Denise jeta un coup d’œil discret à sa montre. Pourvu que l’homme qui lui faisait face ne remarque rien. Elle réprima un soupir. Cela ne faisait vraiment que vingt minutes qu’elle était là ? Dieu merci, ils avaient juste prévu de prendre un verre, pas de dîner !
Steve était un homme séduisant. Bronzé, athlétique, raisonnablement intelligent. Et puis ses yeux bleus lui plaisaient. Leur conversation avait porté sur son travail de directeur régional pour un distributeur de pièces informatiques, sur le Festival d’Eté qui allait se dérouler à Fool’s Gold, et sur le temps.
— Vous venez ici souvent ? lui demanda-t-il.
— Au vignoble ? Non. Pas souvent.
Elle jeta un regard autour d’eux. Des tables et des chaises avaient été sorties. La soirée d’été était chaude, agrémentée d’une brise légère. Avec, à l’est, la chaîne montagneuse qui barrait le ciel et, à l’ouest, les vignes qui s’étendaient à l’infini, elle n’aurait pu rêver cadre plus romantique. Alors pourquoi se sentait-elle si mal à l’aise ?
— J’ai lu dans le journal que c’était un bon été pour le raisin, reprit-elle. Si le beau temps persiste, la Californie va donner un cru exceptionnel cette année.
Elle refoula un grognement de frustration. Quelle conversation passionnante !
Peut-être ce cadre idyllique manquait-il de naturel, en fait. A vrai dire, il lui était difficile de trouver un endroit où donner un premier rendez-vous à Fool’s Gold où tout le monde se connaissait. Ce qui compliquait singulièrement sa vie privée. Et tout particulièrement à son âge.
— Vous venez souvent à Fool’s Gold ? demanda-t-elle.
— Non, mais ça peut s’arranger…
Elle réprima un frisson de terreur. Quelle idiote elle faisait ! Comment avait-elle pu lui tendre une perche pareille ? Se composant un air détaché, elle enchaîna :
— Donc, les affaires vont bien ?
— De mieux en mieux, figurez-vous, répondit-il en se penchant vers elle. La technologie des portables est en constante mutation et les gens veulent suivre. Dans nombre d’industries, vous devez attendre jusqu’à ce que les appareils rendent l’âme. Réfléchissez-y. Remplaceriez-vous votre lave-linge juste parce qu’un nouveau modèle, plus sophistiqué, arrive sur le marché ?
— Bien sûr que non.
— Exactement ! Personne ne le ferait. Mais, pour les gens, il est tout à fait naturel d’acheter un nouveau téléphone simplement parce qu’il est plus performant. C’est une espèce de désuétude calculée.
— J’ai l’impression que vous aimez beaucoup votre travail.
— C’est le cas. J’aime beaucoup la vente et j’adore avoir accès aux tout derniers gadgets.
Il tira un téléphone ultra-plat de sa poche, tapota l’écran et lui montra la multitude d’icônes qui s’affichaient.
— Si vous cherchez à m’impressionner, vous avez tiré le mauvais numéro, dit-elle. J’ai le même téléphone depuis deux ans. La simple idée de devoir apprendre à me servir d’un autre me terrifie.
— Je pourrais vous aider, suggéra-t-il avec un regard éloquent.
Il était évident qu’il était intéressé, songea-t-elle avec une pointe de lassitude. Elle aurait dû être flattée. Du reste, elle l’était. Un peu. Il était plutôt pas mal, il semblait charmant. Mais il manquait l’essentiel : la petite étincelle.
Il lui souriait, et elle s’aperçut soudain que les coins de ses yeux étaient à peine marqués. Que ses cheveux châtain clair n’avaient aucune touche de gris.
Ils s’étaient rencontrés le mois dernier, au Starbucks, alors que Steve se trouvait à Fool’s Gold pour une conférence. Quand elle avait renversé son café sur son costume, il avait réagi avec humour. Aussi, quand il lui avait demandé son numéro, elle le lui avait donné sans trop réfléchir, supposant qu’il avait plus ou moins son âge.
— Quel âge avez-vous ? lui demanda-t-elle.
— Quarante-deux ans.
Elle faillit s’étrangler.
— J’ai plus de dix ans de plus que vous, annonça-t-elle une fois qu’elle eut repris ses esprits.
Maintenant, il allait sûrement prendre ses jambes à son cou.
— L’âge n’est qu’une question de chiffres, répondit-il.
— Ce n’est pas ce que me dit mon miroir le matin, ironisa-t-elle.
Il se pencha de nouveau vers elle.
— Ne vous inquiétez pas. Ai-je l’air de m’inquiéter, moi ? Vous êtes une femme séduisante, pleine de vitalité. Et, sexuellement, dans la fleur de l’âge.
Elle se figea, partagée entre l’envie d’éclater de rire et le besoin pressant d’appeler ses enfants à la rescousse. Sexuellement dans la fleur de l’âge ? Elle n’arrivait même pas à embrasser les hommes avec qui elle acceptait des rendez-vous ! Alors, de là à envisager une relation sexuelle…
Elle étouffa un soupir.
— Steve, nous avons passé un bon moment, commença-t-elle.
— Tout à fait d’accord. Je veux vous revoir.
— Pourquoi ?
Il sourit.
— Vous me plaisez, Denise.
— Vous aussi, vous êtes charmant, murmura-t-elle, mais soyons réalistes. Vous avez été marié ?
— Vous avez des enfants ?
— Non.
— Vous en voulez ?
— Oui.
— Eh bien voilà ! Vous n’avez aucun avenir avec moi. J’ai six enfants, et l’aîné a…
Elle s’interrompit et déglutit.
—… huit ans de moins que vous.
— Vous vous êtes donc mariée très jeune. Cela ne change rien, insista-t-il.
— Détrompez-vous. Je suis grand-mère. Je ne veux pas tout recommencer. Je veux…
Elle pinça les lèvres. Que voulait-elle au juste ? Elle ne le savait pas elle-même. L’impossible, sans doute. Elle voulait un homme qui ferait battre son cœur plus vite, qui la comprendrait, qui comprendrait son monde, qui déciderait qu’elle était exactement la femme qu’il recherchait. Un homme… qu’elle pouvait imaginer clairement, mais qu’elle faisait tout pour éviter.
— J’ai été très contente de vous avoir rencontré, déclara-t-elle en se levant. Merci pour le verre.
Il se leva à son tour.
— Vous partez ?
— Oui. Au revoir.
Sur ces mots, elle quitta la salle de dégustation et regagna le parking. Arrivée devant sa voiture, elle n’y monta pas tout de suite et, face aux sommets illuminés par le soleil couchant, elle refoula ses larmes.
Parfois, Ralph lui manquait à tel point qu’elle avait l’impression qu’on lui arrachait le cœur. Il lui arrivait même d’avoir l’impression qu’il lui était impossible de continuer. Mais aujourd’hui, alors qu’elle fixait la chaîne des montagnes, ce n’était pas à son mari qu’elle pensait.
C’était à Max. Max le motard, si dangereux, si troublant, avec lequel elle avait échangé des baisers passionnés. Max qui lui avait appris la violence de l’amour qui balaye tout sur son passage.
Mais les hommes comme lui ne restaient pas. Quand il était parti, elle avait déjà rencontré Ralph et compris qu’il était le genre d’homme qu’elle pourrait aimer toute sa vie. Il lui avait apporté la sécurité, la stabilité, tout ce que Max aurait été incapable de lui donner. Ralph lui avait donné tout ce que Max lui avait refusé.
Ils avaient eu six enfants magnifiques, et elle avait vécu avec lui les années les plus heureuses de sa vie. Il avait été sa moitié. Leur amour avait survécu à sa mort, et elle lui était restée fidèle.
Elle monta en voiture et démarra. Si elle ne croyait pas à un seul grand amour dans une vie, elle doutait de rencontrer de nouveau un homme comme Ralph. Ce qui lui laissait deux options : ou se contenter d’un second choix, ou refuser tout rendez-vous galant.
Songeuse, elle prit la direction de chez elle. Si elle se dépêchait, elle pourrait arriver à temps pour dîner avec Kent et Reese, puis aller promener Fluffy. Sans doute sa routine familière et rassurante valait-elle mieux que ce qu’un homme pouvait lui offrir.
* * *
Dans l’ascenseur de l’hôpital, Montana se tourna vers Reese.
— Tu as bien compris les règles ?
— Nous les avons déjà révisées trois fois, répondit-il avec un regard exprimant un mélange de patience et de pitié. N’empêche, je suis un peu nerveux.
Ils allaient voir Kalinka.
En sortant de l’ascenseur, Reese s’arrêta un instant et, l’air grave, déclara :
— Je n’en dirai pas plus que ce que j’ai promis. Je sais déjà qu’en la voyant, je vais avoir un peu peur. Mais je m’en remettrai. Je ne suis plus un enfant. Je devine à quel point elle est mal.
Montana le serra dans ses bras. Comme elle était fière de son neveu !
— Regarde-toi ! Tu as tellement grandi.
— Encore six ans et j’aurai le permis de conduire ! répliqua-t-il d’un air réjoui. J’ai même compté les jours.
— Si j’étais toi, j’éviterais d’en parler à ton père, lui fit-elle remarquer avec un clin d’œil. S’il savait que tu vas conduire dans si peu de temps, il aurait un infarctus.
Reese éclata de rire.
Ils gagnèrent le service des grands brûlés et se dirigèrent vers la chambre de Kalinka. Fay les attendait devant la porte.
— Elle est un peu fatiguée, déclara-t-elle, visiblement inquiète. Vous êtes bien sûrs ?
Devinant qu’elle devait regretter d’avoir donné son accord, Montana jeta un coup d’œil à Reese qui hocha la tête.
Le petit garçon entra dans la chambre et, sans hésiter, se dirigea vers le lit.
— Bonjour Kalinka, dit-il avec un sourire, je suis Reese.
La fillette était à moitié assise dans son lit. Quelques mèches de cheveux blonds dépassaient de ses bandages qui couvraient son visage et son cou, dévoilant des pans de peau à vif.
Voyant qu’elle ne répondait rien, il enchaîna :
— Ma tante Montana m’a dit que tu ne pouvais pas te lever. Je suppose que c’est pour ça que tu veux avoir la visite d’un petit chien. Mon père et moi aussi, nous avons une chienne, depuis quelques semaines, Fluffy. Je suis sûr qu’elle sèmerait la panique, ici. Elle est très joueuse mais elle n’a aucune idée de sa corpulence. Elle a failli me faire tomber avec sa queue et elle a déjà cassé plein de trucs chez ma grand-mère.
Il se tourna vers Montana qui observait la scène.
— Tu as déjà emmené Fluffy à l’hôpital ? lui demanda-t-il.
— Une fois seulement, répondit Montana un peu mal à l’aise. C’était un accident.
A sa grande surprise, Kalinka se mit à rire.
— Je me rappelle ! Je l’ai entendue aboyer. Le Dr Bradley était furieux.
— Ah ça ! Pour être furieux !
— Moi aussi je connais le Dr Bradley ! s’exclama Reese avec fierté. J’ai eu un accident de voiture et il m’a mis des points de suture. Il pense que je n’aurai pas de cicatrice. Je dois dire que ça m’était un peu égal. Je trouve les cicatrices intéressantes.
Kalinka détourna un instant la tête. Puis elle le regarda de nouveau.
— J’ai des cicatrices, dit-elle. Du moins, je vais en avoir.
— Ça fait très mal ? s’enquit Reese.
Kalinka hocha la tête.
— Ils me donnent des médicaments pour la douleur. Ça me fait dormir. Le barbecue a explosé. J’ai pris feu.
— Comme à la télévision, dit Reese en s’asseyant.
— Exactement.
Il était temps de les laisser. Montana sortit de la chambre et retrouva Fay qui l’attendait dans le couloir.
— Elle discute avec lui, chuchota-t-elle. Je pensais qu’elle lui demanderait de s’en aller. C’est plutôt positif, non ?
— Je pense. C’est une forme de retour à la normale.
Montana tressaillit. Ce mot la faisait toujours penser à Simon. Mais il ne fallait pas qu’elle pense à lui.
— Merci d’avoir suggéré cette visite, reprit Fay. Je deviens folle à la regarder souffrir, sachant que je ne peux rien faire pour la soulager.
— Le temps que vous passez avec elle compte déjà beaucoup.
— Je l’espère.
Reese les interrompit.
— Vous avez des jeux ? demanda-t-il. Les mains de Kalinka ne sont pas trop brûlées, elle peut se servir d’un joystick ou d’une télécommande.
— Ou elle pourrait jouer à un jeu de société, suggéra Montana.
— Super, marmonna Reese sans grande conviction.
Fay se mit à rire.
— Tu aimes les mêmes jeux que ma fille, je suppose. J’ai apporté sa Playstation 2.
Comme tout semblait bien se passer, Montana décida d’aller s’installer dans une salle d’attente. Elle reviendrait chercher Reese dans une heure.
Elle se dirigeait vers le poste des infirmières quand, au détour du couloir, elle se trouva nez à nez avec Simon.
— Montana.
— Bonjour. J’ai amené mon neveu rendre visite à Kalinka. Jusqu’ici, tout se passe bien. Ils jouent à un jeu vidéo.
— C’est très bien. Moins elle déprimera, plus elle cicatrisera vite.
Il marqua une pause et s’éclaircit la voix.
— Je suis content de te voir. Je voulais te parler de quelque chose. Plusieurs enfants vont passer demain au dispensaire pour se faire retirer leurs points de suture. Pour peu que le premier se mette à pleurer, tous les autres paniquent, et la matinée tourne au désastre. Je voulais savoir si tu pouvais amener un chien thérapeute pour les distraire.
— Bien sûr. Vers quelle heure ?
— 9 h 30. Cela ne devrait pas durer plus de deux heures.
— Je t’amènerai l’un des gros chiens. Ils font plus facilement diversion.
— Parfait.
Elle l’observa à la dérobée. Il était distant, son ton était formel. Où était l’homme passionné qui l’avait embrassée ? Mais elle n’avait que ce qu’elle méritait.
D’un geste hésitant, elle frôla son bras. Le tissu de sa blouse blanche était lisse sous ses doigts.
— Je suis désolée, déclara-t-elle. Pour l’autre jour. Ce n’est pas à moi de te dire ce qu’il faut croire ni comment vivre ta vie. Je te connais à peine. J’essayais juste de te démontrer quelque chose et j’ai tout gâché. Je te demande pardon si je t’ai fait de la peine ou si je t’ai offensé.
— Et si je te dis que ce n’était rien ?
— Je ne te croirais pas mais je ne discuterai pas.
— Là, c’est moi qui ne te croirais pas. Tu aimes discuter.
— C’est faux. Enfin, ce n’est pas un trait de mon caractère que j’aime, précisa-t-elle dans un soupir résigné.
— Dans ce cas, ça change tout.
Elle le scruta avec attention, essayant de deviner ses pensées.
— Tu es fâché ? demanda-t-elle.
— Non.
— Tu me détestes ?
— Non.
Une question lui brûlait les lèvres. La désirait-il toujours ? Mais elle se garderait bien de la lui poser. Il y avait des limites à son courage.
— Tu me pardonnes ?
— Oui.
Elle lui sourit.
— Merci !
Il leva une main comme pour caresser son visage, mais la laissa retomber. Un sentiment de déception remplaça le soulagement qu’elle venait d’éprouver. Il lui pardonnait, certes, mais leur relation ne serait jamais plus comme avant.
* * *
Encore perturbée par sa rencontre avec Simon, Montana décida qu’elle avait besoin d’un bon roman pour se distraire. Une soirée sur son canapé, à lire, lui remonterait le moral. Aussi, après sa journée de travail, elle passa chez Morgan’s Books.
Elle trouva la librairie pleine d’animation, comme d’habitude. Le parfum du café mélangé à celui, délicieux, des brownies, flottait dans l’air. Amber, la fille de Morgan, venait sans nul doute d’apporter une fournée de sa boulangerie.
Après avoir salué de la main les clients qu’elle connaissait, elle se dirigea vers le rayon des romans sentimentaux. Sa vie amoureuse plus que désastreuse ne devait pas l’empêcher de vivre de belles histoires par procuration. Elle balaya les étagères du regard, en quête d’un livre qui correspondrait à son humeur. Une couverture rouge attira son attention.
— Visions of Magic, par Regan Hastings, murmura-t-elle, intriguée, en étudiant le tatouage en forme de flamme sur le dos de la femme en photo sur la couverture.
Elle tendit le bras pour l’attraper mais effleura une autre main.
— Pardon ! s’excusa-t-elle.
Elle reconnut alors la jeune femme un peu potelée, arrivée récemment à Fool’s Gold. Elle avait environ son âge, des cheveux dorés ramenés en tresse, et de grands yeux verts qui, bien malgré elle, lui rappelèrent ceux de Simon… Elle s’empressa de chasser ce dernier de ses pensées et demanda :
— Bonjour. Heidi, c’est ça ?
— Oui, répondit la jeune femme avec un sourire. Et vous êtes l’une des triplées. J’ai encore un peu de mal à vous distinguer les unes des autres, il faut m’excuser.
— Je suis Montana.
— Ah oui ! s’exclama Heidi en penchant la tête de côté, comme si elle l’étudiait, dans l’espoir de trouver une différence.
— Si ça peut vous aider, Dakota est enceinte. Elle sera donc facilement identifiable dans les mois à venir.
— Merci du tuyau.
— Votre grand-père et vous êtes les nouveaux propriétaires du Castle Ranch ?
— C’est exact.
— Vous vous habituez à la région ?
— Nous vivons au jour le jour. La maison a besoin d’une rénovation complète. Je pense qu’elle n’a pas été habitée depuis longtemps.
Montana essaya de se rappeler qui avait été le dernier habitant.
— Il y a bien vingt ans que le vieux Castle est mort, dit-elle. Je ne m’en souviens pas bien. Il y vivait avec sa femme et ses trois fils qui s’occupaient du ranch. Il ne rapportait pas grand-chose, déjà à l’époque. Quand il est mort, la famille est partie. Il a été question d’un héritier de la côte Est mais personne ne l’a jamais vu mettre un pied au ranch.
— Ça se voit, répliqua Heidi avec une grimace. Enfin, j’ai vécu dans pire. Au moins, l’électricité fonctionne et le toit tiendra encore deux ans. Mais sérieusement, quand pour la dernière fois avez-vous vu une cuisinière vert olive ?
Montana se mit à rire.
— Au cinéma !
— N’hésitez pas si vous voulez en voir une vraie. J’en ai une !
— Vous et votre grand-père élevez du bétail ?
— Non, je ne suis pas très intéressée par les vaches. J’ai quelques chèvres et je fais du fromage.
— Vous vous appelez Heidi, vous vivez avec votre grand-père et vous avez des chèvres ?
— Croyez-moi, l’ironie de la situation ne m’échappe pas, répondit Heidi en riant. La différence étant que Glen, mon grand-père, est très affable. Je n’aurai donc pas à faire le lien entre les gens de Fool’s Gold et lui. Quand avez-vous lu Heidi pour la dernière fois ?
— Ma mère a dû nous le lire, à mes sœurs et à moi, quand nous étions petites. N’y avait-il pas une fillette en fauteuil roulant ?
— En effet. Ma mère aussi me le lisait, ajouta-t-elle, un peu triste soudain. Ce sont de bons souvenirs.
Heidi devait avoir perdu sa mère, songea Montana.
— Vous venez souvent en ville ? enchaîna-t-elle vivement. Avec un groupe d’amies, nous organisons souvent des soirées entre filles, au restaurant ou chez l’une d’entre nous. Si vous me donnez votre numéro, vous pourrez vous joindre à nous, la prochaine fois.
— Merci, j’en serai ravie.
— Vous vous en sortez tout seuls, votre grand-père et vous ? reprit Montana après avoir enregistré le numéro de Heidi dans son téléphone portable.
La lueur malicieuse se ralluma dans les pupilles de la jeune femme.
— Malgré les appareils ménagers hideux, nous nous débrouillons très bien. C’est la première vraie maison que nous avons. Nous avons beaucoup voyagé. Vous n’imaginez pas comme il est bon d’être enfin installés. Nous avons de grands projets pour le ranch.
— Je devine qu’ils n’incluent pas les vaches.
— Sans doute pas. Mais je veux agrandir mon troupeau et créer une fromagerie. Nous nous plaisons beaucoup à Fool’s Gold, tous les deux. Tout le monde est si amical, si accueillant. Mon grand-père est même devenu la coqueluche des femmes de sa génération. Je ne sais pas encore si cela me fait plaisir ou pas.
Montana n’était pas surprise. Si la pénurie d’hommes avait été enrayée par la création de nouvelles entreprises, ceux qui venaient s’installer à Fool’s Gold avaient, pour la plupart, moins de cinquante ans.
— Ça le gardera jeune, répondit-elle.
— Tant que je ne le surprends pas en train de batifoler avec l’une d’entre elles, cela ne me dérange pas.
Montana lui sourit — elle ne la comprenait que trop bien ! — et prit deux volumes du livre de Regan Hastings.
— Laissez-moi vous en offrir un. Un cadeau de bienvenue, en quelque sorte.
— Wouah ! Merci ! Voilà pourquoi j’aime cet endroit. Je vais l’annoncer au monde entier, je ne partirai pas. Le vent, la neige, les criquets, rien ne me découragera.
— J’aime les gens qui font des projets. Vous savez que Fool’s Gold a été fondée par un groupe de femmes appartenant à la tribu des Mayas ? Elles s’appelaient les Máa-zib. Cela voulait dire quelque chose comme « minorité d’hommes ». On raconte qu’elles gardaient les hommes comme esclaves pour l’amour.
— C’était le bon vieux temps, non ? Ça ne vous manque pas ?
— Constamment ! répliqua Montana en riant.
* * *
— Montana, calme-toi. Ce n’est qu’un simple rendez-vous professionnel. Un rendez-vous comme tant d’autres.
Elle n’avait en effet aucune raison de sauter de joie parce qu’elle avait rendez-vous au dispensaire avec Simon. Il allait retirer leurs points de suture à des enfants. Des enfants qui appréhendaient ce moment, songea-t-elle soudain, et elle… elle était heureuse de voir Simon ! Elle n’avait vraiment aucune pitié !
— Voilà encore une chose sur laquelle je dois travailler, déclara-t-elle à Buddy en lui ouvrant la portière arrière de sa voiture pour lui permettre de sauter.
Buddy la regarda de son air perpétuellement inquiet.
Après avoir réfléchi au chien le plus qualifié pour l’occasion, son choix s’était porté sur lui. Sentant son inquiétude constante, les enfants passaient leur temps à le rassurer, ce qui leur permettait de concentrer leur attention sur autre chose que leurs propres appréhensions. De plus, grâce à sa taille, ils pouvaient s’appuyer contre lui et lui faire des câlins — ce que Buddy appréciait tout particulièrement !
Sur la route du dispensaire, elle se répéta que sa visite était purement professionnelle. Elle devait être reconnaissante de la confiance que leur témoignait Simon, à elle et à ses chiens, pour venir l’assister.
— Enfin, l’assister, c’est une façon de parler, dit-elle à l’intention de Buddy. Je ne voudrais pas te vexer mais je ne pense pas que tu sois très doué pour retirer des points de suture.
Buddy lui jeta un regard qui semblait signifier qu’il ne l’était pas le moins du monde.
Arrivés au dispensaire, ils traversèrent les divers services sans se faire remarquer, sans doute en raison du manteau de « chien visiteur » de Buddy.
Au poste des infirmières, une femme d’une quarantaine d’années la salua d’un sourire affable.
— Le Dr Bradley vous a annoncée. Il m’a expliqué à quel point vos chiens peuvent être d’une aide précieuse. J’ai hâte de voir celui-ci à l’œuvre.
Elle tapota la tête de Buddy d’un geste amical. Sans se départir de son calme, le chien agita la queue, mais son air soucieux s’intensifia, comme s’il comprenait l’importance de sa mission.
Montana était un peu perplexe. Ainsi, Simon avait parlé d’elle en termes aimables ? Elle savait déjà qu’il avait compris, avec Chichi et Kalinka, à quel point un chien pouvait aider un malade — sinon pourquoi aurait-il pris la peine de l’inviter ? —, mais le fait de vanter son travail à une tierce personne était assez… inattendu.
L’infirmière les fit entrer dans une petite salle d’examens. Quand Montana aperçut le plateau sur le plan de travail, elle comprit l’appréhension que pouvaient ressentir les enfants en entrant dans la pièce. Le plateau avait beau être couvert, il n’était pas difficile d’imaginer toutes sortes d’instruments brillants et pointus.
Elle balaya les lieux du regard. Une table matelassée, des chaises sur le côté de la pièce, des lumières vives au plafond ; pas franchement accueillant comme décor.
Elle sursauta lorsque la porte s’ouvrit. En voyant Simon, elle fut envahie par un mélange d’excitation, d’espoir, et, pour être franche, de désir.
— Bonjour, la salua-t-il d’un ton sec. Merci d’être venue.
Ses paroles impersonnelles, la façon dont il la regardait à peine, lui firent l’effet d’une douche glacée.
— Nous sommes contents de pouvoir t’aider, se força-t-elle à répondre. Je te présente Buddy.
A sa grande surprise, il s’agenouilla pour se mettre au niveau du chien.
— Je suis content de te rencontrer, Buddy, murmura-t-il en lui caressant les oreilles.
Sensible à son attention, Buddy redressa la tête.
— Il est très doux, expliqua-t-elle alors que Simon se relevait. Mais comme il a constamment l’air inquiet, les enfants ont toujours envie de le rassurer. Et du coup, ils pensent à autre chose qu’à leurs problèmes. J’ai pensé que c’était ce qu’il fallait aujourd’hui.
— En effet.
Le cœur serré, elle refoula sa déception. Elle aurait pu tout aussi bien être n’importe quel membre de son personnel. Apparemment, le temps des baisers fougueux était révolu. Avait-il seulement existé ? Peut-être n’avait-elle fait que l’imaginer, après tout.
— Ils sont prêts, docteur, annonça l’infirmière en passant la tête par la porte entrebâillée.
— Donnez-moi quelques minutes. Puis vous pourrez m’envoyez le premier.
— Très bien.
Simon se dirigea vers le petit lavabo, se lava les mains, les essuya, et enfila des gants.
— Enlever des points de suture ne demande pas très longtemps, dit-il. S’il n’y a pas de complications, nous devrions avoir fini d’ici une heure. Aimerais-tu aller prendre un café après ?
Elle était tellement perdue dans ses tristes pensées qu’elle n’entendit que sa question. Prise au dépourvu, elle bredouilla :
— J’ai Buddy.
— Le Starbucks a une terrasse.
— C’est exact. Oui, alors. C’est une bonne idée.
Sans lui jeter un regard, il fit entrer sa première patiente accompagnée de sa mère.
Mindy avait douze ans. Elle avait des points de suture sur le menton et sur un côté du cou. Simon expliqua à Montana que l’un de ses petits voisins avait envoyé un ballon dans sa fenêtre qui avait volé en éclats.
— Tu as dû avoir peur, lui dit Montana.
— Oui. Il y avait du sang partout, répondit-elle d’une voix à la fois pleine de fierté et d’horreur, jetant un coup d’œil surpris à Buddy.
— Nous n’avons même pas réussi à tout nettoyer, plaisanta sa mère.
Mindy monta sur la table d’examens. Simon avança une chaise et fit signe à Buddy de sauter. Mindy enroula ses bras autour du chien et offrit son visage à Simon qui commença son minutieux travail.
— Que vas-tu faire ce week-end ? lui demanda-t-il d’un ton dégagé.
C’était la première fois que Montana le voyait travailler. La vitesse à laquelle il retirait chaque point était impressionnante. Ses gestes minutieux, pleins d’assurance étaient d’une parfaite précision. Lorsqu’il lui avait dit qu’il était le meilleur, il ne se vantait pas.
— Nous allons au Festival d’Eté, comme chaque année, répondit la fillette. C’est l’un de mes préférés, même si j’aime beaucoup Noël aussi.
— Je ne suis jamais allé à un Festival d’Eté.
Elle le regarda avec surprise.
— C’est vrai ? C’est le meilleur des festivals. Il y a des jeux, des stands, des chichis.
— Qu’est-ce que c’est, les chichis ?
— Vous ne connaisez pas ? s’exclama-t-elle, les yeux écarquillés. C’est comme des gâteaux. Ça se mange chaud, avec du sucre en poudre.
— Et c’est excellent pour sa ligne, intervint sa mère avec un petit rire.
— Je vois, fit Simon, sans ralentir le rythme. Nous avons presque fini.
— Vous pouvez arrêter, maintenant ? murmura la fillette, les yeux soudain pleins de larmes.
Avec un petit gémissement, Buddy lui donna un petit coup de museau, détournant son attention.
— Tout va bien, lui chuchota-t-elle, tout va bien.
— Et voilà, mademoiselle ! C’est fini ! déclara Simon.
Mindy le regarda d’un air étonné.
— Déjà ? Je n’ai même pas eu mal.
— Ce n’est pas encore cicatrisé, et pourtant, ça se voit à peine, fit remarquer la mère en examinant le travail.
— Je crois qu’elle n’aura même pas un bleu, déclara Simon. Vous savez ce qu’il faut faire quand la croûte tombera ?
— Oui.
— Je serai toujours jolie ? s’inquiéta la fillette.
— Tu es déjà très jolie, lui répondit Simon en l’aidant à descendre de la table. Je ne pense pas que je puisse faire beaucoup plus pour que tu sois encore plus jolie. Je n’ai pas un aussi grand talent.
Mindy le regarda avec un grand sourire.
— Merci ! J’avais peur. En fait, ce n’était rien.
— J’en suis ravi, répondit-il avec un sourire.
Montana avait observé la scène sans bouger. Comme Simon était différent avec ses patients. Il était ouvert, attentif, généreux, détendu. A croire qu’il ne s’autorisait à se détendre que dans le cadre de son métier.
Une fois Mindy et sa mère sorties, l’infirmière fit entrer un petit garçon, âgé de six ou sept ans, accompagné d’une femme que Montana connaissait — c’était une assistante sociale. Le visage du garçonnet était couvert de coupures et de points de suture.
Simon s’agenouilla devant lui.
— Bonjour Freddie, le salua-t-il en posant une main sur son épaule.
— Bonjour, répondit l’enfant d’une voix douce, un peu aiguë.
— J’ai entendu dire que ta tante était venue te chercher.
Les commissures des petites lèvres se relevèrent sans esquisser un véritable sourire. Comment aurait-il pu sourire, se demanda Montana, le cœur serré, avec ses coupures et ses points de suture ?
— Le juge a dit qu’elle pouvait m’emmener avec elle à Hawaii. Mon cousin Sean est mon meilleur ami mais papa avait dit que je ne pouvais plus le voir. Maintenant, je pourrai.
Simon fit signe à Buddy d’approcher.
— Mon amie Montana a amené un chien très spécial. Il s’appelle Buddy. Il a un peu peur d’être à l’hôpital mais quand je lui ai parlé de toi, il a voulu venir te voir.
— On ne peut pas parler aux chiens, répliqua Freddie, une lueur moqueuse dans le regard.
— N’oublie pas que je suis médecin, jeune homme. Je peux faire tout ce que je veux. Buddy, tu es inquiet ? ajouta-t-il en se tournant vers le chien.
Les sourcils de Buddy se rapprochèrent encore et il poussa un gémissement.
— Waouh ! s’écria Freddie d’un air admiratif. D’accord, Buddy. Merci d’être venu me voir.
Le chien leva une patte pour le saluer.
Simon aida l’enfant à monter sur la table. Cette fois, Buddy sauta sur la chaise sans se faire prier. Comme Mindy, Freddie passa un bras autour de son cou, et Simon se mit à l’œuvre. Freddie tressaillit une ou deux fois mais il resta stoïque.
Montana comprit alors que le petit garçon n’en était pas à sa première séance. Que lui était-il arrivé ? Cela ne la regardait en rien, bien sûr, mais elle se sentait concernée par la souffrance de tous ces enfants.
Comme Simon le lui avait promis, au bout d’une heure il avait terminé, et ils quittaient le dispensaire.
— J’ai une idée ! s’exclama-t-elle soudain. On va passer prendre nos cafés au Starbucks, et je t’emmène quelque part.
— Comme tu voudras.
Un quart d’heure plus tard, leur café dans les porte-gobelets, ils prirent la route de la montagne.
— Nous n’allons pas loin, annonça-t-elle. Je vais te faire découvrir une splendide prairie où nous pourrons parler pendant que Buddy pourra se dépenser.
— Tu as bien mérité d’aller gambader, mon vieux, dit Simon en tapotant la tête du chien, assis sur la banquette arrière. Tu as fait du bon boulot. Je vais peut-être te prendre pour assistant.
Montana lui jeta un coup d’œil rapide mais ne fit aucun commentaire. Il semblait… détendu. C’était tellement rare qu’elle ne voulait pas prendre le risque de dire quelque bêtise qui aurait rompu cet instant paisible.
Elle sortit de la route principale, s’engagea sur un petit chemin et se gara sur un remblai terreux qui faisait office de parking. Une fois Buddy libéré, elle prit une couverture dans le coffre et entraîna Simon vers la prairie.
Le soleil était chaud, la brise légère, l’herbe parsemée de fleurs champêtres. Le bourdonnement paisible des insectes se mêlait au chant des oiseaux. Elle poussa un soupir d’aise. Une matinée idéale dans un petit coin de paradis. Après avoir étalé sa couverture, elle fit signe à Simon de s’asseoir.
— Parle-moi de Freddie, commença-t-elle. Comment a-t-il été blessé ?
— Son père l’a coupé. Ce n’est pas la première fois.
Incrédule, elle le dévisagea. Que voulait-il dire ?
— Je ne comprends pas.
— Tous les parents ne sont pas comme les tiens, Montana, dit-il d’une voix grave. Certains ont de graves problèmes émotionnels, et peuvent se montrer cruels. Le père de Freddie l’attachait et le coupait avec un couteau de chasse, sur le dos, sur le torse. Et, pour la première fois, il s’est attaqué à son visage.
La poitrine soudain prise dans un étau, elle eut du mal à respirer quelques secondes. Plutôt que de céder aux larmes qui lui brûlaient les paupières, elle regarda Buddy qui essayait d’attraper un papillon.
— Pourquoi Freddie ne lui a-t-il pas été retiré plus tôt ? demanda-t-elle d’une voix qu’elle essaya de maîtriser.
— Le gosse n’a pas raconté comment il avait été blessé, répondit Simon avec un haussement d’épaules désabusé.
— Quel parent faut-il être pour agir de la sorte ?
— Un mauvais. Cela arrive plus souvent que tu ne le penses.
Le regard de Montana se posa sur les cicatrices de Simon, et une horrible pensée la traversa. Et si l’un de ses parents était responsable de ses brûlures ? Non. C’était impossible.
— Je ne peux pas croire que Fool’s Gold puisse être le théâtre d’une telle atrocité, murmura-t-elle, essayant de chasser cette horrible pensée.
Elle ne devait absolument pas lui parler de ce qui venait de lui traverser l’esprit.
— Cela arrive partout, dit-il. Mais si cela peut te réconforter, Freddie et son père n’habitaient Fool’s Gold que depuis quelques mois. Le personnel des urgences a compris tout de suite. Ils ont prévenu les services sociaux. Et Freddie a aussitôt été retiré à son père.
— J’en suis ravie. J’espère qu’il restera sous les verrous très longtemps.
— Moi aussi.
— Tu dois être témoin de nombreuses atrocités, dans ton métier.
— La cause de la blessure est parfois pire que la blessure elle-même, répondit-il d’une voix sombre.
— Arrives-tu à faire abstraction ou es-tu constamment hanté par la brutalité de la réalité ?
— J’y suis habitué.
Elle était sûre qu’un chirurgien aussi professionnel que lui savait faire la part des choses. Pourtant, quand il se retrouvait seul, les atrocités auxquelles il était confronté devaient le hanter.
Il but une gorgée de café et enchaîna :
— Je ne devrais pas te parler de tout cela. Tu n’as pas besoin de savoir.
— Je ne suis pas aussi sensible que tu sembles le croire.
Il sourit. Avec son costume, sa chemise et sa cravate, il aurait dû paraître tout à fait décalé dans ce paysage champêtre. Pourtant, en dehors de l’hôpital, jamais il ne lui avait paru aussi à l’aise.
— Oh que si ! Tu es sensible et délicate. Tout à fait le genre de femme qui veut tomber amoureuse.
— N’est-ce pas le cas de tout le monde ?
— Non.
Elle le scruta avec attention. C’était à lui qu’il faisait référence, elle le savait.
— Tu as déjà été amoureux ? demanda-t-elle.
— Jamais.
— Dommage pour toi.
— Pourquoi ? Je suis très bien comme ça.
— Tu ne veux pas être heureux ?
— Le bonheur ne dure pas. Mon travail me rend heureux. Cela me suffit.
Si seulement il avait su combien il se trompait ! Mais il était inutile de tenter de le lui faire comprendre ; c’était une cause perdue d’avance.
— Et toi, pourquoi n’es-tu pas mariée ?
— Aucun homme ne m’a demandé de l’épouser. J’ai eu deux histoires sérieuses et, les deux fois, j’ai été quittée. Ils n’étaient pas amoureux de moi. Je n’étais pas…
Elle marqua une pause et, avec un haussement d’épaules, reprit :
— Je n’étais pas assez bien pour eux. L’un d’eux m’a trompée et l’autre a tout simplement rompu. Le dernier n’arrêtait pas de dire que je serais parfaite si je changeais mon style vestimentaire, ma coupe de cheveux, mon maquillage, et j’en passe. La liste était sans fin.
Elle avait pris son ton le plus détaché — elle ne voulait pas lui montrer à quel point l’évocation de son triste passé sentimental la blessait encore —, mais elle n’était pas sûre de pouvoir faire illusion.
Simon lui jeta un regard pénétrant.
— Deux parfaits abrutis, laissa-t-il tomber, laconique.
— Merci, murmura-t-elle, un peu surprise toutefois.
— Je ne dis pas ça par politesse, Montana. Tu es le genre de femme avec qui tout homme rêverait d’être.
Le cœur de Montana battit soudain un peu plus fort. Que voulait-il dire par là ? Elle n’était pas sûre de bien comprendre.
— Même toi ? lança-t-elle.
— Surtout moi.
Ses yeux verts s’assombrissant, il précisa :
— Si je recherchais une relation stable.
— Je vois.
— Et tu es le genre de femme qui a besoin de stabilité dans ses relations.
Même si elle aurait voulu lui certifier le contraire, elle hocha la tête sans répondre.
— Dans quelques semaines, je partirai pour le Pérou, enchaîna-t-il. Puis pour une autre destination.
Un instant, il baissa les yeux sur son café, puis, les relevant, il précisa :
— Je pourrais revenir pour des séjours.
— Mais pas pour rester.
— Non. Pas pour rester.