4

Fidèle au rendez-vous, Simon attendait devant le Starbucks. Montana s’arrêta au coin de la rue d’en face et resta un moment à l’admirer à la dérobée. Elle ne savait pas encore si elle aurait le cran d’aller à sa rencontre — jamais elle n’aurait dû lui proposer de lui faire visiter la ville ! Elle avait beau se répéter qu’elle travaillait pour le bien de Fool’s Gold, cela ne la réconfortait pas vraiment. Le Dr Simon Bradley était si difficile à cerner.

Elle n’avait jamais eu affaire à ce type de personnalité. Si son intelligence et ses qualifications professionnelles étaient indiscutables, d’un point de vue émotionnel, c’était une énigme. Et, pour tout arranger, il était d’une beauté à couper le souffle. Même ses cicatrices ne comptaient pas. Quand un homme comme lui regardait une femme, plus rien n’existait…

Elle se reprit aussitôt. Que diable lui arrivait-il ? Simon Bradley ne lui inspirait aucun sentiment — hormis une certaine curiosité. Après tout, il était loin d’être sympathique. Or, que recherchait-elle ? Un homme à la compagnie agréable, surtout pas un ours. Bien sûr, s’il avait un regard du même vert extraordinaire, cela ne gâcherait rien. Elle réprima un soupir résigné. Le bon sens lui faisait parfois défaut mais elle avait compris que le Dr Simon Bradley n’était pas pour elle. D’ailleurs, s’il la regardait, c’était juste parce qu’il n’avait jamais dû rencontrer de femme aussi quelconque qu’elle jusqu’à présent.

Mais trêve de bavardages ! Elle avait une mission à remplir, une mission citoyenne. Puisant son courage dans une grande inspiration, elle redressa les épaules, traversa la rue d’un pas décidé et fit un bond en arrière. Elle avait failli être renversée par une Prius conduite par un touriste aussi distrait qu’elle.

Elle s’excusa d’un geste de la main, et se dirigea vers Simon. Il avait troqué sa blouse blanche et son pantalon noir pour un jean et une chemise à manches longues. Sans le connaître depuis longtemps, jamais elle ne se serait doutée qu’il possédait un jean ! Un jean… qui lui allait très bien.

— Bonjour ! le salua-t-elle en approchant.

Elle se sentait nerveuse tout à coup, empruntée. Devait-elle lui serrer la main ? Ou se contenter d’un signe de tête ?

— Bonjour, répondit-il d’une voix aussi placide que son regard.

Il avait l’air calme, tout à fait détendu. Elle ne semblait pas l’impressionner le moins du monde. C’était un peu injuste. N’était-ce pas lui le nouvel arrivant ? N’aurait-il pas dû paraître un peu mal à l’aise ?

Enfin, puisque ce n’était pas le cas, autant ne pas perdre son temps à se torturer l’esprit ; elle allait finir par se rendre folle.

Elle était en mission, se répéta-t-elle. Une mission qui lui avait été confiée par Marsha et qu’elle allait remplir au mieux. Et ce, sans plus attendre.

De son ton le plus assuré, le plus enjoué, elle déclara :

— J’avais pensé vous faire visiter la ville.

De nature gaie, elle n’avait pas à se forcer beaucoup pour paraître joyeuse. Quant à la confiance en soi, ne disait-on pas qu’il fallait la feindre pour la ressentir ? Et Dieu sait qu’elle était devenue experte en la matière !

— C’est ce que vous avez proposé, lui rappela Simon en l’enveloppant d’un regard toujours aussi neutre. Une visite de la ville.

— En effet, dit-elle en battant des paupières.

Comme conversation intelligente, il y avait mieux…

Incapable de juguler son trouble, elle esquissa un sourire. Elle allait lui parler de l’histoire de Fool’s Gold, un sujet qu’elle possédait sur le bout des doigts. Au moins, cela lui éviterait de se ridiculiser.

S’éclaircissant la voix, elle commença :

— Au début du XIV e siècle, les Máa-zib, une tribu de femmes issues du peuple maya, se sont installées sur les rives du lac. Leur histoire reste, à ce jour, assez obscure. La légende raconte qu’elles étaient en quête d’un endroit où elles pourraient vivre en harmonie avec leurs enfants, sans hommes.

Simon haussa un sourcil étonné.

— La tribu s’est donc éteinte ?

— Non, les hommes étaient tolérés dans le village, à certaines fins. Mais les malheureux qui donnaient des signes de vouloir rester étaient victimes d’une malédiction. C’est sans doute la raison de la pénurie d’hommes qu’a longtemps connue Fool’s Gold. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La population masculine y est en constante augmentation.

Elle hésita un instant. Le moment était-il opportun pour lui suggérer de s’installer ici, s’il le souhaitait ? Elle s’empressa de se ressaisir. Elle ne pouvait pas montrer un manque de subtilité aussi flagrant. Même pour la satisfaction d’avoir accompli sa mission.

D’un geste circulaire, elle désigna le parc vers lequel elle s’avança. Simon lui emboîta le pas.

— Dans ses mémoires, un marin anglais qui servait sous les ordres de sir Francis Drake raconte qu’en 1581, à la suite d’une blessure, il a été recueilli et soigné par une tribu d’Indiennes. Tout dans son témoignage semble indiquer qu’il était à Fool’s Gold, chez les femmes de la tribu Máa-zib.

— Laissez-moi deviner la suite. Il a couché avec plusieurs d’entre elles mais n’a pas été autorisé à rester.

Elle acquiesça d’un nouveau sourire.

— Leur détermination force le respect, non ? demanda-t-elle.

— Eprouveriez-vous le même respect si la tribu avait été une tribu d’hommes ?

— Votre question est injuste. Ce marin avait été choisi par ces femmes comme procréateur. Cela n’est en rien comparable au cas de figure de l’homme qui abandonne une femme enceinte.

— En attendant, ce brave marin anglais n’a jamais connu ses enfants.

— Exact. Mais à Fool’s Gold, le respect de la volonté des femmes est fondamental.

— Je vais faire en sorte de m’en souvenir, promit-il, un peu narquois.

Mettant un terme à leur conversation, ils marchèrent jusqu’au lac en silence. Des enfants nourrissaient les canards, quelques joggeurs couraient le long de la piste cyclable. De jeunes couples avaient étalé des couvertures pour pique-niquer à l’ombre des grands arbres.

Montana balaya du regard la scène si familière. Ici, elle était chez elle. Certains préféraient les grandes villes, mais pas elle. Jamais elle ne s’était plu ailleurs. Si elle ne doutait pas un instant des charmes qu’offrait une métropole, elle ne se sentait bien qu’à Fool’s Gold.

Elle jeta un regard en biais à Simon qui contemplait le lac. Elle avait une perception aiguë de sa présence à ses côtés. Il n’était pas très loquace, certes, mais elle s’étonnait de voir à quel point elle appréciait son silence. C’était étrangement reposant. Pourtant, il était loin de la laisser indifférente… Elle s’exhorta au calme. S’intéresser au Dr Bradley pour une quelconque autre raison que pour le projet de Marsha serait la pire des erreurs.

Et s’il persistait à lui jeter des coups d’œil en coin, c’était uniquement parce qu’il attendait de nouvelles anecdotes. Ou encore qu’il était curieux de voir si elle allait le soumettre à un test sur l’histoire de la ville. Ou qu’il attendait avec impatience le signal du départ car regarder des canards sur un lac l’ennuyait à mourir. A moins que… Elle fronça les sourcils. Il fixait sa bouche avec insistance. Non, c’était impossible. Il ne pouvait pas la juger attirante.

Toutefois, elle n’aurait pas été mécontente de trouver grâce à ses yeux… Sa raison eut tôt fait de la sermonner. Comment un homme comme lui s’intéresserait-il à elle ?

Il était temps de faire taire son imagination galopante. D’un geste aussi détaché que possible, elle montra les camions garés le long du lac.

— Les préparatifs pour la fête nationale du 4 Juillet sont en cours, lui expliqua-t-elle. Fool’s Gold est connue pour ses festivals, le festival du livre, du ski nautique, le festival d’été, celui d’automne, Halloween. Ici, toutes les raisons sont bonnes pour faire la fête. Notre maire, la plus ancienne de Californie, y met un point d’honneur.

— C’est une communauté dynamique, à ce que je vois.

Elle lui coula un regard en coin. Décelait-elle une pointe d’ironie ? Sans lui poser la question, elle préféra enchaîner :

— Mon amie Pia est chargée de l’organisation des festivals. C’est une énorme responsabilité.

Il opina d’un signe de tête, toujours impassible. L’ennuyait-elle ? Sans doute. C’était un chirurgien réputé, il voyageait à travers le monde pour accomplir des miracles, alors le festival d’automne d’une petite ville de Californie devait lui paraître bien insipide. Mais de quoi pourrait-elle bien lui parler ?

Ils quittèrent le parc et passèrent devant la librairie de Morgan. En voyant les livres de sa belle-sœur, en devanture, elle sourit. Elle tenait son nouveau sujet.

— Vous avez lu les policiers de ma belle-sœur, Liz Sutton ? demanda-t-elle. Elle a beaucoup de succès.

— Non. C’est un bon auteur ? s’enquit-il en la contournant pour venir se placer sur sa gauche, face à la vitrine.

— Excellent ! C’est la reine du suspens. Elle est mariée avec mon frère, Ethan. Ils ont un fils et ils élèvent les deux nièces de Liz. Enfin c’est un peu compliqué.

— Comme dans la plupart des familles, se contenta-t-il de répondre, laconique.

— C’est vrai. Nous avons perdu notre père il y a onze ans. Il descendait de l’une des plus anciennes familles de Fool’s Gold. Depuis quelques années, ma mère accepte les invitations d’autres hommes. Cela ne nous dérange pas, bien sûr. Même si c’est un peu bizarre pour nous. Elle semblait très bien s’accommoder de sa solitude. Nous l’encourageons à nous parler. Pourtant, même si je ne veux que son bonheur, quand elle se laisse aller à donner des détails un peu intimes, je n’ai qu’une envie, me boucher les oreilles. C’est trop gênant.

Elle s’interrompit. Et si elle profitait de son expérience médicale pour lui poser la question qui l’intriguait ? Un peu hésitante, elle reprit :

— Vous qui êtes médecin, vous devez connaître la réponse. Pourquoi supportons-nous si mal l’intimité de nos parents ?

— Je n’en ai aucune idée.

— Le sujet n’est pas abordé dans les études de médecine ?

Soudain, la prenant totalement au dépourvu, il lui sourit.

Un frisson d’excitation naquit au creux de son ventre. Même sans être vraiment intéressée, elle ne pouvait nier une certaine attirance pour lui. Avec ses dents d’une blancheur éclatante et l’adorable fossette qui s’était creusée dans sa joue sans cicatrices, il était très séduisant quand il souriait. De plus, c’était si inattendu que cela lui donnait envie de l’entendre rire.

— Je dois avoir raté ce cours, répondit-il. Je suis désolé.

— Mais vous travaillez dans un hôpital. Vous pourriez essayer de vous renseigner.

— Est-ce vraiment si important pour vous ?

— Je suis très proche de ma mère. J’ai l’impression qu’elle devrait pouvoir me parler de tout.

— On peut être très proche sans pour autant tout dévoiler de son intimité. Cela n’enlève rien à l’amour.

Ils étaient arrivés à un carrefour et il lui sourit de nouveau.

Une douce allégresse s’empara d’elle. Pourquoi la matinée lui paraissait-elle plus claire, soudain ? Le ciel plus bleu ?

Ils traversèrent. Une fois sur le trottoir d’en face, elle remarqua, intriguée, qu’il la contournait de nouveau pour venir se placer à sa gauche. Faisant mine d’ignorer son manège, elle reprit :

— Où étiez-vous avant de venir à Fool’s Gold ?

— En Inde.

— Oh. Je vois que votre réputation de globe-trotter est fondée. Vous acceptez d’aller dans le monde entier ?

— Je vais où l’on a besoin de moi. J’opère ceux qui ont le plus besoin de mon aide. Surtout des enfants. Des adultes aussi. Quand je quitterai Fool’s Gold, je suis censé m’envoler pour le Pérou.

Elle le fixa, impressionnée malgré elle. A l’évidence, le Dr Bradley était un altruiste.

— Vous êtes un homme très généreux.

— Non.

Elle attendit la suite. En vain. Son sourire s’était évanoui, son visage s’était fermé. L’avait-elle contrarié ? Avait-elle franchi quelque ligne invisible ?

Au bout de plusieurs secondes qui lui parurent une éternité, il précisa :

— Je suis spécialisé en graves brûlures.

— Vous devez vous sentir seul à force de changer tout le temps d’endroit. Et votre famille ?

— Mon travail me suffit, lâcha-t-il d’un ton sec.

De plus en plus perplexe, elle le dévisagea. Cela ne pouvait pas lui suffire, c’était impossible. Chirurgien de grand talent, il exerçait un travail difficile, et elle avait pu constater à quel point il prenait à cœur le sort de ses malades. Mais qui prenait soin de lui ?

Cela ne la regardait pas. Elle n’avait pas à jouer au saint-bernard. Simon Bradley était un grand garçon, tout à fait capable à prendre soin de lui. Il parcourait le monde, accomplissait des choses étonnantes. Il n’avait pas besoin d’elle. De toute façon, elle ne devait pas aller au-delà de sa mission.

Et puis, elle devait se protéger. Elle avait vécu trois relations sérieuses dans sa vie : une au lycée, une à l’université, la troisième un peu plus âgée. Ses trois compagnons avaient rompu après lui avoir fait comprendre qu’elle n’était pas assez bien pour eux. Ni assez jolie, ni assez intelligente, ni assez ambitieuse. Prendre le risque de voir son cœur voler en éclats une nouvelle fois serait une pure folie.

Cependant la curiosité continuait à la démanger. Simon Bradley avait-il un port d’attache ?

— Où habitez-vous, officiellement ?

— A Los Angeles.

— J’y ai vécu quelque temps, laissa-t-elle tomber du bout des lèvres.

— Et vous n’avez pas l’air d’avoir beaucoup apprécié votre séjour, lui fit-il remarquer, en lui jetant un regard curieux.

— En effet. Je ne me suis jamais intégrée. Et j’y ai vécu une relation catastrophique, ajouta-t-elle en le regardant droit dans les yeux. Un futur médecin. Il faisait ses études.

— Que s’est-il passé ?

Sa question était légitime. Ne lui avait-elle pas tendu une perche ? Elle aurait dû réfléchir avant de parler.

— Nous n’avions pas les mêmes aspirations, se contenta-t-elle d’expliquer.

A peu de chose près, c’était la vérité. Ce qu’elle n’avoua pas, c’était que sa confiance en elle, déjà fragile, en avait pris un sacré coup. Même si elle savait qu’elle souffrait d’un manque d’assurance chronique.

— En tout cas, il ne savait pas ce qu’il perdait, murmura-t-il.

Abasourdie, elle le dévisagea. Pour un peu, elle se serait pincée. Avait-elle bien entendu ?

— Merci.

Puis, penchant la tête de côté, elle ajouta :

— Vous êtes différent, ce matin.

— Moins coincé ? demanda-t-il, un peu narquois.

Devant son sourire bienveillant, elle esquissa une grimace.

— Je suis désolée, je n’aurais jamais dû dire ça. C’était méchant. Vous étiez loin d’exagérer. Fluffy aurait pu faire de sacrés dégâts.

— Mais ça n’a pas été le cas. Je peux parfois me montrer un peu… excessif.

— Je n’avais pas remarqué, plaisanta-t-elle, se sentant soudain pousser des ailes. En tout cas, je vous remercie de votre compréhension. Ce n’était pas de sa faute, c’était de la mienne. Max m’avait prévenue qu’elle n’avait pas la personnalité d’un chien thérapeute. Mais j’étais déterminée.

— A lui assurer un destin de chien thérapeute ?

Il avait toujours le regard espiègle. Elle sentit son cœur battre un peu plus vite. Avec un peu de bonne volonté, cet homme pouvait se montrer vraiment irrésistible.

— Je ne peux pas sauver le monde, aussi ma passion est un peu plus modeste que la vôtre, répondit-elle d’une voix aussi égale que possible.

— Pas plus modeste. Différente.

Quelque chose dans la façon dont il fixait ses lèvres la perturbait, cette lueur presque vorace qui dansait dans ses prunelles. Luttant contre son trouble, elle se força à respirer calmement. Elle se berçait d’illusions. Le Dr Bradley avide de ses lèvres ? Allons donc ! Ce n’était pas sa bouche qu’il regardait. Elle devait avoir une trace noire sur le visage, voilà tout.

D’un geste aussi désinvolte que possible, elle se frotta le menton et décida d’orienter la conversation sur Max, un sujet sans risque.

— Max, mon patron, est un homme bien mystérieux, commença-t-elle. Personne ne sait d’où il vient. Il est évident qu’il n’a pas de problèmes d’argent. Vous avez vu nos locaux, il y a mis le prix. Et puis, coïncidence, ma mère a le prénom « Max » tatoué sur sa hanche. Pour mes sœurs et moi, ce ne peut être qu’un hasard, mais c’est étrange. Mais pardon, je vous gêne peut-être avec tous ces détails ?

— Un peu, avoua-t-il.

— Je n’aurais pas dû vous parler du tatouage de ma mère, c’est vrai, reconnut-elle en se remettant à marcher.

Au lieu de répondre, il la contourna encore une fois. Et soudain, l’évidence la frappa. Comment n’avait-elle pas compris plus tôt ? Il s’assurait de toujours lui offrir le côté droit de son visage, celui sans cicatrices. Un geste machinal pratiqué depuis si longtemps qu’il ne s’en rendait sans doute même plus compte.

Elle sentit sa gorge se nouer.

Une nouvelle fois, elle se demanda comment il avait été brûlé. Et pourquoi il ne s’était pas fait opérer. Si elle ne connaissait pas grand-chose à la chirurgie réparatrice, elle était prête à parier que ses cicatrices pouvaient être atténuées.

Pourtant, elle se garderait bien de lui poser la question. Ils avaient passé un très bon moment ensemble, et elle ne voulait surtout pas le gâcher par une question indiscrète. Elle avait aussi rempli son devoir vis-à-vis de Marsha et pouvait désormais revenir à sa petite vie réglée comme du papier à musique. Pourtant, elle n’en avait pas vraiment envie. Jamais elle n’aurait imaginé passer un moment si agréable en compagnie de Simon. Même si, hormis le fait qu’il habitait Los Angeles, elle n’avait pas appris grand-chose sur son compte.

Elle, en revanche, avait dû trop parler. Elle avait abordé un éventail de sujets qui l’avaient sans doute ennuyé. Eh bien, tant pis ! De toute façon elle n’était pas assez intéressante pour quelqu’un comme lui qui devait fréquenter des femmes beaucoup plus…

Elle s’empressa de stopper ses pensées qui allaient l’entraîner sur un terrain dangereux. Il n’était pas question de se laisser aller au vague à l’âme. Elle n’était pas une femme ennuyeuse. Elle n’avait rien d’anormal. Rien du tout, tant d’un point de vue physique, que mental et émotionnel.

Sans s’en rendre compte, ils avaient regagné le parc. Elle s’arrêta près d’un bouquet d’arbres, sur la pelouse.

— Tout va bien ? lui demanda Simon.

Sa voix grave la fit sursauter.

— Désolée. Je réfléchissais.

— A quoi ? Vous me sembliez bien sérieuse.

Son manque de confiance en elle était, en effet, un sujet grave. Pourquoi ses sœurs étaient-elles beaucoup plus sereines ? N’étaient-elles pas censées être identiques ? Etant donné leurs gènes, toutes trois auraient dû aborder la vie de la même manière. Or, c’était loin d’être le cas.

Néanmoins, ses petits problèmes existentiels ne concernaient pas Simon.

— Je vous ai retenu assez longtemps, déclara-t-elle. Vous devez avoir des tas de choses à faire.

Il plongea ses yeux verts dans les siens.

— C’est ce que vous pensez ?

Sans lui laisser le temps de répondre, de prononcer un mot, de même respirer, il s’avança et, soudain, ses mains vigoureuses étaient sur sa taille, l’attirant vers lui.

Sous l’effet de la surprise, elle se laissa faire, incapable de réagir. De toute façon, il ne lui laissait pas le choix. Et, sans bien comprendre ce qui lui arrivait, elle se retrouva pressée contre lui.

Ses seins s’écrasèrent sur son torse étonnement musclé. Ses cuisses frôlèrent les siennes. Quand il se pencha vers elle, une onde torride l’envahit.

Elle resta pétrifiée. Un baiser ? Simon Bradley allait l’embrasser ? Pour un peu, elle se serait pincée.

Et pourtant non, elle ne rêvait pas… Sa bouche s’était posée sur la sienne avec la précision d’un missile, elle sentait la pression dure de ses lèvres sur les siennes, son ardeur, son insistance, sans pour autant vouloir l’effrayer.

Un tourbillon capiteux la dévasta, se lovant dans son ventre, et elle se prépara à un baiser ardent, plein de volupté. Ses doigts s’agrippant à sa nuque chaude et vigoureuse, elle picora sa bouche, la couvrant d’une pluie de baisers. Il répondit à son attente avec une fougue qui la stupéfia. Tandis que leurs langues s’enlaçaient lentement, voluptueusement, les yeux clos, elle se délecta de la saveur salée de cette bouche qui la faisait délicieusement planer à dix centimètres au-dessus du sol.

Hélas, son extase fut de courte durée. Elle était en train de se dire qu’elle aurait voulu que cela dure, encore et encore, quand il posa ses mains sur ses épaules, la repoussa et recula brusquement.

Ils se trouvaient maintenant à un mètre l’un de l’autre, et se regardaient en silence, le souffle court. Le vert des yeux de Simon était assombri par une passion brûlante. De ses doigts, elle frôla ses lèvres encore gonflées de volupté.

— Je vous ai fait mal ? s’enquit-il.

— Pardon ? balbutia-t-elle. Oh ! Non.

Il se détourna à moitié, puis lui fit de nouveau face. Il semblait irrité.

— Je suis désolé, lâcha-t-il d’un ton sec. Je n’aurais pas dû.

Elle brûlait d’envie de lui demander pourquoi. Mais elle se retint. Elle avait bien trop peur de sa réponse.

— D’habitude, je ne…

Il s’éclaircit la voix et reprit :

— Je suis quelqu’un qui contrôle ses pulsions. Vous devez me croire.

— Ne vous inquiétez pas, je vous crois, répondit-elle, satisfaite de voir que sa voix ne tremblait pas.

— Vous dégagez un je-ne-sais-quoi… Je suis incapable d’ignorer mon attirance pour vous. Je…

Il s’interrompit. Il avait l’air frustré, penaud.

— … je suis désolé.

Elle lui lança un regard perplexe. Avait-elle bien entendu ?

— Au risque de vous faire éclater de rire, seriez-vous en train de me dire que vous avez été submergé par une telle passion pour moi que vous avez été incapable de refréner votre besoin de m’embrasser ?

Surprise, elle le vit hocher la tête. Elle s’était attendue à se voir remettre à sa place avec ironie.

— Et je serais bien incapable de l’expliquer, avoua-t-il d’une voix un peu hachée. C’est dû à l’un de ces phénomènes chimiques. En général, les femmes ne provoquent pas chez moi ce genre de réaction, ajouta-t-il en esquivant son regard.

Elle réprima l’envie de lui faire répéter. Jamais un homme ne lui avait avoué une passion aussi… effrénée. Et c’était tellement agréable…

— Je ne comprends pas bien, dit-elle de son air le plus innocent. Vous n’allez quand même pas me dire que vous êtes homosexuel.

Un muscle tressauta dans sa joue.

— Non, je ne suis pas homosexuel ! répliqua-t-il, cinglant. Et, d’un point de vue sexuel, je peux généralement me contrôler.

Malgré son ton glacial, ses paroles étaient si brûlantes qu’elle se sentit flageoler sur ses jambes. La vague de chaleur tournait toujours dans son ventre, mais ses nerfs étaient tendus comme des cordes.

— Et pas avec moi ? demanda-t-elle.

— Non.

Que pouvait-elle répondre à cela ? Elle n’en avait pas la moindre idée. Que devait-elle faire maintenant ? Elle n’en savait rien non plus ! Et c’était bien la première fois qu’une telle chose lui arrivait. Devait-elle l’inviter chez elle ? Si elle avait un tel pouvoir sur les pulsions d’un homme, la moindre des choses aurait été de lui prouver sa gratitude. Mais… elle n’osait pas.

A moins… qu’il joue à un jeu ? Non. Impossible. Elle avait eu un aperçu de sa fierté : jamais il ne s’abaisserait à s’humilier dans le simple but de marquer des points.

Mettant un terme à ses incertitudes, il prit la décision pour elle.

— Je vous ai fait perdre assez de temps, décréta-t-il. Merci encore pour la visite de la ville. Quant au baiser, cela ne se reproduira pas. Vous avez ma parole.

Sur ces mots, il tourna les talons et s’éloigna, la laissant ruminer sa déception.

*  *  *

Simon se réfugia dans son travail, à l’hôpital. Comme toujours, le fait de rendre visite à ses malades, de planifier leur opération, d’examiner leurs brûlures, fut une diversion bienvenue. Il avait besoin d’avoir les mains et l’esprit occupés. Pourtant, le souvenir de ce qu’il venait de vivre avec Montana ne quittait pas ses pensées.

Il regagna le petit bureau qui lui avait été attribué pour les trois mois de son séjour et se planta devant le tableau de courbe des températures. En vain. Il ne voyait que le beau visage de Montana, encadré du halo de ses cheveux dorés… Un frisson l’électrifia et une myriade de sensations l’assaillit malgré lui : l’odeur de sa peau, la chaleur de son corps souple au creux de ses bras, sa chevelure soyeuse filant entre ses doigts, le son de son rire, la façon dont sa bouche souriait.

Il se sentait pris au piège. Pourquoi cette vague de désir brûlant qui le submergeait dès qu’il pensait à elle ? Pourquoi cette femme ? Pourquoi maintenant ?

Ses questions restaient sans réponses. Les caprices du destin étaient bien mystérieux. Il n’avait d’autre choix que d’accepter le fait qu’en présence de Montana toute rationalité semblait l’abandonner. Et que, s’il n’y prenait pas garde, cette situation pouvait devenir dangereuse.

Il fallait réfléchir à une solution. Son erreur de tout à l’heure lui était bien assez pénible, il n’avait pas besoin, en plus, d’adopter un comportement navrant. Il n’aurait pas dû lui dire pourquoi il l’avait embrassée. Il avait dû faire naître en elle un sentiment de pitié, la poussant à le fuir au plus vite.

En général, il se fichait bien de ce que les gens pensaient de lui. Mais, pour une raison inexplicable, l’opinion de Montana lui importait. Il voulait l’impressionner. Or, vu sa réaction lors de l’irruption de Fluffy dans son service, sans parler du baiser qu’il lui avait arraché, il n’était pas près d’y arriver…

Son téléphone portable se mit à sonner. Devant le nom qui s’affichait à l’écran, il sourit. Alistair et lui avaient été colocataires, à Londres où il avait passé un an dans le cadre de ses études — ils avaient la même spécialité. Depuis, ils étaient restés proches. Typiquement anglais, son vieux copain lui avait fait découvrir de nombreuses régions des îles Britanniques.

— Quel est votre problème, docteur ? lança-t-il d’un ton enjoué.

— Comme d’habitude, répondit la voix aux intonations britanniques. Je t’appelle du Népal. Impressionnant, non ?

— Très. Comment ça se passe ?

— Bien. Et pour toi ?

— Pour moi aussi.

— Tu es aux Etats-Unis ?

— Oui, à Fool’s Gold, une petite ville de Californie.

Il lui donna ensuite quelques détails sur ses patients, lui demandant parfois son avis. Le fait d’aller d’hôpital en hôpital, de pays en pays, permettait souvent d’améliorer ses connaissances médicales.

— J’ai l’impression que tu as du pain sur la planche, lui fit remarquer Alistair. Même chose ici. Des brûlés que je dois soigner dans des conditions assez primitives dans des endroits isolés.

Un brouhaha de voix s’éleva soudain en arrière-fond.

— Je dois te laisser, Simon. Je voulais prendre de tes nouvelles mais j’ai une urgence. Je te rappellerai.

Sur ces mots, il raccrocha.

Avec un soupir résigné, Simon remit son téléphone dans la poche de sa blouse. Il était bien placé pour savoir à quel point il était difficile d’entretenir des amitiés dans ce métier.

— Docteur Bradley ? appela une voix féminine.

Surpris, il leva les yeux. L’une des infirmières du service se tenait sur le seuil. Blonde, jeune et enjouée, elle avait toutes les qualités requises pour les malades. Néanmoins, ce genre de femme l’ennuyait. Son regard glissa sur le badge portant son nom.

— Oui, Nora ?

— Kalinka se repose. Elle n’arrête pas de parler de ce caniche qui est venu la voir. Quelle bonne idée vous avez eue ! Un chien thérapeute. Un petit chien, de surcroît. Encore une preuve de votre compétence.

— C’est la première fois de ma carrière que j’ai recours à un chien thérapeute. J’ai voulu tenter l’expérience. Il m’arrive d’avoir de la chance.

Sa réponse parut la surprendre. Une lueur espiègle s’alluma dans ses yeux bleus. Jolie, séduisante, elle ne cherchait manifestement pas à dissimuler son intérêt pour lui.

— Donc, c’est une bonne journée, dit-elle. Vous vous plaisez à Fool’s Gold ?

— C’est une petite ville agréable.

— Nous entretenons notre tradition de l’hospitalité. Je peux vous le prouver en vous invitant à dîner. Je suis sûre que vous êtes fatigué du restaurant. J’ai une très bonne recette de poulet frit que je tiens de ma grand-mère, et ma tarte aux myrtilles est succulente.

Il réfléchit un instant. Pour lui, les liaisons à long terme étaient inenvisageables. Non seulement il déménageait tout le temps, mais il n’en voyait pas l’intérêt. Il n’était pas homme à entretenir des relations sentimentales suivies. Pourtant, quand une femme lui montrait des signes d’intérêt, il ne restait pas indifférent.

Une compagne pour aller dîner au restaurant et venir réchauffer son lit de temps à autre, il n’en demandait pas plus. Aussi, en d’autres circonstances, aurait-il accepté l’invitation à dîner de Nora sans hésiter. Mais c’était impossible.

Malgré le sourire engageant qui ne laissait aucun doute sur ce qui suivrait ce dîner, il ne pouvait pas accepter.

En regardant la jeune femme, la seule pensée qui s’imposait à lui était… qu’elle n’était pas Montana. Blonde aussi, certes, mais avec des cheveux courts et des yeux bleus. Et en la regardant, il ne ressentait rien. Jusqu’à ce jour, il avait toujours considéré les femmes comme interchangeables. Même s’il en préférait certaines à d’autres, les différences lui importaient peu. Jusqu’à aujourd’hui. Que diable lui arrivait-il ?

— Merci, répondit-il. Mais je vais être obligé de décliner votre invitation.

— Vraiment ?

Elle le regarda un instant, comme si elle ne le croyait pas.

— Vous êtes sûr ?

— Certain ! affirma-t-il en se levant.

Il aurait peut-être dû se montrer plus loquace. Lui donner un semblant d’explication. Mais que pouvait-il dire ? Qu’une autre femme qu’il connaissait à peine occupait toutes ses pensées et qu’il aurait préféré dîner avec elle ?

Il se hâta de sortir dans le couloir et fut soulagé de voir Fay s’avancer dans sa direction.

— Kalinka dort, lui annonça-t-elle. Elle a l’air de moins souffrir. C’est bon signe, non ?

— Elle cicatrise, répondit-il sans trop s’étendre sur le sujet.

Pourvu que Fay n’ait pas remarqué son ton évasif.

A cette étape, seul comptait pour Kalinka le fait de rester en vie. Tout le reste était négociable. Elle pouvait mourir sans aucun signe avant-coureur. Voilà pourquoi son métier était un tel enfer. Rien n’était jamais gagné. Alistair avait beau dire qu’ils faisaient leur possible et que c’était suffisant, lui n’était pas d’accord.

— Cette petite chienne, Chichi, lui a été d’un grand réconfort, reprit Fay. Montana a promis de la ramener quand vous le souhaiteriez. Vous permettez que je lui téléphone ?

Il tiqua.

— Bien sûr, répondit-il d’un ton aussi dégagé que possible. Nous devons mettre tout en œuvre pour l’aider.

— Merci, murmura Fay. Je vais appeler Montana tout de suite.

Il la regarda s’éloigner. Elle avait sorti son téléphone portable de la poche de son jean, et dans quelques secondes elle entendrait la voix de Montana. Un sentiment de… jalousie l’envahit. Décidément, il ne tournait pas rond !

Il était grand temps de se ressaisir. Il connaissait à peine Montana. Peut-être avait-il besoin de vitamines.

Il fut interrompu dans ses pensées par une infirmière qui se précipitait vers lui.

— Nous venons de recevoir un appel. Un petit garçon de douze ans qui a eu un accident avec un pétard. Je n’en sais pas plus.

Une fraction de seconde plus tard, il dévalait l’escalier. Ses idées étaient redevenues parfaitement claires.

Il avait déjà été témoin des ravages de pétards de feu d’artifice sur un corps humain. Cette rage froide, si familière, enfla en lui. Même si, pour beaucoup, c’était jour de liesse, il détestait le 4 Juillet. Quant aux parents qui laissaient leurs enfants jouer avec des pétards, c’étaient des criminels, ni plus ni moins !

Il laissa libre cours à sa colère jusqu’à la dernière marche de l’escalier. Arrivé au rez-de-chaussée, il enfila à la hâte le couloir qui menait aux urgences, se blindant contre toute émotion. Seul comptait la certitude qu’il allait faire son possible pour soigner ce petit bonhomme.

*  *  *

— Je sais que nous sommes censés dîner dehors, déclara Denise Hendrix. C’est une tradition. Mais j’ai l’impression d’avoir payé mon dû. Nous prenions tous nos repas dans le jardin quand vous étiez petits. J’ai eu ma dose d’insectes et de fourmis pour une vie entière. De plus, nous sommes tous des adultes.

Montana fit de son mieux pour dissimuler son amusement. Tous les étés, c’était la même chanson. Pour une femme qui aimait jardiner, la réticence de leur mère à prendre ses repas dehors était pour le moins surprenante. La simple idée semblait la rendre folle.

— Nous ne sommes pas tous des adultes, la taquina-t-elle gentiment. Reese a dix ans et Tyler vient d’avoir onze ans. Sans parler de Melissa, d’Abby et de Hannah.

Sa mère répondit dans un soupir résigné :

— En d’autres termes, tu es en train de me dire que si j’étais une bonne grand-mère, je servirais le dîner dehors.

En riant, elle la serra contre son cœur.

— Allons, maman, tu sais bien que tu es une excellente grand-mère. Tout le monde se fiche bien d’être dehors ou dedans. Nous sortirons après le dessert.

— Si tu le dis. Je ne comprends pas pourquoi je suis si énervée. Sans doute parce que vous serez presque au complet et que je n’ai pas vu mes enfants réunis depuis longtemps.

C’était la vérité. Seul Ford manquerait à l’appel. Le plus jeune des Hendrix s’était engagé dans la Navy, et voguait en ce moment quelque part dans l’océan Indien. En revanche, Kent, le cadet, qui n’avait pas pu venir à Noël pour cause de divorce, serait là, avec son fils, Reese.

Montana ignorait les raisons de cette séparation. Elle savait juste que, contrairement à de nombreuses femmes, l’ex-femme de Kent ne voulait pas la garde de Reese ; toutefois, elle comptait bien voir son fils aussi souvent que l’envie l’en prendrait.

Une attitude plutôt choquante de la part d’une mère, s’était dit Montana. Mais ce n’était pas son affaire. Ce soir, tout ce qui comptait, c’était de retrouver son frère et son neveu.

Elle finit de disposer les verres. Le dîner était prêt. Les côtelettes seraient bientôt sur le barbecue, quatre salades attendaient au réfrigérateur, et d’alléchants brownies refroidissaient sur le plan de travail.

— Nevada devrait être arrivée, dit sa mère avec un coup d’œil à la pendule murale.

La tradition familiale voulait que les trois sœurs précèdent leurs frères pour aider à la préparation. Quelques mois auparavant, Dakota aurait encore été de la partie. Désormais, elle avait sa propre famille. Et elle allait bientôt être mère…

Montana resta songeuse un instant. Porter la vie en soi et voir son ventre s’arrondir de semaine en semaine devait être une expérience indescriptible.

La prenant par surprise, un besoin violent, d’une intensité fulgurante, la saisit. Elle aussi voulait tomber amoureuse, se marier, avoir des enfants. C’était la première fois qu’elle envisageait sérieusement la question. Peut-être était-ce lié au fait qu’elle avait depuis peu trouvé sa voie professionnelle. Maintenant qu’elle avait enfin découvert le domaine où s’épanouir, elle semblait prête à passer à l’étape suivante. Hélas, aucun homme ne se profilait à l’horizon.

Le visage de Simon passa soudain devant ses yeux. Avec un frisson, elle se rappela la ferveur de son baiser. Il avait été clair, néanmoins. C’était une erreur et il n’avait aucune intention de renouveler l’expérience.

— Tout va bien ? lui demanda sa mère.

— Oui. Je pensais juste au bébé de Dakota.

— Hannah va être si contente d’avoir un petit frère ou une petite sœur.

Hannah ne faisait partie de la famille que depuis peu mais tous avaient l’impression de l’avoir toujours connue. La petite fille, qui avait commencé sa vie dans un orphelinat du Kazakhstan, s’était adaptée à sa nouvelle vie et sa famille adoptive avec une rapidité étonnante.

— Peut-être aura-t-elle des jumeaux, déclara Montana avec un sourire. Ou des triplés.

— Ne dis jamais ça devant ta sœur, malheureuse ! l’avertit sa mère.

Pour toute réponse, elle éclata de rire.

— Cela viendrait allonger la liste de tes petits-enfants.

— Moi, je ne dirais pas non. Mais ta sœur n’y tient peut-être pas. Et toi alors, raconte… Tu vois quelqu’un ?

La question avait beau avoir été posée d’un ton détaché, Montana n’était pas dupe. Sa mère voulait des détails. Mais cela faisait des mois qu’elle n’avait pas eu un rendez-vous. Et d’avoir fait visiter la ville à Simon ne comptait pas, même s’il l’avait embrassée.

— Non, répondit-elle. Et toi ?

— J’ai accepté quelques rendez-vous mais rien de spécial, laissa tomber sa mère avec un soupir las.

Avec une petite moue, elle ajouta :

— Je ne comprends pas pourquoi je semble tant plaire aux hommes plus jeunes que moi. Où sont les hommes de cinquante, soixante ans ?

Montana regarda sa mère. Avec sa blondeur, son élégante coupe courte et sa minceur de jeune femme, elle était aussi jolie que vingt ans auparavant. Pas étonnant qu’elle plaise à des hommes plus jeunes qu’elle.

L’idée de mentionner le nom de Max lui traversa l’esprit. Son patron avait à peu près l’âge de sa mère, et depuis qu’il l’avait embauchée, un an auparavant, elle ne lui avait connu aucune aventure. D’un autre côté, ils ne se racontaient pas leur vie privée. Un instant elle imagina une rencontre entre sa mère et Max… Mais non ! Elle était ridicule. Elle oubliait le tatouage sur la hanche de Denise. Si sa mère avait déjà vécu une histoire très sérieuse avec un Max, elle n’apprécierait peut-être pas un prétendant portant le même prénom.

— Ta sœur m’a parlé de ta conversation avec Marsha, reprit sa mère.

— Cela n’a aucun intérêt, répliqua-t-elle avec un coup d’œil impatient à la pendule.

Mais que faisait Nevada ? Si seulement quelqu’un pouvait arriver pour faire diversion !

— C’est bien de ta part d’apporter ta contribution à la commune, lui fit remarquer sa mère. Alors, dis-moi, comment est-il, ce chirurgien ?

— Du genre taciturne.

Malgré la curiosité flagrante de sa mère, elle se garderait bien d’ajouter qu’il embrassait divinement.

— Tu penses le revoir ?

La sonnerie du téléphone lui épargna d’avoir à trouver une réponse.

Laissant sa mère décrocher, elle ouvrit le réfrigérateur, puis, mue par son sixième sens, elle se retourna.

— Tu es sûre ? disait sa mère, le visage livide, les yeux pleins de larmes.

— Maman ! Que se passe-t-il ?

— Kent et Reese ont eu un accident. Ils sont en route vers l’hôpital. Allons les rejoindre ! lança-t-elle en attrapant son sac avant de se ruer vers la porte.