Tenant chacun un chien en laisse, Montana et son patron marchaient côte à côte sur le trottoir. Max promenait Cupcake, l’un des chiens thérapeutes en dressage, et Montana, Buddy qui, cette fois, devait montrer l’exemple à Cupcake. Croisée de colley, cette dernière, d’une intelligence remarquable, était peu encline à se mettre en situation difficile, et Max n’était pas sûr de pouvoir la dresser.
— Explique-moi, demanda Max en montrant le parc.
Au bord du lac, un groupe de pom-pom girls de Fool’s Gold était en pleine répétition.
— Que veux-tu que je t’explique ? demanda Montana d’un air étonné. Je sais que tu regardes le football. Ce n’est pas la première fois que tu vois des pom-pom-girls s’entraîner.
— Elles sont très nombreuses.
— Dans cette ville, nous encourageons la participation. Tu devrais les voir à Noël.
— Noël ?
— Elles donnent des spectacles pour financer leur camp d’été. Tu les engages et elles se produisent chez toi ou lors d’événements festifs. Les touristes les adorent.
— Fool’s Gold a bien changé ces dernières années, laissa-t-il tomber avec une petite grimace.
— C’est une ville merveilleuse. Ne sois pas si cynique.
Il la regarda du coin de l’œil et sourit.
— Tu es plus heureuse aujourd’hui, lui fit-il remarquer. Tu as gagné la bataille ?
— Il n’y a eu ni bataille ni vainqueur. Tu avais raison. S’il ne m’a pas invitée au gala de bienfaisance, cela n’avait rien à voir avec moi. A sa façon aussi tordue qu’étrange, il voulait me rendre service.
— Tu dois accepter le positif comme le négatif. En attendant, c’est toi la gagnante.
— Non, rétorqua-t-elle, un peu agacée. Quand on a un gagnant, on a automatiquement un perdant. On ne vit pas une bonne relation sur ces bases. Chacun doit s’y épanouir également. Sinon, quel est l’intérêt ?
— Tu es d’une grande sagesse, petite sauterelle !
Elle éclata de rire.
— Ce n’est pas encore ça, mais je ne désespère pas.
Pour une fois, les rues étaient calmes. A peine quelques flâneurs, touristes et habitants de la ville. Ils avaient laissé les clameurs des pom-pom girls derrière eux et marchaient, silencieux.
— Max, tu connaissais ma mère autrefois ? demanda-t-elle brusquement.
— Pourquoi me poses-tu cette question ?
Elle hésita un instant. Puis se décida. Il était temps d’en avoir le cœur net, et tant pis pour les conséquences.
— Elle a le prénom Max tatoué sur sa hanche. Je voulais savoir s’il pouvait s’agir de toi, hasarda-t-elle.
Un long moment, il ne dit rien. Puis, s’arrêtant de marcher, il se tourna vers elle.
— Tu devrais demander à ta mère.
— Ça veut dire oui ?
Il ne répondit pas.
Elle sentit son cœur battre un peu plus vite, un léger malaise s’installer entre Max et elle. Elle n’avait pas voulu croire la théorie de Nevada. Elle avait refusé l’éventualité que leur mère ait pu vivre une histoire avec Max Thurman. Manifestement, elle avait fait fausse route. Malgré elle, un flot de questions s’échappa de ses lèvres :
— Vous êtes sortis ensemble ? Vous avez vécu une histoire d’amour ? Que s’est-il passé ? Quelle raison t’a poussé à quitter Fool’s Gold ? Etait-ce mon père ? As-tu été le premier amant de ma mère, ou était-ce lui ?
— Petite, je ne répondrai à aucune de tes questions, répliqua Max. Comme je te l’ai dit, si tu veux en savoir plus, demande à ta mère. Cela ne regarde qu’elle.
— Et toi ?
Il lui jeta un regard indulgent qui semblait dire « Me crois-tu vraiment assez bête pour tomber dans ce piège ? ».
— Tu n’as rien à ajouter ? insista-t-elle.
— A ce propos ? Non.
— En d’autres mots, je dois trouver un autre sujet de conversation.
— C’est exactement ce que je te suggère.
* * *
Dakota était installée sur le canapé de son salon, surveillant Hannah qui jouait sur un plaid étalé à même le sol. Enfoncée dans un fauteuil, Montana regardait Nevada et Kent tremper des chips dans une sauce. A peine la dernière bouchée avalée, Nevada déclara :
— Ethan pense que nous faisons une montagne d’une taupinière à propos de Max et de maman. Qu’est-ce qu’il peut être…
S’interrompant, elle jeta un coup d’œil à Hannah.
— … pénible, parfois, dit-elle en levant les yeux au ciel. Il est si heureux avec Liz et leurs enfants qu’il a un peu tendance à faire la morale à tout le monde.
— Je sais, renchérit Montana. Il persiste à dire de ne pas nous en mêler. J’en suis incapable. Tout cela est bien trop étrange.
— Maman a eu une vie avant d’épouser papa, fit remarquer Dakota. Mais j’ai beau me le dire, toute cette histoire me donne la chair de poule. Je ne veux pas qu’elle ait eu une vie avant papa. Ce n’est pas juste. Même si j’ai toujours su que ce tatouage devait être lié à un premier amour, j’avais presque réussi à me convaincre que c’était un tatouage de naissance.
Kent s’assit par terre et prit Hannah sur ses genoux.
— Je me rappelle, il y a des années, quand j’avais l’âge de Reese, avoir aperçu l’un de mes professeurs avec une petite amie, au cinéma. C’était très étrange. Jusque-là, je n’avais jamais envisagé que mes professeurs puissent avoir une vie à l’extérieur de l’école. Je devais penser qu’ils vivaient enfermés dans une boîte et n’en sortaient qu’à l’heure des cours.
— Oui, mais là, dit Nevada, nous parlons de maman et de Max. C’est plus grave que de voir un prof manger du pop-corn au cinéma en galante compagnie. En plus à l’époque, quand elles avaient vingt ans, les filles bien ne se faisaient pas tatouer. Ce n’était pas passé dans les mœurs comme aujourd’hui. C’est donc bien qu’il y avait quelque chose entre eux.
Montana la regarda, songeuse. D’instinct, elle sentait que sa mère et Max avaient vécu une relation torride. Mais elle se garderait bien de faire part de son impression à ses sœurs.
— Quoi qu’ils aient vécu ensemble, ils ont rompu et elle a épousé papa, leur rappela-t-elle. N’est-ce pas tout ce qui compte ?
— Mais nous ne savons pas quand ils ont rompu, rétorqua Dakota.
Un lent frisson de panique parcourut Montana. Que leur mère ait rencontré leur père, qu’elle soit tombée folle amoureuse de lui, et qu’elle ait quitté Max était une chose. Mais si c’était Max qui avait rompu, rendant leur mère malheureuse ? Avait-elle épousé leur père par dépit ? Non, c’était impossible. L’amour qui unissait leurs parents était presque palpable.
— Nous pourrions le lui demander, suggéra Nevada.
— Ne te gêne pas pour le faire ! lança Montana.
Elle soupira longuement avant d’enchaîner :
— J’essaie de me convaincre que j’attache bien trop d’importance à tout cela. Elle avait un petit ami. Et alors ?
Alors, elle n’arrivait pas à concilier le mot « petit ami » avec une mère quinquagénaire, à la hanche tatouée.
— Vous ne pensez pas…, commença Dakota avant de s’interrompre.
Trois regards se braquèrent sur elle.
— Quoi ? demanda Nevada.
— Non. Ce n’est pas possible. Je ne l’accepte pas.
— Accepter quoi ? demanda Kent.
Montana était sur le point de poser la même question quand elle comprit soudain le soupçon qui avait jailli dans l’esprit de sa sœur : si Max avait été le premier amant de leur mère, pouvait-il être le père d’Ethan ?
— Je ne le crois pas ! affirma-t-elle.
— Tu ne crois pas quoi ? demanda Kent avec impatience. Je déteste quand vous jouez à ça.
— Que maman était déjà enceinte d’Ethan quand elle s’est mariée avec papa. Ce qui ferait de lui notre demi-frère, lui expliqua-t-elle.
— Mes trois sœurs sont complètement folles, déclara-t-il en faisant sauter Hannah, radieuse, sur ses genoux. Ethan n’est pas notre demi-frère. Vous l’avez vu ? Il ressemble beaucoup à papa. Quoi qu’il se soit passé avec Max, cela n’a rien à voir avec nous six. Vous créez des problèmes qui n’existent pas.
Les trois sœurs échangèrent un regard.
— Il a raison, approuva Dakota. Mais vu le magnétisme animal que cet homme dégage encore aujourd’hui, je te laisse imaginer à quel point il devait être sexy il y a trente-cinq ans.
Une pointe d’ironie dans la voix, Kent répliqua :
— Je vais faire l’impasse, si tu veux bien.
— Elle a raison, renchérit Nevada. Max est le genre d’homme qui provoque un coup de foudre chez une femme. Mais ils devaient être ensemble avant. Je ne peux pas croire que maman soit revenue vers papa après l’avoir quitté pour Max et s’être fait tatouer son prénom.
— Nous devons essayer de comprendre ce qui s’est passé entre eux, déclara Dakota, songeuse.
— Pas nécessairement. Même si nous avons du mal à imaginer papa sexy, nous n’étions pas celle qui sortait avec lui, fit remarquer Montana. Nos parents ont toujours été fous l’un de l’autre. Ça a peut-être été un coup de foudre. Peut-être papa s’est-il interposé entre Max et maman.
— L’une d’entre vous devrait lui parler, suggéra Kent.
Nevada haussa les sourcils d’un air surpris.
— Et pourquoi l’une d’entre nous ? Pourquoi pas toi ? A moins que ce soit un truc de fille ?
— Exactement. La seule chose dont maman et moi discutons, c’est son aversion pour Lorraine. Bon, admit-il dans un soupir, j’exagère peut-être un peu. Mais je sais ce qu’elle pense. Je refuse d’aborder la vie amoureuse de ma mère adolescente avec elle.
— Lâche ! le taquina Dakota. Comme tu es fragile d’un point de vue émotionnel !
— Je vais me dévouer, proposa Montana. Je ne suis pas allée la voir depuis un moment. Je lui parlerai de Simon, puis, discrètement, j’amènerai le sujet sur ses amours passées et sur Max.
— Tu crois vraiment la duper ? s’enquit Nevada.
— Non, mais je peux faire comme si de rien n’était. Je lui poserai les questions puis je vous ferai mon rapport.
* * *
Simon était installé à une grande table du Fox and Hound, entouré de femmes. Certaines jeunes, comme Charity Golden, l’urbaniste de la ville. D’autres qui avaient plusieurs heures de vol, comme avait coutume de le dire l’une de ses infirmières préférées. Celles qui n’avaient pas besoin de montrer leur carte senior pour obtenir une réduction. Marsha Tilson, maire dynamique, d’autres membres du conseil municipal, y compris une femme à l’air austère, de plus de soixante-dix ans, qui lui avait intimé de faire de Montana « une femme honnête ». Elle s’appelait Eddie quelque chose et elle était aujourd’hui vêtue d’un survêtement jaune vif.
Jusque-là, la conversation avait été agréable. Les femmes avaient discuté de divers événements arrivés en ville. Il avait été mis au courant des dernières nouvelles : la naissance des jumelles de Pia, la grossesse de Dakota Hendrix, le projet de construction d’un casino au nord de la ville, l’acquisition de Castle Ranch par une certaine Heidi qui élevait des chèvres et qui vivait avec son grand-père. Cette dernière information relevant sans doute de la pure légende.
Le déjeuner touchait à sa fin. Néanmoins, personne n’avait encore abordé la véritable raison de cette réunion : le convaincre de rester.
Cette pression lui était familière. Partout où il passait, il la subissait. Il s’était vu offrir tout ce qu’il pouvait souhaiter par des chefs de villages, des dons qui pouvaient aller de poulets à leur fille vierge. Dans les pays occidentaux, on lui proposait surtout de l’argent, des postes de direction, des actions en Bourse. Là aussi, certains gros bonnets étaient prêts à lui donner la main de leur fille — sans toutefois la garantie de leur virginité.
Voyant le serveur arriver pour débarrasser, il jeta un coup d’œil furtif vers la porte. Pouvait-il prendre la fuite ? Un regard à la ronde eut tôt fait de le décourager. Séniors ou pas, ces femmes étaient résolues à atteindre leur but. Comme pour confirmer ses craintes, Marsha Tilson se tourna vers lui, un grand sourire aux lèvres.
— Je suis sûre que vous avez deviné pourquoi nous avons souhaité votre présence à ce déjeuner, Simon.
— J’ai ma petite idée, répondit-il, laconique.
— Vous avez tellement apporté à cette commune. Vous faites un travail extraordinaire. Mais cela va plus loin encore : votre dévouement envers vos patients nous émeut profondément. Nous sommes très impressionnées de voir à quel point vous prenez leur guérison à cœur.
Il la regarda, surpris. Il se voyait comme brillant, talentueux, parfois même affreusement tyrannique. Mais de là à prendre la guérison de ses malades à cœur ? Elles devaient se tromper sur le personnage.
— L’un des facteurs qui donnent son caractère exceptionnel à Fool’s Gold est que ce qui unit notre communauté va beaucoup plus loin que le fait que nous habitons le même endroit, poursuivit Marsha Tilson. Notre lien affectif nous fait plutôt ressembler à une famille. Nous sommes nombreux à voir nos racines remonter à plusieurs générations.
— Prenez les Hendrix, par exemple. C’est l’une des familles fondatrices, intervint Eddie. Nous connaissons tous votre liaison avec Montana, et…
Quelqu’un lui fit signe de se taire.
— Qu’est-ce qu’il y a ? lança-t-elle. Nous l’avons tous constaté. Allons-nous feindre de ne pas savoir qu’ils couchent ensemble ?
— Je suis désolée, dit Charity en le regardant. Eddie est… un peu spéciale.
— Vous pourriez éviter de parler de moi comme si je n’étais pas là, intervint l’intéressée, acerbe.
Simon leva une main apaisante.
— Tout va bien. Je comprends ce qu’elle veut dire.
Il était partagé entre l’agacement et l’envie de rire. Au moins, cette conversation était épargnée à Montana. Il se demandait quelle aurait été sa réaction. L’embarras ? L’humour ? Sans doute les deux.
Marsha secoua la tête d’un air indulgent et reprit :
— Comme je le disais, vous donnez beaucoup de vous-même à l’hôpital. Et nous estimons que nous vous devons beaucoup. Ce qui m’amène à ma question : quel est votre souhait le plus cher ?
— Pardon ? fit-il, interloqué.
— Dites-nous par quel moyen nous pourrions vous convaincre de rester. Nous sommes en train de construire un nouvel hôpital. Vous pourriez aider à sa conception. Créer votre service idéal.
Il réfléchit un instant à ce qu’il venait d’entendre. Il n’avait pas l’habitude d’être traité de la sorte. Partout où il était passé, on s’était contenté de l’appâter avec des offres en tous genres. Aucune autre municipalité ne lui avait jamais offert de l’aider à concrétiser ses désirs.
Son regard balaya les visages pleins d’espoir autour de lui. Il était évident que ces femmes feraient leur possible pour satisfaire n’importe laquelle de ses requêtes. S’il voulait diriger le conseil d’administration de l’hôpital, elles feraient en sorte qu’il obtienne le poste. S’il demandait à avoir sa photo en poster géant sur la montagne, il n’avait qu’à claquer des doigts.
Un sentiment de tristesse le traversa soudain. Si seulement tout pouvait être aussi simple…
Pesant chacune de ses paroles, il commença à parler avec lenteur :
— Tout ce que je demande, c’est que les gens fassent preuve de plus de prudence avec le feu. Nous n’avons qu’une vie. Tout ce que je veux, c’est que les parents cessent de faire du mal à leurs enfants.
Marquant une pause, il étouffa un soupir douloureux.
— Mais ce n’était pas ce que vous vouliez dire, je présume.
Marsha esquissa un sourire plein de compréhension.
— Non, en effet.
Ce qu’il voulait ? Il savait qu’il n’avait pas de réponse à la question puisque rester n’était pas une option. Elle n’avait pas besoin de lui vanter la ville, il l’aimait déjà. S’il pouvait rester…
— J’apprécie la proposition, leur dit-il. Fool’s Gold est un endroit formidable. J’ai aimé vivre ici. Ma décision de partir n’a rien à voir avec la ville mais avec moi.
— Comment pouvons-nous vous faire changer d’avis ? s’enquit Marsha.
— Vous ne le pouvez pas.
* * *
Aussitôt le déjeuner avec Marsha Tilson et ses amies terminé, il décida d’aller rejoindre Montana au chenil. Il la trouva dehors avec les chiots, profitant de la chaleur de l’après-midi. Il retira sa veste et s’allongea sur l’herbe, laissant les chiots, ravis, escalader son ventre et ses jambes.
— Je suis contente que tu sois passé. Mais ton costume jure un peu avec l’ambiance du chenil.
Il lui prit la main et déposa un baiser au creux de son poignet.
— Au moins, j’ai retiré ma veste.
— C’est déjà ça. Ta récréation dure combien de temps ?
— Une heure.
Se penchant vers lui, elle frôla sa bouche de ses lèvres.
— Fainéant.
— A l’occasion, répondit-il en riant.
— Et maintenant, raconte-moi ton déjeuner avec toutes ces femmes si sexy.
— Certes, j’admire votre maire, mais elle a soixante-dix ans.
— En espérant que nous les portions tous aussi bien qu’elle.
Se redressant, il étudia son visage. D’un doigt, il dessina ses pommettes, la ligne de son menton.
— Tu n’as aucune inquiétude à te faire, murmura-t-il. Et c’est le professionnel qui parle. Tu seras toujours belle.
Il vit ses joues se colorer de rouge. Elle baissa les yeux.
— Simon, ne fais pas ça.
— Quoi ? Te prédire ce qui va arriver ?
— Je ne suis pas si exceptionnelle.
— Pour moi, tu l’es.
Daphné se faufila entre eux et commença à le lécher.
— Ton autre petite amie réclame ton attention, plaisanta-t-elle.
Il ramassa la petite chienne, et la berça dans ses bras.
— Tu n’as vraiment aucune éducation, la sermonna-t-il.
Daphné lui adressa un sourire canin et, fermant les yeux de satisfaction, se laissa gratter le ventre.
— Alors ? Ton déjeuner ? demanda Montana.
— Ces dames veulent que je reste à Fool’s Gold.
— Et ça te surprend ?
— Je le pressentais. Au lieu de se contenter de me proposer une chose après l’autre, elles m’ont carrément demandé de leur dire ce que je voulais. Pour être honnête, je suis surpris qu’il leur ait fallu si longtemps pour me faire leur proposition. D’habitude, j’y ai droit dès le début, directement ou indirectement. Parfois, une personne est chargée de me convaincre, d’autres fois, c’est tout un comité. D’une façon ou d’une autre…
Il s’interrompit. Pourquoi Montana était-elle si pâle soudain ?
— Quoi ? demanda-t-il.
Un éclair de culpabilité traversa son regard.
— Mon Dieu, j’ai oublié, murmura-t-elle. Enfin, ce n’est pas que j’ai oublié, c’est juste que…
Elle ferma les yeux un instant, puis les rouvrit.
— Simon, tu vas mal le prendre, je le sais. Mais avant de te mettre en colère, laisse-moi t’expliquer.
Il la fixa sans comprendre. De quoi diable parlait-elle ?
— C’était moi, reprit-elle, l’air penaud. La personne désignée pour te convaincre de rester, c’est moi. Juste après ton arrivée, Marsha m’a demandé de faire connaissance avec toi, puis de trouver un moyen de te convaincre de rester à Fool’s Gold. J’avais pour mission de t’influencer. Et maintenant, tu vas croire que je t’ai menti tout ce temps. Ce qui n’est pas vrai. La plupart des moments que nous avons passés ensemble, j’oubliais. A part les quelques mises au point pour savoir où t’emmener.
Elle se tut et baissa la tête.
— Tu me détestes maintenant, n’est-ce pas ? demanda-t-elle d’une petite voix.
Il posa Daphné sur le sol avec précaution, se pencha vers Montana et l’embrassa.
— Non, je ne te déteste pas.
— Je… je ne comprends pas. Tu devrais être furieux. Je t’ai trahi.
Avec un petit rire, il prit son visage entre ses mains.
— Trahi ? C’est un peu exagéré. Je ne voudrais pas te vexer, mais ton travail laisse à désirer. Nous avons à peine parlé de la ville et de ses merveilles qui auraient pu me séduire et me faire rester.
— Je sais. Comme je te l’ai dit, j’ai oublié.
— Tu ferais une très mauvaise espionne.
— Je détesterais être une bonne espionne ! répliqua-t-elle d’un ton horrifié. Tous ces mensonges !
A son tour, elle posa sa bouche douce et avide contre la sienne. Quand leurs lèvres se séparèrent, il se recula légèrement et plongea son regard dans le sien.
— Marsha t’a demandé de coucher avec moi ? demanda-t-il doucement.
— Bien sûr que non ! s’exclama-t-elle, offusquée. Jamais elle ne ferait une chose pareille. Et moi non plus, d’ailleurs !
— Excuse-moi, répliqua-t-il en refoulant son hilarité. Je voulais juste vérifier.
— Simon ! Comment as-tu pu penser une chose pareille ?
— Je n’y ai pas pensé. J’étais curieux de savoir jusqu’où les braves habitants de Fool’s Gold pouvaient aller. Après tout, on m’a déjà offert des vierges, ajouta-t-il, un petit sourire en coin, en s’étirant langoureusement dans l’herbe. Et des vaches aussi.
— Je connais quelqu’un qui a des chèvres, si tu es intéressé.
— Non merci.
— Très bien, mais tu ne sais pas ce que tu perds. Je crois que ce sont des chèvres françaises. Très élégantes.
— Il est vrai que si elles sont françaises, ça change tout.
Elle l’observait, la tête penchée de côté, le regard scrutateur. Soudain alarmé, il demanda :
— Qu’y a-t-il ?
— Je me demandais si tu fantasmais parfois sur mes sœurs et moi au lit avec toi. Nous trouvons l’idée affreuse, mais tu me croiras ou non, certains hommes n’hésitent pas à nous le proposer.
Il se redressa d’un bond.
— Jamais ! Tu es la seule qui m’intéresse.
— Vraiment ?
— Tu es tout à fait différente de tes sœurs, affirma-t-il en lui prenant la main. Je ne veux vexer personne, mais tu es beaucoup plus jolie, beaucoup plus drôle.
Elle se mit à rire.
— Merci, mais je décèle en toi une certaine partialité.
Il était sincère mais il n’insista pas ; il savait bien qu’elle ne le croirait pas.
— En tout cas, vous portez des prénoms intéressants, enchaîna-t-il. C’est une tradition familiale ?
— Non. Un coup du destin. Après notre naissance, maman est restée un certain temps à l’hôpital. Elle avait eu un accouchement difficile, on ne savait pas si elle vivrait. Mon père faisait la navette entre ses trois nourrissons et ses trois fils à qui leur maman manquait. Nos frères ne nous avaient pas encore vues mais ils nous en voulaient de les avoir privés d’elle. Pour couronner le tout, c’était Noël. Pour les calmer, papa leur a proposé de choisir nos prénoms. Dans un sens, nous avons eu de la chance qu’ils se limitent à des noms d’Etats, ajouta-t-elle avec un sourire fataliste. D’après ma mère, il avait été question d’« Oceania », entre autres.
— En effet, vous l’avez échappé belle, lança-t-il en riant. Accoucher de jumeaux ou de triplés est toujours compliqué, ajouta-t-il, redevenu sérieux. Epuisant pour un corps de femme. Mais pour ton père aussi, ça a dû être très éprouvant.
— C’est le médecin qui parle ?
— Désolé, je m’emballe toujours un peu.
— Ne t’inquiète pas, le rassura-t-elle. J’aime ton côté ultra-professionnel.
Ils furent distraits de leur conversation par Palmer et Jester qui se précipitaient vers Montana. Les prenant dans ses bras, elle embrassa leurs petites têtes chaudes.
— Comment vont mes chéris ? murmura-t-elle avec tendresse. Toi aussi, Bentley, tu es l’un de mes chéris.
Simon esquissa un sourire. Elle avait parlé à l’autre chien comme s’il comprenait et qu’il souffrait de se sentir exclu.
Il n’avait jamais rencontré une femme comme elle. Et sans doute n’en rencontrerait-il jamais une autre. S’il était tombé sous le charme de Fool’s Gold plus que sous celui de n’importe quel autre endroit, rien, ici, ne lui manquerait autant que Montana. Son rire, son sourire, cette façon qu’elle avait d’écouter son cœur.
« Viens avec moi ! », faillit-il lui demander. Il se retint juste à temps, mal à l’aise soudain ; pour la première fois de sa vie, il envisageait plus qu’une histoire sans lendemain.
Il balaya du regard le chenil, la pelouse, les autres chiens paressant au soleil. Il pensa à la chaleureuse famille Hendrix, à la coquette maison de Montana.
Elle était chez elle, à Fool’s Gold. De plus, lui demander de partir avec lui impliquerait une promesse de sa part. Une promesse qu’il était incapable de lui faire.
Si elle avait été différente… Son imagination vagabonde s’emballa. Mais sa raison eut tôt fait de le sermonner. Il était stupide de rêver. Si elle avait été différente, elle ne l’aurait pas intéressée.