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Les deux heures qui suivirent furent une véritable torture pour Montana. Si le Dr Bradley avait annoncé sa visite, il n’avait pas précisé d’heure. Toutes les trente secondes, elle jetait un coup d’œil inquiet à la longue allée menant à la bâtisse principale. Elle avait l’impression de devenir folle.

N’en pouvant plus, elle décida d’aller nettoyer les aires réservées au dressage individuel.

Après avoir troqué ses sandales pour des bottes en caoutchouc, elle entreprit de nettoyer au jet l’asphalte resté boueux après l’averse de la veille. Mais le fait d’être occupée ne changea rien. Elle était toujours aussi paniquée. Elle poussa un soupir résigné. Autant voir les choses du côté positif. Après tout, ce serait une bonne occasion d’apprendre à s’affirmer. Se connaissant comme elle se connaissait, devant le Dr Bradley, elle allait sûrement prendre une attitude coupable, ce qu’elle n’était pas. Cette fois donc, elle allait se montrer forte et se comporter en adulte réfléchie.

D’accord, l’escapade de Fluffy à l’hôpital était tout à fait regrettable. Mais ni la chienne ni elle n’avaient de mauvaises intentions. Et puisqu’elle savait qu’il n’y avait pas eu de dégâts irréparables, M. J’ai-Avalé-Un-Manche-A-Balai allait être obligé de passer l’éponge. S’il croyait l’impressionner avec sa visite et ses reproches, il en serait pour ses frais. Bien sûr elle allait s’excuser une nouvelle fois. Mais ce serait tout. Elle n’allait pas s’aplatir devant lui ! Et tout bien réfléchi, c’était à lui de s’excuser de l’avoir traitée de la sorte, non ?

Quand elle eut fini de nettoyer les pistes, il était 15 heures. Elle n’avait cessé de ruminer sa rancœur. Et elle était en colère, une colère justifiée. Son statut de médecin ne donnait au Dr Bradley aucun droit de la faire culpabiliser. C’était d’ailleurs la première chose qu’elle comptait lui dire.

Elle s’avança d’un pas décidé vers le robinet pour couper l’eau. Les bottes en caoutchouc commençaient à lui tenir chaud aux pieds. Elle allait enrouler le tuyau, puis elle les retirerait, prendrait quelques minutes pour se refaire une beauté et…

— Max m’a dit que je vous trouverais ici.

Même si elle attendait sa venue, le timbre grave de sa voix la fit sursauter. Un peu chancelante sous l’effet de la surprise, elle se redressa bien droit. Le tuyau avait failli lui échapper des mains. Heureusement, elle avait déjà fermé le robinet. D’un autre côté, arroser le Dr Bradley n’aurait pas été pour lui déplaire.

Il avait remplacé sa blouse blanche par une chemise à manches longues, à rayures grises. Sa cravate était relâchée, détail sexy sur n’importe quel autre homme. Mais pas sur lui. Il se tenait trop raide, son attitude était trop compassée. Comme si le fait d’être un simple mortel le mettait mal à l’aise et l’ennuyait.

Pourtant, comme le matin, elle fut subjuguée par son physique. C’était loin d’être uniquement dû à sa large carrure. Non, c’était son visage qui le singularisait : la perfection de ses traits, sa bouche aux lèvres voluptueuses, le vert insolite de ses yeux. Un visage qui restait gravé à jamais dans la mémoire. Le halo de poussière dorée qui tremblotait autour de lui donnait l’impression que même le soleil était impressionné.

Se sentant comme hypnotisée, elle posa la première question qui lui passa par la tête :

— Vous connaissez Max ? Vous me semblez plutôt du genre à l’appeler « M. Thurman ».

— C’est son nom ? s’enquit-il avec un froncement de sourcils. Il s’est présenté comme étant Max.

Elle acquiesça d’un imperceptible signe de tête. En quoi cela la surprenait-elle ? Son patron s’embarrassait rarement du protocole.

Le Dr Bradley tourna la tête, offrant ses cicatrices à son regard. Une nouvelle fois, elle remarqua qu’elles formaient un motif étoilé. Avec une moitié de visage aussi défigurée, n’aurait-il pas dû montrer plus de compassion, d’humanité ?

Elle s’avança vers lui et, se plantant devant lui, les mains sur les hanches, elle déclara :

— C’était un accident. Vous n’êtes pas sans savoir, étant donné votre profession, que, hélas, on peut faire du mal à quelqu’un sans le faire exprès. C’est ce qui s’est passé avec Fluffy. Un accident. Regrettable, certes, mais involontaire.

Si elle ignorait toujours pourquoi il voulait la voir, elle devinait qu’il avait l’intention de lui faire peur. Ou peut-être pire. Sans lui laisser le temps de répondre, elle poursuivit :

— Je suis obligée d’admettre qu’elle n’a pas un avenir de chien thérapeute. Max m’avait prévenue mais je ne l’ai pas écouté. Je voulais la voir réussir. Vous comprenez, elle a tellement bon cœur. Elle aime tout le monde. Elle est peut-être un peu trop démonstrative, pas très obéissante, mais c’est une chienne qui déborde d’amour. Cela ne peut pas être une mauvaise chose. Je voulais lui donner une chance de faire ses preuves. Vous ne pouvez pas comprendre, je sais. Mais ne vous avisez pas de me répondre que c’est juste un chien. Sinon, je n’hésiterai pas à vous asperger avec mon tuyau d’arrosage.

Elle reprit son souffle et scruta son visage. Quelle allait être sa réaction ? Un sourire, un éclat de rire, la colère ? Mais il la dévisageait, impassible, droit comme un « i ».

Avec un long soupir résigné, elle attendit. Elle ne devait pas oublier qu’elle avait affaire à un médecin. S’apprêtait-il à lui annoncer qu’elle souffrait d’un sérieux problème ? Un trouble du comportement ? Une tare quelconque ? Allait-il exiger qu’elle change de métier, vu qu’elle n’était même pas capable de maîtriser un chien d’à peine un an ?

Elle se décida enfin à retirer ses bottes et enfiler ses sandales. Peut-être cela allait-il le faire réagir ?

Mais il ne bougea pas et continuait à la fixer.

— Dites quelque chose ! lança-t-elle. Ou bien avez-vous fait tout ce chemin uniquement pour me regarder ?

— Qu’est-ce que vous faites ici, exactement ?

Un instant déstabilisée, elle fronça les sourcils. Pourquoi cette question ?

— Pardon ?

— Parlez-moi de votre travail, précisa-t-il avec un geste en direction du chenil.

Elle lui lança un coup d’œil sceptique. N’avait-il pas fait des études de médecine ? Quelles explications attendait-il d’elle ?

— Je forme des chiens thérapeutes.

Elle vit ses yeux se plisser, sa bouche se pincer. Ainsi, elle avait enfin réussi à le faire réagir ! Mais si c’était pour qu’il se moque d’elle, elle préférait encore son impassibilité.

— Comme son nom l’indique, le chien thérapeute a une fonction thérapeutique et éducative dans l’interaction assistée par animal, enchaîna-t-elle, imperturbable. Il diffère du chien d’utilité qui est dressé pour aider les gens sur des problèmes spécifiques. Comme, par exemple, le chien-guide pour les aveugles.

— Je comprends, fit-il en hochant la tête.

De plus en plus intriguée, elle marqua une pause. Que voulait-il savoir de plus ? Patiemment, elle reprit :

— Nos chiens sont censés apporter un peu de chaleur, de réconfort à tous ceux qui en ont besoin, de redonner un sourire, la joie de vivre, de briser l’ennui ou l’isolement. Nous les emmenons dans les écoles, les maisons de retraite et les centres hospitaliers. Deux de nos chiens passent leurs après-midi avec un groupe d’adultes souffrant d’une déficience mentale. D’autres aident les enfants en échec scolaire, surtout lors d’un apprentissage difficile de la lecture. Devant un chien, les enfants oublient leur timidité ou leurs difficultés.

— Si je comprends bien, vous emmenez des chiens à l’hôpital.

— Oui. En général, leurs visites se passent mieux qu’aujourd’hui.

— J’espère bien.

Elle se hérissa. La moutarde commençait à lui monter sérieusement au nez. Pour qui se prenait-il, à la fin ? Aussi glaciale que possible, elle enchaîna :

— Vous auriez quand même pu vous montrer plus aimable avec moi. Au risque de me répéter, j’insiste sur le fait que c’était un accident.

— Ce n’est pas mon travail d’être aimable. Mon travail, c’est d’aider mes patients à guérir.

Elle s’apprêtait à lui lancer une réponse cinglante, mais se contint. Marsha ne lui avait-elle pas demandé de se montrer aussi charmante que possible afin de le convaincre de rester ? Mais elle ne voulait pas qu’il reste !

Décidément, elle n’était vraiment pas la candidate idéale pour cette mission. Prenant sur elle, elle reprit d’une voix aussi posée que possible :

— Si Fluffy se rendait compte de ce qu’elle a fait, elle serait désolée.

Le Dr Bradley continuait à la dévisager en silence. Pourquoi diable ne disait-il rien ? Cette entrevue commençait à l’agacer prodigieusement. Elle avait l’impression de passer un entretien d’embauche. Pire ! Un scanner !

D’un autre côté, il était peut-être préférable qu’il soit aussi antipathique. Si, en plus de son physique troublant, il était le plus charmant, le plus merveilleux des hommes, aucune femme aux Etats-Unis n’aurait la moindre chance de lui résister. En attendant, elle aurait préféré qu’il aille droit au but, lui expose l’objet de sa visite, et retourne dans son hôpital.

— Je veux un chien thérapeute pour l’une de mes malades, annonça-t-il soudain.

Prise de court, elle battit plusieurs fois des paupières. Jamais elle ne se serait attendue à une telle requête. Avait-elle vraiment bien entendu ?

— Vous voulez un chien thérapeute ? finit-elle par répéter.

— Oui.

— Qui irait à l’hôpital ?

— Oui.

De plus en plus abasourdie, elle l’observa attentivement. Il se moquait d’elle. Que faisait-il des microbes, des infections ? De tout ce à quoi il avait fait allusion en lui hurlant dans les oreilles ce matin ?

Sans doute était-il préférable de ne pas le lui demander.

— Un chien vivant, nous sommes bien d’accord ? demanda-t-elle.

— Vivant, oui, ce serait mieux, laissa-t-il tomber dans un soupir exaspéré.

Puis, se radoucissant, il précisa :

— Ma malade est une fillette de neuf ans, Kalinka. Elle a été gravement brûlée par l’explosion d’un barbecue, il y a quelques jours. Elle a déjà subi la première d’une longue série d’interventions. Elle est dans un état de souffrance et de traumatisme indescriptibles.

Un muscle tressauta dans sa mâchoire, trahissant son émotion.

— Sa mère pense qu’un chien l’aiderait à moins souffrir, conclut-il. Kalinka adore les chiens.

— Bien, dit-elle, pas très convaincue. Est-elle sur un lit ? Je suppose qu’elle ne peut pas marcher.

— En effet.

Un instant, elle passa en revue les chiens disponibles. Il valait mieux prévoir un chien de petite taille. Et si la fillette avait des problèmes respiratoires, mieux valait des poils courts.

— J’ai exactement le chien qu’il vous faut ! annonça-t-elle avec un sourire. Suivez-moi, je vais vous présenter.

*  *  *

Simon n’avait aucune envie de suivre cette dresseuse de chiens mais il était ici en mission. Il était prêt à tout pour ses malades. Il avait toujours cru en son métier, faisait tout ce qui était en son pouvoir pour les aider à guérir. Gérer les femmes comme cette Montana, comme l’avait appelée son patron, n’était qu’un défi de plus à relever. Et il le relèverait.

Quand elle tourna la tête pour voir s’il la suivait, ses longs cheveux blonds reflétèrent le soleil. Il remarqua le dégradé de dorés, la légère ondulation. Ses yeux d’un brun sombre pétillaient d’amusement. Il ne doutait pas un instant qu’elle se moquait de lui.

Il ne se sentait pas très à l’aise mais cela n’avait rien de nouveau. Il n’était bien que dans l’enceinte de l’hôpital. Là, dans l’espace familier qui était son royaume, il était chez lui.

Montana le mena à une grande pelouse entourée d’une barrière. Les chiens qui jappaient semblaient heureux de leur sort. L’après-midi était chaud, le soleil brillait.

Elle marchait d’un pas souple et gracieux. Le vernis rose de ses ongles de pieds contrastait avec le vert de l’herbe. Après avoir troqué ses sandales contre une paire de sabots, elle entra dans ce qu’il devina être le chenil. Il la suivit.

La propreté des lieux le surprit. Il s’était attendu à une odeur de chien, mais il n’en était rien, ou si peu. Il remarqua les nombreuses fenêtres et Velux. Très lumineux, l’endroit était aménagé en grands box individuels dans lesquels chaque chien avait son propre plaid pour dormir, ses jouets, sa gamelle d’eau, de croquettes, et une porte ouvrant sur l’extérieur. Manifestement, beaucoup de temps et d’argent avaient été investis dans cette installation.

Montana lui expliqua que pour un maximum de bien-être, le bâtiment était chauffé l’hiver et climatisé l’été.

— Voilà où vivent nos chiens, expliqua-t-elle. Ce sont tous des animaux réputés pour leur sociabilité, leur besoin de compagnie. Ils sont presque tout le temps avec quelqu’un. Des étudiants viennent leur tenir compagnie la nuit. Max a son lot d’anecdotes à ce sujet. Mais ce n’est pas pour cela que vous êtes là.

— Non.

Il savait bien qu’il aurait dû faire un effort de conversation. Se perdre en banalités mettait les gens à l’aise. Il n’avait jamais cherché à comprendre pourquoi, et pour tout dire, il s’en fichait. Mais pour lui, le simple fait de dire « Bonne journée ! » à quelqu’un était d’un ridicule fini. Comme si quiconque avait le pouvoir d’assurer que la journée serait bonne !

Montana se dirigea vers une porte qui ouvrait sur l’extérieur. Quand elle sortit sur la pelouse, petits et gros chiens accoururent vers elle avec le même enthousiasme. Il la suivit, intrigué. Il n’avait jamais eu beaucoup de contacts avec les chiens. Cinq années durant, de onze ans à seize ans, âge auquel il était parti pour l’université, il avait vécu à l’hôpital où les chiens n’étaient pas admis.

Il eut un mouvement de recul. La catastrophe ambulante de ce matin — Fluffy ? — se précipitait sur lui. La chienne l’avait reconnu et semblait bien décidée à lui faire la fête. Il fit son possible pour se protéger de ses effusions. Montana caressa tour à tour tous les pensionnaires et, en quelques minutes, l’ordre était revenu. Il fut agréablement surpris. Jamais il n’aurait pensé une telle chose possible.

— Chichi ! Viens, ma belle ! appela-t-elle, avant de se tourner vers lui. Je pense que ce sera la bonne chienne pour vous. Tranquille, bien élevée et, surtout, propre.

Un petit caniche couleur abricot se précipita vers elle. La chienne qui ne devait pas mesurer plus de cinquante centimètres, avait de longues pattes et un corps svelte. Quand Montana lui ordonna de se mettre debout, elle se dressa sur ses pattes arrière et se laissa soulever dans ses bras.

— Elle sera heureuse de se blottir à côté de Kalinka pour aussi longtemps qu’elle le voudra, expliqua Montana. Elle est adorable avec les enfants, elle a bon caractère, et comme c’est un caniche, elle a le poil court. Nous pouvons faire en sorte qu’elle soit toujours toilettée.

Pendant qu’elle parlait, la petite chienne le fixait de ses yeux sombres, plus foncés que ceux de Montana, la truffe tremblotante, frissonnant de tout son corps.

— Elle est malade ? s’inquiéta-t-il.

Montana se mit à rire.

— Non ! Enfin pas de la façon dont vous l’entendez.

Elle chuchota quelque chose à l’oreille du caniche qui lui lécha le menton.

— Elle a le béguin pour vous, expliqua-t-elle.

— Quoi ?

Elle lui tendit la petite chienne. Machinalement il la prit, se sentant un peu gauche.

Malgré son ossature délicate, il fut surpris par sa légèreté. Sa fourrure était douce, son corps chaud. Elle se blottit dans ses bras, visiblement aux anges.

— Tenez son arrière-train, lui suggéra Montana.

Il changea de position. Chichi se nicha contre son torse et le fixa avec des yeux qui semblaient percer son âme. En voyait-elle les défauts ? Il aurait été curieux de le savoir.

— Vous lui plaisez, fit remarquer Montana d’un ton sceptique.

Il était clair que, sans le dire, elle pensait : « Chacun ses goûts. »

— Elle a l’air gentille, répondit-il d’un ton hésitant en la caressant. Mais Kalinka est fragile, vous savez.

— Vous n’avez pas d’inquiétudes à avoir. Chichi a très bon caractère. Et je serai là tout le temps.

Pas encore convaincu, il regardait la petite chienne. Allait-elle vraiment pouvoir aider Kalinka ? D’un autre côté, si la fillette voulait un chien, il était d’accord.

— Nous allons commencer par essayer, déclara-t-il en rendant l’animal à Montana. Suivant le résultat, nous continuerons. Pouvez-vous venir demain ?

— Entendu.

Bien ! L’affaire était entendue. N’ayant plus rien à ajouter, il se dirigea vers la sortie.

Montana lui emboîta le pas, la chienne dans les bras. Se souvenant qu’il était un homme et que les hommes se devaient d’être galants, il s’arrêta sur le seuil de la porte pour la laisser passer. Elle le remercia d’un sourire et passa devant lui, l’effleurant légèrement.

Ce qui arrivait à tout le monde, tout le temps. Il était habitué aux contacts en tous genres. Il examinait ses patients, prenait les instruments qu’on lui tendait en salle d’opération. De temps à autre, il appréciait même la compagnie d’une femme, l’espace de quelques heures. Aussi le bref frôlement du bras de Montana contre le sien n’aurait dû lui faire aucun effet.

Et pourtant, à la seconde même où la jeune femme le toucha, une sensation violente et incontrôlable se réveilla en lui, le submergeant. Il s’arrêta net.

Montana lui jeta un regard surpris, comme si elle ne devinait rien du brasier que le désir venait d’allumer en lui comme une explosion.

C’était la première fois de sa vie qu’il ressentait un tel émoi. Il n’avait aucune idée de la réaction à adopter. Allait-il parvenir à refréner son envie fulgurante de la prendre dans ses bras, de l’embrasser ? Son besoin était d’une telle violence…

— Tout va bien ? lui demanda-t-elle comme il ne bougeait toujours pas.

Il se força à reprendre pied dans la réalité. Il devait prendre sur lui, s’accrocher aux quelques lambeaux de civilité qui lui restaient. Il hocha la tête.

— Oui. Merci pour votre temps.

La lueur ironique dans le regard de Montana ne lui échappa pas. Il devinait aisément ses pensées. Elle devait se rappeler lui avoir conseillé de se décoincer. Si seulement elle avait pu se douter du raz-de-marée que sa simple proximité avait provoqué en lui. Il préférait mille fois passer pour un coincé à ses yeux. C’était mieux ainsi.

Il prit congé à la hâte et, une fois dans sa voiture, essaya de recouvrer un semblant de calme. Mais ses mains tremblaient, et son érection douloureuse ne laissait rien ignorer de la tournure qu’avaient prise ses pensées. Comme il se dégoûtait ! Mortifié, il démarra. Pourvu, surtout, qu’elle n’ait rien remarqué !

Tout en roulant en direction de l’hôpital, il essaya d’analyser ce qui venait de se produire. Il ne s’était jamais considéré comme très porté sur le sexe. Et quand la nécessité se faisait ressentir, il trouvait une partenaire d’un soir, une femme qui, comme lui, recherchait une rencontre purement physique. Ce n’était pas désagréable, mais c’était plus biologique qu’autre chose. Jamais il ne s’était senti fasciné. Electrifié.

Allons, il était inutile de se mettre martel en tête. Ce qu’il venait de vivre n’était que pure chimie. L’une de ces bizarreries de l’ADN qui intriguait mais qui, au bout du compte, ne voulait rien dire. Ainsi, l’espace d’un instant, il avait éprouvé du désir pour Montana ? Quoi de plus normal ? Il était un homme, elle était une femme. Quand ils se reverraient, ce serait oublié. La seule chose qui comptait pour lui, c’était de soulager la souffrance de ses malades. Son travail suffisait à remplir sa vie.