. J’étais à moitié cinglé et le soir je l’avais accompagnée à une conférence sur le thème « Prenez votre corps en main ». J’avais essayé de pas trop fumer pendant les débats. Enfin, hier, elle m’avait proposé cette randonnée de deux jours en pleine nature et je m’étais montré très enthousiaste. De toute façon, je pouvais plus la lâcher d’une semelle. J’étais comme un type tombé de cheval et traîné par les étriers.
Je m’étais acheté un sac jaune citron que j’avais rempli de canettes ainsi qu’un duvet bon marché que j’ai étalé sur le sol, je me suis allongé dessus. Les autres gambadaient autour de moi et se taillaient des rondelles de pain complet en buvant de l’eau de source. Mais j’avais l’esprit trop préoccupé pour me joindre à eux et m’extasier devant la beauté sans nom d’une feuille morte. Lucie faisait jouer ses cheveux dans le soleil.
— Quelle chance incroyable d’avoir un temps pareil ! elle a fait.
— Oui, c’est formidable. Si je me retenais pas, je laisserais tomber les autres. Je passerais le restant de la journée sur le dos à respirer l’air pur et je dormirais à la belle étoile… Qu’est-ce que t’en penses… ?
— Oh non, elle a fait, tu vas voir le refuge, c’est un endroit fantastique… Mais il faut le mériter. Tu es pas fatigué, j’espère… ?
— Tu rigoles, cette balade m’a plutôt mis en forme.
Je sais plus, mais ça faisait peut-être deux mois que j’avais pas touché une fille de mes mains. Lucie avait une peau très lisse et dorée et le moins qu’on puisse dire c’était qu’elle respirait la santé, c’était le genre de fille qu’on aurait prise dans une pub pour de l’eau minérale. Je la buvais des yeux, je trouvais que le plus infime de ses gestes avait un prolongement sexuel et quand par hasard je l’effleurais j’en prenais pour mon compte, je piétinais devant les portes du Paradis. Mais j’avais encore rien tenté de précis, je voulais mettre toutes les chances de mon côté. En fait, j’étais dans un état tellement fiévreux que j’étais incapable de me faire une idée précise sur ce qu’elle pensait de moi. Pour l’instant, on jouait aux grands copains, on était au-dessus de ça, deux petits anges animés par la passion commune de la Nature, du Vrai et du Beau.
Juste avant de partir, une femme a distribué des petits gâteaux mielleux qu’elle avait préparés EXPRÈS pour le voyage, bon sang tout le truc baignait, on formait une bonne équipe, on s’aimait bien, je me suis mis le gâteau en entier dans la bouche pour pas me salir les mains. Ça avait pas dû être facile de faire un machin aussi collant que ça, j’en avais plein les dents et j’ai mis un petit moment avant de pouvoir m’en débarrasser. Tout le monde levait les yeux au ciel et commentait la subtilité de ce pur délice. Je me suis approché discrètement de Lucie.
— Dis donc, j’ai demandé, t’as pas un couteau… ?
— Mais si, bien sûr…
— Faut que je me taille un cure-dent.
— Mais j’ai les mains sales, elle a fait. Tiens, prends-le, il est dans ma poche…
Elle s’est tournée et j’ai vu le couteau. Le truc saillait sur sa fesse gauche, assez bas. C’était à ce genre de détails que vous pouviez vous apercevoir qu’elle portait un short. Bon Dieu, j’ai pensé, si tu plonges ta main là-dedans, t’es un homme mort !
— Qu’est-ce qu’il y a ? elle a fait. Tu le vois pas… ?
— Si, si, j’ai dit.
— Eh bien, vas-y, prends-le.
Je suis allé chercher ce sacré couteau et ma main a glissé le long de sa fesse. Elle a eu un petit mouvement nerveux quand elle a senti que je m’éternisais et quand j’ai enfin sorti le truc de sa poche, elle m’a regardé en souriant.
J’ai attrapé mes affaires et je les ai balancées sur mon dos.
— Bon alors, merde, j’ai fait, on y va à ce refuge… ?
On s’est remis en marche. Il faisait bon. Les autres avançaient par groupes de deux ou trois et discutaient mais j’ai préféré rester à l’arrière pour secouer les traînards, j’étais dans un état d’excitation avancé.
C’était la première fois que j’éprouvais quelque chose d’un peu intense depuis que j’avais terminé mon roman, ça me faisait du bien, je trouve même que c’était pas volé. Malgré ce qu’on peut penser, finir un bouquin n’est pas une libération, pour moi c’était le contraire, je me sentais inutile et abandonné et j’étais plutôt d’humeur orageuse. Je m’étais jeté dans cette histoire avec Lucie pour respirer un peu, ça faisait une bonne quinzaine que je travaillais sur mon manuscrit et je baignais dans une sensation désagréable, j’étais comme le type vaincu qui aide la fille qu’il aime à préparer ses valises parce qu’il y a plus rien d’autre à faire.
Le soleil a disparu derrière une colline et tout le monde a trouvé ça très chouette, moi le premier, c’était une lumière jaune et frémissante qui glissait sous les feuilles mortes et soulevait une odeur de terre sucrée, Lucie était juste devant moi et je regardais ses cuisses se frotter l’une contre l’autre, j’aurais voulu avoir un poignard dans les mains et l’enfoncer jusqu’à la garde dans un tronc d’arbre. La fatigue de la marche me remplissait d’énergie.
On a atteint le refuge à la tombée du soir. J’ai trouvé ça formidable, sans blague, c’était vraiment un coin merveilleux et j’étais d’excellente humeur, je trouvais le moindre truc réellement divin. Il y avait une grande cabane avec un torrent et un emplacement pour le feu de bois, tout était parfait dans les moindres détails, j’ai cru un moment que j’allais ressentir l’appel de la forêt.
On a rangé les sacs dans la cabane et je me suis débrouillé pour rester un peu à la traîne avec Lucie, j’ai fait semblant de vérifier la fermeture de mon sac de couchage. Je l’ai regardée enfiler un pull à la lumière d’une lampe-tempête. Ensuite elle s’est tortillée pour enlever son short et là j’ai cru mourir, je me serais même pas retourné si un ours gris avait surgi dans mon dos, le monde venait de s’effondrer et je me retrouvais seul avec une petite culotte de soie bleue tendue comme une bulle de chewing-gum et scintillant dans la lumière.
Le guide a passé la tête par l’encadrement de la porte.
— Corvée de bois ! il a fait.
— On arrive, elle a fait.
Elle a enfilé un jean à toute allure et j’ai balancé mon duvet dans un coin comme un sauvage.
— Allez, viens… prends ta lampe électrique, elle a fait.
— Je savais bien que j’oubliais quelque chose, j’ai dit.
— Bon, c’est pas grave, t’as qu’à venir avec moi.
— Bien sûr, mais quand même, c’est idiot.
On est sorti et j’ai vu toute la bande s’éloigner vers la droite avec des petites lumières dans les mains, il faisait presque complètement nuit et des longs nuages violacés s’étiraient dans le ciel. J’ai entraîné Lucie vers la gauche.
— Ils vont ratisser tout le coin, j’ai dit. On a plus de chances de ce côté-là.
— Oui, on va faire un feu de tous les diables ! J’adore ça !
On s’est enfoncé un peu sous les arbres et j’étais tellement nerveux que j’avais pas besoin de lampe pour y voir clair, c’était un phénomène très étrange mais ça m’inquiétait pas, j’étais comme un chat-huant survolant son territoire de chasse.
— Éclaire-moi, elle a dit, je vais ramasser des brindilles.
Sa voix m’a fait sursauter. J’ai attrapé la lampe et j’ai braqué la lumière sur elle, je me suis mis à siffler I’ll Be Your Baby Tonight pour échapper au silence mais je me sentais de plus en plus étourdi et j’avais la gorge sèche. Je me suis approché d’elle pendant qu’elle cassait quelques branches mortes, je me suis arrêté quand j’ai pu sentir son odeur. J’avais l’impression de me tenir au bord du vide.
Elle s’est tournée vers moi les bras chargés de petit bois et m’a dévisagé en souriant :
— Qu’est-ce qu’il y a ? T’en fais une tête !!
Je me suis senti balayé par une lame de fond, je suis tombé à genoux.
— Oh Lucie, j’ai fait. Putain, Lucie…
J’ai refermé mes bras autour d’elle et j’ai enfoncé ma figure entre ses jambes. Les boutons du jean me labouraient le front.
— Oh Seigneur ! elle a fait.
À ce moment-là, elle m’a lâché le tas de fagots sur la tête et s’est appuyée contre un arbre. J’ai frotté mes joues sur ses cuisses.
— Oh bon sang de bon sang… je disais.
Je faisais courir mes mains à toute vitesse sur ses jambes et je lui attrapais les fesses, on aurait dit un type qui tourne en rond au milieu d’un incendie.
— Oh défais ce truc, elle a fait. Défais-moi ce truc…
Elle avait empoigné ma tête par les cheveux et l’écrasait entre ses jambes. Une odeur folle traversait le tissu et j’étais déjà à moitié K.-O. À moitié seulement. J’ai fait sauter tous les boutons.
— Oh ! l’air est tellement pur… Cette nuit me rend folle !! elle a soupiré.
Je parle pas dans ces moments-là, j’essaie de pas trop me dissiper. Mais je sais reconnaître la Grâce quand elle arrive et si j’avais eu le temps, je me serais allongé sur le sol les bras en croix et j’aurais enfoui mon nez dans les feuilles mortes pour embrasser la terre. J’ai tiré sur le jean et le slip est venu avec, je lui ai descendu jusqu’au milieu des jambes.
— Jésus, on est tellement bien, elle a murmuré. Je suis une herbe caressée par le vent.
J’ai levé les bras pour lui attraper les nichons et j’ai glissé ma langue dans sa fente. Elle a lâché mes cheveux en poussant un léger soupir et elle s’est accrochée à l’arbre en joignant ses mains derrière elle, légèrement au-dessus de sa tête. J’étais pas jaloux de l’arbre et avant de poursuivre, je me suis écarté un peu d’elle pour a regarder. Quelle vision miraculeuse que cette fille frémissante ligotée au poteau avec les jambes habillées jusqu’aux genoux, quelle image sereine. J’ai attrapé son paquet de poils comme un scalp encore fumant et je l’ai approché de mes lèvres. Ça m’a rappelé le bon vieux temps, ça m’a rempli la cervelle, l’espace d’une seconde, de vieux souvenirs fanés.
On était sur le point de se laisser aller quand on a entendu des craquements autour de nous et j’ai repéré une petite lumière qui s’approchait dangereusement. J’ai poussé une sorte de hurlement intérieur pendant que Lucie remontait sa culotte en quatrième et un oiseau de nuit s’est envolé au-dessus de nos têtes en claquant des ailes. J’avais cru toucher au but mais je refermais mes mains sur du vide, qu’est-ce que c’était que cette vie qui envoyait des coups de latte dans les verres d’eau quand vous veniez de traverser un désert infernal… ? Et l’autre, qu’est-ce qu’il pouvait bien vouloir encore, j’étais persuadé que c’était lui, je le savais, c’était ce putain de guide, le type en short avec un bonnet de laine sur la tête. Il est arrivé jusqu’à nous.
— Ah, je vous cherchais, il a dit. Ça ira pour le bois.
— On s’est spécialisé dans la brindille et les petites branches, j’ai fait. On était en train de faire un tas.
— Non, ça ira, les autres ont fait du bon boulot. Occupez-vous plutôt de la corvée d’eau.
— Mais oui, Vincent… Avec plaisir, a fait Lucie.
— Vieux, on fait comme tu veux, j’ai dit.
J’ai gardé le goût de Lucie dans la bouche jusqu’à ce qu’on soit retourné au campement, j’ai essayé de me persuader que c’était simplement une question de temps, j’y suis presque arrivé. Pendant que les autres préparaient le feu, Lucie et moi on a attrapé ces espèces de seaux en toile ridicules et on s’est dirigé vers le torrent. L’eau filait avec un sifflement nerveux entre les pierres, on s’est mis à genoux et on a plongé les seaux dans le courant glacé. J’en ai profité pour glisser une main sous son pull mais elle l’a retirée.
— Non, elle a dit, ils peuvent nous voir d’ici…
— On est pas en train de cambrioler une banque, j’imagine…
— Peut-être, mais on va s’énerver pour rien. Et puis c’est pas désagréable d’attendre un peu… La nuit est tellement belle, on a tout le temps.
On a fait quelques allers et retours avec les seaux et pendant le dernier voyage, le feu s’est mis à crépiter et à inonder les alentours d’une lumière assez infernale. Les autres avaient préparé la bouffe et j’ai fait circuler quelques bières, tout le monde avait l’air réjoui.
Au bout d’un petit moment, Vincent m’a pris un peu à l’écart, il paraissait ennuyé.
— Il faut que tu saches que ça me plaît pas beaucoup, il a fait.
— T’as peur qu’on mette le feu à la montagne ? j’ai demandé.
— Non, il s’agit pas de ça. Mais tu fais partie des nouveaux, il y a sûrement une chose que tu as pas très bien comprise.
— Je t’écoute, vieux.
— Bien. Vois-tu, cette marche en pleine nature a pour but de nous purifier, elle doit nous aider à renouer avec une pureté oubliée, il faut que nous prenions conscience de nos corps. Je crois que j’ai bien expliqué tout ça avant de partir mais j’ai eu l’impression que tu écoutais pas.
— C’était rien qu’une impression, je t’assure.
— Écoute, je trouve pas que ce soit un effort épouvantable que d’oublier la civilisation pendant quarante-huit heures. T’es pas de mon avis ?
Ouais, y’a rien de plus facile, vieux.
Il s’est gratté la tête et a levé les yeux vers le croissant de lune qui venait de sortir au-dessus des arbres.
— Bon, alors dis-moi une chose, il a fait. D’où est-ce qu’elles sortent toutes ces saloperies de canettes… ? D’où vient tout cet alcool, hein, dis-moi… ?
— Hé, tu plaisantes, c’est pas vraiment de l’alcool !
— Bien sûr. Et tu vas sans doute nous sortir quelques joints dans un moment, ou une cochonnerie de ce genre…
— Là, vieux, tu me fais de la peine.
Il a réfléchi un instant puis il m’a regardé des pieds à la tête.
— Bon, il a fait, je crois que je vais tirer un trait sur cet incident mais tâche de t’intégrer un peu plus à l’esprit du groupe à l’avenir. Ça peut te faire que du bien.
— Je sais pas ce qui m’a pris, j’ai fait.
On a rejoint les autres et on a mangé un morceau assis autour du feu. Je me suis perdu dans la contemplation des flammes jusqu’à la fin du repas, je les entendais à peine discuter près de moi et je me suis carrément bouché les oreilles quand Vincent nous a fait son petit speech à la con sur la Nature, il y a des types qui réussiraient à vous rendre n’importe quoi ridicule, des types qui abîment tout, se passionner pour quelque chose rend pas forcément plus intelligent, contrairement à ce qu’on pourrait croire.
J’ai cru que leur truc finirait jamais, mais au moment où je perdais tout espoir, j’ai été désigné avec quelques autres pour éteindre le feu. Ça a pas traîné. Pendant ce temps-là, deux ou trois types courageux ont dressé des tentes eh un temps record, ce qui fait qu’on s’est retrouvé seulement une poignée pour partager la cabane, ça faisait encore beaucoup à mon avis mais c’était ça ou rien, c’était ça ou se faire dévorer par les moustiques et se faire doucher par la rosée du petit matin.
La baraque était assez grande et il y avait en plus une sorte de mezzanine où l’on pouvait grimper par une échelle de meunier. J’ai tout de suite compris ce que j’avais à faire. Pendant que les autres tergiversaient et se faisaient des politesses, j’ai pris Lucie par un bras et j’ai balancé nos deux duvets là-haut.
— C’est notre seule chance, j’ai dit.
Une fois arrivé en haut, je me suis presque frotté les mains, le coin était charmant, avec une petite fenêtre et la lune en plein dedans. Lucie était en train d’arranger les sacs de couchage quand j’ai vu une tête émerger au ras du plancher, une tête de cinquante ans avec des lunettes et des nattes qui pendaient de chaque côté. J’ai failli m’étrangler mais il était trop tard, la bonne femme a gravi les derniers échelons et s’est pointée en pyjama avec un duvet enroulé dans les bras.
— Je crois qu’on sera mieux ici, elle a fait.
— On va être serré, j’ai dit.
Encore une qui était sourde mais j’ai pas eu le temps d’insister, j’ai vu l’échelle trembler à nouveau. Je me suis jeté en avant et j’ai secoué le truc jusqu’à ce que le type abandonne tout en bas, c’est complet, c’est de la folie, j’ai dit et j’ai hissé l’échelle avec la rage au cœur.
Ensuite je me suis allongé à côté de Lucie et la bonne femme était pas très loin de nous, elle nous souriait, je lui ai envoyé un regard assassin.
Comme je m’y attendais, Lucie a refusé d’entreprendre quoi que ce soit avant que notre voisine s’endorme. J’étais au supplice. Ceux d’en bas avaient soufflé la lampe mais nous en haut, on avait gardé un rayon de lune et je voyais la bonne femme lutter bêtement contre le sommeil, la bouche à moitié ouverte et tripotant une de ses nattes.
Ce petit manège a bien duré une demi-heure, ensuite sa tête a roulé sur le côté et j’ai fait signe à Lucie que l’emmerdeuse venait de s’endormir et que maintenant on était tranquilles jusqu’au petit jour.
Elle a enlevé son pull et j’ai pu jouer avec ses nichons, je lui ai mordu les bouts.
Elle a enlevé ce truc serré et j’ai pu jouer avec ses jambes, surtout l’intérieur des cuisses.
Elle a voulu faire glisser sa culotte de soie bleue mais là, je l’ai arrêtée, je voulais jouer aussi avec ça, ET COMMENT ! Ce petit morceau de tissu était une pure merveille et il me frappait droit au cœur, sa matière semblait réellement vivante. J’ai mis Lucie à genoux. Elle a appuyé sa tête dans ses bras et je suis resté un moment sans bouger, j’étais vraiment fasciné. Un rayon de lune cognait en plein là-dessus et dérapait sur la soie, je me mordillais les lèvres, bon sang ce truc allait m’engloutir d’une seconde à l’autre mais je voulais voir ça, c’était comme une soudure à l’arc, je tenais à rester conscient au maximum, quelle peau magnifique elle avait. J’ai posé une main moite sur le slip et j’ai commencé à refermer doucement les doigts. La soie s’est tendue comme un spinnaker défoncé par le vent, j’entendais Lucie respirer et ensuite j’ai fermé mon poing, j’ai tiré dessus de manière à ce que le truc lui rentre entre les fesses. C’était vraiment fantastique, sa fente s’est mise à mousser et je me suis occupé de ça rapidement, j’ai commencé à voir des petits points lumineux un peu partout.
Je faisais comme si le slip existait pas, Lucie poussait des petits grognements et j’étais en train de devenir à moitié cinglé quand la bonne femme s’est réveillée à côté. Elle a regardé ce que je faisais et elle a ouvert des yeux ronds. Je me suis redressé avec un filet de salive lumineux qui pendait encore de ma bouche, heureusement Lucie s’était aperçue de rien et j’ai fait signe à la nana de la boucler en écrasant un doigt sur mes lèvres. Elle a gémi puis elle a rabattu le duvet sur sa tête pendant que je reprenais mon hymne à la Nature dans un rayon de lune argenté.
Au petit matin, j’ai senti une main qui me secouait. J’ai ouvert un œil et j’ai vu les nattes qui dansaient sous mon nez, je me suis tourné de l’autre côté. Elle m’a secoué de plus belle.
— Bon Dieu, j’ai dit, je suis mort. Qu’est-ce que vous voulez… ?
— Je dois descendre, elle a fait.
— D’accord, faites ce que vous voulez, je vous retiens pas.
— Je peux pas remettre l’échelle toute seule, c’est beaucoup trop lourd pour moi…
— Ouais, mais pourquoi vous dormez pas ? Vous allez réveiller tout le monde !
— Je dois faire pipi… Tout de suite.
J’ai poussé un soupir qui en finissait plus et je me suis levé. Je tenais pas la forme, j’avais les jambes un peu molles et les yeux gonflés, j’avais pas dû dormir plus de deux heures et j’étais l’ombre de moi-même. J’ai soulevé l’échelle, je l’ai trouvée plus lourde que la veille, je me suis approché du vide en grimaçant et je l’ai laissée glisser jusqu’en bas. La femme m’a remercié, puis elle m’a envoyé un sourire étrange avant de poser un pied sur le premier barreau. Je sais pas comment elle s’est démerdée mais son pied a dérapé et elle a failli partir en arrière. Je l’ai rattrapée par un bras in extremis.
— Nom de Dieu, faites un peu attention, vous m’avez fichu une sacrée trouille, j’ai fait.
— Oh je vous remercie… vous êtes bien aimable, elle a dit.
— C’est rien, j’ai fait.
— C’est ridicule… l’échelle a glissé…
— Non, c’est pas l’échelle qui a glissé. Allez-y doucement.
— Je vous assure, je l’ai sentie partir sur le côté.
— Mais non, y’a pas de danger.
Elle était pas rassurée et moi je dormais presque debout. Elle a remué un peu pour voir si ça tenait bien et effectivement, cette putain d’échelle a ripé sur le bord. J’avais mon pied nu juste à cet endroit-là. J’ai cru que je l’avais posé sur un rail et qu’une locomotive venait de passer dessus en sifflant. La douleur a zigzagué sous mon crâne. J’ai eu comme un étourdissement. Je suis parti en avant et je suis descendu directement jusqu’en bas, je me suis écrasé sur la table.
C’est comme ça que je me suis pété le bras.