Quand il entendit son pager vibrer, Simon rappela le poste des infirmières.
— Montana Hendrix aimerait vous voir, si vous avez une minute.
Sa réaction fut instantanée. En entendant le nom de Montana, il sentit une vague de désir torride l’inonder. Il s’éclaircit discrètement la gorge avant de répondre :
— Je suis dans mon bureau, merci de me l’envoyer.
Puis, reposant le combiné, il se leva et se mit à faire les cent pas, ce qui était un exploit vu l’exiguïté des lieux.
La pièce, pas très grande, était meublée d’un bureau, de deux fauteuils et d’une étagère presque vide de dossiers. Son statut de temporaire lui épargnait la paperasse médicale habituelle, à l’exception des courbes de température de ses malades. L’hôpital lui avait fourni un ordinateur et une imprimante. Il n’avait pas besoin de beaucoup plus.
A cet instant précis, il regrettait l’austérité des lieux. Il aurait aimé des murs d’une autre couleur que ce blanc clinique, des tableaux, une plante verte. Un décor qui aurait réchauffé un peu cette ambiance d’hôpital.
Il se reprit. Il était médecin, et il ne recevait pas Montana pour un tête-à-tête romantique. Décidément, il devenait vraiment idiot. Quel que soit le motif de la visite de Montana, cela n’avait rien à voir avec son bureau. Elle voulait sans doute lui demander la permission d’amener un poney ou des singes jongleurs à l’hôpital. Et il allait l’écouter. Même discuter d’un audit d’impôts avec elle serait un bonheur. Il aimait le son de sa voix, la lueur d’émotion dans ses yeux couleur de châtaignes mûres, la façon dont elle agitait les mains quand elle s’animait, et ce sourire qu’elle semblait toujours retenir. Elle était si vivante, si vibrante, le monde pour elle débordait de possibilités. Personne ne lui avait jamais fait de mal, elle n’avait pas été brisée. Il était pris d’une envie subite de faire écran entre elle et la réalité, de s’assurer qu’elle ne change pas, qu’elle ne soit jamais atteinte par le mal, la souffrance.
A peine avait-il ouvert la porte, qu’elle surgit au bout du couloir. Elle avait troqué sa robe d’été habituelle pour un jean. Devant ce corps aux rondeurs sensuelles, il sentit tous ses sens s’affoler et dut se faire violence pour garder un semblant de contrôle.
Devant ses longs cheveux blonds, lâchés, il fut pris d’une envie subite de laisser leur douceur soyeuse filer entre ses doigts. Un sourire à la fois gracieux et un peu aguicheur éclairait son visage. Un désir implacable le submergea. Il voulait lui faire l’amour. Tout de suite. Et d’autres fois encore. Il savait qu’elle seule saurait réchauffer son cœur meurtri.
— Bonjour, le salua-t-elle en s’approchant. J’espère ne pas vous déranger.
— Si vous me dérangiez, je ne vous aurais pas fait venir.
Il lui fit signe d’entrer, puis la suivit, prenant bien garde à laisser la porte entrouverte. Savoir qu’ils pouvaient être surpris l’aiderait peut-être à garder ses distances.
S’arrêtant au milieu de la pièce, elle se tourna pour le regarder, une lueur espiègle dans ses prunelles.
— Vous n’êtes pas du genre à faire des salamalecs, n’est-ce pas ?
— Que voulez-vous dire ?
— Je sais bien que si vous aviez été occupé, vous ne m’auriez pas reçue. Vous n’avez pas besoin de me le préciser.
— Je ne vois pas pourquoi. C’est la vérité.
Elle partit d’un grand éclat de rire.
— Je sais ! Mais quand je vous ai dit que j’espérais ne pas vous déranger…
Il attendit, intrigué. Où voulait-elle en venir, au juste ?
— … vous n’étiez pas censé me faire cette réponse, conclut-elle.
— Pourquoi pas ?
— Vous ne l’étiez pas, c’est tout.
— Tant que les règles sont claires, je ne vois pas où est le problème.
Elle se mit à rire de nouveau, et il se surprit à sourire, sans savoir pourquoi.
— J’ai appris que vous étiez allée voir Kalinka, l’autre jour, reprit-il. Je suis content que vous en ayez pris le temps.
Son visage se rembrunit soudain.
— Fay m’a téléphoné, elle avait l’air vraiment désespérée, expliqua-t-elle. Ce ne doit pas être facile pour elle. Je suis heureuse que Chichi et moi puissions aider. Surtout Chichi.
— Cette petite chienne est très précieuse.
— Je suis contente de vous l’entendre dire.
Tout en parlant, ils s’étaient rapprochés. S’en rendant compte il recula d’un pas, pour ne pas tenter le diable. Mais cela n’y changea rien ; il se sentait comme aimanté par la présence de Montana.
Ils se fixèrent un instant en silence. Il y avait soudain comme de l’électricité dans l’air. Incapable de quitter sa bouche des yeux, son besoin de l’embrasser se fit plus pressant, incontrôlable. Il recula de nouveau d’un pas.
— C’est pour ça que vous vous êtes arrêtée ? demanda-t-il d’une voix altérée.
Elle battit des paupières.
— Je… non. En fait, j’ai trouvé que vous n’aviez pas vu grand-chose de la ville durant votre mini-tour. Et vous n’êtes pas ici pour très longtemps. Ce serait dommage pour vous de ne pas vraiment visiter Fool’s Gold.
— Je suis d’accord, il manquerait quelque chose d’important à ma vie, répondit-il, feignant une légèreté qu’il était loin de ressentir.
La lueur d’amusement s’alluma de nouveau dans les yeux sombres de Montana.
— Vous pouvez toujours vous moquer de moi, dit-elle, mais attendez de voir. Fool’s Gold est un endroit vraiment particulier. Notre histoire est pimentée d’anecdotes de pirates espagnols, sans parler de nos ancêtres mayas.
— Vous y avez déjà fait référence. Mais vous avez raison, je suis intéressé.
— J’aimerais vous préparer un programme. Vous pourriez peut-être me parler de vos goûts.
Comme soudain fascinée par le dos de son écran d’ordinateur, elle ne le regardait plus et se dandinait sur place en se tordant les doigts. Pourquoi semblait-elle si nerveuse soudain ?
— A part mon métier, je n’ai pas beaucoup de centres d’intérêt, se contenta-t-il de répondre.
Elle toussota, avant de reprendre :
— Cela pourrait intéresser… d’autres personnes.
— Que voulez-vous dire ?
— Des gens, parmi vos proches.
Il lui lança un regard surpris. Il était de plus en plus perplexe.
— Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez.
— Votre famille. Vos enfants.
Elle s’interrompit et lui lança un coup d’œil à la dérobée.
— Votre femme, ajouta-t-elle. Vous ne m’avez jamais dit si vous étiez marié.
Soudain, il comprit. Elle était inquiète — jalouse ? Il fut aussitôt pris d’une joie… ridicule. Il n’aurait sans doute pas dû mais il aimait sentir son incertitude, voir le rouge qui colorait ses joues, trahissant sa gêne. Il aimait savoir que sa réponse aurait de l’importance pour elle.
— Je ne suis pas marié.
— Vraiment ?
— Ce n’est pas le genre de détail que j’aurais pu oublier, ironisa-t-il.
— Vous seriez surpris de savoir le nombre d’hommes qui l’oublient très vite.
— Vous parlez d’expérience ?
— Non. Les hommes qui ont traversé ma vie n’étaient pas mariés. Je ne les intéressais pas, voilà tout.
— J’ai peine à le croire.
— Vraiment ?
— Vraiment.
— Merci.
— Je vous en prie. Je ne vous aurais pas embrassée si j’étais marié, précisa-t-il en se rapprochant d’elle, oubliant tous ses désirs de prudence.
— Je m’en doutais un peu mais je voulais m’en assurer.
— Vous êtes une femme pleine de bon sens.
— C’est bien la première fois que l’on me parle de mon bon sens, chuchota-t-elle en plongeant son regard dans le sien. Ce n’est pas l’image que je donne, en général.
Il avait envie de lui demander comment les autres la voyaient, comment elle se voyait elle-même. Il voulait tout savoir d’elle. Mais ces questions attendraient. Pour le moment, tout ce qui comptait, c’était de la serrer contre lui.
D’un geste vif, il referma la porte du bureau et, quand il attira Montana dans ses bras, elle se laissa faire sans résister, se lovant contre lui avec un empressement qui l’enchanta.
Ils ne s’étaient embrassés que deux fois, mais c’était suffisant pour que la sensation de son corps contre le sien lui soit devenue familière. Mais, au lieu de sentir son intérêt décroître, il se surprenait à vouloir goûter chaque millimètre de sa peau, à vouloir l’embrasser et l’embrasser encore. Il voulait se perdre dans son parfum, sentir la douceur de sa bouche contre la sienne, son goût, ses courbes affolantes sous ses paumes.
Il tressaillit lorsque ses mains glissèrent sur son torse… Le contact de sa caresse attisa le brasier qui couvait en lui, et le désir se mit à rouler dans ses veines à la manière d’un torrent furieux. L’alchimie entre eux était totale. Chaque fois qu’ils se frôlaient, son corps s’embrasait. Il la regarda, se délectant de la légère rougeur qui colorait ses joues, du soupir qui s’échappait de ses lèvres entrouvertes.
Son corps était tendu à l’extrême, raide, douloureux, sa fièvre si violente qu’il avait du mal à étouffer ses gémissements. Le passé n’avait plus aucune importance. Le futur était un brouillard brumeux. Mais l’intensité du présent le galvanisait.
Leur baiser commença doucement, presque hésitant, comme s’ils prenaient leur temps, par un frôlement de lèvres. Puis sa bouche s’empara de celle de Montana, impérieuse, et ce fut comme si, soudain, une source venait assouvir sa soif. Depuis toujours il vivait comme un zombie. Un corps sans âme. Il respirait, mangeait, travaillait ; couchait parfois avec une femme qu’il oubliait aussitôt. Mais il se sentait vide, si vide que seule la routine le portait. Il s’abrutissait dans son travail, s’immergeait dans la minutie de ses tâches quotidiennes. Tout pour ne pas penser, ne pas avoir le temps de se poser des questions sur le néant de sa vie.
Et Montana l’avait tiré de sa torpeur.
Tous ses sens surchauffés, il dévora sa bouche, l’étreignit follement, comme pour compenser toutes ces années.
Ses mains glissèrent le long de son dos avant de se poser sur ses fesses et de la plaquer contre lui, ne lui laissant rien ignorer du désir qu’il avait d’elle.
Elle étouffa un gémissement qui vint se perdre sur ses lèvres, et se fondit contre lui. Il s’arracha à sa bouche et, la tête enfouie dans son cou de cygne, l’explora, l’effleurant de ses lèvres. Il inspira profondément. Son parfum collait à sa peau, à ses cheveux. Il s’infiltra en lui, mélange voluptueux de roses et d’épices, décuplant son avidité.
Son désir était violent, vorace. Jamais il n’avait désiré une femme avec cette intensité, ce désespoir. Une seule chose comptait : assouvir son désir.
Il butina la peau chaude et satinée de Montana, sentant ses frissons de plaisir. La tête penchée de côté, elle s’abandonnait à ses longs baisers.
Ses seins étaient tendus de désir et, comme s’il devinait ses pensées, il recula imperceptiblement, juste assez pour relever son T-shirt.
Ses doigts glissèrent langoureusement sur les douces rondeurs emprisonnées dans la dentelle, avant de se faufiler en douceur sur sa peau… Elle gémit.
S’enivrant de plaisir, il fit durer l’instant. Puis il trouva ses mamelons durcis et, tour à tour, les caressa de ses doigts, avant de repousser la dentelle pour y porter ses lèvres, lui arrachant un nouveau gémissement d’extase. Une vague de désir plus violente le submergea.
— Tu es belle, chuchota-t-il, détachant sa bouche de la pointe rose et tendue de ses seins. Si belle…
— Je te veux, Simon. Maintenant. Je t’en prie. Maintenant…
Elle avait un sourire coquin, une petite flamme audacieuse dansait au fond de ses prunelles. Comment aurait-il pu résister ?
Reprenant sa bouche avec ferveur, il défit la fermeture Eclair de son jean qu’il fit lentement descendre le long de ses jambes et, s’enhardissant, glissa la main sous son slip, jusqu’à la chair brûlante qui l’attendait. Les cuisses écartées, toute pudeur oubliée, elle s’offrait à lui. Et il allait prendre ce merveilleux cadeau. Il se fichait bien de l’endroit où ils étaient. Seule comptait la sensation de ses mains sur elle. Lorsque, poussant le jeu plus loin, il glissa un doigt, puis deux, dans l’onctuosité de son sexe chaud, elle poussa un petit cri.
Il voulait lui procurer la caresse la plus audacieuse, la plus intime, déguster son intimité palpitante de sa langue, connaître enfin son goût de femme. Il la voulait frémissante d’épuisement, ivre de plaisir.
Dans le couloir, un brouhaha de voix ponctuées de rires le fit soudain retomber sur terre. En un flash, il se rappela. Ils étaient dans son bureau.
A contrecœur, il se redressa, et fixa le regard embrumé de volupté de Montana, ses joues rosies par le plaisir. Son désir était flagrant. Il sourit.
— Merci, murmura-t-il.
Les paupières alourdies, elle cligna des yeux, comme si elle sortait d’une longue torpeur.
— Je vous en prie, docteur. Vous pouvez m’embrasser quand vous voulez. Je suis sérieuse.
Les voix se rapprochaient. Elle jeta un coup d’œil vers la porte et tressaillit.
— J’ai oublié où nous étions, avoua-t-elle.
— J’aimerais pouvoir en dire autant.
Il l’aida à se rhabiller, s’attardant sur sa peau douce, ses seins.
Elle lui sourit. Un éclair de malice dans les yeux, elle posa ses mains sur son ventre, puis la fit glisser plus bas pour enserrer son sexe dressé. Il lut la surprise sur son visage.
— Waouh ! s’exclama-t-elle.
— Tu avais des doutes ?
— Peut-être. Un peu. Tu es juste si… Enfin je ne suis pas vraiment ton type.
— Comment peux-tu ne pas être mon type ? Tu es belle, drôle, intelligente. Tu as raison, tu n’es pas mon type. J’ai dû me tromper quand je t’ai embrassée.
Elle laissa échapper un petit rire.
— Tu préfères les femmes dépourvues de charme et de personnalité ? demanda-t-elle.
— J’aimerais pouvoir dire non mais mon passé parle de lui-même.
Il était toujours sorti avec des femmes qui ne présentaient pas de risques. Des femmes qui acceptaient ses règles. Montana n’était pas comme ça. Pourtant, il semblait incapable de lui résister.
— Le mien aussi, murmura-t-elle, soudain triste.
Il frôla sa joue d’un doigt. Il savait qu’il ne trouverait pas la paix tant qu’il ne lui aurait pas fait l’amour.
— Je te veux, Montana. Dans mon lit. Nue. Je t’en prie, dis-moi oui !
Jamais elle n’avait eu affaire à un homme aussi direct. Ni aussi excité. Il se consumait de désir pour elle. Elle le voyait sur son visage, sentait la tension dans son corps. Cette violence lui fit peur.
Souvent elle ne s’était pas sentie à la hauteur. Le scénario était toujours le même. Ou les hommes dont elle était tombée amoureuse la quittaient, ou ils essayaient de la faire changer et elle était obligée de fuir, plutôt que de devenir quelqu’un d’autre. De se sentir désirée pour elle-même lui donnait l’impression de flotter sur un petit nuage. Mais pourrait-elle répondre aux attentes de Simon ?
Elle le fixa sans ciller.
— Oui, répondit-elle. Mais pas dans ton lit, si cela ne te fait rien. Tu es à l’hôtel et je connais tout le monde dans cette ville.
— Dans ton lit, alors.
— Dans mon lit.
Il se pencha et l’embrassa de nouveau. Un baiser rapide mais passionné, porteur de mille promesses.
— Ce soir ? demanda-t-il en se redressant.
Hochant la tête, elle lui donna son adresse et ils convinrent d’une heure de rendez-vous.
Alors qu’elle était sur le point de sortir, il frôla son bras. Elle le regarda.
— Montana, tu sais que je ne suis pas ici pour rester.
Ce n’était pas au soir même qu’il faisait référence, comprit-elle avec tristesse. Il cherchait juste à la mettre en garde. C’était un homme qui ne pouvait pas se poser. Ou qui ne le voulait pas. Un homme qui partait.
— Je sais.
— Dès que je quitte Fool’s Gold, je m’envole pour le Pérou. Rien ne me fera changer mes projets.
Elle se contenta de hocher la tête. Elle savait pourtant qu’il testait sa réaction, que ce qu’il voulait entendre de sa bouche, c’était qu’elle était une femme émancipée, habituée à ce genre de situation. Qu’elle se fichait bien qu’il s’en aille une fois leur relation terminée. Mais elle n’était pas cette femme-là. Optant pour le silence, elle se contenta d’ouvrir la porte et de sortir.
Même si elle n’était pas ce genre de femme, au diable la prudence ! Elle préférait prendre le risque de souffrir mais connaître l’ivresse d’une nuit dans les bras de Simon. Son intuition lui soufflait que le jeu en valait la chandelle.
* * *
Les autres expériences sexuelles de Montana se limitaient à… deux. Elle avait donné sa virginité au petit copain de ses années universitaires et, ironiquement, son cœur au médecin rencontré durant son bref séjour à Los Angeles. Qui le lui avait brisé sans vergogne.
Avec son premier amant, elle avait appris qu’il ne fallait pas toujours croire un homme qui vous disait « Je t’aime ». Le second lui avait fait perdre son peu de confiance en elle. Si elle avait eu une once de bon sens, elle aurait su qu’avec Simon, elle devait se tenir sur ses gardes. Pourtant, elle s’y refusait.
Un long moment, elle hésita devant sa penderie. Que portait-on pour ce genre de rendez-vous, à caractère principalement sexuel ? Elle poussa un soupir découragé. Simon avait beaucoup voyagé, il était cultivé, détaché, et savait garder ses distances d’un point de vue émotionnel. Elle aurait pu faire un choix plus judicieux. Si elle ne savait pas ce qu’il recherchait chez une femme, elle se doutait bien que l’élue ne serait pas une dresseuse de chien provinciale.
Néanmoins, elle devinait sa bonté. Et quand elle plongeait les yeux dans son regard gris-vert, elle se surprenait à vouloir s’y noyer. Rien d’autre ne comptait. Elle aimait son sourire, ses baisers, sa façon de faire attention au moindre détail, de presque demander pardon d’être si coincé. Elle voulait connaître son passé, ses blessures et tous ses regrets.
Elle savait qu’elle prenait un risque. Elle ne se donnait jamais à la légère. Qu’est-ce qui lui faisait croire qu’elle pouvait coucher avec un homme qui ne cachait pas son intention irrévocable de partir ? Ne devrait-elle pas essayer de se protéger ? Hélas, toute raison semblait l’avoir abandonnée.
Elle pouvait toujours se raconter que faire l’amour avec lui permettrait de mieux le connaître. Il y avait sans doute du vrai là-dedans. Mais une chose était sûre : elle avait le sentiment qu’il allait la combler de sensations qu’elle n’avait jamais éprouvées. Toute femme ne devait-elle pas en faire l’expérience, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie ?
Ce qui la ramenait à son dilemme actuel. Qu’allait-elle bien pouvoir porter ? Même s’ils terminaient au lit, sûrement très vite, lui ouvrir la porte nue aurait manqué de subtilité. De la lingerie fine, voilà le choix qui s’imposait. Hélas, elle n’en possédait pas. Et elle doutait que Simon soit emballé par sa plus jolie chemise de nuit, un cadeau de Noël de sa mère, en coton imprimé de chiens de dessins animés. Elle possédait néanmoins un soutien-gorge en dentelle noir et un slip assorti. Un string, plus exactement, mais elle pourrait le supporter pendant deux heures.
Elle continua à passer en revue ses tenues. Une robe pouvait être pas mal. La bleue, toute simple, sans manches, un peu moulante. La longue fermeture Eclair dans le dos faciliterait la séance de déshabillage. Quoique… vu la façon dont Simon avait réussi à lui retirer son soutien-gorge en un tournemain, il était sans doute inutile de se lancer dans des complications vestimentaires.
Souriant à cette pensée, elle s’habilla et vérifia son maquillage. Un trait de khôl, un soupçon de mascara, juste assez pour agrandir ses yeux, cela suffirait. Les chaussures ne seraient pas un problème, elle resterait pieds nus.
Un coup d’œil rapide au réveil lui confirma qu’elle avait encore une heure à attendre. L’impatience lui nouait l’estomac. Peut-être pourrait-elle lui téléphoner et suggérer qu’il arrive plus tôt. Ou bien encore…
Son téléphone portable se mit à sonner. Le nom de Simon s’afficha à l’écran.
— Je pensais justement à toi, lui dit-elle en guise de salut.
— Montana, je ne peux pas venir. Il y a eu un accident.
La poitrine soudain prise dans un étau, elle se laissa tomber sur le canapé.
— C’est toi ? fit-elle d’une voix étranglée par la peur.
— Non. Un motard. Il passe en salle d’opération. Quand ce sera fait, j’aurai besoin de travailler sur son visage. Je suis désolé, finit-il dans un soupir.
— Moi aussi.
— Je n’aurais pas voulu annuler mais…
— Simon, tu n’as pas besoin de t’expliquer. C’est ton métier. Mais je te remercie de m’avoir prévenue.
— Tu n’es pas fâchée ?
— Non. Terriblement déçue mais pas fâchée.
— Bien. Je ne voulais pas que tu penses que j’essayais de trouver un prétexte pour esquiver notre petite soirée.
— Notre petite soirée sexe ? le taquina-t-elle.
— Oui, notre petite soirée sexe.
Elle repensa à ses caresses qui avaient enflammé son corps…
— Rassure-toi, je crois avoir compris à quel point tu me désirais, murmura-t-elle. Je peux attendre.
— Tant que ce n’est pas trop longtemps.
— Le plus tôt sera le mieux.
— Je dois y aller. Je t’appelle dès que je le peux.
— J’espère qu’il va s’en sortir.
— Moi aussi.
Et il raccrocha. Elle resta quelques instants comme pétrifiée, puis elle se leva. Finalement, la soirée string tombait à l’eau.
Elle alla se changer. A peine avait-elle enfilé ses sandales que le téléphone sonna de nouveau. C’était Raoul.
— Ça y est ? demanda-t-elle, le souffle court.
— Oui, ça y est. Elle a des contractions, précisa-t-il d’une voix trahissant sa panique. Nous partons pour l’hôpital. Tu as bien la liste ? Tu sais quoi faire ?
— Tu vas commencer par respirer un bon coup. Je sais exactement quoi faire. D’abord, j’appelle ma mère. Elle sera chez vous dans moins de dix minutes. Si je n’arrive pas à la joindre, je viendrai garder Peter en attendant son arrivée.
— D’accord. Là, je vais le confier à un voisin. Bon sang ! Je dois vraiment filer. Pia a des contractions !
— Je crois que j’avais compris. Dépêche-toi. J’appelle maman et je vous retrouve à l’hôpital. Dis à Pia que je pense bien à elle.
— D’accord.
Songeuse, elle raccrocha. Pour un footballeur qui avait mené l’équipe des Cowboys de Dallas jusqu’à la finale du Super Bowl, Raoul était vraiment très nerveux. Sans doute était-ce normal pour une naissance.
Elle appela sa mère qui répondit dès la première sonnerie.
— Pia a enfin des contractions, lui annonça-t-elle.
— Dieu merci ! Voilà des semaines qu’elle attend. Je suis prête. Je file chez eux.
— Parfait. Moi je vais à l’hôpital.
— Tiens-moi au courant.
— Tu peux compter sur moi.
— J’ai hâte de savoir si ce sont des filles ou des garçons. Ça va être un très beau jour !
— Oh oui, maman. Je t’aime.
— Moi aussi, je t’aime, chérie.
Montana alla chercher la liste des gens à prévenir. Elle allait commencer par ses deux sœurs.
* * *
— Si ce sont des jumeaux, l’accouchement va durer deux fois plus longtemps ? demanda Nevada.
Montana se mit à rire.
— Je ne sais pas et je ne suis pas sûre de vouloir le savoir.
Elles s’étaient retrouvées dans la salle d’attente de la maternité, où d’autres familles étaient réunies, attendant leur propre miracle. Les amis de Pia étaient arrivés en nombre : Marsha, Charity et Josh Golden avec leur bébé. Ethan et Liz avaient, pour leur part, décidé de laisser les enfants à la maison.
Les tables étaient couvertes de victuailles, et une glacière remplie de bouteilles d’eau et de sodas avait été prévue. Tout le monde avait été invité à se servir. Et même si personne n’avait oublié qu’il s’agissait d’un hôpital, l’ambiance était à la fête.
Montana poussa un soupir de satisfaction. Cette joyeuse effervescence aurait fait plaisir à Pia.
— Dakota doit arriver dès que Hannah dormira. Finn la gardera, dit-elle en se levant pour aller embrasser sa mère qui venait d’entrer avec le fils adoptif de Raoul et Pia.
— Peter. Tu vas bien ?
L’air un peu gêné, le petit garçon, qui avait l’air plus curieux qu’inquiet, lui rendit son étreinte.
— Je voulais venir, répondit-il en la défiant du regard.
— Il était anxieux de nous voir tous nous faire du souci, sans lui expliquer pourquoi, expliqua Denise en posant une main protectrice sur son épaule.
— J’aime Pia, dit-il simplement. Je veux que tout se passe bien.
— Nous aussi, lui assura Montana en l’entraînant vers une table. Viens prendre un biscuit.
— Elle va bien ?
— Pas de nouvelles, bonnes nouvelles.
Il était inutile de l’alarmer avec les possibles complications de la naissance. Après tout, il n’avait que dix ans.
— Tu crois que Raoul a peur ? demanda-t-il.
— Je suis sûre qu’il est terrifié. Les bébés, c’est tout petit, sans défense.
Peter hocha la tête d’un air grave.
— Dans ce cas, j’aiderai. Je serai leur grand frère.
Montana lui sourit et passa son bras autour de ses épaules.
— Mes grands frères aussi ont aidé nos parents à notre naissance.
Dakota arriva et salua tout le monde.
— Bientôt, ce sera ton tour, ma chérie, déclara Denise avec un sourire réjoui.
Dakota tapota son ventre plat.
— Je ne dois accoucher qu’en mars, maman. Nous avons encore le temps.
— En tout cas, je suis aux anges.
— Tu cherches à nous mettre la pression, maman ? lança Nevada avec un soupir résigné.
— Je n’ai rien dit, se défendit Denise. J’ai bien le droit de dire que je rêve d’avoir des tas de petits-enfants.
Heureusement, elles furent interrompues par un médecin qui entrait dans la salle d’attente. Ignorant leurs regards pleins d’espoir, ce dernier s’avança vers une autre famille.
Songeuse, Montana balaya la pièce du regard. Des moments comme celui-ci lui rappelaient pourquoi elle aimait tant vivre à Fool’s Gold. C’était plus qu’une petite ville, c’était une vraie communauté. Les gens prenaient soin les uns des autres. Elle savait que quand Pia rentrerait chez elle, tout le monde lui apporterait des repas, lui évitant ainsi de cuisiner pendant des mois, qu’elle se verrait prodiguer des conseils, qu’on lui proposerait des heures de baby-sitting. Et même si Raoul trouvait peut-être la vie ici un peu provinciale, il serait vite conquis par tant de chaleur.
Montana aimait sentir qu’elle faisait partie de cette dynamique. Savoir qu’elle pouvait compter sur la solidarité de sa famille, de ses amis, et de tous les habitants. La vie à Fool’s Gold était comme nulle part ailleurs.
Tirée de ses pensées par l’arrivée de Raoul, elle sursauta.
L’ancien champion de football entra dans la salle d’attente en titubant. Tout le monde cessa de parler et le regarda.
Vêtu d’une blouse, Raoul avait les cheveux en bataille, le regard un peu hagard. Il jeta un coup d’œil à la ronde, comme s’il ne savait plus très bien où il était.
Quand il vit Peter, son visage s’illumina d’un sourire réjoui.
— Ce sont des filles, finit-il par annoncer. Tu as deux petites sœurs, bonhomme. Elles sont très belles. Parfaites. Je n’arrive pas à croire à ma chance. D’abord toi, puis ces deux filles. Adelina Crystal et Rosabel Dana, en l’honneur de Crystal et de Keith Danes. Ainsi, nos amis continueront à vivre à travers nos filles.
Tout le monde se précipita dans un concert d’exclamations.
Montana les laissa à leurs effusions et s’éclipsa. Personne ne pourrait voir Pia et ses filles avant un moment. Elle avait besoin d’aller trouver Simon.
Elle gagna l’accueil principal de l’hôpital. Une femme d’un certain âge leva les yeux de son écran d’ordinateur.
— Je peux vous aider ? s’enquit-elle.
— Je voudrais savoir où en est le Dr Bradley. Il est en salle d’opération. Savez-vous pour combien de temps encore ?
— Non, le Dr Bradley n’opère pas ce soir. Voulez-vous que je l’appelle sur son pager ?
Interdite, Montana ouvrit la bouche, puis la referma. Il n’était pas en salle d’opération ? Ne lui avait-il pas dit que… ?
La gorge soudain sèche, elle toussota.
— Non merci.
Une sourde angoisse lui étreignant le cœur, elle rebroussa chemin.
Simon lui aurait-il menti ? Elle ne pouvait pas le croire. Mais alors, quelle autre explication ? Il avait changé d’avis ? Il ne voulait plus coucher avec elle et, au lieu de le lui dire franchement, il avait inventé un bobard. Pourtant il lui avait semblé si sincère, tout à l’heure, au téléphone…
Les larmes brûlaient ses paupières. Non, elle ne pleurerait pas ! C’était bien assez humiliant d’avoir voulu se donner à lui sur un coup de tête. Alors inutile en plus de perdre son temps à pleurnicher, il n’en valait pas la peine.
Elle secoua la tête. Il ne s’en tirerait pas comme ça ! Avant de partir, elle irait le trouver et lui dire ses quatre vérités. Il fallait faire comprendre à Dr Coincé que son comportement était inacceptable. Elle n’avait peut-être ni la sophistication ni l’élégance des femmes qui le faisaient craquer d’habitude, mais elle ne se laisserait pas traiter de la sorte ! Pas avant de lui avoir dit ce qu’elle pensait de lui.