Calais, Pas-de-Calais
Puisque je vois que tout le monde est réveillé[2], j'en profite pour signaler une petite pétition, à mon avis insuffisamment médiatisée : celle lancée par Robert Hue et Jean-Pierre Chevènement pour demander la tenue d'un référendum sur la monnaie unique. C'est vrai que le Parti communiste n'est plus ce qu'il était, que Jean-Pierre Chevènement ne représente que lui-même « et encore » ; il n'empêche qu'ils rejoignent un vœu majoritaire, et que Jacques Chirac avait promis ce référendum. Ce qui, techniquement et à l'heure où je parle, fait de lui un menteur.
Je n'ai pas l'impression de faire preuve d'une finesse d'analyse exceptionnelle en diagnostiquant que nous vivons dans un pays dont la population s'appauvrit, a la sensation qu'elle va s'appauvrir de plus en plus, et se montre en outre persuadée que tous ses malheurs viennent de la compétition économique internationale (simplement parce que la «compétition économique internationale», elle est en train de la perdre). L'Europe, il y a encore quelques années, tout le monde s'en foutait ; voilà bien un projet qui n'avait pas soulevé la moindre opposition, ni suscité le moindre enthousiasme ; aujourd'hui, disons que certains inconvénients sont apparus, et qu'on a plutôt le sentiment d'une hostilité croissante. Ce qui, après tout, serait déjà un argument en faveur d'un référendum. Je rappelle que le référendum de Maastricht en 1992 a bien failli ne pas se tenir (la palme historique du mépris revenant sans doute à Valéry Giscard d'Estaing, qui avait estimé le projet « trop complexe pour être soumis au vote »), et qu'une fois arraché il a bien failli se solder par un NON, alors que l'ensemble des hommes politiques et des médias responsables de ce pays appelaient à voter OUI.
Cette profonde, et presque incroyable obstination des partis politiques « de gouvernement » à poursuivre un projet qui n'intéresse personne, et qui commence même à écœurer tout le monde, peut à elle seule expliquer bien des choses. À titre personnel, quand on me parle de nos «valeurs démocratiques», j'ai du mal à ressentir l'émotion requise ; ma première réaction serait plutôt d'éclater de rire. S'il y a une chose dont je suis sûr, quand on me demande de choisir entre Chirac et Jospin (!) et qu'on refuse de me consulter sur la monnaie unique, c'est que nous ne sommes pas en démocratie. Bon, la démocratie n'est peut-être pas le meilleur des régimes, c'est peut-être comme on dit la porte ouverte à de « dangereuses dérives populistes » ; mais alors je préférerais qu'on nous le dise franchement : les grandes orientations sont prises depuis longtemps, elles sont sages et justes, vous ne pouvez même pas exactement les comprendre ; il vous est cependant possible, en fonction de votre sensibilité, d'apporter telle ou telle coloration politique à la composition du futur gouvernement.
Dans Le Figaro du 25 février, je relève d'intéressantes statistiques concernant le Pas-de-Calais. 40% de la population y vit en dessous du seuil de pauvreté (chiffres de l'INSEE) ; six ménages sur dix y sont dispensés du paiement de l'impôt sur le revenu. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, le Front national y réalise des scores médiocres ; il est vrai que la population immigrée est en diminution constante (par contre le taux de fécondité est très bon, nettement supérieur à la moyenne nationale). En fait le député-maire de Calais est un communiste, qui présente l'intéressante particularité d'être le seul à avoir voté lors du dernier congrès contre l'abandon de la dictature du prolétariat.
Calais est une ville impressionnante. D'habitude, dans une ville de province de cette taille, il y a un centre historique, des rues piétonnes animées le samedi après-midi, etc. À Calais, rien de semblable. La ville a été rasée à 95 % lors de la Seconde Guerre mondiale ; et dans les rues, le samedi après-midi, il n'y a personne. On longe des immeubles abandonnés, d'immenses parkings déserts (c'est certainement la ville de France où il est le plus facile de se garer). Le samedi soir est un peu plus gai, mais d'une gaieté particulière : presque tout le monde est saoul. Au milieu des troquets il y a un casino, avec des rangées de machines à sous où les Calaisiens viennent claquer leur RMI. Le lieu de promenade du dimanche après-midi est l'entrée du tunnel sous la Manche. Derrière les grilles, le plus souvent en famille, poussant parfois un landau, les gens regardent passer l'Eurostar. Ils font un signe de main au conducteur, qui klaxonne en réponse avant de s'engouffrer sous la mer.